Méca-Fab inc. c. 2952-2356 Québec inc.

2011 QCCS 6447

JB4255

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

ST-MAURICE

 

N° :

410-17-000867-106

 

 410-17-000639-083

 

 

DATE :

5 décembre 2011

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

ALAIN BOLDUC, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

MÉCA-FAB INC.

Demanderesse

c.

2952-2356 QUÉBEC INC.

Et

JEAN-ROBERT GIRARD

Défendeurs

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

INTRODUCTION

[1]            Méca-Fab inc., une société qui exploite une entreprise de construction, a introduit deux requêtes en répétition de l’indu contre M. Jean-Robert Girard, qui était autrefois le président et l’actionnaire unique de cette société, et 2952-2356 Québec inc., une société qui exploite un restaurant dont M. Girard est le président et l’actionnaire unique.

 

[2]            Dans le dossier 410-17-000639-083, elle leur réclame solidairement la somme de 956 417,91 $ pour récupérer les honoraires payés à 2952 alors que dans le dossier 410-17-000867-106, elle leur réclame la somme de 392 664,22 $ pour récupérer les dépenses qu'elle a assumées pour leur bénéfice ainsi que les sommes d'argent dont  M. Girard s'est emparé sans autorisation.

[3]            Les défendeurs présentent une requête en rejet des requêtes introductives d’instance de Méca-Fab dans ces dossiers en vertu des articles 54.1 et suivants C.p.c.

[4]            Dans le dossier 410-17-000639-083, ils font valoir que le recours de Méca-Fab n’a aucune chance raisonnable de réussite car les honoraires perçus par 2952 n'ont pas été payés par erreur.

[5]            En effet, lorsqu'il a été interrogé avant défense, M. Mario Bellerive, le président de Méca-Fab, a admis qu'il avait autorisé le paiement de ces honoraires même s'il savait que cette dernière ne les devait pas.

[6]            À l'égard du dossier 410-17-000867-106, les défendeurs invoquent deux moyens.

[7]            Tout d’abord, ils avancent que le recours est prescrit aux termes de l’article de l’article 2925 C.c.Q. car Méca-Fab demande la répétition de sommes d’argent qui ont été payées et de sommes d’argent dont M. Girard s’est emparé plus de trois ans avant l'introduction de son recours. 

[8]            Ensuite, les défendeurs reprennent les mêmes moyens que ceux invoqués dans l'autre dossier : les paiements n'ont pas été effectués par erreur, M. Bellerive l'ayant admis lorsqu'il a été interrogé; par conséquent, le recours de Méca-Fab n'a aucune chance de réussite sur le fond.

[9]            Méca-Fab conteste.

[10]         Dans le dossier 410-17-000639-083, elle fait valoir que son recours est bien fondé car elle a payé des honoraires injustifiés à 2952 au motif que M. Girard menaçait de la dénoncer aux autorités fiscales.

[11]         Même si elle n'allègue aucun contrat dans sa requête introductive d'instance et qu'elle n'en demande pas la nullité, elle fait appel aux causes de nullité des contrats en matière de vice de consentement (crainte, lésion et erreur) et d'ordre public.

[12]         En ce qui concerne le dossier 410-17-000867-106, Méca-Fab plaide d'entrée de jeu que son recours n'est pas prescrit.

[13]         À cet égard, elle avance en premier lieu que les défendeurs ne peuvent prescrire contre elle car aux termes de l'article 927 C.c.Q., la possession du fraudeur demeure perpétuellement souillée d'un vice absolu.

[14]         En deuxième lieu, puisqu'elle a été informée que M. Girard avait mis ses menaces à exécution au moment où l'Agence des douanes et du revenu du Canada a débuté sa vérification, elle fait valoir subsidiairement qu'aux termes des articles 2904 C.c.Q. (suspension de la prescription en raison de l'impossibilité en fait d'agir) et 2927 C.c.Q. (délai de prescription de l'action en nullité d'un contrat), c'est à compter du 31 août 2007 qu'il faut calculer le délai de prescription de trois ans. En effet, car c'est à partir de cette date qu'elle a cessé de craindre que M. Girard la dénonce au fisc.

[15]         Sur le fond, l'argumentation de Méca-Fab comporte deux volets.

[16]         Tout d'abord, pour les dépenses qu’elle a assumées, elle fait valoir les mêmes moyens que ceux invoqués dans l’autre dossier pour réclamer le remboursement des sommes payées au motif que M. Girard menaçait de la dénoncer aux autorités fiscales.

