[1] L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 19 avril 2010 par la Cour supérieure, district de Saint-François, (l’honorable Suzanne Mireault), qui accueille la requête en révision judiciaire de l’intimée, Société d’emballage Hood, casse la décision rendue par l’arbitre Me Richard Marcheterre en date du 15 juillet 2009 et lui retourne le dossier pour qu'il statue sur le grief conformément aux motifs et aux conclusions du jugement.
[2] Pour les motifs du juge Vézina, auxquels souscrivent les juges Rochette et Gagnon, la COUR :
[3] ACCUEILLE l’appel à la seule fin de remplacer le paragraphe 79 du dispositif du jugement par le suivant :
[79] RENVOIE le dossier devant un arbitre de griefs autre que le mis en cause sauf du consentement exprès du Syndicat et de l’Employeur.
[4] Avec dépens contre l’appelant tout comme si son appel était rejeté.
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MOTIFS DU JUGE VÉZINA |
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[5] En juin 2007, un opérateur (l’Employé) est mis en arrêt de travail par suite d’un diagnostic de « dépression situationnelle » par son médecin traitant. Un assureur lui verse alors des prestations d’invalidité.
[6] Neuf mois plus tard, alors que la situation est toujours la même, l’Employé est congédié par l’intimée (l’Employeur) pour trois motifs que la juge de première instance (la Juge) précise :
[10] Le ou vers le 7 mars 2008, [l’Employeur] le congédie pour les motifs suivants:
a) il s'est adonné à des activités incompatibles avec la situation d'invalidité alléguée, soit des activités de déneigement;
b) lorsqu'elle l'a contacté, il lui a menti en niant catégoriquement se livrer à telles activités;
-et-
c) il a fait défaut de l'informer et d'aviser son médecin et l'assureur du fait qu'il s'adonnait à ces activités.
[7] S’ensuivent un grief du Syndicat appelant et la sentence de l’Arbitre mis en cause qui lui donne raison et annule le congédiement.
[8] L’Employeur s’adresse à la Cour supérieure qui révise et casse la sentence parce que déraisonnable, d’où l’appel du Syndicat.
[9] Les parties conviennent que la Juge a eu raison d’appliquer la norme de contrôle de la décision raisonnable.
[10] Reste à déterminer si la Juge s’est trompée en concluant que la sentence était déraisonnable.
* * *
[11] Notons d’abord que la Juge s’est bien dirigée en droit en énonçant :
- qu’ « une grande déférence est de mise »;
- que « la révision judiciaire ne doit pas constituer un appel déguisé de la décision attaquée »;
- qu’elle « doit s’en remettre à la preuve telle que rapportée par l'arbitre… »;
- qu’elle « a analysé la preuve telle que rapportée par l'arbitre, afin de cerner les inférences qu'il en a tirées et le fondement des conclusions de fait et de droit auxquelles il en est arrivé; [car] une conclusion reposant sur une absence de preuve est déraisonnable. »;
- que « même si la soussignée est en désaccord avec la façon dont [l’Arbitre] a apprécié la preuve et a tiré ses conclusions, elle ne peut substituer son opinion à la sienne que si cette preuve, appréciée raisonnablement, est incapable d'appuyer les conclusions auxquelles est parvenu l'arbitre sur cette question. »
* * *
[12] Revenons aux faits de l’affaire dont voici l’essentiel.
[13] L’Employé, incapable de travailler à l’usine de son Employeur et bénéficiaire de prestations d’assurance-invalidité, effectue des opérations de déneigement avec un tracteur, et ce, sur une base régulière. De fait, il exploite avec son épouse une entreprise de déneigement dans laquelle il a investi « plusieurs dizaines de milliers de dollars ».
[14] Interrogé à ce sujet par l’Employeur, il nie cette activité. Invité par l’assureur à se rendre à Montréal pour un examen médical, il refuse sous prétexte de son incapacité à faire le trajet en voiture. Enfin, examiné par son médecin traitant, il lui cache les faits. Même devant l’Arbitre, il nie; mais, confronté aux photographies le montrant à l’ouvrage sur son tracteur, il admet « qu’il en a fait plusieurs fois ».
* * *
[15] Quant au premier motif de congédiement, soit l’exercice d’une activité incompatible avec sa situation d’invalidité pour cause psychologique, la Juge concède que, sur ce point, la conclusion de l’Arbitre constitue « une issue possible acceptable » [1] . Elle cite de longs extraits de la sentence.
