Regent Artistic & Athletic Management Services Inc. c. Kamar (K-Maro)

2011 QCCS 7363

JN 0326

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-030245-065

 

 

 

DATE :

21 décembre 2011

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

PIERRE NOLLET, j.c.s.

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REGENT ARTISTIC & ATHLETIC MANAGEMENT SERVICES INC. (« RAAMS »)

 

Demanderesse

c.

 

CYRIL KAMAR (« K-Maro »)

Défendeur

 

 

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JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]    Dans le contexte d'une reddition de compte ordonnée par la Cour [1] , celui à qui le compte est dû, RAAMS, ancien gérant de l'artiste K-Maro, demande au Tribunal de déterminer le solde des commissions dues par l'artiste.   K-Maro a produit un compte démontrant un reliquat de 153 239,56 $ auquel s'ajoutent les taxes totalisant 172 969,14 $.  RAAMS a obtenu jugement pour ce montant et conteste le compte afin d'obtenir le reste de ce qui lui est dû et qu'elle estime à près de 3 millions $.

[2]    L'une des difficultés soulevée par la présente affaire vient du fait que K-Maro perçoit ses revenus par l'entremise d'une société (K-Pone) laquelle, dit-il, joue plusieurs rôles dont celui de producteur.  Or, les sommes perçues à titre de producteur ne devraient pas, selon lui, être incluses.

1.     La confidentialité

[3]    Une ordonnance prononçant la confidentialité des documents constituant la reddition de compte fut rendue par le greffier spécial en cours d'instance.  L'avocat de K-Maro requiert que le Tribunal, dans son jugement, s'assure de protéger la confidentialité des calculs et informations portant sur les revenus de K-Maro de même que les dispositions contractuelles en vertu desquelles les redevances doivent être calculées.

[4]    Y-a-t-il lieu de restreindre la publicité des débats et éventuellement de la liberté d'expression?  La question, provenant d'un artiste qui vit de la liberté d'expression, n'est pas banale.

[5]    K-Maro fait valoir trois arguments :

·         Ces informations sont privées et sans intérêt pour le public;

·         Il y a risque que l'importance des revenus ait un impact négatif sur les négociations que les producteurs de musique entreprennent avec les artistes et autres ayants droit;

·         L'entente avec Warner Music (France) (ci-après « Warner ») est spécifique au défendeur et la divulgation de l'entente pourrait nuire au défendeur et à la réputation des artistes québécois auprès de cette société.

[6]    Suivant l'arrêt Sierra Club [2] , la confidentialité peut avoir pour fondement l'intérêt commercial si les conditions énoncées à cet arrêt sont rencontrées. 

[7]    Suivant la Cour Suprême, le risque en cause doit être réel et important, être bien étayé par la preuve et menacer gravement l’intérêt commercial en question.  L’intérêt doit pouvoir se définir en termes d’intérêt public à la confidentialité , mettant en jeu un principe général.  Finalement, le Tribunal doit, non seulement déterminer s’il existe d’autres options raisonnables, mais doit aussi restreindre l’ordonnance autant qu’il est raisonnablement possible de le faire tout en préservant l’intérêt commercial en question.

[8]    L'entente entre K-Maro et RAAMS contient une clause de confidentialité.  Les parties ont donc voulu protéger cette information. 

[9]    Suivant la balance des probabilités, on peut penser que la divulgation tant du chiffre d'affaires que des conditions monétaires des ententes puissent tinter la perception que les gens ont du métier d'artiste et de la situation financière réelle de K-Maro.  De là à dire que cette situation mettra en péril les droits des artistes, de K-Maro ou de Warner dans d'éventuelles négociations, le Tribunal n'est pas convaincu.

[10]      Les revenus d'autres vedettes comme les joueurs de hockey, de baseball, de football et de basketball, financés en partie par les partisans de ceux-ci, sont dévoilés depuis plusieurs années bien qu'ils soient de nature privée.  Rien ne prouve que les négociations des autres joueurs s'en trouvent affectées. 

[11]      Il est difficile de voir en quoi la position concurrentielle de K-Maro sera affectée par cette divulgation.  Le seul véritable bénéfice qu'y voit le Tribunal, c'est la protection de la vie privée.

[12]      Par contre, on peut s'attendre à un bénéfice pour les autres artistes, y compris ceux qui souhaitent le devenir. Ils auront un exemple concret et clair des conditions monétaires applicables en certaines circonstances.

[13]      De même, une grande partie du raisonnement qui va suivre dans l'appréciation de la preuve et la détermination des droits des parties dépend de certaines informations que les parties souhaitent garder confidentielles.  Éliminer ces informations du jugement rendrait celui-ci difficilement compréhensible pour le public.  Aussi bien dire que le jugement ne serait plus public.

