Transport et excavation Mascouche inc. c. Commission de la santé et de la sécurité du travail |
2011 QCCS 6761 |
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JV00B9
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
TERREBONNE |
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N° : |
700-36-000830-108, 700-36-000831-106 |
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700-36-000832-104 |
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DATE : |
9 Décembre 2011 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
ANDRÉ VINCENT, J.C.S. |
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TRANSPORT ET EXCAVATION MASCOUCHE INC. |
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et |
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91134634 QUÉBEC INC. |
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Appelantes |
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c. |
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COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL |
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Intimée |
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JUGEMENT |
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[1] Les appelantes se pourvoient en appel des verdicts de culpabilité prononcés par l'honorable Nathalie Duperron Roy, juge de paix magistrat.
[2] L'appelante 91134634 Québec inc. est déclarée coupable de :
Dans le dossier 700-63-000998-107
« Le ou vers le 12 mars 2009, en tant qu'employeur sur
un lieu de travail situé sur la montée Dumais entre le chemin Saint-Charles et
l'autoroute 640 à Terrebonne secteur Lachenaie, a agi de manière à compromettre
directement et sérieusement la santé, la sécurité ou l'intégrité physique d'un
travailleur lors du levage d'un travailleur dans le godet d'une pelle
hydraulique au-dessus d'une tranchée, commettant ainsi une infraction à
l'article
Alors que le maître d'œuvre Transport et Excavation Mascouche inc. est déclaré coupable des deux (2) infractions suivantes :
Dans le dossier : 700-63-00995-108
« Le ou vers le 12 mars 2009, en tant que maître
d'œuvre sur un lieu de travail situé sur la montée Dumais entre le chemin
Saint-Charles et l'autoroute 640 à Terrebonne secteur Lachenaie, a agi de
manière à compromettre directement et sérieusement la santé, la sécurité ou
l'intégrité physique d'un travailleur lors du levage d'un travailleur dans le
godet d'une pelle hydraulique au dessus d'une tranchée, commettant ainsi une
infraction à l'article
Dans le dossier : 700-63-000996-101
« Le ou vers le 12 mars 2009, en tant que maître
d'œuvre sur un chantier de construction situé sur la montée Dumais entre le
chemin Saint-Charles et l'autoroute 640 à Terrebonne secteur Lachenaie, a
contrevenu à l'article 3.15.4, al. 2, du Code de sécurité pour les travaux de construction
(R.R.Q., 1981, C. s-2.1, r.6), une échelle ne prenant pas d'appui sur le fond
de la tranchée, commettant ainsi une infraction à l'article
[3] Le procès dans ces trois (3) dossiers s'est déroulé de façon simultanée, la preuve entendue valant pour les trois (3) dossiers.
[4] L'employeur et le maître d'œuvre étant représentés par le même procureur, il n'est donc pas étonnant que les motifs d'appel soient les mêmes.
[5] Les appelants reprochent à la première juge :
1 0 - D'avoir erré en décidant que la preuve révélait que la santé, la sécurité ou l'intégrité physique d'un travailleur avait été compromise directement et sérieusement.
2 0 - D'avoir omis de considérer la version des témoins de la défense sur la notion de dangerosité.
3 0 - D'avoir erré en rejetant la défense diligence raisonnable.
3 0 - D'avoir erré dans l'évaluation du fardeau de la preuve.
LE CONTEXTE
[6] Les appelants sont l'employeur et le maître d'œuvre d'un important chantier de construction dans la municipalité de Terrebonne. Il s'agit de travaux majeurs d'excavation afin d'y installer les matériaux nécessaires au service d'assainissement des eaux des villes de Terrebonne et Mascouche.
[7] L'ensemble du chantier s'étend sur quelque quatre (4) kilomètres. À l'endroit où les évènements se sont produits, les travaux consistent en une tranchée de cinq (5) mètres de profondeur au fond de laquelle les travailleurs se trouvent afin d'y effectuer leur travail.
[8] Le 12 mars 2009, les inspecteurs de la Commission de la santé et de la sécurité au travail (C.S.S.T.), Sylvain Dubé et Jean Sébastien Joly, alors qu'ils circulent à bord de leur véhicule à proximité du chantier, remarquent deux travailleurs à l'intérieur du godet d'une pelle hydraulique qui « amorçaient une descente dans un creusement [1] . »
[9] L'inspecteur Joly prend alors une photo montant les deux travailleurs à l'intérieur du godet.
[10] Ils se dirigent par la suite sur le chantier et voient les travailleurs au fond de la tranchée. Ils intiment l'ordre aux travailleurs de sortir et émettent une ordonnance d'arrêt complets des travaux sur le chantier.