[44] Ceci ressort de ses propos lorsque [l’Arbitre] affirme que :
[Suivent les paragraphes 10, 11, 30, 58, 66, 82, 83, 84, 88, 89, 94, 95, 96 et]
[97] Conséquemment, sur la base de ces critères, le Tribunal constate que l'Employeur n'a pas relevé son fardeau de preuve et conclut pour ce motif que le congédiement n'était pas fondé sur la faute alléguée d'avoir exercé une activité médicalement incompatible avec l'incapacité psychologique du plaignant. »
[16] Comme cette première conclusion ne fonde pas la révision attaquée, il n’est pas nécessaire de s’y arrêter. Tout en ajoutant que, s’il y a reprise de l’arbitrage pour les autres motifs, cette facette de l’affaire devra tout de même être revue comme tout le reste.
* * *
[17] Deuxième motif de congédiement : « les mensonges à l’Employeur ».
[18] On touche ici à l’erreur manifeste de l’Arbitre, déterminante en ce qu’elle rend la sentence déraisonnable. La Juge écrit :
[45] [L’Arbitre] a statué que [l’Employé] avait été renvoyé illégitimement parce que ses activités de déneigement ne constituaient pas des activités incompatibles avec la situation d'invalidité alléguée.
[46] Pour l'arbitre, ce dernier avait été limogé pour ce motif fondamental, les autres raisons invoquées n'étant que l'accessoire.
[47] Or, la lettre de congédiement montre qu'il a eu tort sur ce point et que [l’Employé] a été congédié, entre autres, pour le motif de fond qu'il avait menti à l'employeur sur ses activités de déneigement.
[19] Il est opportun ici de citer les derniers paragraphes de cette lettre de congédiement de l’Employeur :
Pourtant, lors de l’entretien téléphonique que nous avons eu avec vous, le 29 février dernier, vous nous avez indiqué que votre situation de santé ne s’améliorait guère. Nous comprenons aussi que, le 11 mars prochain, un suivi médical auprès de votre médecin traitant est prévu.
Du même souffle, nous vous avons demandé si vous vous adonniez à des activités de déneigement, ce à quoi vous avez répondu par la négative tout en prenant le soin de nous mentionner que ces travaux de déneigement étaient réalisés par des employés. Notre compréhension est à l’effet que l’entreprise de déneigement est opérée par votre conjointe.
Or, suivant nos informations, vous vous adonnez à de telles activités qui sont incompatibles d’une part avec la situation invalidante que vous alléguez et, d’autre part avec le fait que vous ne soyez pas en mesure d’occuper votre poste d’opérateur au sein de notre entreprise.
De plus, nous sommes d’avis que vous avez omis de transmettre une telle information à votre assureur groupe collectif comme à l’égard de votre médecin traitant.
Dans les circonstances, nous sommes d’avis que vous avez commis une faute grave en manquant à vos obligations d’honnêteté et de loyauté. En agissant ainsi, vous avez irrémédiablement brisé le lien de confiance entre vous et l’entreprise. Vos manquements ne nous laissent guère d’autres choix que de mettre fin à votre emploi immédiatement.
En conséquence, vous recevrez incessamment votre relevé d’emploi ainsi que les sommes, s’il en est, que nous vous devons.
[20] Malgré ce texte explicite, l’Arbitre retient que le congédiement est fondé sur un seul motif, soit l’incompatibilité de l’activité de déneigement avec la condition médicale de l’Employé, sa dépression situationnelle, qui le rend incapable de reprendre son travail d’opérateur chez l’Employeur.
[21] Écartant les autres motifs de congédiement, l’Arbitre retient que l’Employé a menti, mais ses mensonges ne changent rien à l’affaire car ils portent sur un point accessoire à la seule question pertinente pour lui, celle de l’incompatibilité.
[22] La Juge cite de larges extraits de la sentence où cette prise de position de l’Arbitre est explicitée. La Juge retient :
[49] En effet, l'arbitre a entre autres déclaré que:
« [7] Dans l'avis de congédiement l'Employeur réfère à plusieurs éléments sur lesquels il fait reposer sa décision de mettre fin à l'emploi de monsieur Drouin. Au coeur de ceux-ci, toutefois, se retrouve d'abord l'allégation d'avoir eu des activités qu'il a jugé incompatibles avec l'invalidité alléguée.
[8] Entourant cette allégation de fond, l'Employeur réfère à des éléments accessoires dans lesquels il puise afin de démontrer que le plaignant a fait preuve d'artifice ou de malhonnêteté au sujet de sa condition médicale et de ses activités entre le 15 décembre 2007 et le 7 mars 2008, jour de son congédiement.