[14]      Jusqu'à ce jour et dans ce contexte, le législateur est intervenu dans certains domaines afin de protéger la vie privée de certaines personnes qui doivent s'adresser aux tribunaux pour faire valoir leurs droits.  Afin de conserver certains des aspects fondamentaux de la publicité des débats et de la possibilité pour le public d'analyser le processus judiciaire, le législateur a choisi de préserver l'anonymat des parties dans les matières familiales par exemple.

[15]      Le droit à la publicité des débats et à la liberté d'expression qui l'accompagne demeure toutefois la règle pour le reste. Compte tenu que la démonstration requise par l'arrêt Sierra Club n'a pas été faite, le Tribunal ne fait pas droit à la demande de confidentialité formulée verbalement à l'audience.

2.     Le contexte

[16]      Le 2 octobre 2000, RAAMS, une agence d’imprésario, signe une entente de gérance [3] avec Cyril Kamar dont le pseudonyme d'artiste est K-Maro.  Le principal actionnaire et dirigeant de RAAMS à cette époque est Régent Gravel.

[17]      La compensation de RAAMS est prévue à la convention [4] et correspond, durant l'entente, à 20 % des revenus bruts qui découlent raisonnablement de la carrière de l'artiste dans l'industrie du spectacle, de la musique, etc.

[18]      Le paragraphe 5 b), se lit comme suit :

5.              Compensation

b)                     L'expression « revenus bruts trimestriels » dans ce document, se réfère à la totalité de tous les revenus (laquelle ne devra pas être accumulée ou être une moyenne), que ce soit comme salaire, bonus, royautés ou avances sur des royautés, intérêts, pourcentages, parts de profits, marchandise, parts d'entreprises, produits, propriétés, ou toute autre sorte ou type de revenu qui découle raisonnablement de la carrière de l'Artiste dans l'industrie du spectacle, amusement, musique, enregistrement, film, télévision, radio, vidéo ou relevant des domaines littéraires, théâtral ou de la publicité et tout autre domaine similaire qui soit présente (sic) connu ou conçu dans le futur, dans lesquels les talents artistiques de l'Artiste sont développés ou exploités, reçus par l'Artiste ou par tout héritier, exécuteur, administrateur assigné ou toute autre personne, forme ou corporation (incluant le Manager) au nom de l'Artiste.  Il est entendu que, pour les motifs de ce document, aucune dépense, coût ou déboursés encourus par l'Artiste pour l'obtention des «revenus bruts trimestriels» ne seront déduits à l'avance du paiement de la compensation du Manager.   L'expression «revenu d'apparition personnelle» sera considéré (sic) par les parties citées ci-haut comme référant aux emplois de l'Artiste comme artiste musical dans divers endroits tels : fêtes foraines, concerts, clubs de nuit, télévision et toute autre apparition ou l'Artiste joue/chante devant un auditoire tel que cette expression est généralement comprise dans l'industrie de la musique. [ les soulignés sont du soussigné ]

[19]      Lors de la terminaison de l'entente de gérance par l'artiste, certaines compensations continuent [5] .  En résumé, tout contrat signé alors que l'entente est en vigueur, mais exécuté après la terminaison de celle-ci emporte une commission de 20 % s'il s'agit d'un disque, album ou enregistrement et une commission décroissante de 20 % la 1 re année, 15 % la 2 e et 10 % la 3 e année pour tout autre revenu de l'industrie du spectacle.

[20]      Suivant le jugement du juge Langlois, l'entente de gérance a pris fin le 19 juillet 2004.

[21]      Le jugement décidant la reddition de compte conclut comme suit :

[72] ORDONNE au défendeur de rendre compte à la demanderesse de tous lesdits revenus bruts, tels que définis à l'Entente P-1, touchés directement ou indirectement par le défendeur, que ces revenus aient été payés au défendeur directement ou par l'entremise de ses sociétés K-PONE INC., ÉDITIONS K-PONE INC. et, le cas échéant, toute autre société, pour la période courue du 1 er janvier 2003 au 18 juillet 2007.

[22]      Une telle reddition, dit la juge Langlois, est essentielle à la détermination de la compensation payable à RAAMS.  La reddition de compte intervient le 5 mai 2009.  La déclaration sous serment est déposée à son soutien le 8 mai 2009.

[23]      K-Maro a porté ce jugement en appel.

