Lapierre c. Gillett

2011 QCCQ 14861

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE MONTRÉAL

« Chambre civile »

N° :

500-32-110203-082

 

 

 

DATE :

9 septembre 2011

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE MARK SHAMIE, J.C.Q.

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PAULA J LAPIERRE

Demanderesse

c.

FRANK GILLETT

et

BELGRAVE ROOFING AND RENOVATIONS INC.

et

BELGRAVE ENTERPRISES

Défendeurs

 

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JUGEMENT

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[1]            Paula Lapierre réclame 7 000 $ en dommages parce que des travaux sur sa résidence sise au […] à Westmount (le bâtiment) se sont révélé avoir été incorrectement faits.

[2]            Un contrat est conclu le 31 mars 2006 entre Mme Lapierre et 9042-7071 Québec Inc. faisant affaire sous le nom de Belgrave roofing and renovations (9042-7071).

[3]            Le contrat prévoit en substance que 9042-7071 doit remplacer les briques gravement endommagées des murs extérieurs du bâtiment et repeindre ceux-ci en contrepartie de 17 253,75 $. Le contrat prévoit également ceci :

**Guarantee on painting work - 2 years

**Guarantee on brick work - 2 years

[4]            Dès l'hiver 2007, Mme Lapierre se rend compte que la peinture commence à lever.

[5]            Au cours du printemps et de l'été 2007, elle entreprend sans succès différentes démarches auprès de Frank Gillett, le dirigeant de 9042-7071, afin que des réparations soient effectuées.

[6]            Le 11 septembre 2007, 9042-7071 fait faillite. Selon le plumitif, l'avis de surseoir formulé par le syndic à la faillite, Labelle Marquis Inc., est déposé au dossier de la Cour le 29 mai 2008.

[7]            Mme Lapierre admet avoir été informée de la faillite par Frank Gillett au cours d'un entretien téléphonique ayant eu lieu au printemps 2008.

[8]            Le 16 juillet 2008, elle obtient de Gap construction (Gap) une estimation du coût des réparations. Moyennant 6 885,38 $ (taxes incluses), Gap propose de faire le travail suivant :

We will replace all damaged bricks and repoint where necessary. Following the brickwork, we will paint in the repaired areas. (sic)

[9]            Des travaux différents de ceux ayant fait l'objet de l'estimation initiale ont finalement été exécutés par Gap en juillet 2009 pour 5 869,53 $.

[10]         En résumé, les travaux réalisés sont décrits par Geoffrey Parsons, le dirigeant de Gap, comme ceci :

-                     Aucune brique n'a été remplacée;

-                     Il y a eu très peu de rejointoiement;

-                     La peinture décollée a été enlevée et les murs extérieurs du bâtiment ont été repeints en entier.

[11]         Le recours de Mme Lapierre est à l'origine intenté contre Belgrave roofing and renovations (9042-7071), Belgrave enterprises et Frank Gillett.

[12]         À la suite de pourparlers de règlement, Mme Lapierre s'est désistée de son recours contre Belgrave enterprises. Le désistement porte la date du 3 juin 2008.

[13]         Le 25 juillet 2008, Mme Lapierre introduit un nouveau recours contre Belgrave enterprises pour 6 999,99 $ dans le dossier 500-32-111686-087. Elle soutient que l'entente conclue et qui a provoqué le désistement n'a pas été respectée.

[14]         Pour sa part, Belgrave enterprises se porte demanderesse reconventionnelle et réclame 7 000 $ parce qu'elle considère les procédures abusives. À l'audience, Belgrave enterprises réduit séance tenante sa réclamation à 3 500 $.

[15]         Les deux actions ont été réunies afin d'être instruites en même temps et jugées sur la même preuve.

[16]         Un jugement distinct est rendu simultanément dans le dossier 500-32-111686-087.

[17]         Il y a cependant lieu d'exposer dans un même jugement les motifs de la décision du Tribunal à l'égard de toutes les demandes de Mme Lapierre.

ANALYSE

[18]         9042-7071 exploite son entreprise sous le nom de Belgrave roofing renovations. Son principal dirigeant est Frank Gillett.

[19]         Une autre entreprise est exploitée sous le nom de Belgrave enterprises par une personne morale distincte, en l'occurrence 9093-2310 Québec Inc. (9093-2310). Son principal dirigeant est le fils de Frank Gillett, Brandon Gillett.

[20]         9093-2310 n'est pas partie au contrat intervenu le 31 mars 2006. Ce contrat lie Mme Lapierre et 9042-7071 uniquement.