[...]
[20] L'Employeur a relevé de nombreux éléments qui touchent la crédibilité du plaignant. Tout en rappelant que l'élément central du congédiement de ce dernier repose sur l'allégation à l'effet qu'il a eu des activités incompatibles avec sa condition médicale, il faut reconnaître que la preuve démontre que le plaignant a eu un comportement douteux envers la majorité des intervenants dans cette affaire, le Tribunal partage d'ailleurs l'opinion de l'Employeur à ce sujet: Le plaignant est affecté d'une amnésie évolutive et sélective!
[...]
[22] Le Tribunal n'a aucune hésitation à considérer que monsieur Drouin ne fait pas preuve de la plus grande transparence, voire même qu'il manie le langage de manière si restrictive ou prudente, qu'en bout de ligne il est difficile de savoir s'il dit vrai, faux, partiellement vrai ou partiellement faux, au sujet de nombreux éléments de ses prétentions et témoignage. À titre d'exemple, il est invraisemblable que malgré les documents d'acquisition et de financement d'acquisition de deux tracteurs de plusieurs dizaines de milliers de dollars, il soutienne avec l'appui de madame Donato qu'il n'est pas sa (sic) partenaire dans l'entreprise, qu'il n'est ni co-acheteur et ni co-emprunteur des deux tracteurs. Son nom paraît même sur les registres des entreprises.
[23] Cela dit, il faut toutefois rappeler que monsieur Drouin n'a pas été congédié parce qu'il aurait menti ou caché une partie de la vérité à l'assureur, à son médecin, voire même à son Employeur. Il l'a été parce qu'il a jugé qu'il exerçait une activité incompatible avec l'invalidité non contestée par l'Employeur, dont il était affligé depuis le 15 juin 2007, de nature psychologique, sa capacité physique n'en étant aucunement affectée. »
[23] La Juge reprend les faits constatés par l’Arbitre pour vérifier le deuxième motif de congédiement : les mensonges de l’Employé qui ont « irrémédiablement brisé le lien de confiance » avec l’Employeur. Elle écrit :
[50] Lorsqu'un salarié est en congé pour invalidité, il doit faire preuve de transparence et de franchise à l'égard de son employeur.
[51] Or, ici, la preuve révèle que [l’Employé] a menti, sans vergogne et de façon éhontée, à [l’Employeur].
[52] Il lui a volontairement tu ses activités de déneigement.
[53] Face à l'opportunité qui lui a été donnée de modifier ses déclarations, le salarié a persisté à mentir et par la suite, notamment, à banaliser et à minimiser telles activités.
[54] Il a aussi manqué à son obligation d'honnêteté devant l'arbitre.
[55] On est très loin, en cette affaire, d'un simple « manque de collaboration ou de limpidité dans les propos ...» tenus [selon l’expression de l’Arbitre].
[56] Par ailleurs, le défaut, pour le syndiqué, de révéler à [l’Employeur] ses activités de déneigement, lorsque requis, constituait une faute, et ce, peu importe qu'il s'agissait ou non d'une activité dont l'incompatibilité paraissait évidente ou manifeste.
[57] Eu égard à ce comportement malhonnête de la part de [l’Employé], [l’Arbitre] aurait dû sévir et recourir à une sanction sévère contre lui, à défaut d'un congédiement définitif.
[58] Là-dessus, sa décision est déraisonnable.
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[24] Le troisième motif de renvoi : « la non-divulgation au médecin ».
[25] Là encore, l’Arbitre refuse d’y voir un motif du renvoi malgré la mention expresse dans la lettre de congédiement :
De plus, nous sommes d’avis que vous avez omis de transmettre une telle information à votre assureur groupe collectif comme à l’égard de votre médecin traitant.