[24]      La reddition de compte vise toutes les sommes perçues par K-Maro et les deux sociétés dont il est actionnaire et administrateur unique, K-Pone inc. et Éditions K-Pone inc. pour les chansons tirées de l’album «La Good Life», un enregistrement fait en vertu d'un contrat passé avant la terminaison de l'entente de gérance, mais dont l'exécution se poursuit après la fin de celle-ci tel que le prévoit le paragraphe 9b) de l'entente de gérance.

[25]      Les revenus bruts d’artiste déclarés dans la reddition de compte sont les suivants :

·         Revenus de Warner 361 841,11 $

·         Revenus de la Socan: 97 105,90 $

·         Revenus de la Sodrac: 165 497,00 $

·         Revenus de concerts: 80 663,63 $

·         Revenus d'un bloc C non identifié (commissions) : revenus non précisés

[26]      Sous réserve de l'appel logé à l'encontre du jugement ordonnant la reddition de compte, si des commissions sont payables au gérant RAAMS sur la base des revenus bruts ci-haut, elles iraient comme suit :

·         72 368,22 $ à l'égard des disques Warner;

·         11 199,20 $ à l'égard de la Socan;

·         20 439,86 $ à l'égard de la Sodrac;

·         33 099,56 $ pour le bloc C;

·         16 132,72 $ pour les concerts. 

[27]      Le total équivaut à 153 239,56 $ auquel s'ajoutent les taxes totalisant 172 969,14 $.

[28]      Sur la foi de la reconnaissance de ce reliquat par K-Maro, RAAMS s'adresse à la Cour afin de faire condamner K-Maro à lui payer pareille somme.  Le 17 février 2010, le juge Richard Nadeau condamne donc K-Maro à payer à la demanderesse, la somme de 172 969,14 $.  Ce jugement a aussi été porté en appel.

[29]      À l’audience, les parties admettent que la reddition de compte effectuée par K-Maro inclut erronément un montant de 33 099,56 $ (taxes en sus) en faveur de RAAMS.  N'eut été de cette erreur, le compte produit se serait établi à 120 140,01 $ avant taxes.

[30]      RAAMS s'adresse maintenant au Tribunal afin de contester le compte et faire déterminer les sommes additionnelles qui lui sont dues s'il en est.

[31]      Depuis la tenue de l'enquête dans cette affaire, la Cour d'appel a statué sur les appels logés à l'encontre des jugements Langlois et Nadeau.  La Cour d'appel [6] détermine que ces appels sont prématurés et prononce la scission d'instance afin de permettre le présent jugement et préserver les droits des parties.

[33] On est ici en présence d'une simple réclamation de commissions fondée sur un contrat de service.

[34] À première vue, il peut sembler qu'il s'agit d'une simple question de procédure, voire de sémantique, mais tel n'est pas le cas puisque la qualification de la procédure est déterminante pour l'exercice du droit d'appel.

[35] De façon à ne pas faire perdre de droit aux parties à la suite de l'erreur commise par l'avocat de RAAMS, erreur qui n'a pas été relevée en première instance par l'avocat de Cyril Kamar, il y a lieu de conclure à une scission d'instance [7] au sens des articles 273.1 et 273.2 C.p.c . :

273.1.  Le tribunal peut, sur demande, en tout état de cause et en toute matière, scinder l'instance.

L'instruction de la demande ainsi scindée se déroule devant un même juge, sauf décision contraire du juge en chef.

273.2.  Le jugement sur la demande de scission est sans appel; le droit d'appeler des jugements rendus sur le fond de l'instance ne prend naissance qu'à compter du jugement qui y met fin .

(Soulignements du juge Forget)

3.     La position des parties

A.    Position de RAAMS

[32]      RAAMS soutient que la reddition de compte est incomplète, qu'elle ne comprend pas les pièces justificatives pertinentes, que des droits payables par les sociétés de droits d'auteurs n'ont pas tous été déclarés et que les revenus bruts divulgués ne concernent qu'une partie des revenus perçus par K-Maro, en particulier parce qu'ils excluent la portion perçue à titre de producteur et des redevances perçues à titre d'éditeur.

[33]      RAAMS cherche à faire déclarer la reddition de compte produite nulle et non avenue, réclame certaines ordonnances, dont celle de produire toutes les pièces justificatives ou encore de permettre à RAAMS d'obtenir directement des sociétés de gestion de droits d'auteurs une copie des rapports concernant l'exploitation d'oeuvres de K-Maro. 

[34]      Au surplus, RAAMS réclame que le Tribunal établisse les revenus bruts de K-Maro sur lesquels une commission est payable, à une somme excédant 12 000 000,00 $ et la commission payable à 2 920 057,66 $.

B.     La position de K-Maro.

[35]      K-Maro soutient que sa reddition de compte est complète et conforme au jugement de la juge Langlois.  Il ajoute toutefois qu'elle est basée sur les deux principes suivants à savoir :

i)  les revenus bruts sur lesquels la commission se calcule sont les revenus qu'il s'attribue à titre d'artiste suivant la coutume et les usages en vigueur; et 

ii) les revenus bruts n'incluent pas les sommes qui lui sont réclamés à titre d'éditeur par une personne liée à RAAMS.

[36]      K-Maro conteste vigoureusement toute tentative de RAAMS d'étendre l'application du contrat de gérance à des activités non prévues à l'entente, notamment d'assujettir des revenus de producteur, d'éditeur ou de réalisateur à la commission du gérant.

[37]      K-Maro réclame que l'on applique à ses revenus bruts, les abattements que tout autre producteur appliquerait à un artiste québécois distribué par une maison de disque étrangère comme c'est son cas.


4.     Les questions en litige

[38]      La commission de RAAMS est-elle exigible de l'ensemble des revenus de K-Maro et ses sociétés liées ou d'une partie de ceux-ci, soit la part revenant à l'artiste?

[39]      Quels sont les abattements applicables sur les revenus bruts de l'artiste et susceptibles de réduire la commission?

[40]      Quelle somme est due à RAAMS, s'il y a lieu?

5.     L'analyse

A.    La reddition de compte effectuée

[41]      La reddition de compte effectuée en 2009 par K-Maro se détaille comme suit :

Nature du revenu brut

Montant en dollar cdn

Part de l'artiste

Abattements et Commission

Montant dû

Redevances perçues sur les ventes d’enregistrements avec (Warner) 

 

1 691 265,20 $

x21.74 % x20 %

72 368,22 $

SOCAN

 

1re   année : 20 %

2 e  année :   15 %

3 année :    5 % [8]

11 199,20 $

Sodrac

 

1re   année : 20 %

2 e  année : 15 %

3 année : 5 %

20 439,86 $

Bloc C

 

 

33 099,56 $

Concerts

 

 

16 132,73 $

Total

 

 

153 239,57 $

[42]      Le compte rendu dévoile, comme l'ordonnance le requérait, tous les revenus de K-Maro et de ses sociétés.  K-Maro applique certains abattements à ceux-ci, mais les revenus bruts sont tout de même dévoilés.

[43]      Puisque le compte rendu est conforme en substance à l'ordonnance de la juge Langlois, il n'y a pas lieu pour le Tribunal de déclarer celui-ci nul et non avenu.

[44]      Il est vrai que les revenus de concerts n'incluent aucune pièce justificative, que ceux de la SOCAN et de la SODRAC n’apparaissent pas, à première vue, émaner des sociétés de gestion et peuvent être incomplets.  Il est aussi vrai qu'aucune apparition télévisée rémunérée n'y est notée.  Il s’agit là d’éléments dont RAAMS a le loisir de faire la preuve lors du débat sur le compte.

[45]      RAAMS réclame diverses ordonnances lui permettant d’avoir accès à ces documents. Le débat du compte est justement l’instance où les parties doivent présenter leur preuve à l’égard de leurs positions respectives.

[46]      RAAMS avait tout le loisir d'assigner les témoins qu'elle souhaitait faire entendre et de leur demander d'amener avec eux, toute preuve jugée utile.  Elle ne l’a pas fait.  Elle n’a pas démontré que quiconque avait refusé d’obtempérer à tel subpoena .

[47]      Il n'appartient pas au Tribunal, par jugement qui se veut final sur l’établissement du compte, de rendre les ordonnances recherchées.

B. Les revenus non déclarés

[48]      La preuve démontre que les seuls revenus non déclarés dans la reddition de compte sont ceux entre le 30 juin 2007 et le 18 juillet 2007 et ceux perçus par K-Maro à titre d'auteur-compositeur (revenus de la Socan et de la Sodrac) sur les œuvres pour lesquelles la société de la conjointe de Regent Gravel réclame le bénéfice d'éditeur.  Quant à la redevance d'éditeur de la conjointe de Régent Gravel, elle fait l’objet d’une autre instance.  K-Maro conteste en effet ces droits d'éditeur.

[49]      C'est dans ce contexte que RAAMS demande au Tribunal de lui réserver ses droits à la commission de gérance pour le cas où sa conjointe faillirait dans la reconnaissance de ses droits d'éditeur.

[50]      Régent Gravel admet que si le titre d'éditeur est reconnu à la société de sa conjointe, RAAMS n'a pas droit aux commissions de gérance, celles-ci étant expressément exclues par l'entente de gérance.

