ARBITRAGE DE GRIEF

EN VERTU DU CODE DU TRAVAIL DU QUÉBEC (L.R.Q., c. C-27)

 

N o de dépôt : 2012-3117

 

 

ENTRE :

VILLE DE SAINTE-THÉRÈSE

 

 

L’ « EMPLOYEUR »

 

 

ET :

SYNDICAT DES EMPLOYÉS(ES) DE LA VILLE DE SAINTE-THÉRÈSE

 

 

LE « SYNDICAT »

 

 

GRIEF NO : 10-05

RÉCLAMATION DE RÉMUNÉRATION DE DÉPLACEMENT

 

 

SENTENCE

 

 

 

 

Tribunal :

M. René Beaupré, cria

 

Comparution pour l’Employeur :

M e Serge Benoît,
LeCorre et associés, avocats

 

 

Comparution pour le Syndicat :

M me Karine Lavoie,
FEESP-CSN

 

 

Lieu de l’audience :

Sainte-Thérèse

 

 

Dates de l’audience :

1 er novembre 2011

 

 

 

Date de la sentence :

19 janvier 2012

 

Dossier n o 1011-1303-MQ

Sentence n° 144-12

 


I.          INTRODUCTION

[1]            Le Syndicat conteste le refus de l’Employeur de rémunérer le temps de déplacement entre le garage municipal et la bibliothèque d’Oka où sont déménagés certains membres du personnel de la bibliothèque de la ville de Sainte-Thérèse pendant des travaux de rénovation dans celle-ci. La Ville allègue, de façon préliminaire, qu’il y a prescription du grief et, dans un deuxième temps, qu’elle n’a pas l’obligation de rémunérer le personnel pendant leur temps de déplacement vers leur lieu de travail.

[2]            Sous réserve de l’objection de prescription, les parties reconnaissent que le grief a suivi les étapes de la convention collective, que le tribunal est régulièrement nommé et a compétence pour entendre et décider du grief.

II.         LES FAITS

[3]    Quatre employées ont témoigné à la demande du Syndicat, soit Mmes Josée Gravel et Sylvie Hébert, conseillères à la clientèle, Dominique Bourget, technicienne en documentation et Lucille Côté, conseillère à la bibliothèque. Mme Lise Thériault, chef de module de la bibliothèque, a témoigné à la demande de l’Employeur. Le Syndicat a également demandé au président du syndicat, M. Daniel Gauthier, de témoigner en contre-preuve.

[4]    Les faits sont assez simples et ne sont pas véritablement contestés. L’Employeur a procédé à la rénovation et l’agrandissement de la bibliothèque municipale du 3 août 2009 au début de septembre 2010.

[5]    La Ville a négocié avec des villes avoisinantes afin de maintenir le service à sa population et entreposer ses collections pendant la durée des travaux. Ainsi, les bibliothèques de Rosemère et Blainville accueillent les résidents de Sainte-Thérèse pendant la durée des travaux, moyennant un prêt du service du personnel de la bibliothèque de Sainte-Thérèse pendant cette période, alors que la ville d’Oka reçoit les collections de livres.

[6]    Les employés réguliers de la bibliothèque de l’Employeur sont donc répartis, selon les besoins, dans ces trois centres de service pour la durée des travaux.

[7]    Les employés, lorsqu’ils sont affectés à Rosemère et Blainville, continuent à utiliser leur propre moyen de transport pour se rendre à leur nouveau lieu de travail et aucune indemnité n’est versée ni réclamée pour ces déplacements, si ce n’est les frais de kilométrage. Le personnel conserve le même horaire de travail que lorsqu’il travaille à Sainte-Thérèse.

[8]    En ce qui concerne la bibliothèque d’Oka, les employés ont d’abord procédé par covoiturage pendant quelques semaines. L’ensemble du personnel assigné à cet établissement doit alors se présenter à 8 h à la bibliothèque municipale de Sainte-Thérèse et il est réparti dans les différents véhicules disponibles. Les frais de kilométrage sont remboursés aux employés qui utilisent leur véhicule, mais le temps de déplacement n’est pas remboursé. Quelques semaines plus tard, à la suite d’une consultation auprès du personnel, l’Employeur décide de procéder à l’achat de deux mini-fourgonnettes pour procéder au transport des employés.

[9]    À compter de ce moment, les employés doivent se présenter au garage municipal, rue Bernard, à Sainte-Thérèse, et les mini-fourgonnettes quittent cet endroit à 7 h 30 vers Oka. En fin de journée, les mini-fourgonnettes repartent d’Oka à 16 h pour arriver au garage municipal vers 16 h 30. Pendant leur période d’affectation à Oka, les employés sont rémunérés de 8 h à 16 h.

