TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N o de dépôt :

2012-0448

 

Date : 11 novembre 2011

 

 

Devant l’arbitre : M e Jean Gauvin, avocat

 

 

FRATERNITÉ NATIONALE DES FORESTIERS ET TRAVAILLEURS D’USINE, SECTION LOCALE 299 (SCEP)

ci-après appelée « LE SYNDICAT »

-et-

 

LES INDUSTRIES DE LA RIVE-SUD LTÉE

ci-après appelées « L’EMPLOYEUR »

Grief n o  :                                          B-09281

Plaignante :                                    M me Martine Robitaille

Convention collective :               2009-2012

Date de l’avis de grief :               4 mai 2010

Date de l’audience :                     18 octobre 2011

Date de la décision arbitrale :   11 novembre 2011

Procureur du Syndicat :             M. Louis-Jean Chevry

Procureur de l’Employeur :       M e Jean Poudrier

N/D :                                                645-1536-G/10

_________________________________________________________________________

 

DÉCISION ARBITRALE

_________________________________________________________________________

I-          LA PROBLÉMATIQUE

[1]            Par son grief logé le 4 mai 2010 (pièce S-2), la plaignante demande l’annulation de la suspension d’une durée de un jour qui lui a été imposée le 3 mai 2010, le retrait de cette mesure disciplinaire de son dossier d’employée et le remboursement des sommes perdues en conséquence de cette suspension.

[2]            De son côté, l’Employeur prétend que cette suspension est justifiée, la plaignante ayant refusé le 29 avril 2010 d’être affectée à l’équipement auquel sa présence était requise et ayant alors quitté son travail sans autorisation et sans raison valable plutôt que d’obéir et d’acquiescer à la demande de son supérieur.

[3]            Il s’agit donc de déterminer si, compte tenu des faits qui auront été établis de façon prépondérante par la preuve présentée à l’audience, cette mesure disciplinaire est justifiée et, le cas échéant, si son quantum respecte le principe de la gradation des sanctions.

II-         ADMISSIONS D’USAGE

[4]            Dès le début de l’audience, les parties admettent que la procédure de règlement des griefs a été respectée, que ma nomination est conforme à la loi et que j’ai la compétence juridictionnelle requise pour entendre le présent litige et en disposer.

III-        LES FAITS

[5]            L’Employeur, qui a ici le fardeau de la preuve, a fait entendre M. François Arsenault, superviseur de production. De son côté, le Syndicat a fait témoigner M me  Martine Robitaille, la plaignante, et M me  Odile Hébert, journalière et présidente du Syndicat local. Les faits pertinents mis en preuve par ces témoignages et les pièces produites de consentement à l’audience sont ci-après résumés.

[6]            M. François Arsenault est superviseur de soir à l’usine de l’Employeur située à Ste-Croix (Lotbinière), usine qui compte quelque 200 employés et qui en est une de fabrication de meubles.

[7]            Le soir, il s’y fait notamment du laminage, du débitage, du placage, du perçage, du machinage, de l’emballage et de l’expédition.

[8]            La plaignante est une employée de soir au débitage où elle opère une scie Holzma 1 qui en est une assez grosse et qui sert à couper de grands panneaux venant du laminage, selon les plans de coupe prévus en fonction des types de production déterminés par le département de planification.

[9]            La Holzma 1 se distingue de la Holzma 2 en ce que la 1 est surtout utilisée pour effectuer du « 1 côté » alors que la 2 sert surtout à faire du « 2 côtés ».

[10]         Le 29 avril 2010, compte tenu de la production qui a été faite durant le quart de jour, l’équipe de production dont M. Arsenault fait partie avec les contremaîtres décide, avant que ne débute à 16 h le quart de soir, du travail qui sera effectué durant ce quart.

[11]         Cette décision a notamment pour effet que la scie Holzma 1 ne sera pas opérée parce qu’il n’y aura pas de production requérant son utilisation durant son quart de travail et la plaignante est alors jumelée de 16 h à 18 h à l’opérateur de la scie Cross cut Holzma pour y parfaire sa formation sur ce type de scie, l’Employeur visant à ce que ses employés puissent opérer plusieurs machines de leur département, donc, au débitage, tous les types de scie.

[12]         À 18 h, la plaignante est affectée, selon la planification déterminée pour son quart de travail, au machinage, les seuls salariés requis au débitage, MM. André Forest et Michel Daigle, ayant plus d’ancienneté qu’elle.

