Gentile et 9170-4361 Québec inc. (Villa de la Châtelaine) |
2012 QCCSST 25 |
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COMMISSION DE LA SANTÉ
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Direction régionale de l’île-de-Montréal 3 |
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N o Plainte : |
MTL11-472 |
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Décision rendue à Montréal le : |
9 février 2012 |
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DEVANT LE CONCILIATEUR-DÉCIDEUR : |
Christyne St-Laurent |
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Travailleur : |
Myriam Gentile |
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Employeur : |
9170-4361 Québec inc. (Villa de la Châtelaine) |
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DÉCISION |
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[1]
Le 4 octobre 2011, la travailleuse dépose une plainte à la Commission de la santé et sécurité au travail (CSST) en vertu de l’article
[2] À l’audience qui s’est tenue à Montréal le 10 janvier 2012, les parties étaient présentes et la travailleuse était représentée par un procureur.
ADMISSIONS
[3] D’entrée de jeu, l’employeur procède à l’admission de l’ensemble des conditions d’ouverture, soit :
3.1. Que la plaignante est une travailleuse au sens de la loi;
3.2. Qu’elle a déposé sa plainte dans le délai prescrit par la loi;
3.3. Qu’elle n’a pas déposé de grief;
3.4. Qu’il y a eu mesure soit un congédiement;
3.5. Qu’il y a eu l’exercice d’un droit soit celui de retrait préventif.
LES FAITS
[4] Le 21 juillet 2011, la travailleuse est embauchée par l’employeur à titre de préposée aux bénéficiaires. Son horaire de travail est un sept jours/quinzaine, c’est-à-dire une semaine de travail de 24 heures et une semaine de travail de 32 heures. Il s’agit d’un poste de soir et le salaire est de 10,50$ de l’heure.
[5] Le 26 septembre 2011, la travailleuse est congédiée.
[6] Madame Louise Sévigny, directrice chez l’employeur, témoigne que quelques semaines après l’embauche de la travailleuse, différents problèmes surviennent.
[7] Elle rapporte une situation où la travailleuse fait visiter la résidence à sa mère alors que cela est interdit.
[8] À cet effet, elle dépose en preuve le résumé d’un avis verbal donné à la travailleuse le 24 août 2011. À la fin du résumé, il y est mentionné l’interdiction de faire visiter la villa à sa mère ou autres personnes. De plus, on peut y lire que l’employée fera l’objet d’un congédiement si elle ne satisfait pas aux exigences.
[9] La travailleuse atteste de l’avis verbal du 24 août 2011. Elle souligne cependant que la possibilité d’un congédiement n’a pas été abordée lors de l’entretien. Elle précise ne pas avoir reçu copie du résumé de celui-ci.
[10] Madame Sévigny poursuit et soumet que des membres de l’équipe se plaignent de l’attitude de la travailleuse. On lui rapporte qu’elle ne suit pas les directives de travail et qu’elle accepte difficilement les recommandations de ses collègues.
[11] Madame Sévigny indique que lorsqu’elle reçoit ces plaintes, elle intervient auprès de la travailleuse. Elle souligne que lors de ces interventions, elle est à même de juger de l’attitude rébarbative de la travailleuse puisque celle-ci argumente.
[12] À ce sujet, elle rapporte un incident impliquant la travailleuse, sa co-équipière et la cuisinière. Elle relate que la cuisinière a pour habitude de donner les restes de nourriture aux préposées. Elle mentionne que cela n’a jamais causé de problèmes jusqu’au moment où la travailleuse se plaint que sa co-équipière reçoit plus de restes qu’elle.
[13] Madame Sévigny soutient que la situation dégénère au point où elle doit mettre fin à cette pratique pourtant instaurée depuis longtemps. Elle souligne que la travailleuse argumente alors sa décision et revient à la charge à plusieurs reprises.