[26] La Juge rappelle les faits décrits en détail dans la sentence dont :
- l’importance des déclarations du patient dans un cas de diagnostic d’ordre psychologique. L’Arbitre écrit :
« [27] La condition médicale alléguée est de nature psychologique aussi, comme le [médecin traitant] l'a souligné, ce qui ne fait d'ailleurs plus l'objet de discussion en matière judiciaire, un diagnostic de cet ordre repose largement sur les déclarations du patient puisque peu d'éléments peuvent être objectivés. Le médecin doit donc se fier à ce que son patient lui dit et, dès le départ, assurément croire celui-ci, à moins d'une invraisemblance marquée de ses propos. »
- le mensonge par omission au médecin traitant et à celui de l’assureur. L’Arbitre écrit :
« [86] Le plaignant a pris la voie de la non-collaboration à l'occasion de son témoignage et même, comme il en a été fait l'illustration, auprès de son médecin traitant et de l'Employeur, voire aussi de l'assureur. Cela dit, ce manque de collaboration ou de limpidité dans ses propos ne constitue pas une preuve d'activités incompatibles. »
[27] Réévaluant les faits constatés par l’Arbitre en regard du troisième motif de congédiement, la Juge conclut sans équivoque :
[63] Comment un médecin peut-il formuler un diagnostic éclairé si son patient lui cache des éléments, que ces informations soient capitales ou non, qui lui permettraient de poser ce diagnostic?
[64] De toute façon, en pareille circonstance, il ne revient pas à un patient de déterminer si une information est importante ou non pour son médecin. Il a un devoir de franchise et de transparence à son égard.
[65] Enfin, comment considérer que [l’Employé] était de bonne foi quand il a menti et, par la suite, notamment, a banalisé et a minimisé ses activités de déneigement?
[66] En effet, contrairement à ce qu'il a dit au [médecin traitant], il n'a pas « dépanné sa conjointe, Madame […], quelques heures sur le déneigement ... ». Plutôt, il a travaillé, à son profit, pour une entreprise dont il était copropriétaire avec elle.
[67] De même, il a affirmé [à un autre médecin] ce qui suit:
« Il reconnaît avoir fait du déneigement, peut-être en février, peut-être en janvier, peut-être même en décembre: mais il parle de quelques heures dans une journée ou d'une heure à la fois: "quand je suis tanné, j'arrête". Il affirme qu'il peut s'adonner à diverses activités, domestiques ou autres, selon un horaire morcelé, ce qui n'a rien à voir avec sa capacité de soutenir une tâche une journée durant, à l'usine: « faites-moi rentrer à 6 h 30, mais à 7 h 15 si je suis tanné, je m'en vais». »
[68] À tout le moins, il a menti par omission aux deux médecins.
[69] [L’Employé] a manqué à son obligation d'honnêteté envers le [médecin traitant] et [l’autre médecin].
[70] Sur ce point, la décision de l'arbitre est déraisonnable.
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[28] De la même manière, la Juge retient que l’Employé a manqué « à son obligation de franchise et de transparence à l’endroit de son assureur » et conclut encore là au caractère déraisonnable de la sentence.
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[29] Compte tenu des faits prouvés devant l’Arbitre, la Juge n’a pas commis d’erreur en jugeant déraisonnable la sentence. Les mensonges répétés de l’Employé ont à l’évidence brisé le lien de confiance entre lui et l’Employeur.
[30] L’Arbitre a contourné ce problème en qualifiant les deuxième et troisième motifs du renvoi de simples accessoires du premier, une erreur que le tribunal se devait de corriger.
[31] En outre, cela heurte le sens commun qu’une personne souffrant d’ « une dépression situationnelle » qui la rend incapable de travailler comme opérateur et qui touche en conséquence des prestations d’assurance-invalidité, exploite pendant ce temps une entreprise de déneigement qui exige des heures de travail sur un tracteur.
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[32] La Juge renvoie le dossier au même Arbitre pour qu’il statue de nouveau sur le grief. Devrait-on plutôt le renvoyer à un autre arbitre?
[33] À l’audience, l’Intimée a semblé hésitante. Il y a eu cinq journées d’audience, sans enregistrement. Il y a donc un coût à tout reprendre devant un nouvel arbitre.
[34] Par ailleurs, le jugement attaqué n’est pas tendre pour l’Arbitre. Et l’on peut s’interroger s’il sera serein et reprendra l’affaire sans tendre ni à justifier sa première sentence ni à démontrer que tel n’est pas le cas.
[35] Vaut mieux laisser le choix aux parties.
[36] Aussi, la conclusion du jugement :
[79] RETOURNE le dossier à l'arbitre, Me Richard Marcheterre, pour qu'il statue sur le grief conformément aux motifs et aux conclusions du présent jugement;
sera remplacée par la suivante :
[79] RENVOIE le dossier devant un arbitre de griefs autre que le mis en cause sauf du consentement exprès du Syndicat et de l’Employeur.
[37] L’appel sera donc accueilli à cette fin et les dépens adjugés contre l’Appelant tout comme si son appel était rejeté.
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PAUL VÉZINA, J.C.A. |