[13]         Vers 19 h 30, la plaignante conteste le fait qu’elle est affectée au machinage et veut être envoyée ailleurs dans l’entreprise y remplacer une personne ayant moins d’ancienneté qu’elle.

[14]         Cette demande est alors refusée pour le moment étant donné que la clause 13.05 de la convention collective, en matière d’affectations temporaires, prévoit que le quart de travail est divisé en deux parties de cinq heures chacune et que ce n’est qu’à compter de la deuxième partie, soit à partir de 21 h, que l’employé est en droit de déplacer, selon les besoins de production, un employé ayant moins d’ancienneté que lui.

[15]         La plaignante demande aussitôt de rencontrer son délégué syndical, ce qui lui est accordé illico, et elle s’entretient ainsi brièvement avec celui-ci, en l’occurrence M. Christian Demers.

[16]         À l’issue de cet entretien, elle vient les informer, M. François Arsenault, son superviseur, et M. Michel Lemay, son contremaître, qu’elle quitte son quart de travail et qu’elle rentre chez elle, et ce, pour raisons personnelles.

[17]         Lorsque MM. Arsenault et Lemay lui demandent quelles sont ses raisons, elle leur répète qu’elles sont personnelles, et lorsque ceux-ci lui disent que ce n’est pas suffisant et que cela constitue plutôt un refus de travail, elle ne leur répond pas davantage et quitte quand même, alors qu’il n’est qu’environ 19 h 45, ce qui les oblige à modifier quelque peu la planification déterminée avant le début du quart de travail, notamment au machinage.

[18]         Ce comportement de la plaignante fait l’objet d’un rapport (pièce E-1) que M. François Arsenault rédige aussitôt le même soir et qu’il remet au département des Ressources humaines.

[19]         Le 3 mai 2010, vers 20 h 30, la plaignante, assistée de M me  Silvy Feeney, représentante syndicale, est rencontrée par MM. Arsenault et Lemay, et il lui est alors remis dans une enveloppe non cachetée, avec copie à M me  Feeney, un avis disciplinaire lui imposant une suspension d’une journée pour son comportement du 29 avril 2010 (pièce S-3), lettre dont elle refuse de prendre connaissance mais dont M me  Feeney lit en silence, pour elle-même, le contenu de la copie qui lui en a été remise.

[20]         Au cours de cette rencontre, la plaignante réagit en disant qu’elle ne comprend pas qu’on la rencontre, qu’elle ne s’est pas comportée de façon fautive le 29 avril 2010 et que le contenu de la lettre que lit M me  Feeney, bien que celle-ci le fasse en silence et non à haute et intelligible voix, n’est que mensonges du contremaître Lemay.

[21]         De plus, selon le témoin Arsenault, elle en veut à M. Lemay qu’elle blâme avec arrogance de ce qui lui arrive, ce qui amène M me  Feeney à interrompre sa lecture pour inviter la plaignante à se calmer mais sans que cela n’empêche toutefois celle-ci de continuer à quelques reprises d’accuser M. Lemay de mensonges.

[22]         À la fin de sa lecture, M me  Feeney leur demande un moment pour avoir une conversation privée avec la plaignante. Ils se sont alors éloignés puis ont quitté le lieu de la réunion. Peu de temps après, M me  Feeney et la plaignante ont fait de même et sont retournées à leur poste de travail. Le lendemain, soit le 4 mai 2010, M. Arsenault a fait un rapport écrit (pièce E-2) au département des Ressources humaines de cette rencontre et du comportement de la plaignante durant celle-ci.

[23]         En contre-interrogatoire, M. Arsenault précise que lors du quart de soir, certaines des scies ne sont pas opérées; que les manutentionnaires sont appelés à aller d’un département à l’autre selon les besoins de manutention; que cette fonction n’a pas été offerte à la plaignante durant la première partie du quart du soir du 29 avril 2010 car il y avait déjà un employé de ce poste à cette fonction; que la sanction disciplinaire imposée le 3 mai 2010 pour cet incident du 29 avril 2010 respecte le principe de la gradation des sanctions, ce que le témoin expliquera en réinterrogatoire en faisant référence à des avertissements verbaux auparavant adressés à la plaignante quelques jours plus tôt, soit le 26 avril 2010.