[14] À ce sujet, la travailleuse soumet que lors de l’événement en question, sa co-équipière prend la portion entière de nourriture. Elle ajoute s’être plainte à madame Manon Gravel, préposée en chef, qui lui répond que sa co-équipière a plus d’ancienneté. Elle avise alors madame Sévigny qui abolit la pratique.
[15] La travailleuse souligne qu’elle ne considère pas cela comme un incident et qu’en fait ce n’est rien du tout.
[16] Madame Sévigny poursuit son témoignage et relate une altercation survenue entre la travailleuse et sa co-équipière sur les lieux du travail. Elle souligne qu’il est inacceptable que les résidents puissent être témoins de ce genre de dispute. Elle rapporte avoir alors rencontré les deux co-équipières et avoir abordé la possibilité d’un congédiement avec la travailleuse. Celle-ci aurait plaidé qu’elle se retrouverait dans l’embarras financièrement.
[17] Elle ajoute que durant les deux mois d’embauche de la travailleuse, la possibilité d’un congédiement a été présagée plus d’une fois.
[18] À ce sujet, la travailleuse soutient que la possibilité d’un congédiement n’a été abordée qu’une seule fois par sa directrice, soit à la suite de l’altercation survenue entre elle et sa co-équipière. Elle ajoute que tout est ensuite rentré dans l’ordre.
[19] Madame Sévigny poursuit son témoignage et soumet que le 13 septembre 2011, elle rencontre la travailleuse avec madame Gravel, pour un deuxième avis disciplinaire.
[20] À cet effet, elle dépose en preuve le résumé de l’entretien. Celui-ci se termine par l’acceptation des directives par la travailleuse sans rouspéter ni argumenter. Il y est aussi indiqué que la travailleuse doit démontrer un changement d’attitude.
[21] À ce sujet, la travailleuse témoigne ne pas se souvenir de ce deuxième avis. Elle ajoute qu’elle a été rencontrée deux fois par sa directrice, soit le 24 août 2011, et suite à l’altercation avec sa co-équipière.
[22] L’employeur poursuit son témoignage et rapporte avoir demandé à la préposée en chef de travailler durant quelques quarts de soir, alors qu’elle avait travaillé durant la journée. Cela suite aux situations problématiques émergeant depuis l’embauche de la travailleuse.
[23] À cet effet, madame Manon Gravel, préposée en chef, témoigne que la travailleuse lui mentionne trouver cette supervision agressante. Elle souligne l’attitude caractérielle de la travailleuse lors de la réception de directives. Elle ajoute que les autres employés se plaignent que lorsque la travailleuse ne suit pas les consignes, leur travail en est retardé.
[24] La travailleuse se rappelle la présence inhabituelle de la préposée en chef durant un ou deux quarts de soir, mais disconvient avoir trouvé cela agressant.
[25] Madame Sévigny poursuit son témoignage et soumet que le 26 septembre 2011, en début d’après-midi, elle reçoit un appel du CLSC l’informant que la travailleuse est enceinte.
[26] Elle rapporte recevoir ensuite un appel de la travailleuse et en profiter pour la féliciter. Elle ajoute que la travailleuse lui indique ne pouvoir entrer au travail car elle doit parler à un préposé de la CSST.
[27] Madame Sévigny soumet qu’il est environ 14h, et que le quart de la travailleuse débute à 15h. Elle rapporte insister auprès de la travailleuse, l’assurant qu’elle ne fera pas de tâches pouvant être à risque pour sa grossesse et qu’elle doit se présenter au travail à 15h, tel que prévu.
[28] Elle indique que la travailleuse maintient son refus. L’employeur demande alors à une préposée qui termine son quart de jour de rester pour le quart de soir.
[29] Madame Sévigny ajoute avoir ensuite reçu un appel du préposé de la CSST et l’avoir informé du refus de la travailleuse d’entrer au travail. Elle rapporte lui avoir indiqué l’embarras causé par la travailleuse et son intention de la congédier. La carte de poinçon de la travailleuse est ensuite retirée du tableau.