[51]      RAAMS avait tout le loisir de faire la preuve des sommes dues.  Elle avait aussi l’opportunité d'argumenter devant le Tribunal toutes les questions de faits et de droit afin d’établir les sommes qui lui étaient dues à titre de gérant.  Elle n'a offert aucune preuve à l'égard des revenus d'éditeur de K-Maro ni plaidé ce point.

[52]      Ayant admis que, si la redevance d’éditeur est due à la conjointe de Régent Gravel, RAAMS n'a pas droit à une commission, elle ne peut par les présentes, réclamer que l'on préserve ses droits à titre de gérant pour le cas où l'autre recours à titre d'éditeur, faillirait.

[53]      Son droit à la redevance existe ou il n'existe pas.  Il ne naîtra pas de la décision dans l'autre instance.  Il n'y a donc pas lieu de faire une réserve de droits.

C.    Définitions de revenus bruts

[54]      Outre les revenus non déclarés ci-haut discutés, K-Maro ne s'est attribué qu'une portion des revenus bruts perçus par sa société K-Pone inc.  Il suggère que ce sont ces seuls revenus attribués (21,74 %) qui doivent faire l'objet de la commission du gérant.  Cette façon  de procéder réduit substantiellement la commission.

[55]      RAAMS souhaite que 100 % des revenus (moins les sommes payées aux ayants droit) ou alternativement 43,48 % des revenus, servent de base au calcul des commissions.

[56]      Comme nous l'avons dit plus haut, K-Pone perçoit tous les revenus.  K-Pone agit comme l' alter ego de K-Maro pour la perception des revenus, en particulier ceux de Warner pour l'album «  La Good Life  ».  Les revenus de K-Maro étant établis suivant une allocation de revenus faite entre le principal intéressé et son alter ego K-Pone, le conflit apparaît évident.

[57]      K-Pone détient les droits d'auteurs sur les bandes maitresses de l'album «  La Good Life » et chacun des disques monoplages qui en sont tirés.

[58]      L'exploitation de ces bandes maitresses a été confiée à Warner en contrepartie d'une royauté moyenne de 23 % des ventes brutes.  La redevance est payable à K-Pone.

[59]      K-Maro n'a signé aucun contrat avec sa société K-Pone.  Celle-ci lui verse des sommes, au gré de ses besoins, sans égard aux droits d'auteur.

[60]      Vu le conflit noté plus haut et sans décider immédiatement du bien-fondé de la prétention de K-Maro à l'égard du partage des revenus entre producteur et artiste, il appert nécessaire d'examiner les usages en semblable matière afin de déterminer si l'attribution de revenus que se fait K-Maro est raisonnable dans les circonstances.

[61]      M. Pierre Rodrigue a été admis à titre d'expert dans l'industrie du disque.  Ses services ont été retenus par K-Maro pour établir les usages commerciaux applicables dans cette industrie et plus particulièrement les normes en matière de compensation des artistes.

[62]      M. Rodrigue établit les taux payés aux artistes suivant la convention de l'Union des Artistes pour l'entente sur les phonogrammes.  Celle-ci fixe la redevance minimum entre 4 et 8 % du prix de gros de la vente de disques.  La redevance minimum varie en fonction du montant des ventes.

[63]      Suivant M. Rodrigue, la redevance payable à l'artiste peut aller jusqu'à 12 % pour des artistes réputés.  Une somme de 10 % du prix de gros, tel que le suggère K-Maro, est selon lui, au-dessus de la moyenne et conforme aux usages pour un artiste comme K-Maro.  Cette preuve n'est pas contredite.

[64]      Si les parties ont convenu de définir les revenus bruts tirés de la vente d'enregistrements à la seule portion de ces revenus qui constituent la rémunération de l'artiste, 10 % du prix de gros ou 43,48 % (10 % de 23 % des revenus bruts provenant de Warner) des revenus bruts de K-Pone apparaissent alors comme les seuls pourcentages prouvés devant le Tribunal.

[65]       Il y a maintenant lieu de rechercher l'intention des parties.  Entendaient-elles limiter les revenus bruts à ceux usuellement perçus par un artiste ou à l'ensemble des sommes perçues, peu importe la source?

[66]      Aux fins des présentes, le prix de gros de la vente de disques fait partie des revenus bruts, les parties ayant utilisé l’un et l’autre terme sans distinction.  Les revenus bruts ne se limitent pas à ceux provenant de la vente de disques tels qu’en font foi les revenus provenant de la SOCAN, par exemple.

[67]      Il faut se référer au paragraphe 5 b) de l'entente de gérance qui définit les revenus bruts de l'artiste.  Ce paragraphe renvoie à diverses prestations artistiques possibles de K-Maro, mais non à toutes les formes possibles et imaginables de revenus associés au monde du spectacle.