[24]         De son côté, au cours de son témoignage à l’audience, la plaignante mentionne qu’alors qu’elle est affectée au machinage le 29 avril 2010, un employé ayant moins d’ancienneté qu’elle est arrivé au débitage pour y faire de la manutention, et que lorsqu’elle a demandé à son contremaître, M. Michel Lemay, d’être affectée à ce travail, ce dernier a refusé.

[25]         Elle déclare qu’elle a alors trouvé injuste ce qui lui arrivait, que cela lui a causé une migraine et que c’est pour cela qu’elle a décidé de partir.

[26]         Elle confirme ne pas avoir toutefois précisé à ses supérieurs quelles étaient alors les raisons personnelles qu’elle leur a alléguées pour justifier son départ et ajoute ne pas être allée à une clinique chercher une attestation médicale qui aurait rendu plausible le motif maintenant invoqué.

[27]         Elle nie les avertissements verbaux du 26 avril 2010, précise avoir déjà été manutentionnaire et déclare être rentrée au travail le 3 mai 2010 et avoir trouvé injuste d’être convoquée en discipline et de se faire remettre une lettre de suspension.

[28]         En contre-interrogatoire, la plaignante reconnaît que le manutentionnaire en cause transportait ce soir-là du débitage et que celui-ci agissait alors dans le cadre de sa fonction régulière, celle d’un salarié de relève.

[29]         Elle ne se souvient pas d’un incident survenu le 26 avril 2010, à 2 h 30, en l’occurrence d’avoir quitté son poste et d’avoir alors été avertie par M. Michel Lemay, son contremaître, de rester à son poste, ce que tend pourtant à confirmer le rapport (pièce E-3) fait à l’époque par ce dernier à la Direction des ressources humaines, rapport qui se lit comme suit :

« Salut Annie

Lundi soir le 26-04-2010 à 2 h 30 avertissement faite à Martine Robitaille pour retourner à sont poste de travail.

Martine et venu me voir pour me dire de laisser sont frère tranquille avec les Billet d’absence, je lui ais dis que je fais ma job et que toi ta paire du temps à courir Après moi pour me dire sa, c’est alors que je lui et demander de retourner à sont poste de travail.

Bye

Michel Lemay

Contremaître » (sic)

[30]         M me  Odile Hébert, présidente du Syndicat et journalière chez l’Employeur, affirme qu’il y a des manutentionnaires dans chaque département puisqu’il y a de la manutention à effectuer tant dans l’usine 1 que dans l’usine 2 et que la distance entre ces deux usines ne permet pas aux manutentionnaires de se déplacer d’une usine à l’autre.

[31]         Elle déclare que le salarié que la plaignante voulait déplacer le 29 avril 2010 n’en était pas un qui détenait un poste de manutentionnaire mais qu’il était un salarié de relève ainsi appelé à remplacer partout selon les besoins et ses capacités de faire le travail, ne détenant aucun poste particulier et qui n’est resté à l’emploi de l’Employeur que quelque six mois.

[32]         Elle souligne qu’il n’y a pas comme tel un département de manutentionnaires, mais une fonction dont les titulaires d’un tel poste travaillent au débitage ou au perçage.

[33]         En contre-interrogatoire, elle reconnaît que le salarié de relève est affecté à des remplacements de salariés absents pour une semaine et plus. Quant aux termes « département » et « fonction », ils sont prévus et définis aux clauses 2 h) et 2 i) de la convention collective.

IV-       L’ARGUMENTATION

•           Position patronale

[34]         Dans un premier temps, le procureur patronal fait valoir que l’Employeur s’est acquitté de son fardeau de preuve car tous les éléments constituant la faute reprochée à la plaignante ont été prouvés et, en l’espèce, qu’une suspension d’une journée respecte par ailleurs le principe de la gradation des sanctions.

[35]         En effet, le 29 avril 2010, faute de travail à lui confier dans la fonction de son poste, ses supérieurs l’ont affectée à un autre poste de son département pour qu’elle y complète sa formation, puis une fois la durée de cette affectation terminée, à une deuxième affectation, cette fois dans un autre département, et ce, conformément à l’article 13.05 de la convention collective, faute d’autres tâches disponibles dans son département, d’une part, et faute de pouvoir supplanter avant la deuxième partie de son quart de travail un salarié d’un autre département ayant moins d’ancienneté qu’elle, d’autre part.

[36]         Dans un deuxième temps, il soumet que la plaignante a contrevenu à la règle “obey now, grieve later” sans pouvoir invoquer un des cas où la doctrine et la jurisprudence autorisent un salarié à ne pas se conformer à l’ordre reçu car elle a quitté son travail sans préciser le motif de son départ et malgré l’objection de ses supérieurs, et il cite au soutien de l’application en l’espèce de cette règle les décisions arbitrales suivantes :

-          Décision arbitrale rendue par M e  Bernard Bastien, le 8 septembre 1998, dans l’affaire Bridgestone/Firestone Canada Inc. -et- Syndicat des travailleuses et travailleurs Bridgestone (Firestone) de Joliette (CSN) , rapportée à DET 98T-1218;

-          Décision arbitrale rendue par M e  Jean-Louis Dubé, le 26 février 2007, dans l’affaire Syndicat des travailleurs de Sintra inc., région Métropole (CSN) -et- Sintra inc. (région Métropole) , rapportée à DTE 2007T-278 ;

-          Décision arbitrale rendue par M e Diane Veilleux, le 15 janvier 1998, dans l’affaire Métallurgistes unis d’Amérique, section locale 7722 -et- Témisko (1983) inc. , rapporté à DTE 98T-440 ;

-          Décision arbitrale rendue par M. Jean Vézina, le 25 mai 2004, dans l’affaire Travailleuses et travailleurs unis de l’alimentation et du commerce, section locale 500 -et- Niedner  l tée , rapportée à DTE 2004T-799 ;

-          Décision arbitrale rendue par un tribunal présidé par M. Viateur Larouche, le 3 juillet 2001, dans l’affaire Centre jeunesse de l’Estrie -et- Association des employés du Relais St-François (CEQ) , rapportée à DTE 2001T-1042 ;

-          Décision arbitrale rendue par M e  Jean-Guy Ménard, le 29 janvier 2008, dans l’affaire Fraternité des policières et policiers de Joliette inc. -et- Régie inter-municipale de police de la région de Joliette , rapportée à DTE 2008T-188 .

[37]         Dans un troisième temps, il souligne que la plaignante a aggravé son cas par son attitude lors de la rencontre du 3 mai 2010, choisissant d’insulter son contremaître plutôt que de manifester une attitude respectueuse et de tenir des propos conciliants, et il me réfère sur ce point aux décisions ci-après citées :

-          Décision arbitrale rendue par M e  Huguette Gagnon, le 4 mars 2005, dans l’affaire Fraternité nationale des forestiers et travailleurs d’usine, section locale 299 -et- Industries de la Rive-Sud ltée / Southshore Industries Limited (grief : André Forest) , non rapportée;

-          Décision arbitrale rendue par M e  Nicolas Cliche, le 24 février 2000, dans l’affaire Métallurgistes unis d’Amérique, section locale 5778/6869 -et- Compagnie minière Québec Cartier , rapportée à SA 00-02037.

[38]         Enfin, il plaide que le témoignage du superviseur, quant aux faits reprochés les 26 et 29 avril 2010 et aux insultes proférées le 3 mai 2010, est corroboré par les pièces E-1, E-2 et E-3, alors que les dénégations de la plaignante ne sont pas corroborées et ne sont aucunement crédibles, puis au soutien du devoir de réserve de l’arbitre, lorsqu’il s’agit d’apprécier la façon dont l’Employeur a exercé son pouvoir disciplinaire, il invoque les décisions arbitrales suivantes :

-          Décision arbitrale rendue par M e  Nicolas Cliche, le 18 février 1988, dans l’affaire Bombardier inc. -et- Syndicat des employés de Bombardier La Pocatière (CSN) , rapportée à 1988T.A.766;

-          Décision arbitrale rendue par M e  Guy Dulude, le 28 février 1989, dans l’affaire Mines Sigma (Québec) -et- Syndicat des employés des Mines Sigma (Québec) ltée , rapportée à DTE 89T-697 ;

-          Décision arbitrale rendue par M e  Nicolas Cliche, le 15 mars 1989, dans l’affaire Papeterie Reed ltée -et- Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d’Amérique, local 2817 , rapportée à DTE 89T-696 .

•           Position syndicale

[39]         Le procureur syndical dépose tout d’abord deux décisions arbitrales, l’une rendue par M e  Claude Lauzon, le 17 septembre 1998, dans l’affaire Consoltex inc. -et- Syndicat du vêtement, du textile et autres industries, section locale 1693 , rapportée à DTE 98T-1237 , l’autre, par M e  Léonce Roy, le 14 septembre 2001, dans l’affaire Syndicat des travailleuses et travailleurs de Papiers Perkins ltée, Laval (S.T.T.S.-C.S.N.) -et- Papiers Perkins ltée, Division Laval , rapportée à DTE 2001T-1085 , puis un extrait de la monographie 13 des auteurs Claude D’Aoust, Louis Leclerc et Gilles Trudeau, intitulée « Les mesures disciplinaires : Étude jurisprudentielle et doctrinale », à la page 327.

