[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 13 décembre 2011
En présence de monsieur le juge Pinard
ENTRE :
et
LE
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1]
Il s’agit d’une demande de
contrôle judiciaire que Vanessa Vale Pereira (la demanderesse) a présentée
en vertu du paragraphe
[2]
La demanderesse, citoyenne du
Brésil, est arrivée au Canada le 31 décembre 2002 à titre d’étudiante
et de visiteuse en règle jusqu’au 7 février 2003. Pendant qu’elle
faisait ses études au Brésil, elle avait décidé de quitter son pays à cause des
mauvais traitements que sa sœur et elle avaient subis. À son arrivée au Canada,
elle s’est installée chez sa sœur et sa tante; cette dernière était sans statut
juridique au Canada. La demanderesse a présenté une demande de résidence
permanente pour motifs d’ordre humanitaire. En 2008, cette demande a été
transformée en une demande à titre d’épouse en vertu de l’article
[3] En 2010, comme l’époux de la demanderesse ne s’était pas présenté à l’entrevue relative à l’établissement de cette dernière en 2008 et que leur mariage s’était rompu en 2009, la demande de résidence permanente de la demanderesse a été examinée sur le fondement de motifs d’ordre humanitaire, plutôt qu’à titre de demande présentée dans la catégorie des époux.
[4] La demanderesse soutient être venue au Canada pour échapper au [ traduction ] « régime de tutelle » que la famille de son oncle avait créé parce que ses parents et ses grands-parents étaient décédés et qu’elle n’avait plus de famille immédiate au Brésil. Elle n’a donc plus de liens avec son pays d’origine.
[5] De plus, elle est établie au Canada : elle travaille comme femme de ménage et habite chez sa tante. Même si cette dernière ne vit pas légalement au Canada, c’est elle qui tient la famille unie d’après la demanderesse, créant un sentiment d’appartenance, surtout après la rupture de son mariage et les sentiments d’abandon que cet échec conjugal a fait naître. Cet échec l’a aussi amenée à trouver auprès de sa sœur et de sa tante le soutien affectif dont elle a besoin, et ces dernières sont sa seule véritable famille. Malgré ces facteurs, l’agent a rejeté sa demande de résidence permanente fondée sur une dispense pour motifs d’ordre humanitaire.
[6] À titre de question préliminaire, la demanderesse soutient que le dossier que l’agent avait entre les mains était incomplet, ce qui dénote un manque de diligence de la part de ce dernier. Cependant, l’avocate de la demanderesse reconnaît que l’importance des documents censément manquants est purement hypothétique. Par ailleurs, il n’y a absolument aucune preuve qu’en raison des présumées lacunes du dossier du tribunal, la demanderesse a été victime d’un préjudice quelconque. L’argument préliminaire de la demanderesse est donc sans fondement.
* * * * * * * *
[7] La présente demande soulève les questions suivantes :
1. L’agent a-t-il commis une erreur dans la manière dont il a énoncé le critère juridique relatif à une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et dont il a appliqué ce critère à la présente affaire, notamment en omettant d’analyser comme il le fallait la situation personnelle de la demanderesse?
2. L’agent s’est-il livré à des conjectures et a-t-il tiré des conclusions de fait abusives, commettant ainsi une erreur susceptible de contrôle?
[8]
Il est convenu que le fait de
savoir si l’agent énonce le bon critère lorsqu’il évalue des motifs d’ordre
humanitaire est une question de droit, qui doit être contrôlée selon la norme
de la décision correcte (
Ebonka c. Ministre de la Citoyenneté et de
l’Immigration
,
[9]
Cette norme de raisonnabilité
s’explique par la grande latitude dont jouissent les agents qui évaluent les
dispenses fondées sur des motifs d’ordre humanitaire (
Tartchinska
, au
paragraphe 18). Il convient donc de faire preuve de retenue à l’égard des
décisions de fait que prennent les agents et de la façon dont ils soupèsent la
preuve (
Dunsmuir c Nouveau-Brunswick
,
* * * * * * * *
1. L’agent a-t-il commis une erreur dans la manière dont il a énoncé le critère juridique relatif à une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et dont il a appliqué ce critère à la présente affaire, notamment en omettant d’analyser comme il le fallait la situation personnelle de la demanderesse?
[10] Même si l’agent n’a fait mention de difficultés [ traduction ] « inhabituelles » et [ traduction ] « excessives » qu’à la fin de sa décision, il a analysé la situation personnelle de la demanderesse et n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle : la décision lue dans son ensemble dénote que le juste critère des difficultés injustifiées, inhabituelles ou excessives a été appliqué de manière raisonnable.
[11]
Dans sa décision, l’agent fait constamment
référence à la situation personnelle de la demanderesse, plus précisément à ses
liens familiaux, à son établissement au Canada, aux mauvais traitements dont
elle avait été victime et à la rupture de sa relation conjugale, contrairement
à ce qui avait été fait dans
Kaur c. Ministre de la Citoyenneté et de
l’Immigration
,
[12] Comme l’a déclaré le défendeur, le fond l’emporte sur la forme : ce qui importe, ce ne sont pas les mots employés, mais le fait de savoir si l’agent a analysé comme il faut les motifs d’ordre humanitaire ( Pannu c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration , 2006 CF 1356, aux paragraphes 37 et 41). L’agent a analysé chacun des facteurs relevés par la demanderesse avant de rejeter sa demande. Il ne fait aucun doute que la situation personnelle de cette dernière a été prise en compte : une analyse appropriée a été faite. La Cour ne serait peut-être pas nécessairement arrivée à la même conclusion, mais la décision de l’agent était raisonnable, car, appartenant aux issues possibles acceptables, elle se justifie au regard des faits et du droit ( Dunsmuir , au paragraphe 47).