[68]      L'article 1 de cette même entente précise que les services du gérant sont pour l'avancement de la carrière de musicien, auteur, compositeur, arrangeur, publiciste, interprète, acteur, comédien, figurant et écrivain.

[69]      Ce même article prévoit que les services du gérant peuvent s'étendre à tous domaines nouveaux et différents à l'intérieur desquels les talents artistiques de K-Maro peuvent être développés et exploités.

[70]      Il découle de l’entente de gérance que l'intention des parties est de confier la gestion des talents artistiques de K-Maro au gérant en contrepartie d’une rémunération.  Or, K-Maro a plus d'un talent.  Il est aussi un homme d'affaires et c'est le talent qui le sert dans son métier de producteur.  Comment distinguer l’un et l’autre?

[71]      L'artiste s'exécute pour que la bande maitresse et l'enregistrement prennent vie. 

[72]      Le producteur fait le choix des oeuvres, s'assure qu'elles sont disponibles, investit, trouve le financement, cherche une maison de disques, loue les studios, engage le personnel, les musiciens, fait fabriquer les maquettes, bref c'est un métier différent.

[73]      K-Maro témoigne qu'à titre de producteur, il a sept employés, il a un studio, possède des équipements d'enregistrement, a un directeur financier et fait essentiellement le métier décrit ci-devant.

[74]      Entre Warner et K-Pone, cette dernière est décrite au contrat comme producteur.  Le producteur garantit que les droits de l'artiste sont libérés, qu'il est le seul titulaire des droits conférés pour l'exploitation à Warner .

[75]      Le producteur garantit également que les artistes-musiciens lui ont cédé le droit de fixer, reproduire ou communiquer au public leurs interprétations et d'utiliser le son séparément de l'image.

[76]      Le producteur s'engage également à ce que l'artiste ne puisse enregistrer la même oeuvre pour le compte d'une autre personne.

[77]      Toujours suivant ce contrat, le producteur doit fournir les bandes maitresses originales définitives, mixées, montées, masterisées et prêtes à être endisquées.  Il doit aussi fournir, libre de tous droits, les photographies ou images destinées à figurer sur la pochette, le livret d'accompagnement et les conditionnements des disques, ainsi que les éléments de droits d'auteurs pour chaque enregistrement.

[78]      On comprend que le producteur amène au distributeur une œuvre complète que celui-ci n'a qu'à reproduire, promouvoir et distribuer.

[79]      De même, K-Pone peut produire d'autres artistes que K-Maro et recevoir de Warner des redevances à cet égard.  RAAMS admet n'avoir aucune prétention sur les revenus de K-Pone à titre de producteur d'autres artistes démontrant qu'il y a bel et bien une distinction à opérer entre la prestation de producteur et celle d'artiste.

[80]      Il faut aussi considérer la question des ayants droit.  De ses revenus de près de 1 700 000,00 $ pour l’album «  La Good Life  », K-Pone paie aux ayants droit, plus de 300 000,00 $.  Il s’agit de tiers qui ont fait diverses contributions à l’album.  Il peut s’agir de compositeurs, de musiciens et d’autres.

[81]      En cours de témoignage, Régent Gravel admet que les sommes payées aux ayants droit par K-Pone doivent être déduites des revenus bruts sur lesquels ses commissions s'appliqueraient.

[82]      L'admission à l'égard des ayants droit étonne puisque le contrat prévoit que la commission s’applique sur les revenus bruts c’est-à-dire sans qu’aucune « dépense, coût ou déboursés encourus par l'Artiste pour l'obtention des « revenus bruts trimestriels »» ne soient déduits à l'avance du paiement de la compensation du gérant.

[83]      Cette admission met en lumière la réalité suivante : quoiqu'en dise RAAMS, K-Pone joue effectivement le rôle de producteur et perçoit à ce titre un pourcentage de 23 % du prix de gros de vente de disques.  Le producteur doit en retour libérer les droits payables aux ayants droit et Régent Gravel comprend qu’il est contraire aux us et coutumes de percevoir une commission sur des déboursés du producteur.  Clairement, l'intention des parties ne visait pas le rôle de producteur.

[84]      De la preuve, le Tribunal conclut que le producteur et l'artiste ont deux rôles différents, chacun rémunéré à même les revenus bruts.

[85]      Du contrat et des témoignages de Régent Gravel et K-Maro, il faut conclure que les parties souhaitaient rémunérer le gérant sur la base de tous les revenus perçus par K-Maro pour l'exploitation de ses talents artistiques.  Ceci exclut les revenus reliés au métier de producteur.