[17]         Ensuite, en qui concerne les autres sommes qu'elle réclame, Méca-Fab soutient que son recours est également bien fondé car il s'agit de sommes d'argent dont          M. Girard s'est approprié frauduleusement.

[18]         En réplique, les défendeurs maintiennent que Méca-Fab ne peut invoquer les causes de nullité des contrats. Car d'une part, elle n'allègue aucun contrat dans ses requêtes introductives d'instance et, d'autre part, elle n'en demande aucunement l'annulation.

[19]         Quant à la prescription, ils soutiennent que Méca-Fab ne peut se baser sur l'article 927 C.c.Q. car cette disposition ne vise aucunement les réclamations de sommes d'argent.

[20]         Cela dit, le Tribunal doit, pour statuer sur la requête des défendeurs, décider si les recours de Méca-Fab sont voués à l’échec comme n’ayant aucune chance de réussite.

[21]         Résumons d’abord les faits pertinents.

LES FAITS

[22]         M. Girard forme la société Méca-Fab en 1988. Dès sa formation, il devient le président et l'actionnaire unique de cette société.

[23]         Le 1 er mars 2000, M. Girard vend à 9087-6749 Québec inc., pour la somme de 480 000,00 $, toutes les actions de contrôle qu’il détient dans le capital-actions de Méca-Fab.

[24]         À cette époque, les actionnaires de 9087 sont Mario Bellerive, Jacinthe Bellerive et Ghislain Thériault.

[25]         Après la vente des actions de M. Girard, c'est M. Bellerive qui est élu au poste de président de Méca-Fab.

[26]         Par la suite, 9087 et Méca-Fab sont fusionnées de sorte que les actionnaires de Méca-Fab sont désormais Mario Bellerive et Jacinthe Bellerive [1] .

[27]         Au cours des années 2000 et 2001, Méca-Fab verse des honoraires à 2952 sur une base horaire car M. Girard lui rend certains services.

[28]         Cependant, à compter de l’année 2002, elle commence à verser des honoraires de 200 000,00 $ par année à 2952 sur une base forfaitaire même si M. Girard ne lui rend aucun service. Elle assume également de nombreuses dépenses reliées au restaurant que cette dernière exploite ainsi que des dépenses personnelles de            M. Girard.

[29]         Même si ces honoraires et ces dépenses ne leur sont pas dus, M. Bellerive accepte qu'ils soient versés. Car M. Girard menace de dénoncer au fisc que Méca-Fab participe à un système de fraude fiscale dans le domaine de la construction.

[30]         En effet, à chaque année, Méca-Fab paie des factures à une société pour des services que cette dernière ne lui rend pas. En contrepartie, cette société verse à Méca-Fab, en argent comptant, environ 90 % du montant de chaque facture. Puisque Méca-Fab déduit ces factures de ses revenus d’entreprise et qu’elle encaisse des sommes d’argent qu’elle ne déclare pas, elle commet une fraude fiscale de plusieurs milliers de dollars à chaque année.

[31]         M. Girard connaît ce système puisque c'est lui qui l'a implanté chez Méca-Fab en 1988 et qui demande à M. Bellerive de le poursuivre.

[32]         Au cours de la même période, M. Girard s'empare d'une somme d'environ      160 000,00 $ sans l'autorisation de Méca-Fab. Cependant, elle ne lui réclame rien car M. Bellerive craint qu'il la dénonce au fisc.

[33]         Le 8 août 2006, à l'occasion de la visite annuelle du directeur de banque de Méca-Fab, M. Girard remet à ce dernier une copie d'une lettre qu’il a l'intention de transmettre aux autorités fiscales pour dénoncer la fraude. M. Bellerive prend connaissance de cette lettre le même jour lorsque le directeur de banque la lui remet.

[34]         Le 31 août 2007, l’Agence des douanes et du revenu du Canada fait parvenir une télécopie à Méca-Fab afin de lui demander des explications concernant les honoraires de 200 000,00 $ par année versés à 2952.

[35]         Le 24 septembre 2007, Méca-Fab transmet ses observations écrites à l'Agence par l'entremise de son avocat.

[36]         À la suite de la vérification effectuée par l'Agence, les autorités fiscales fédérales et provinciales émettent des avis de cotisation de sorte que Méca-Fab doit leur verser une somme d'environ 1 500 000,00 $ et M. Bellerive d'environ 500 000,00 $ [2] .

[37]         Partant, le 23 janvier 2008, Méca-Fab introduit un recours en répétition de l’indu contre 2952 dans le dossier 410-17-000639-083 afin de lui réclamer la somme de     460 100,00 $.

[38]         Elle amende sa requête introductive d'instance le 4 décembre 2009 pour porter sa réclamation à 956 417,91 $ et ajouter M. Girard à titre de défendeur solidaire.