2. L’agent s’est-il livré à des conjectures et a-t-il tiré des conclusions de fait abusives, commettant ainsi une erreur susceptible de contrôle?
[13]
La demanderesse soutient tout
d’abord que l’agent a commis une erreur dans son examen du rapport
psychologique. Je ne suis pas d’accord. Il n’a pas commis d’erreur en accordant
moins de poids au rapport psychologique, et il a clairement expliqué dans ses
motifs comment il l’a évalué. Le rapport datait de cinq ans à l’époque où
l’agent a rendu sa décision et il ne reflétait pas nécessairement l’état
psychologique de la demanderesse à ce moment-là. Il était également fondé sur
une seule évaluation subjective, comme le défendeur l’a expliqué. De plus,
contrairement à
Karimullah c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration
,
[14] L’agent n’a pas émis ensuite l’hypothèse qu’étant donné que le rapport n’était pas convaincant, l’angoisse dont souffrait la demanderesse avait complètement disparu. Il a plutôt conclu qu’en raison de l’âge de la demanderesse et du fait que huit ans s’étaient écoulés depuis son départ du Brésil, elle serait raisonnablement capable de faire face à sa situation personnelle : il existe des preuves qui étayent la conclusion de l’agent. Celui-ci ne tirait pas une conclusion psychologique, mais plutôt une conclusion factuelle reposant sur son évaluation de la preuve.
[15] En conséquence, en dépit de la conclusion énoncée dans le rapport psychologique, à savoir que si l’on ne permettait pas à la demanderesse de rester au Canada, [ traduction ] « ses symptômes s’intensifieront et sa souffrance s’aggravera », il était raisonnable que l’agent accorde moins de poids au rapport et arrive à une conclusion factuelle différente pour les raisons susmentionnées : ses conclusions factuelles sont ancrées dans la preuve.
[16] La demanderesse allègue de plus que la conclusion de l’agent selon laquelle elle avait d’autres membres de sa famille qui pouvaient subvenir à ses besoins au Brésil est abusive. Elle soutient avec raison que la conclusion de l’agent selon laquelle il y a d’autres membres de sa famille sur lesquels elle pourrait compter dans son pays, pour compenser la perte qu’elle subira, est abusive. Les seuls membres de la famille qui lui restent au Brésil sont ceux qui l’ont maltraitée. Même si son oncle n’a pas commis lui-même les sévices affectifs et psychologiques, ceux-ci l’ont été sous son toit, par son épouse : il est ridicule d’affirmer que cet homme est capable de procurer l’appui affectif nécessaire sans se rappeler constamment les mauvais traitements dont elle était victime pendant qu’elle était sous sa garde. La conclusion de l’agent quant à l’existence d’autres membres de la famille au Brésil est inintelligible et injustifiée ( Dunsmuir ). Mais cette unique erreur, dans les circonstances particulières de l’espèce, n’est pas déterminante et ne justifie pas que l’on fasse droit à la présente demande de contrôle judiciaire.
[17]
La demanderesse soutient finalement
que l’agent s’est trompé dans la manière dont il a qualifié ses liens
familiaux. À cet égard, le défendeur a raison de dire que l’on ne peut accorder
aucun poids à la présence de la tante au Canada, car celle-ci se trouve ici illégalement
et sa présence continue au pays n’est pas garantie. En outre, contrairement à
Koromila
c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration
,
[18] Il était également raisonnable pour l’agent de conclure qu’il existe des voies de communication appropriées entre le Canada et le Brésil. La sœur de la demanderesse ne peut pas nécessairement retourner au Brésil, car elle a sollicité la résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire, mais il n’existe aucun obstacle déraisonnable qui empêcherait la demanderesse de lui rendre visite, ni aucune restriction quant aux communications de vive voix. De ce fait, comme il n’a pas été prouvé que la proximité physique était nécessaire, en dépit de la dépendance affective reconnue de la demanderesse à l’endroit de sa tante et de sa sœur au Canada, il était raisonnable que l’agent conclue qu’après le retour de la demanderesse au Brésil, la famille serait néanmoins en mesure de rester en contact et de préserver son lien.
[19]
En conséquence, dans l’ensemble,
les conclusions de fait de l’agent n’étaient pas abusives, mais plutôt étayées
par son évaluation de la preuve. Ses conclusions étant ancrées dans la preuve,
il ne s’est pas livré à des conjectures (
Zhang c. Ministre de la Citoyenneté
et de l’Immigration
,
* * * * * * * *
[20] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[21] Je conviens avec les avocats des parties qu’il n’y a pas de question à certifier.
JUGEMENT
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-306-11
INTITULÉ : VANESSA VALE PEREIRA c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 13 OCTOBRE 2011
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE PINARD
DATE DES MOTIFS : LE 13 DÉCEMBRE 2011
COMPARUTIONS :
Sarah L. Boyd POUR LA DEMANDERESSE
Khatidja Moloo POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Jackman and Associates POUR LA DEMANDERESSE
Toronto (Ontario)
Myles J. Kirvan POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada