Pineda c. Ferreira |
2012 QCCQ 93 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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« Chambre civile » |
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N° : |
500-32-117976-094 |
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DATE : |
9 janvier 2012 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
HENRI RICHARD, J.C.Q. |
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KATTIA PINEDA -et- JORGE BAUTISTA |
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Demandeurs |
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c. |
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LUCILLIA FERREIRA -et- BERNARDINO FERREIRA |
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Défendeurs |
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JUGEMENT |
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[1] Kattia Pineda et Jorge Bautista réclament à Lucillia Ferreira et à Bernardino Ferreira la somme de 7 000 $, dont 5 000 $ à titre de dommages-intérêts et 2 000 $ à titre de dommages exemplaires, suite à une prétendue erreur dolosive provoquée par les défendeurs qui mentent sur les circonstances du décès de leur beau-père survenu au sous-sol de l'immeuble vendu.
[2] En défense, M. et Mme Ferreira plaident que les circonstances de la mort de leur beau-père ne sont pas pertinentes à la vente intervenue entre les parties. De plus, ils admettent avoir indiqué à Mme Pineda et à M. Bautista, avant la signature de l'acte de vente, que leur beau-père était décédé dans la propriété, mais qu'aucune question sur les circonstances de cette mort ne fut abordée.
Questions en litige
[3] a) Le fait de ne pas révéler qu'un suicide a lieu dans l'immeuble vendu vicie-t-il le consentement de Mme Pineda et de M. Bautista ?
b) Les circonstances de la mort du beau-père de M. et Mme Ferreira font-elles l'objet d'une discussion entre les parties, avant la signature de l'acte de vente ?
c) Si le consentement de Mme Pineda et de M. Bautista est vicié, quels sont les dommages auxquels ils ont droit ?
Les faits
[4] Au début de l'année 2006, Mme Pineda et M. Bautista sont à la recherche d'une maison.
[5] En passant devant l'immeuble de M. et Mme Ferreira, ils constatent une affiche d'un courtier immobilier et tentent, sans succès, de communiquer avec lui.
[6] Quelques mois plus tard, Mme Pineda et M. Bautista voient sur le terrain de cet immeuble une pancarte annonçant la vente par le propriétaire. C'est ainsi que Mme Pineda entre en communication avec Mme Ferreira qui lui indique, d'emblée, qu'elle ne veut pas transiger par l'intermédiaire d'un courtier immobilier.
[7] La visite de l'immeuble mène à la signature d'une promesse d'achat le 4 juin 2006, qui est notamment conditionnelle à ce que Mme Pineda puisse transférer son permis d'exploitation d'un centre de la petite enfance à cet immeuble.
[8] Aussi, puisque M. et Mme Ferreira, qui sont frère et sœur, acquièrent cet immeuble à titre de légataires universels de leur mère, il est prévu à la promesse d'achat que la vente s'effectuera sans garantie de qualité, tant légale que conventionnelle, « l'acheteur achetant à cet effet à ses risques et périls ».
[9] Quelques jours avant la signature de l'acte de vente, lors d'une vente de garage organisée par M. et Mme Ferreira à la propriété en cause, ils font mention à Mme Pineda et à M. Bautista que le mari de leur mère est décédé dans la propriété. Selon la version de Mme Pineda et de M. Bautista, Mme Ferreira aurait indiqué qu'il est décédé dans son sommeil, d'une mort naturelle. De son côté, Mme Ferreira indique plutôt avoir fait mention de la mort de son beau-père et que la seule question posée par Mme Pineda portait sur le temps entre le décès et la découverte du corps. Aucune question n'aurait été posée quant aux circonstances du décès.
[10] L'acte de vente intervient le 5 juillet 2006.
[11] Environ deux mois après la vente, Mme Ferreira témoigne avoir visité Mme Pineda et M. Bautista, affirmant ainsi qu'elle n'avait rien à cacher quant aux circonstances entourant la vente et le décès de son beau-père.
[12] Au début de l'année 2008, Mme Pineda et M. Bautista apprennent d'un voisin les circonstances de la mort du beau-père de M. et Mme Ferreira. Il s'est suicidé dans le sous-sol de l'immeuble vendu, ce qui est confirmé par les recherches effectuées par Mme Pineda et M. Bautista.
[13] Après cette découverte, Mme Pineda et M. Bautista témoignent avoir vécu de la détresse et de l'angoisse, ayant peur de descendre au sous-sol, où Mme Pineda exploite sa garderie.
[14] Par lettre de leurs procureurs en date du 27 avril 2009, Mme Pineda et M. Bautista mettent en demeure M. et Mme Ferreira de les indemniser d'une somme de 7 000 $ pour le préjudice subi.
[15] Par lettre de leurs procureurs en date du 5 mai 2009, M. et Mme Ferreira nient devoir quelque somme que ce soit, notamment parce que « the circumstances of death were not asked nor discussed ».
[16] En juillet 2009, Mme Pineda et M. Bautista intentent leur recours en la présente instance.
L'analyse
[17]
La garantie de qualité prévue aux articles
[18]
Quant à l'obligation précontractuelle de renseignement, reconnue par la
Cour suprême dans
Banque de Montréal
c.
Bail ltée
[1]
,
elle tire sa source, selon les auteurs Baudouin, Jobin et Vézina
[2]
,
de l'article
« 1375. La bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l'obligation qu'à celui de son exécution ou de son extinction. »
[19] Quant à cette obligation d'information ou de renseignement, le Tribunal fait siens les sages propos du juge Gabriel de Pokomándy dans Knight c. Dionne [3] qui était saisi d'une demande d'une acquéreuse d'un immeuble à qui on avait omis de divulguer que le fils du vendeur s'était suicidé plusieurs années auparavant. Le juge de Pokomándy s'exprime ainsi:
« [38] Tous connaissent dans leur vie des événements heureux ou malheureux, voire tragiques, qui surviennent à leur résidence, mais à moins de circonstances exceptionnelles, ces événements n'ont aucune incidence sur la valeur intrinsèque de l'immeuble.
[…]
[43] Le drame du fils de Marcel Dionne qui, il y a plus de 10 ans, s'est enlevé la vie par pendaison dans une des pièces de la maison ne peut non plus être considéré comme un facteur de nature à affecter de façon significative la valeur de l'immeuble.
[44] Il est possible que pour certaines personnes, dont la demanderesse et son conjoint, le fait qu'un décès soit survenu dans une résidence, plus encore un décès dans des circonstances tragiques, puisse constituer un obstacle subjectif à l'achat ou l’occupation de cette maison.
[45] Dans un tel cas, il nous
apparaît que c'est à l'acheteur qu'il appartient de poser des questions
spécifiques sur les phobies, craintes ou autres considérations subjectives qui
peuvent à ses yeux empêcher la pleine jouissance d’une bâtisse ou même de
procéder à son achat. Dès lors qu’une question est ainsi abordée, le vendeur a
une obligation accrue de divulgation complète et il doit prendre garde
d’induire un consentement erroné par son silence ou sa réticence sur cet
élément qui semble d’importance pour l’acheteur, au risque de voir la validité
de la vente contestée dans les cas où, connaissant toute l’information, l’autre
partie n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes.
(art.
[46] Le Tribunal est d’avis que les événements et les faits de la vie des résidants d'un immeuble résidentiel ne peuvent être considérés comme normalement susceptibles d'influencer de façon importante le consentement de la partie adverse, à moins que des questions n’aient été posées à leur sujet.
[47] Le décès, le suicide ou même le meurtre dans une maison ne peuvent être considérés comme des facteurs que le vendeur est obligé de révéler à l'acheteur, tout comme il n'est pas obligé de révéler la violence conjugale, les intrusions dont on a pu être victime ni non plus les naissances, les mariages, les baptêmes ou autres événements de la vie, heureux ou malheureux, qui s’y sont déroulés.
[48] Cette conclusion nous apparaît s’imposer, car si on devait ériger en règle que lors de la vente d'un immeuble résidentiel il y a divulgation obligatoire des faits ou événements de la vie des résidants de nature à influer de façon importante la décision de l’acheteur, il serait extrêmement difficile de déterminer où la ligne doit être tirée, ce qui risquerait de créer une insécurité inutile.
[49] Les vendeurs devraient-ils aller jusqu’à dénoncer la violence conjugale, les chicanes domestiques et ce, à partir de quel degré de violence utilisée? Est-ce que le divorce ou la séparation des vendeurs pourrait être un facteur de nature à influencer la valeur de la maison, et donc important à révéler pour permettre à l’acheteur de prendre une décision éclairée ?
[50] En cas de décès, est-ce que la valeur de la résidence pourrait être affectée de façon différente, selon qu’il est survenu subitement, dans le sommeil ou après une longue maladie, ou encore suite à un suicide ou à un meurtre, et l’obligation de divulgation varier en fonction de cela ?
[51] Le Tribunal a beaucoup de difficulté à convenir que de tels éléments, dont l’importance dépend de la sensibilité, des phobies, des sentiments ou des appréhensions purement personnels et subjectifs qui ne sont pas en rapport avec la qualité de l'immeuble, doivent être objet de divulgation obligatoire.
[52] Édicter une telle règle mettrait sur les épaules du vendeur le fardeau impossible d’apprécier, parmi les évènements survenus dans la résidence, ceux qui pourraient être d’importance dans l’esprit de l’acheteur et de conséquence pour sa décision. »
[20] Ceci étant, le Tribunal ne peut conclure que M. et Mme Ferreira contreviennent à leur obligation précontractuelle de renseignement.
[21]
Reste donc la question de savoir si Mme Pineda et M. Bautista sont
victimes d'un dol incident, au sens de l'article
« 1401. L'erreur d'une partie, provoquée par le dol de l'autre partie ou à la connaissance de celle-ci, vicie le consentement dans tous les cas où, sans cela, la partie n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes.
Le dol peut résulter du silence ou d'une réticence. »
[22] Pour répondre à cette question, le Tribunal doit se pencher sur la preuve présentée quant aux discussions intervenues avant la signature de l'acte de vente sur les circonstances du décès du beau-père de M. et Mme Ferreira.
[23] Tel qu'indiqué antérieurement, Mme Pineda et M. Bautista témoignent que Mme Ferreira fait part de ce décès, quelques jours avant la signature de l'acte de vente, et mentionne qu'il s'agit d'une mort naturelle, son beau-père étant décédé pendant son sommeil.
[24] De son côté, Mme Ferreira admet avoir indiqué à Mme Pineda et à M. Bautista que son beau-père est décédé, sans plus de discussion quant aux circonstances de ce décès, et elle nie formellement avoir indiqué qu'il s'agissait d'une mort naturelle.
[25] Quant à cette contradiction, le Tribunal préfère la version de Mme Pineda et de M. Bautista à celle de Mme Ferreira. Il est invraisemblable et improbable que l'annonce de la mort du beau-père de Mme Ferreira dans la propriété ne soit pas suivie d'une indication des circonstances de celle-ci. Mme Pineda et M. Bautista sont rassurés par le fait qu'il s'agit d'une mort naturelle et témoignent que, s'ils avaient su qu'il s'agissait d'un suicide, ils n'auraient pas acquis l'immeuble en cause, ou n'en auraient pas donné si haut prix.
[26] Les auteurs Baudouin, Jobin et Vézina définissent le dol, la réticence, le silence et le mensonge en ces termes:
« 233 - […]
Le dol est le fait de provoquer volontairement une erreur dans l'esprit d'autrui pour le pousser à conclure le contrat ou à le conclure à des conditions différentes. C'est donc l'acte, l'agissement qui provoque l'erreur. Le vice de consentement reste bien toutefois l'erreur ainsi provoquée. […] »
« 235 - La réticence est un dol négatif. Elle consiste à laisser le cocontractant croire une chose par erreur, sans le détromper, spécialement en ne lui dévoilant qu'une partie de la vérité. Le silence est le fait de s'abstenir de révéler au cocontractant un fait important qui changerait sa volonté de contracter. C'est une déloyauté par dissimulation. En pratique, cependant, on emploie « réticence » tantôt dans son sens propre, tantôt comme signifiant le silence. La doctrine classique enseignait autrefois que ni la simple réticence ni le silence ne pouvaient être constitutifs de dol. »
« 238 - Le mensonge est une tromperie directe et positive qui consiste à affirmer au cocontractant une chose qui n'existe pas, dans le but de le pousser à contracter. Il est constitutif de dol à condition qu'eu égard aux circonstances de la cause, il ait été sérieux et ait eu une influence déterminante sur la volonté du contractant. […] » [4]
[27] Même si M. et Mme Ferreira n'avaient pas l'obligation précontractuelle d'informer Mme Pineda et M. Bautista du suicide de leur beau-père dans l'immeuble, à compter du moment où Mme Ferreira mentionne qu'il s'agit d'une mort naturelle, elle les trompe en ne dévoilant qu'une partie de la vérité ou en mentant sur les circonstances de cette mort.
[28] L'évaluation des dommages-intérêts subis par Mme Pineda et M. Bautista, découlant du dol incident de M. et Mme Ferreira, présente un défi.
[29] Tout d'abord, Mme Pineda et M. Bautista admettent n'avoir subi aucune perte de salaire ni aucun préjudice matériel. Leur témoignage fait mention de détresse, d'angoisse, de peur et de troubles de sommeil. Ils ne déposent aucun rapport médical à l'appui de leur réclamation.
[30]
Malgré le dol incident dont ils sont victimes, le Tribunal ne peut
accorder la somme de 2 000 $ réclamée à titre de
« dommages-intérêts exemplaires », plus communément appelés
« dommages-intérêts punitifs ». L'attribution de tels dommages est
circonscrit à l'article
« 1621. Lorsque la loi prévoit l'attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.
Ils s'apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l'étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers. »
[31] Le Tribunal ne peut trouver appui sur quelque loi que ce soit en vue d'attribuer des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires à Mme Pineda et à M. Bautista.
[32] Quant à la réclamation au montant de 5 000 $ à titre de « dommages-intérêts », le Tribunal l'arbitre à la somme de 1 000 $ (500 $ pour chacun des demandeurs) en conséquence du préjudice moral subi et découlant directement du dol de M. et Mme Ferreira quant aux circonstances ayant entouré la mort de leur beau-père dans l'immeuble vendu.
PAR CES MOTIFS, le Tribunal:
ACCUEILLE en partie la demande de Kattia Pineda et de Jorge Bautista;
CONDAMNE
Lucillia Ferreira et Bernardino Ferrreira à payer à Kattia Pineda et à Jorge
Bautista la somme de 1 000 $ avec intérêts au taux de 5 % l'an
et l'indemnité additionnelle prévue à l'article
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__________________________________ Henri Richard, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
6 décembre 2011 |
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