[40]         Ceci fait, il plaide ensuite, d’une part, que la plaignante a crié à l’injustice par conviction que le deuxième paragraphe de la clause 13.05 s’appliquait à sa situation, puisque le salarié qu’elle voulait supplanter effectuait de la manutention dans le département de débitage, donc qu’il était ipso facto un salarié de ce département, et qu’il avait moins d’ancienneté qu’elle; d’autre part, que la mesure disciplinaire imposée ne devrait pas prendre en compte l’avis verbal du 26 avril 2010 puisque la lettre de suspension du 3 mai 2010 n’en fait pas mention.

•           Réplique patronale

[41]         Selon le procureur patronal, la manutention n’est pas une fonction ou un poste du département de débitage et le salarié de relève affecté à cette fonction y était pour au moins une semaine.

[42]         En outre, en aucun temps le délégué syndical ne s’est opposé à ce que, en l’absence de travail disponible dans son département, la plaignante soit affectée au département de machinage.

[43]         Quant aux autorités syndicales, elles ne sont aucunement pertinentes, la première, parce qu’il s’agit d’un cas où l’Employeur n’avait pas réussi à s’acquitter de son fardeau de preuve, la deuxième, parce qu’il s’agit d’une désobéissance à un ordre que l’Employeur n’avait pas le pouvoir de donner, qui était conséquemment invalide, qui constituait dès lors un abus de pouvoir, bref, que désobéir à un tel ordre ne pouvait ainsi constituer de l’insubordination.

V-        MOTIFS ET DÉCISION

[44]         L’Employeur avait le fardeau de la preuve quant à la commission d’une faute par la plaignante durant son quart de travail et il s’en est acquitté au plus haut point.

[45]         En effet, non seulement la plaignante a quitté son quart de travail vers 19 h 45, sans autorisation et malgré les objections de ses supérieurs, en raison de son affectation au département de machinage mais en prétextant alors des raisons personnelles, mais elle a refusé de les leur préciser malgré leurs exhortations à ce sujet et leur mise en garde contre les conséquences de son comportement.

[46]         Il s’en est donc suivi de sa part une violation de la règle “obey now, grieve later”, puisque les seuls cas où un employé peut refuser d’obtempérer à un ordre reçu sont les suivants :

a)         lorsque l’ordre met en danger la santé ou la sécurité du salarié;

b)         lorsque l’ordre est contraire à une disposition claire de la convention collective;

c)         lorsque l’ordre donné est invalide parce que, non autorisé par les droits de direction que la convention collective reconnaît à l’Employeur, il constitue alors un abus de pouvoir, une décision arbitraire ou une conduite discriminatoire.

[47]         C’est ce que reconnaissent du reste les décisions arbitrales suivantes citées par le procureur patronal et mentionnées sous le paragraphe [36] de la présente décision.

[48]         En l’espèce, l’ordre de l’Employeur était clair, raisonnable et autorisé par la clause 13.05 de la convention collective puisque la preuve a démontré que durant cette première partie de son quart de travail, à compter de 18 h, il n’y avait aucune tâche disponible à laquelle la plaignante aurait pu être affectée dans son département, la tâche de manutentionnaire n’étant pas une fonction ou un poste du département de débitage, mais la fonction d’un poste dont les titulaires ou les salariés de relève qui les remplacent sont appelés à être affectés partout où l’exercice de cette fonction est requise.

[49]         La plaignante n’était donc pas dans une situation où elle pouvait refuser d’obéir : elle devait demeurer au département du machinage, quitte à loger un grief si tant est qu’elle se croyait victime d’un ordre non valide, ce qui ne paraît toutefois pas avoir été l’avis de son délégué syndical puisque celui-ci, après avoir été consulté par la plaignante, n’a pas cru bon d’intervenir auprès des supérieurs François Arsenault et Michel Lemay pour contester l’affectation de cette dernière au machinage.