[11] Ils constatent également qu'une échelle est sur les lieux, mais inutilisée, puisqu'au lieu de se trouver dans la tranchée elle est à l'extérieur; n'étant d'aucune utilité pour les travailleurs.
[12] Après l'ordonnance de fermeture du chantier, des constats d'infractions sont remis tant à l'employeur qu'au maître d'œuvre.
[13] La preuve de la poursuivante-intimée a consisté en un dépôt de diverses pièces et photographies et du témoignage de l'inspecteur Dubé.
[14] Les appelants pour leur part, font entendre Messieurs Patrick Vézina, président de la compagnie 9113-46365 Québec connue également sous le nom de Excavation Vézina et de Gilles Therrien, surintendant général de Transport et excavation Mascouche.
[15] Monsieur Vézina témoigne que le fait d'être dans un godet d'une pelle hydraulique et de se servir de ce godet comme nacelle n'est pas dangereux. Il explique que l'opérateur de la pelle a toujours le ou les individus sous sa surveillance immédiate et que la façon dont les commandes de la pelle sont disposées et organisées, l'opérateur a toujours le contrôle du godet.
[16] Il explique qu'il a été et est opérateur qualifié sur une telle machinerie depuis vingt-deux (22) ans. Paradoxalement, il ajoute que personnellement il n'a jamais fait monter de travailleurs à l'intérieur d'un godet d'une pelle hydraulique puisque cela est interdit . Répondant à la question s'il était au courant que des travailleurs utilisaient le godet pour descendre dans la tranchée, il répond « non jamais, même si je l'avais su, il y aurait eu un meeting spécifique là-dessus [2] . »
[17] Monsieur Therrien témoigne essentiellement sur les raisons données par les inspecteurs pour fermer le chantier. Selon son témoignage, la raison donnée pour fermer le chantier découle des boîtes d'étanchement qui empêchent un effondrement des parois. Malgré le fait que la procédure aurait été approuvée dans un plan scellé et signé par un ingénieur et soumis à la C.S.S.T., il a du faire refaire en urgence un autre plan et le soumettre à la C.S.S.T, ce qui a occasionné une fermeture du chantier pour une semaine.
[18] Il témoigne également sur les différentes mesures de sécurité prises sur le chantier.
ANALYSE
[19]
L'article
Art. 286 [ Appel accueilli] Le juge accueille l'appel sur dossier s'il est convaincu par l'appelant que le jugement rendu en première instance est déraisonnable eu égard à la preuve, qu'une erreur de droit a été commise ou que justice n'a pas été rendue.
[20] Les articles pertinents de la Loi sur la santé et la sécurité du travail L.R.Q. chapitre S-2.1 sont :
Loi sur la santé et la sécurité du travail - L.R.Q. chapitre S-2.1
2 . La présente loi a pour objet l'élimination à la source même des dangers pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique des travailleurs.
Elle établit les mécanismes de participation des travailleurs et de leurs associations, ainsi que des employeurs et de leurs associations à la réalisation de cet objet.
237 . Quiconque, par action ou par omission, agit de manière à compromettre directement et sérieusement la santé, la sécurité ou l'intégrité physique d'un travailleur commet une infraction et est passible:
239 . Dans une poursuite visée dans le présent chapitre, la preuve qu'une infraction a été commise par un représentant, un mandataire ou un travailleur à l'emploi d'un employeur suffit à établir qu'elle a été commise par cet employeur à moins qu'il n'établisse que cette infraction a été commise à son insu, sans son consentement et malgré les dispositions prises pour prévenir sa commission .
(mes soulignés)
[21]
Il s'agit donc de déterminer, dans un premier temps, si les faits
reprochés aux appelants ont démontré que la santé, la sécurité physique des
travailleurs ont été compromises directement et sérieusement et dans
l'éventualité d'une réponse positive si les appelants ont réussi à renverser la
présomption prévue à l'article
[22] La poursuite doit démontrer que les actes ou omissions ont porté atteintes à la santé, sécurité l'intégrité physique d'un travailleur. Elle n'a pas à faire la preuve que l'irréparable est survenu. Comme le mentionne la Cour d'appel dans Construction Zanetti inc. c. Commission de la santé et de la sécurité du travail [3] :
Décision
CONSIDÉRANT que pour compromettre la santé ou la sécurité des travailleurs, au sens de la loi précitée, il n'est pas nécessaire comme élément matériel de l'infraction que la compromission ait effectivement eu lieu, mais qu'il suffit de constater l'existence de certains gestes ou de certaines conduites mettant éventuellement en péril cette sécurité .