[39]         Le 30 août 2010, Méca-Fab introduit un autre recours en répétition de l’indu contre les défendeurs dans le dossier 410-17-000867-106. Elle leur réclame la somme de 392 664,22 $.

ANALYSE

Recours dans le dossier 410-17-000639-083

[40]         La preuve recueillie lors des interrogatoires de M. Bellerive révèle qu'un contrat verbal est intervenu entre les parties car il y a eu un échange de consentement [3] .

[41]         Aux termes de ce contrat, dès l’année 2002, Méca-Fab a consenti à verser des honoraires injustifiés à 2952 pour contrer la menace de M. Girard de la dénoncer aux autorités fiscales.

[42]         Pour récupérer les sommes d'argent qu'elle aurait payées indûment, Méca-Fab doit alors démontrer que ce contrat peut être annulé.

[43]         Elle ne peut baser son recours sur l'article 1491 C.c.Q. (réception de l'indu) car elle n'a fait aucun paiement par erreur ou sous protêt pour lui éviter un préjudice.

[44]         Étant donné que Méca-Fab ne demande pas l’annulation du contrat dans sa requête, faut-il conclure, comme le veulent les défendeurs, que son recours n’a aucune chance raisonnable de réussite?

[45]         La réponse est non. Car ici, le juge du fond jouira de larges pouvoirs.

[46]         Ainsi, et sans que le Tribunal ne se prononce sur la décision finale, il pourrait décider, même d'office, que le contrat est frappé de nullité absolue au motif que la cause [4] est contraire à l'ordre public [5] . Dans ce cas, il pourrait alors ordonner la restitution des prestations [6] .

[47]         Il pourrait également, à sa discrétion, refuser d'ordonner la restitution des prestations ou en modifier les modalités ou l'étendue si elle avait pour effet d'accorder un avantage indu à l'une des parties [7] .

[48]         En conséquence, la requête des défendeurs ne peut réussir ici.

Recours dans le dossier 410-17-000867-106

[49]         D’entrée de jeu, le Tribunal écarte l’argument des défendeurs au regard de la prescription. Puisque Méca-Fab fait notamment valoir qu’elle était dans l'impossibilité en fait d'agir au sens de l'article 2904 C.c.Q. , cette question doit être décidée au fond et non au stade d’une requête pour rejet.

[50]         Reste à déterminer si le recours de Méca-Fab est voué à l'échec.

[51]         Dans un premier volet, Méca-Fab demande la répétition des dépenses qu'elle dit avoir payées indûment au motif que les paiements auraient été faits en raison des menaces de M. Girard de la dénoncer aux autorités fiscales.

[52]         À cet égard, les mêmes motifs que ceux exprimés pour le dossier                  410-17-000639-083 s’appliquent.

[53]         En ce qui concerne le deuxième volet de la réclamation, il ressort des interrogatoires de M. Bellerive que le recours est fondé sur l’appropriation de sommes d’argent sans aucune autorisation. Le Tribunal ne peut donc conclure, à ce stade-ci,  que le recours est voué à l'échec.

[54]         Cela étant, la requête des défendeurs est également rejetée dans ce dossier. 

[55]         POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[56]         REJETTE la requête des défendeurs;

[57]         LE TOUT, avec dépens.

 

 

 

 

__________________________________

ALAIN BOLDUC, J.C.S.

 

Me Serge Dubeau

Dubeau & Perreault

Avocats de la demanderesse

 

Me François Vigeant

Bélanger, Sauvé

Avocats des défendeurs

 

Date d’audience :

7 novembre 2011

 



[1]     M. Bellerive détient 80 % des actions de contrôle alors que Mme Bellerive en détient 20%.

[2]     À la suite du règlement intervenu avec les autorités fiscales.

[3]     Art. 1385 C.c.Q.

[4]     Suivant l'article 1410 C.c.Q. , la cause du contrat est la raison déterminante qui a incité les parties à le conclure.

[5]     Art. 1411 , 1417 et 1418 C.c.Q.; Vincent KARIM, Les obligations , vol. 1, 3 e éd., Wilson &  Lafleur, 2009, p.484.

[6]     Art. 1422 et 1699 , al.1 C.c.Q. ; Jean-Louis Baudoin et Pierre-Gabriel Jobin , Les obligations , 6 e éd., Éditions Yvon Blais, p. 827 et 828.

[7]     Art. 1699 , al.2 C.c.Q. ; Jean-Louis Baudoin et Pierre-Gabriel Jobin , op. cit., note 6, p. 830 à 833.