COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

Dossier :

AM-1002-5222

Cas :

CM-2011-2118

 

Référence :

2011 QCCRT 0561

 

Montréal, le

7 décembre 2011

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DEVANT LES COMMISSAIRES :

Andrée St-Georges, juge administrative

 

Mylène Alder, juge administrative

 

Gaëtan Breton, juge administratif

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Omar Bouallala

 

Requérant

c.

 

Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3333

 

Intimé

et

 

Réseau de transport de Longueuil (RTL)

 

Mise en cause

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DÉCISION

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[1]            Les 11 et 27 avril 2011, Omar Bouallala (le requérant ) demande la révision d’une décision rendue par la Commission le 5 du même mois ( 2011 QCCRT 0175 ). Dans cette décision, la Commission rejette sa plainte pour manquement au devoir de représentation déposée en vertu des articles 47.2 et suivants du Code du travail , (L.R.Q., c. C-27) (le Code ), à l’encontre du Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3333 (le syndicat ).

[2]            Selon le requérant, cette décision est nulle, car elle ignore la preuve qu’il a présentée à l’audience, que la commissaire qui a entendu la cause n’a pas été impartiale et l’a empêché de faire valoir tous ses droits.

[3]            Le requérant ajoute par ailleurs qu’il existe un «  fait nouveau » discréditant la preuve présentée par son syndicat et retenue par la Commission.  Sa demande de révision apparaît donc fondée sur les paragraphes 1° et 3° du premier alinéa de l’article 127 du Code.

Le contexte

[4]            Les faits à l’origine de la plainte du requérant contre son syndicat sont bien rapportés dans la décision contestée.

[5]            En résumé, le requérant travaille un peu plus de sept semaines comme chauffeur d’autobus au Réseau de transport de Longueuil (le RTL ). Celui-ci met fin à son emploi avant la fin de sa période d’essai au motif qu’il ne possède pas le profil recherché et ne satisfait pas aux normes de l’entreprise. On lui reproche entre autres plusieurs incidents dont l’omission d’immobiliser son autobus à un feu rouge et un refus d’obtempérer à une demande des policiers à la suite d’un accident.

[6]            Le requérant est d’avis qu’il a été injustement évalué et effectue des démarches pour faire valoir son point de vue auprès du Service des ressources humaines du RTL. Ses démarches n’ayant pas porté fruit, il se tourne vers son syndicat. 

[7]            S’ensuit le dépôt d’un grief.  Toutefois, après l’étude du dossier d’employé du requérant de même qu’une enquête auprès de ses superviseurs et collègues de travail, le syndicat conclut que c’est l’attitude du requérant qui cause problème : «  Il impute des erreurs à tous et n’est personnellement jamais responsable de quoi que ce soit selon les personnes rencontrées » , relate la Commission dans sa décision (paragraphe 15).

[8]            Le syndicat prend donc la décision de retirer le grief. Le requérant étant d’avis que les reproches du RTL à son endroit sont non fondés et qu’il est l’objet de discrimination et de racisme, il conteste cette décision et porte plainte contre son syndicat auprès de la Commission.

La décision contestée

[9]            La décision de la Commission du 5 avril 2011 conclut que la preuve faite à l’audience ne permet pas de qualifier d’arbitraire, capricieuse ou déraisonnable la décision du syndicat de ne pas poursuivre l’arbitrage du grief contestant le congédiement du requérant.

[10]         Après avoir rapporté les faits, la Commission explique bien les principes relatifs aux plaintes pour manquement au devoir de représentation déposées en application du Code. Puis, appliquant ces principes à la preuve recueillie à l’audience, elle écrit :

[21] Le syndicat a obtenu le dossier du plaignant. Il a recueilli les versions des personnes impliquées. Le plaignant a eu l’occasion de fournir sa version des faits et de transmettre aux représentants syndicaux toute l’information qu’il jugeait utile pendant le traitement du grief.

[22] Le plaignant n’a pas établi de façon probante qu’il a fait mention de discrimination ou de racisme dans les informations qu’il a transmises aux représentants syndicaux. Son témoignage ne permet pas, non plus, de conclure que ceux-ci ont omis de considérer quelque élément factuel dont il leur aurait fait part en cours d’enquête. Par ailleurs, il n’est pas contredit que le directeur aux griefs a pris l’initiative de s’assurer qu’il n’avait pas été congédié pour un motif illégal.

[23] Le plaignant témoigne simplement qu’il n’a commis aucune faute justifiant son congédiement. Or, ce n’est pas parce qu’il conteste le bien-fondé des reproches qui lui sont formulés par l’employeur que le syndicat devait poursuivre l’arbitrage du grief.

[24] La décision de poursuivre ou non l’arbitrage du grief appartenait au syndicat. Il a conclu que l’employeur a exercé son droit de mettre fin à la période d’essai du plaignant de façon légitime.