(Mes soulignés)
[23] Dans son ouvrage Droit pénal dans le contexte de l'obligation de protection des travailleurs, victime potentielle : les infractions prévues à la Loi sur la santé et la sécurité du travail, Me Marcotte écrit [4] :
16) La définition du danger
Une lecture de l'ensemble de la jurisprudence émanant des tribunaux judiciaires permet de définir la notion de danger prévue à la L.S.S.T. de la manière suivante.
Une situation inadéquate ou allant au-delà de ce qui est normal ou inhérent à la situation concernée; situation inadéquate en ce qu'elle va à l'encontre d'une règle de l'art, d'une norme, d'un règlement (même non applicable), de la loi, ou même du simple bon sens ; situation créant ou menant à une simple éventualité de lésion sans égard à sa matérialisation ; éventualité qui tient compte de l'erreur humaine susceptible de se commettre et/ou de la nature des choses. |
[24] Les appelants plaident avec vigueur que même si des travailleurs se trouvaient à l'intérieur du godet, cette situation n'était pas dangereuse et ne pouvait en conséquence compromettre la santé, la sécurité ou l'intégrité physique des travailleurs.
[25] Pourtant, les témoins entendus, un opérateur qualifié de pelle hydraulique et au surplus le propriétaire d'une des compagnies appelantes indiquent qu'une telle opération est interdite.
[26] On pourrait ajouter que la fonction même d'une pelle hydraulique est de servir à l'excavation et non d'ascenseur pour les travailleurs. Certes, il peut être plus rapide et moins fatigant pour les travailleurs de monter à l'intérieur d'un godet pour atteindre le fond de la tranchée, mais cela comporte également des risques de blessure. Le moins que l'on puisse dire, c'est que cela va à l'encontre d'une règle de l'art, dans l'opération même de la machinerie.
[27] Au surplus, toujours selon la preuve, l'opérateur qui a accepté de faire monter à bord des travailleurs de même que le contre-maître a été blâmé pour ces gestes posés tout comme les travailleurs fautifs.
[28] Il est difficile, dans les circonstances, d'affirmer que l'opération ne présentait aucun danger.
[29] La tranchée avait une hauteur de cinq (5) mètres et nécessite que les travailleurs puissent, en toute sécurité, atteindre le fond de cette tranchée.
[30] Les appelants avaient, dans un plan de sécurité, indiqué la prohibition de se trouver à proximité de la pelle hydraulique lorsqu'en fonction. Le Tribunal voit mal que la sécurité du ou des travailleurs est mieux assurée s'ils sont à l'intérieur d'un godet plutôt qu'à proximité.
[31] La première juge ne commet donc pas d'erreur en considérant que la poursuite s'était déchargée de la preuve à cet égard.
[32] La même situation de dangerosité s'applique à l'absence d'échelle au fond de la tranchée.
[33] Cette situation découle certainement de la première. Les travailleurs ont choisi le godet de la pelle pour descendre au fond de la tranchée et ont laissé l'échelle en haut.
[34] Dans le cas d'une évacuation rapide de la tranchée, ils n'avaient tout simplement plus de moyen de remonter à la surface sinon que de demander l'aide de la pelle hydraulique si elle était toujours sur les lieux.
[35] Privé d'un moyen, pourtant simple et disponible, de sortir rapidement de la tranchée est de nature à mettre en danger leur sécurité et leur intégrité physique.
[36] Sans le reconnaître explicitement, les appelants ont fait valoir en première instance que même si la Cour en arrivait à la conclusion que la situation était dangereuse, celle-ci résultait uniquement des travailleurs.
[37]
Ils invoquent qu'ils ont renversé la présomption établie à l'article
[38] La première juge, après analyse de la preuve, conclut que les appelants n'ont pas pris toutes les mesures nécessaires pour prévenir la commission de l'infraction.
[39] Elle analyse les rencontres de sécurité qui ont lieu sur le chantier, l'absence de directives claires, la présence des contre-maîtres et représentant des appelants sur les lieux de l'infraction, pour conclure que les appelants ne se sont pas déchargés de leur fardeau.
[40] Il s'agit essentiellement d'une question de faits. Les appelants n'ont pas démontré d'erreur manifeste et dominante de la juge de première instance sur ses conclusions de faits.
[41] La jurisprudence constante nous enseigne le devoir de déférence dont doit faire preuve le Tribunal d'appel sur les conclusions de faits auxquelles en arrivent les juges d'instance. Le pouvoir d'intervention ne peut exister que dans le cas d'erreur manifeste et dominante ou encore, l'omission de considérer un élément déterminant, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[42] REJETTE les appels,
[43] LE TOUT , sans frais.
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__________________________________ ANDRÉ VINCENT, J.C.S. |
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Me Denis Turcotte |
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Procureur des appelantes |
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Me Mathieu Perron |
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Procureur de l'intimée |
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Date d’audience : |
3 octobre 2011 |
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