[21]         Or, 9042-7071 a fait faillite le 11 septembre 2007 et les procédures dans le présent dossier ont été suspendues et arrêtées. Le recours contre cette personne morale doit être rejeté pour ce seul motif.

[22]         Par ailleurs, le contrat du 31 mars 2006 a été signé par Frank Gillett en sa qualité de représentant de 9042-7071 et non à son nom personnel.

[23]         Les personnes morales sont distinctes de leurs membres et leurs actes, en principe, n'engagent qu'elles-mêmes. Ce n'est que dans des cas exceptionnels que la responsabilité de l'âme dirigeante d'une personne morale peut être retenue.

[24]         9042-7071 affiche une perte de 11 648 $ dans son dernier état financier en date du 28 février 2006.

[25]         Les difficultés financières que pouvait avoir 9042-7071 lors de la conclusion du contrat ne sont pas en elles-mêmes suffisantes pour retenir la responsabilité de Frank Gillett.

[26]         Selon le témoignage non contredit de l'avocat de 9042-7071, Me Serge Haman, cette dernière a dû faire faillite puisqu'elle ne pouvait plus faire face à des poursuites engagées contre elle par des tiers à la suite d'un sinistre survenu lors de l'exécution de travaux.

[27]         Il n'y a aucune preuve que M. Gillett s'est servi de la personnalité juridique de 9042-7071 pour masquer un acte abusif au sens de l'article 317 C.c.Q.

[28]         Il faudrait pratiquement conclure, ce que la preuve ne permet pas de faire, que Frank Gillett a conclu un contrat sous le couvert de la compagnie avec l'intention d'exécuter des travaux déficients.

[29]         La faillite survient pour des motifs complètement étrangers au contrat et Mme Lapierre n'est pas indiquée comme créancière dans la faillite puisque son recours a été intenté plusieurs mois postérieurement à la faillite.

[30]         Le fait que l'adresse du domicile et le numéro de téléphone de 9042-7071 et 9093-2310 ont pu être communs pendant une certaine période ne signifie pas que les deux entités forment une même entreprise. Cette preuve est insuffisante pour faire repousser le principe des personnalités juridiques distinctes de ces deux entités.

[31]         Ce n'est pas parce que M. Frank Gillett a pu avoir travaillé pour le compte de l'entreprise de son fils qu'il faut déduire que 9093-2310 constitue la même personne que 9042-7071 ou que 9093-2310 a décidé d'assumer les dettes de 9042-7071 après sa faillite.

[32]         Mme Lapierre affirme que Frank Gillett s'est engagé personnellement à réparer les travaux mal exécutés.

[33]         Frank Gillett admet qu'il était prêt à faire certains travaux correctifs, mais qu'il fut impossible de s'entendre avec Mme Lapierre sur l'étendue de ceux-ci. Selon lui, aucune entente n'est intervenue.

[34]         Le Tribunal n'a aucune raison de préférer la version de l'un ou l'autre des témoins. Mme Lapierre a cependant le fardeau d'établir l'entente et la version de chaque témoin portant sur l'échange des consentements est contradictoire.

[35]         En conséquence, Mme Lapierre n'a pas établi par une preuve prépondérante un engagement pris personnellement par M. Frank Gillett que celui-ci refuse d'honorer.

[36]         Mme Lapierre affirme encore que Frank Gillett et Me Serge Haman, à l'été 2008, lui ont représenté que 9093-2310 s'engageait à honorer la garantie prévue au contrat du 31 mars 2006 et à réparer les défauts résultant du travail mal exécuté par 9042-7071.

[37]         Ces affirmations sont niées par Frank Gillett et Me Haman. Pour sa part, M. Brandon Gillett dans une lettre du 18 juillet 2008 mentionne ceci :

I am not aware of any agreement that may or may not have been made between my father, his lawyer, your nephew or yourself. This is the first time am being made aware of any agreement. I made it quiet clear that I would not accept any responsibility or intimidation in this matter. (sic)

[38]         Le neveu de Mme Lapierre, Me Charles O'Brien, affirme pour sa part qu'une entente est intervenue lors d'un entretien téléphonique avec Me Haman. En résumé, l'entente en trois temps serait la suivante :

1)             Mme Lapierre se désiste de son recours contre 9093-2310;

2)             Frank Gillett ferait les réparations pour son compte personnel ou celui de 9093-2310. Il admet cependant qu'il n'est pas clair si l'engagement est pris par Me Haman pour le compte de 9093-2310 ou Frank Gillett;

3)             La qualité des réparations devra être vérifiée par un architecte. Si les travaux sont satisfaisants, un deuxième désistement sera produit.