[25] Malgré l’importance que revêt le grief pour le plaignant, le devoir syndical de juste représentation n’exige pas du syndicat qu’il en poursuive l’arbitrage selon l’expression de la volonté du plaignant. La décision du syndicat ne peut être qualifiée d’arbitraire, de capricieuse ou de déraisonnable eu égard à l’ensemble des circonstances révélées par la preuve.

[26] Dans l’ensemble, le plaignant ne démontre pas que le syndicat ait agi de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ni fait preuve de négligence grave au sens de l’article 47.2 du Code .

prétention des parties

[11]         Le requérant soutient, dans un premier temps, que la décision du 5 avril 2011 est nulle parce qu’elle ne tient pas compte de la preuve qu’il a présentée à l’audience «  du racisme, de la diffamation, du salissage, du harcèlement et de la discrimination » dont il dit avoir été victime au RTL et qu’elle ne contient pas de référence à un article du Code de la sécurité routière qui tend à lui donner raison.  De plus, il reproche à la Commission d’avoir fait preuve de favoritisme en ne lui permettant pas de faire toute sa preuve sur le harcèlement en question.

[12]         Puis, dans un deuxième temps, le requérant soumet vouloir produire un courriel qu’il a envoyé à des représentants syndicaux avant le retrait de son grief.  Ce courriel réfère à la disposition du Code de la sécurité routière mentionnée précédemment.  Cet élément prouverait que les représentants syndicaux ont menti en affirmant à l’audience ne pas l’avoir reçu ce qui a induit la Commission en erreur.  Il demande aussi que soient entendus de nouveaux témoins, soit quatre employés du RTL.

[13]         Le syndicat et le RTL soutiennent de leur côté que le requérant n’allègue aucun «  fait nouveau  » au sens du Code et qu’il ne soulève aucun argument sérieux permettant de croire à une apparence de partialité de la Commission.  À leur avis, le requérant demande à la formation en révision de substituer son interprétation à celle faite par la Commission dans sa décision du 5 avril 2011, de réévaluer l’ensemble de la preuve pour en arriver à une conclusion différente, ce que le Code ne permet pas.

Motifs et dispositif

[14]         Les paragraphes 1° et 3° du premier alinéa de l’article 127 du Code précisent comme suit les conditions permettant la révision d’une décision rendue par la Commission :

127. La Commission peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:

1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

[…]

3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à l'invalider.

(Soulignements ajoutés)

FAIT NOUVEAU

[15]         Le fait nouveau qui rend possible la révision d’une décision est «  un fait qui existe au moment de l’audience, ne peut alors être connu d’une partie et est découvert après que la Commission a rendu sa décision. Il faut que la partie qui invoque ce fait nouveau n'ait pas été négligente et ait pris les moyens pour l'établir en temps utile [ ... ]  » ( Municipalité de St-Félix-de-Dalquier c. Lefebvre , 2004 QCCRT 0508 , paragraphe 5).

[16]         Ainsi, ne constitue pas un fait nouveau la tentative de présenter, après la décision, une preuve qu’il était possible de produire avant que la décision initiale soit rendue.

[17]         Par ailleurs, le fait en question doit aussi présenter un caractère déterminant sur le sort du litige, s’il avait été connu et prouvé en temps utile. C’est à la partie qui l’invoque de démontrer que ce fait nouveau aurait amené la Commission à rendre une décision différente de celle qu'elle a rendue ( Lavoie c. Multidev Technologies inc. , 2006 QCCRT 0190 ; révision judiciaire rejetée, C.S., AZ-50444264 ).

[18]         Qu’en est-il de la décision contestée?

[19]         De toute évidence, les faits que le requérant qualifie de «  nouveaux  » n’en sont pas au sens du paragraphe 1° du premier alinéa de l’article 127 du Code. 

[20]         Non seulement le requérant connaissait l’existence du courriel dont il souhaite maintenant la production - il en est l’auteur -, mais encore il n’a pas démontré en quoi ce courriel aurait pu avoir un caractère déterminant sur le sort de sa plainte. 

[21]         En effet, ce courriel concerne une disposition du Code de la sécurité routière , L.R.Q., chapitre C-24.2, invoquée par le requérant pour expliquer en quoi il n’est pas fautif dans un des reproches formulés par le RTL à son endroit, à savoir son refus d’obtempérer aux policiers.  Cette disposition a été plaidée par le requérant à l’audience de sa plainte, mais elle n’a pas été retenue par la Commission qui rappelle, avec justesse, que «  ce n’est pas parce qu’il conteste le bien-fondé des reproches qui lui sont formulés par l’employeur que le syndicat devait poursuivre l’arbitrage du grief  » (paragraphe 23 de la décision contestée).

[22]         Quant à la demande du requérant de faire entendre quatre nouveaux témoins afin de «  répondre aux allégations du RTL » à son égard, elle ne constitue aucunement un fait nouveau.  La demande de révision ne constitue pas une occasion pour une partie de bonifier la preuve faite à l’audience initiale.

vice de fond ou vice de procédure

[23]        Les notions de vice de fond ou de procédure dont il est question au paragraphe 3° du premier alinéa de l’article 127 du Code ont été abondamment expliquées par la Commission. Dans la décision de principe Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 4479 c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des Centres jeunesse de Montréal , ( 2003 QCCRT 0142 ), la Commission écrit :

[24] Donc, lorsqu’on demande à la Commission de réviser une de ses propres décisions en vertu du paragraphe 3 du 1 er alinéa de l’article 127, on ne peut pas lui demander de substituer son interprétation à celle déjà faite, on doit plutôt lui démontrer la présence d’un vice fondamental et sérieux qui doit nécessairement entraîner la nullité de la décision .

[25] La doctrine et la jurisprudence enseignent que, peuvent entre autres constituer un vice de fond ou de procédure une erreur grossière, un accroc sérieux et grave à la procédure, une décision ultra vires , c’est-à-dire rendue sans que la Commission ait eu la compétence pour le faire, une décision rendue en l’absence de preuve ou en ignorant une preuve évidente. Il faut aussi que soit démontrée la nécessité d’une correction à cause de ce vice sérieux.

(Soulignement ajouté)

[24]         Le vice de fond ou de procédure allégué à l’appui d’une demande de révision doit ainsi être «  fondamental et sérieux » et de nature à «  nécessairement entraîner la nullité de la décision » concernée par cette demande. La révision ne constitue donc pas un appel permettant à la Commission de réévaluer la preuve pour en arriver à une conclusion différente.

[25]         En l’espèce, l’analyse de la décision contestée ne permet pas de conclure qu’elle comporte un vice de fond ou de procédure de nature à l’invalider.

[26]         Les reproches de partialité et de favoritisme faits par le requérant ne sont pas fondés.  Il est tout à fait juste et approprié que la Commission gère son audience de manière à s’assurer que la preuve administrée soit pertinente eu égard à la plainte qui en est l’objet : il s’agissait en l’espèce de la plainte d’un salarié contre son syndicat pour manquement à son devoir de représentation, non pas d’une plainte du salarié contre son employeur pour congédiement illégal.

[27]         Quant aux prétentions du requérant voulant que la décision soit nulle parce qu’elle ne tient pas compte de tous les éléments qu’il a mis en preuve et ne retient pas son témoignage, elles ne tiennent pas non plus.

[28]         D’une part, une décision n’a pas à rapporter tous les faits en preuve et les arguments plaidés. L'obligation de motiver une décision est certes une composante des règles de la justice naturelle qui permet au justiciable d'exercer pleinement ses recours. Toutefois, la décision qui ne reprend pas tous les faits mis en preuve ou tous les arguments soumis n’est pas susceptible de révision si elle fait état des principales étapes de son raisonnement permettant aux parties de la comprendre ( Riel c. Banque Nationale du Canada,   2009 QCCLP 4898 ).

[29]         La décision attaquée ici rapporte la preuve en fonction de la plainte déposée, à savoir une plainte contre le syndicat pour manquement à son devoir de représentation et non une plainte contre l’employeur pour congédiement illégal.

[30]         Puis, la décision comporte une analyse de la preuve en regard des principes de droit applicables à ce recours ainsi que les motifs qui soutiennent ses conclusions.  Cette analyse est suffisante pour permettre aux parties de comprendre le cheminement vers la conclusion retenue.

[31]         D’autre part, il revient à la Commission qui juge les faits d’apprécier la crédibilité des témoignages : ce n’est pas le rôle d’une formation en révision d’intervenir sur ce point en l’absence de preuve d’accroc au principe de l’équité procédurale.

[32]         Aussi, la commissaire a évalué le témoignage du requérant (paragraphes 22 et 23 de sa décision) et en a conclu que, de façon probante, il n’y avait pas faute du syndicat.  Il n’appartient pas à la présente formation de réévaluer ce témoignage.

[33]         En fait, le requérant demande à la Commission de revoir la preuve pour en venir à une conclusion différente de celle de la commissaire qui a entendu la cause, ce que le Code ne permet pas.

[34]         Le requérant n’a donc ni fait la preuve d’un fait nouveau ni démontré quelque vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision dont il demande la révision.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

REJETTE                      la requête.

 

 

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Andrée St-Georges, présidente de la formation

 

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Mylène Alder

 

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Gaëtan Breton

 

M e Richard Gardner

Représentant de l’intimé

 

M e Louis-Philippe Taddeo

Dunton Rainville AVOCATS

Représentant de la mise en cause

 

Date de l’audience :

23 septembre 2011

/ls