[10]         Les employées témoignent qu’elles n’ont pas vraiment le choix d’utiliser le service des mini-fourgonnettes et qu’aucun autre moyen de transport ne leur a été offert par l’Employeur. Elles ajoutent qu’elles arrivent régulièrement à Oka vers 7 h 50, le matin, et se mettent immédiatement au travail.

[11]         Mme Thériault témoigne, pour sa part, qu’elle n’a jamais requis que les employées commencent leur journée de travail avant 8 h.

[12]         Une employée résidant à Saint-Colomban n’utilise pas le transport par mini-fourgonnette et se rend directement à Oka. Son temps de déplacement n’est pas rémunéré et il n’est pas réclamé non plus.

[13]         Le 9 décembre 2009, Mme Gravel, à titre de déléguée syndicale et au nom des employés de la bibliothèque, écrit au directeur des ressources humaines, M. Pierre Gauthier, afin de lui demander que le temps de déplacement, matin et soir, vers et en provenance d’Oka, soit inclus dans les heures travaillées et donc rémunérées.

[14]         M. Gauthier répond le 16 décembre 2009 en précisant qu’il ne peut accepter la demande formulée en arguant que la Ville offre le transport gratuitement et qu’elle n’a pas l’obligation de payer le temps de transport pour se rendre à leur lieu de travail et en revenir le matin et le soir. Le grief en litige est déposé le 4 mars 2010.

III.        DISPOSITIONS PERTINENTES DE LA CONVENTION COLLECTIVE

[15]         Les principales dispositions de la convention collective pertinentes à la solution de ce litige sont les suivantes :

Article 7 - Procédure de règlement des griefs

7.01      C’est le ferme désir des parties de régler équitablement et dans les plus brefs délais possible, tout grief, mesure disciplinaire, ainsi que toute mésentente relative aux traitements et conditions de travail pouvant survenir au cours de la durée des présentes.

7.02      Toute personne salariée, accompagnée d’une personne représentant le Syndicat, peut avant de soumettre un grief ou une mésentente par écrit, tenter de régler son problème avec la direction immédiate. À défaut d’entente, l’Employeur et le Syndicat conviennent de se conformer à la procédure suivante :

1 re étape  :

Si la personne salariée n’obtient pas de réponse ou si la réponse ne la satisfait pas, elle présente son cas au Syndicat, lequel l’étudie, fait l’enquête requise et décide du genre d’action et des moyens à prendre pour résoudre le cas ainsi transmis. L’Employeur doit, sur demande du Syndicat, lui fournir les informations pertinentes lui permettant de poursuivre le cas.

2 e étape

Si le Syndicat décide de poursuivre le cas qui lui est transmis, il le soumet, par écrit, au bureau de la direction des ressources humaines dans les quarante (40) jours ouvrables de la connaissance des faits.

3 e étape

Si le cas n’est pas réglé dans les trente (30) jours ouvrable qui suivent son dépôt conformément à la 2 e étape qui précède, le Syndicat peut le soumettre à l’arbitrage selon les dispositions de l’article 8 qui suit.

7.03      Dans le but de permettre aux parties de tenter de régler les griefs ou mésententes et d’éviter le recours à l’arbitrage, et par le fait même encourager le règlement des problèmes par les parties, celles-ci peuvent, à l’intérieur de trente (30) jours ouvrables prévus au paragraphe 7.02, 3 e étape, se rencontrer durant les heures de travail.

Il est convenu que lors de telles rencontres les parties peuvent être accompagnées de leur aviseur extérieur.

7.04      Une personne salariée qui présente un grief ne doit aucunement être pénalisée, importunée ou inquiétée à ce sujet par la direction.

7.05      Les parties, d’un commun accord, peuvent, par écrit, déroger à la présente procédure quant au délai concerné ou l’ordre à suivre.

Lettre d’entente no 1

[…]

Objet :  Horaire de travail des personnes salariées affectées à la bibliothèque

Considérant que la Ville procède, au moment de la signature de la présente convention collective, à des travaux d’agrandissement de la bibliothèque municipale;

Considérant que des modalités intérimaires d’opération seront en vigueur pendant les travaux d’agrandissement, lesquelles modalités seront précisées dans une lettre d’entente distincte;

Considérant que, entre le moment de la signature de la présente lettre d’entente et la complétion finale des travaux, les parties estiment nécessaire de préciser l’horaire de travail des personnes salariées affectées à la bibliothèque jusqu’à leur réaffectation dans leur nouveau lieu de travail;

Considérant que le Syndicat et l’Employeur veulent établir aux présentes les modalités de cette entente;

Les parties conviennent ce qui suit :

1.     Le nombre d’heures de travail des personnes salariées détentrices de poste prévu dans la convention dont l’échéance est fixée au 31 décembre 2007 continue de s’appliquer aux personnes salariées affectées à la bibliothèque jusqu’à la complétion des travaux et à l’accueil du personnel dans les nouveaux locaux.