[30] L’employeur relate qu’après 15h, la remplaçante de la travailleuse l’informe de la présence de la travailleuse dans la salle à manger. L’employeur se dit surprise. Elle confronte la travailleuse quant à la désorganisation qu’elle a causée et la congédie.
[31] Quant à la travailleuse, elle atteste que lors de la conversation téléphonique du 26 septembre 2011, l’employeur la félicite pour sa grossesse. Elle précise qu’elle ne refuse pas d’entrer au travail mais plutôt qu’elle avise l’employeur qu’elle doit d’abord parler avec le préposé de la CSST.
[32] Madame Linda Orr, mère de la travailleuse, témoigne qu’elle est avec sa fille lors de la conversation téléphonique en question. Elle précise que celle-ci prend place vers 14h10. Elle précise ne pas entendre les propos de l’employeur mais rapporte que sa fille dit à l’employeur qu’elle doit attendre pour parler au préposé de la CSST, cela sans refuser d’entrer au travail.
[33] La travailleuse poursuit son témoignage et soumet qu’elle rentre au travail à 15h03. Elle constate le retrait de sa carte de poinçon mais débute quand même ses tâches à la salle à manger. Elle corrobore les dires de l’employeur quant à son congédiement survenu quelques minutes plus tard.
[34] La travailleuse ajoute qu’elle s’entendait bien avec ses collègues et qu’elle n’avait aucun problème d’attitude au travail. Elle soutient que la plupart des allégations de l’employeur sont fausses sauf celle concernant l’altercation impliquant sa co-équipière.
ARGUMENTATION DES PARTIES
[35] L’employeur plaide que les avis disciplinaires ainsi que les multiples interventions auprès de la travailleuse sont tout à fait réels. De plus, elle souligne l’investissement de temps et d’énergie engendré par le comportement problématique de la travailleuse.
[36] Quant au représentant de la travailleuse, il plaide que depuis longue date l’état du droit est inchangé quant à la notion de prétexte. Il souligne l’amplitude d’allégations soulevées par l’employeur et maintient qu’il ne s’agit pas de la quantité des prétextes mais bien de la qualité de ceux-ci.
[37] Il argumente que le congédiement survenu à la suite du dévoilement de la grossesse de la travailleuse et d’un possible retrait préventif, est une mesure illégale. Il maintient qu’il s’agit d’un cas classique où le fardeau de la preuve revient à l’employeur et qu’aucune autre cause juste et suffisante n'a été démontrée.
[38] À cet effet, il dépose en preuve une décision de la Commission des lésions professionnelles (CLP) dans l’affaire Provigo et Mélissa Gilbert [1] . Le commissaire y conclut que la travailleuse enceinte a été congédiée en contravention de la loi.
MOTIFS DE LA DÉCISION
[39] La Commission doit décider si le recours logé par la travailleuse en vertu de l’article 227 de la loi est bien fondé.
[40] Les dispositions légales pertinentes sont les suivantes :
227. Le travailleur qui croit avoir été l’objet d’un congédiement, d’une suspension, d’un déplacement, de mesures discriminatoires ou de représailles ou de toute autre sanction à cause de l’exercice d’un droit ou d’une fonction qui lui résulte de la présente loi ou des règlements, peut recourir à la procédure de griefs prévue par la convention collective qui lui est applicable ou, à son choix, soumettre une plainte par écrit à la Commission dans les 30 jours de la sanction ou de la mesure dont il se plaint.
228. La section lll du chapitre Vll de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (chapitre A-3.001) s’appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires, à une plainte soumise en vertu de l’article 227 comme s’il s’agissait d’une plainte soumise en vertu de l’article 32 de cette loi.
La décision de la Commission peut faire l’objet
d’une contestation devant la Commission des lésions professionnelles
conformément à l’article
[41] Tel que reconnu par l’employeur, les cinq critères de recevabilité de la plainte sont rencontrés. En effet, la plaignante est une travailleuse au sens de la loi, elle a exercé son droit au retrait préventif, elle a subi une sanction soit un congédiement, elle a déposé sa plainte à la CSST à l’intérieur du délai de 30 jours et elle n’a pas déposé de grief, n’étant pas syndiquée.