[86]      Les revenus bruts provenant de Warner représentent 23 % du prix de gros de la vente de disques.  Si la part de l'artiste, telle qu'établie par l'expert Rodrigue, est de 10 % du prix de gros, ceci représente 43.48 % des revenus perçus par K-Pone. L’artiste devrait donc se voir attribuer 43.48 % des revenus de K-Pone provenant de l’album La Good Life sauf à déduire tout abattement applicable tel que discuté ci-après.

D.    L'abattement

[87]      Les ventes en France représentent la grande majorité des revenus de K-Maro.

[88]      Or, suivant le témoignage de l'expert Rodrigue lorsqu'un artiste québécois est distribué en France, le producteur de cet artiste lui impute un abattement, une réduction de ses redevances vu les efforts de commercialisation plus importants pour les produits vendus à l'étranger.  Le maintien d’une relation à distance avec la maison de disque commande une plus grande part pour le producteur.

[89]      K-Maro confirme que lorsqu'il produit des artistes canadiens et qu'il signe ceux-ci avec une maison de disque française, il leur applique un abattement de 50 % sur les revenus de la France même si lui, à titre de producteur, n'a pas cet abattement de la part de la maison de disques.  Cette preuve est non contredite.

[90]      En appliquant ces usages, K-Pone soutient que K-Maro n'a droit qu'à 21,74 % de l’ensemble des revenus bruts perçus par K-Pone, car elle applique un abattement de 50 %.  Le résultat net fait en sorte que K-Maro ne perçoit plus que 5 % du prix de gros au lieu de 10 %.

[91]      Suivant M. Rodrigue, le régime d'abattement est différent selon que l'on est en France ou au Canada.  Dans un cas, il est appliqué en réduction des royautés dues à l'artiste, dans l'autre cas il est appliqué en réduction du prix de gros.  Dans les deux cas, le résultat est le même, la royauté de l'artiste est réduite de 50 %.

[92]      Toujours suivant M. Rodrigue, il est de connaissance universelle dans l'industrie de la musique que les ventes à l'étranger ont généralement un abattement de 50 % de la redevance.  Une redevance d’artiste de 21.74 % des revenus bruts de K-Pone sur les ventes à l'étranger rencontrerait donc les normes de l'industrie.

[93]      RAAMS soulève que le producteur K-Pone lui, ne s'est pas vu imposer d'abattement par Warner. Pour quelle raison alors, serait-il acceptable que le producteur en impose une à son artiste?

[94]      Il s'agit en fait de deux relations distinctes.  La maison de disques considère son territoire d'origine pour établir un abattement et le producteur fait de même.  Comme ceux-ci peuvent avoir deux territoires d'origine distincts, il peut arriver qu'un abattement soit imposé au producteur par la maison de disque, mais non à l'artiste et vice versa.

[95]      La maison de disques Warner traite les ventes en France comme des ventes locales donc sans abattement pour le producteur.  Par ailleurs, K-Pone, dans l'attribution des redevances qui reviennent à K-Maro, situe la résidence de ce dernier au Québec et le traite comme un artiste étranger en France.  Elle réduit de moitié la redevance qu'elle paie à l’artiste suivant le même principe qu’elle applique à d'autres artistes dans la même situation.

[96]      Reste la situation particulière de la distribution par Warner au Canada.  Warner applique un abattement au producteur à titre de produit distribué à l'étranger.  Le producteur K-Pone applique lui aussi à son artiste K-Maro, un abattement de 50 % puisqu'il s'agit toujours de la maison de disques étrangère qui commercialise «  La Good Life  » même s'il s'agit du pays de résidence de l’artiste.

[97]      RAAMS s’inscrit en faux arguant qu’on ne peut être étranger dans tous les pays y compris dans son propre pays de résidence. 

[98]      RAAMS soulève que toute cette question d’abattement est arbitraire.  Malheureusement pour elle, elle n'apporte aucune preuve à cet égard.  Aucun contrat n'est présenté, aucun artiste n'est entendu, aucun producteur ou expert ne vient témoigner pour contredire la preuve de M. Rodrigue ou de K-Maro.

[99]      S'il est clair que les ventes hors Canada se voient appliquer un abattement de 50 %, celles faites au Canada par une maison de disque étrangère ne sont pas spécifiquement mentionnées au rapport de M. Rodrigue.  En ré-interrogatoire, il confirme toutefois la pratique.

[100]   Les ventes au Canada sont minimes.  Suivant que l'on applique ou non l'abattement de 50 % pour les ventes au Canada de l'album « La Good Life », la différence sur la commission payable serait de 509,92 $. Le Tribunal admet l'abattement de 50 % pour les ventes au Canada.  Toutefois, même si ce n'était pas le cas, vu le compte déjà rendu, aucune somme additionnelle ne serait due.