[50]         Quant au témoignage rendu par la plaignante à l’audience, à l’effet que ses raisons personnelles étaient une migraine lui ayant résulté de l’injustice ressentie à l’occasion de cette affectation et du refus de l’Employeur de lui permettre de supplanter dans une autre fonction un salarié ayant moins d’ancienneté qu’elle, je n’y accorde aucune crédibilité, et ce, pour les motifs suivants :

1)         Si tel était le vrai motif de son départ, il était de son devoir et de sa responsabilité de le divulguer à ses supérieurs au lieu de le leur cacher sous la vague réponse « raisons personnelles ».

2)         En ne le leur divulguant pas, elle privait ainsi ses supérieurs de leur droit d’apprécier la vraisemblance de ce motif et, en cas de doute, de prendre les moyens requis pour en apprécier la véracité.

3)         Son témoignage à ce sujet n’a aucunement été corroboré et, malgré l’opposition de ses supérieurs à ce qu’elle quitte son quart de travail et les conséquences de ce départ contre lesquelles ils l’ont alors mise en garde, elle n’a en aucun temps soumis une attestation médicale confirmant que sa prétendue migraine aurait été telle qu’elle l’aurait empêchée de poursuivre son quart de travail au machinage.

4)         Or, lorsqu’il est prouvé qu’un salarié a quitté son quart de travail sans autorisation, il incombe à ce salarié de se justifier par une raison valable et d’en établir la véracité par une preuve crédible prépondérante, ce que ne constitue pas la prétendue migraine alléguée à l’audience pour la première fois par la plaignante et jusqu’alors cachée par cette dernière à son Employeur.

[51]         Ceci étant dit, il reste à déterminer si la mesure disciplinaire imposée à la plaignante respecte les critères élaborés par la doctrine et la jurisprudence en la matière.

[52]         À ce sujet, il importe de rappeler que l’arbitre appelé à réviser une mesure disciplinaire doit le faire avec réserve, qu’il ne lui appartient pas de faire preuve de clémence ou d’indulgence et qu’il ne doit intervenir que lorsqu’il y a une disproportion flagrante entre le geste ou l’acte reproché et la sanction imposée.

[53]         Au fait, à moins qu’il ne constate une insuffisance de cause, une décision arbitraire ou discriminatoire ou un déni de justice, l’arbitre ne saurait raisonnablement remplacer les critères de sévérité ou d’aménité de l’Employeur par les siens et ainsi modifier la sanction imposée en l’augmentant ou en la diminuant.

[54]         C’est effectivement ce qui ressort des trois décisions arbitrales que le procureur patronal a invoquées sur ce point en argumentation et qui sont mentionnées à la fin du paragraphe [38] de la présente décision.

[55]         Or, en l’espèce, la sanction imposée consiste en une suspension d’une journée, alors que la preuve a révélé que le geste d’insubordination de la plaignante, en plus d’avoir privé son Employeur de sa prestation de travail durant environ huit heures et demie, a alors obligé ses supérieurs à modifier quelque peu la planification déterminée avant le début du quart de travail en cause pour le département du machinage.

[56]         L’Employeur a également mis en preuve que quelques jours auparavant la plaignante avait également fait preuve d’indiscipline, ce qui lui avait valu à tout le moins un avertissement verbal de son contremaître, puis qu’au cours de la rencontre du 3 mai 2010 à laquelle sa lettre de suspension lui a été remise, elle avait fait preuve d’arrogance et insulté son contremaître.

[57]         Bien que, comme le procureur syndical l’a souligné dans son argumentation, il ne s’agit pas de faits qui sont allégués dans l’avis disciplinaire du 3 mai 2010, et pour cause dans le cas de ceux survenus ce 3 mai, d’une part, il n’est pas nécessaire d’alléguer dans la mesure disciplinaire les faits qui font en sorte que celle-ci respecte le principe de la gradation des sanctions; d’autre part, il est certain que les faits survenus le 3 mai ne font pas partie de ceux qui pourraient être de nature à justifier une intervention de l’arbitre au niveau du quantum de la sanction imposée.

[58]         Dès lors, il est manifeste que je n’ai aucune justification pour intervenir, la décision de l’Employeur n’étant affectée d’aucune des irrégularités qui m’autoriseraient à le faire tant au plan de la preuve des faits reprochés qu’à celui de la sanction imposée.

[59]         POUR TOUS CES MOTIFS, le grief est rejeté.

 

Québec, ce 11 novembre 2011.

 

 

 

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M e JEAN GAUVIN, avocat

Arbitre de griefs