[42] Dans un deuxième temps, la présomption prévue à l’article 255 de la loi trouve application puisque l’intention de la travailleuse d’exercer un droit prévu par la loi est manifestée par celle-ci dans un délai de moins de 6 mois du congédiement.
[43] Ainsi, tel que stipule l’article précité :
255. S’il est établi à la satisfaction de la Commission que le travailleur a été l’objet d’une sanction ou d’une mesure visée dans l’article 32 dans les six mois de la date où il a été victime d’une lésion professionnelle ou de la date où il a exercé un droit que lui confère la présente loi, il y a présomption en faveur du travailleur que la sanction lui a été imposée ou que la mesure a été prise contre lui parce qu’il a été victime d’une lésion professionnelle ou à cause de l’existence de ce droit.
Dans ce cas, il incombe à l’employeur de prouver qu’il a pris cette sanction ou cette mesure à l’égard du travailleur pour une autre cause juste et suffisante.
[44] La jurisprudence révèle que la Commission, dans l’appréciation de la preuve, doit être satisfaite que l’autre cause invoquée par l’employeur est une cause sérieuse, par opposition à un prétexte, et qu’elle constitue la cause véritable de la mesure alléguée [2] . Afin de renverser cette présomption, la preuve de l’employeur doit être rigoureuse, précise et concluante.
[45] De même, il n’appartient pas à la Commission d’apprécier la rigueur de la sanction eu égard à la gravité de la faute reprochée au travailleur puisqu’elle excéderait alors sa juridiction en substituant son jugement à celui de l’employeur [3] .
[46] Après consultation de la jurisprudence déposée en preuve par le représentant de la travailleuse, la soussignée note l’absence d’incident particulier précédant le congédiement, ce qui diffère du cas qui nous préoccupe.
[47] Par ailleurs, l’employeur témoigne du refus de la travailleuse d’entrer au travail quelques minutes avant le début de son quart du 26 septembre 2011. Il soulève aussi différents problèmes de mésentente et d’attitude de la travailleuse.
[48] Quant à la travailleuse, elle témoigne ne pas avoir refusé d’entrer au travail le 26 septembre 2011. Cependant, elle convient qu’elle n’a jamais confirmé à madame Sévigny qu’elle serait au travail pour 15h, puisqu’elle attendait un appel du préposé de la CSST. De plus, elle dément l’existence de problèmes d’attitude ou relationnels de sa part. Elle soutient qu’il s’agit plutôt de mensonges proférés par l’employeur.
[49] La soussignée retient que le 26 septembre 2011, lors de la conversation téléphonique ayant lieu vers 14h, la travailleuse est incapable d’assurer sa présence au travail pour 15h, puisqu’elle attend l’appel d’un préposé de la CSST. Cette incertitude place l’employeur dans une situation pour le moins embarrassante. Au surplus, il est clair que les deux mois d’embauche effectués chez l’employeur ne l’ont pas été sans accroc.
[50] En l’espèce, la preuve prépondérante et vraisemblable révèle que le congédiement de la travailleuse est survenu suite à un ensemble de facteurs causant l’insatisfaction de l’employeur. Quant à l’imbroglio du 26 septembre 2011, celui-ci n’a été qu’un élément supplémentaire à un lien d’emploi pour le moins précaire.
[51] En application des divers principes établis par la jurisprudence pertinente, la soussignée conclut que les motifs de congédiement invoqués par l’employeur constituent la cause véritable de cette rupture du lien d’emploi. L’employeur a donc renversé la présomption prévue à l’article 255 de la loi.
POUR CES MOTIFS LA COMMISSION
REJETTE la plainte de la travailleuse déposée le 4 octobre 2011, sous le numéro MTL11-472.
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Christyne St-Laurent
Conciliateur-Décideur
Me Christophe Clément
Représentant de la partie requérante
Date d’audience : le 10 janvier 2012 |
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