[101]    En conclusion, un abattement de 50 % doit s’appliquer sur les revenus de K-Maro pour la commercialisation de son album « La Good Life » par Warner en France ou ailleurs.  Le calcul de la quote-part de l'artiste sur les revenus bruts de K-Pone s'établit donc à 21,74 % pour l'enregistrement «  La Good Life  ».

E.    L'établissement du quantum

[102]   Suivant l'analyse du Tribunal, les revenus de l'artiste et commissions dues au gérant se calculent comme suit:

Nature du revenu brut

Montant en dollar cdn

Part de l'artiste

Abattements et Commission

Montant dû

Redevances perçues sur les ventes d’enregistrements avec Warner 

 

1 690 921,79$ [9]

x21.74% x20 %

73 521,28 $

SOCAN

 

1re   année : 20 %

2 e  année : 15 %

3 année : 5 %

12 029,42 $ [10]

Sodrac

 

1re   année : 20 %

2 e  année : 15 %

3 année : 5 %

20 512,94 $

Concerts

 

 

16 132,73 $

Total

 

 

122 196,36 $

[103]   Le total ci-dessus est établi hors taxes. 

F.     Les dépens

[104]   Dans sa plaidoirie, le procureur de K-Maro a suggéré au Tribunal de ne pas condamner son client aux dépens puisque le compte rendu est sensiblement correct et n'eut été de l'erreur par laquelle une somme plus importante fut attribuée au gérant, il aurait été conforme.

[105]   Le Tribunal n'est pas entièrement de cet avis.  Les pièces fournies à l'appui du compte rendu ne permettaient pas à la partie demanderesse d'établir la complète conformité du compte rendu [11] .  Malheureusement pour elle, RAAMS n'a pas profité du débat pour faire plus ample preuve.

[106]   Le processus sur les débats et soutènements a été causé en partie par l'absence de pièces justificatives, mais aussi en grande partie par l’incompréhension des documents déposés et la méfiance de RAAMS à l’égard de ce qui était rapporté.  Une rencontre entre les procureurs aurait pu éviter le long débat en Cour. 

[107]   Un simple subpoena duces tecum aurait pu permettre d’étayer ou réfuter la position de RAAMS.  L'absence de preuve par RAAMS et l'expédition de pêche sans succès à laquelle elle s'est livrée pendant l'audience est apparue au Tribunal comme une perte de temps.

[108]   La preuve démontre que K-Maro a omis de rapporter les revenus de 18 jours en juillet 2007.  Il s’agit de sommes minimes, mais auxquelles RAAMS a droit.  Il n’était pas utile d’utiliser quatre journées d’audience pour en arriver à ce résultat.

[109]   Le réel débat consistait à définir la base d’établissement des revenus bruts de K-Maro.  Les arguments de RAAMS à ce sujet n'ont pas été retenus.

[110]   Bref, chaque partie a des torts à l’égard de l’établissement des sommes dues.  Pour cette raison, chaque partie assumera ses propres frais.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[111]   REJETTE la contestation du compte par la demanderesse;

[112]   DÉCLARE que le montant des commissions dues par le défendeur à la demanderesse s'établit à 122 196,36 $ plus les taxes applicables s'il y a lieu;

[113]   SANS FRAIS.

 

 

 

__________________________________

PIERRE NOLLET, J.C.S.

 

 

Me Pierre Zeppettini

Procureur de la demanderesse

 

Me Louis Charles Landreville

Procureur du défendeur

 

 

 

 

Date d'audition

7 au 10 juin 2011

 



[1] Regent Artistic & Athletic Management Services inc.  (RAAMS) c. Kamar , 2009 QCCS 565 .

[2] Sierra Club du Canada c. Canada [2002] 2 R.C.S. 522 .

[3] Pièce R-2.

[4] Article 5 de la pièce R-2

[5] Paragraphe 9b) de la pièce R-2.

[6] Kamar c. Regent Artistic & Athletic Management Services Inc. , 2011 QCCA 2287

[7]     Référence omise

[8] Tant pour la Socan que la Sodrac, les parties ont toutes deux soumis des calculs sur la base d'une commission de 5% pour la troisième année.

[9] Ce montant est basé sur la conversion des devises suivant un taux de change non contesté et la déduction de la réserve retenue par Warner en juin 2007.

[10] Les légères modifications aux revenus de la Sodrac et de la Socan proviennent de l'ajout de 18 jours en juillet 2007 pour lesquels aucun revenu n'avait été attribué lors de la reddition de compte.

[11] Art. 1363 C.c.Q.