[39]         Selon Me O'Brien, Me Haman aurait ainsi engagé son client pour éviter que 9093-2310 n'ait à payer les frais exigibles pour produire un plaidoyer. Il ajoute que le désistement a été produit sur la base de cette entente, laquelle n'a cependant pas été respectée par l'autre partie.

[40]         D'un autre côté, le témoignage de Me Haman peut se résumer comme ceci :

-                     Il insiste auprès de Mme Lapierre lors d'un entretien téléphonique pour qu'elle se désiste de son recours contre 9093-2310, vu l'absence de lien de droit. À défaut, sa cliente envisage d'intenter des poursuites;

-                     Frank Gillett lui dit qu'il est prêt, malgré la faillite, «  as a good will  » de faire quelque chose, mais il est incapable de s'entendre avec elle sur l'étendue des travaux. Il est encore prêt à négocier pour qu'il y ait un désistement du recours contre 9093-2310;

-                     Lors d'une conversation téléphonique, il indique à Me O'Brien qu'il n'y a aucune raison de maintenir le recours contre 9093-2310. Après le désistement, les parties pourront discuter et dans l'éventualité d'une entente, les avocats pourront rédiger les documents de règlement.

[41]         Le coût du timbre judiciaire pour la production de la contestation par 9093-2310 dans le dossier 500-32-111686-087, s'élève à 189 $.

[42]         Il est peu vraisemblable qu'une personne accepte de faire des travaux pouvant s'avérer onéreux, sans compter les frais d'architecte et sans savoir si les réparations seront jugées satisfaisantes, simplement pour économiser 189 $.

[43]         Cela dit, le témoignage de Me O'Brien est contredit par la correspondance.

[44]         Dans une lettre du 30 mai 2008, Me Haman écrit ceci :

Tel que convenu, nous comprenons que votre cliente se désistera de l'action intentée devant la division des petites créances de la Cour du Québec dans le dossier portant le numéro 500-32-110203-082 à l'encontre de la défenderesse Belgrave Enterprises .

Cela dit, nous communiquerons sous peu avec vous dans le but de trouver une solution complète à cette affaire .

                                                                                             (Soulignements ajoutés)

[45]         Ces propos sont incompatibles avec les termes de l'entente globale auxquels fait allusion Me O'Brien. Il n'y aurait pas de discussion ultérieure pour « trouver une solution complète » si tout était déjà entendu.

[46]         De son côté, Me O'Brien, dans une lettre du 4 juin 2008, indique qu'il produira un désistement «  at our earliest convenience  ». Puis il enchaîne avec ceci :

Mr. Gillette will visit the premises. If he repairs the work under warranty to the satisfaction of Architecht Diodatti, the matter is settled and proceedings discontinued against Defendant Mr. Gillette. In our opinion Defendant(s) should compensate Mrs. Lapierre for the cost of her Court stamp, as it could easily have been avoided. (sic)

Please advise the undersigned of your client's formal offer at your earliest convenience.

                                                                                             (Soulignements ajoutés)

[47]         La lettre est de la nature d'une offre de règlement formulée par Me O'Brien. Il ne s'attendait pas à ce qu'elle soit nécessairement acceptée telle quelle puisqu'il dit attendre l'offre formelle de la partie adverse. Le désistement n'est pas conditionnel à l'acceptation de l'offre.

[48]         Le Tribunal conclut que le désistement a été produit volontairement par Mme Lapierre et en parfait accord avec les représentations qui ont été faites.

[49]         Les pourparlers ont pu par la suite être rompus sans affecter la validité du désistement.

[50]         La preuve de l'engagement que Mme Lapierre voudrait voir exécuter par équivalent et qu'aurait pris Frank Gillett ou 9093-2310 n'est pas établie par la preuve.

[51]         Les recours exercés par Mme Lapierre seront rejetés.

[52]         Le recours n'a pas occasionné de frais à 9042-7071.

[53]         POUR CES MOTIFS, le Tribunal

REJETTE la demande;

CONDAMNE Paula Lapierre à payer à Frank Gillett les frais judiciaires de 144 $.

 

 

 

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MARK SHAMIE, J.C.Q.

 

 

 

Dates d’audience :

8 février 2010, 3 mai 2010, 10 janvier 2011 et 2 mai 2011