2.     L’Employeur s’engage à créer deux (2) nouveaux postes de bibliotechniciennes à temps plein pour l’ouverture de la nouvelle bibliothèque. Ces deux nouveaux postes doivent être affichés conformément à l’article 18 de la convention collective.

3.     À compter de l’accueil du personnel dans les nouveaux locaux, les heures d’ouverture seront prolongées de deux (2) heures par semaine.

4.     L’Employeur s’engage à convertir les postes de conseillères à la clientèle à temps partiel dépourvus de leur titulaire au moment de la signature de la présente entente en un maximum de postes à temps plein selon les modalités prévues à la convention collective en vigueur, et ce, pour l’ouverture de la nouvelle bibliothèque.

5.     L’Employeur et le Syndicat reconnaissent que toutes les personnes salariées détentrices de postes le conservent.

6.     Au plus tard un (1) mois avant l’accueil du personnel dans les nouveaux locaux, l’Employeur et le Syndicat doivent se rencontrer pour convenir de l’horaire des personnes salariées affectées à la bibliothèque et des adaptations nécessaires à faire selon les modalités prévues à la convention collective. Toute autre adaptation jugée nécessaire dans les circonstances de l’agrandissement de la bibliothèque devra également faire l’objet d’une entente entre les parties.

7.     Les parties s’entendent pour discuter d’une prime d’inconvénient à verser aux personnes salariées conseillères à la clientèle en compensation de l’horaire de travail atypique, et ce, au plus tard un mois avant l’accueil du personnel dans les nouveaux locaux.

8.     Sous réserve des présentes, toutes les autres dispositions de la convention collective s’appliquent.

9.     Le préambule fait partie intégrante de la présente entente.

10.   La présente lettre d’entente entre en vigueur à la signature de la présente convention collective et en fait partie intégrante.

 

Lettre d’entente no 2

[…]

Objet : Mesures intérimaires visant les personnes salariées affectées à la bibliothèque

Considérant que la Ville procède, au moment de la signature de la présente convention collective, à des travaux d’agrandissement de la bibliothèque municipale;

Considérant que les personnes salariées affectées à la bibliothèque devront être déplacées pendant les travaux d’agrandissement, car elles ne pourront pas accéder à leur lieu habituel de travail;

Considérant que des modalités intérimaires d’opération seront en vigueur pendant les travaux d’agrandissement, notamment en ce que les opérations quotidiennes seront exécutées à partir d’endroits ou de locaux déterminés par l’Employeur;

Considérant que le Syndicat et l’Employeur veulent établir aux présentes les modalités de cette entente;

Les parties conviennent ce qui suit :

1.     Pour la durée de la période intérimaire, les parties conviennent qu’il y aura covoiturage ou transport nolisé des personnes salariées pour se déplacer vers les locaux déterminés par l’Employeur ou vers les endroits désignés par celui-ci dans les villes collaboratrices avoisinantes.

2.     Les frais de déplacement, s’il y a utilisation du véhicule personnel d’une personne salariée, seront indemnisés par l’Employeur selon les politiques en vigueur ou selon les protocoles d’entente conclus entre les villes collaboratrices de Rosemère et de Blainville.

3.     Le préambule fait partie intégrante de la présente entente.

4.     La présente lettre d’entente entre en vigueur à la signature de la présente convention collective et en fait partie intégrante.

 

IV.        PLAIDOIRIES

Partie syndicale

[16]         Référant à l’objection de prescription de l’Employeur, la représentante syndicale affirme que le présent grief en est un de nature continue et que la réclamation peut donc rétroagir 40 jours ouvrables avant son dépôt. Elle reconnait toutefois que la réclamation pour la période du 18 novembre 2009 au 18 janvier 2010 est prescrite.

[17]         Sur le fond du dossier, le Syndicat réfère à l’article  57 de la Loi sur les normes du travail (L.R.Q., c. N-1.1) qui prévoit qu’un salarié est réputé être au travail durant le temps de déplacement exigé par l’Employeur. Les directives de l’Employeur sont claires et exigent que les employés soient présents à 7 h 30 pour bénéficier du transport collectif qu’il met à leur disposition.

[18]         Le Syndicat distingue la situation en litige de celle des employés assignés à Rosemère ou Blainville. Ces derniers partent de chez eux pour se rendre directement à leur travail et les frais de déplacement sont remboursés. Ils ne subissent aucune autre contrainte.

[19]         La situation est différente pour les employés assignés à Oka. Ils doivent se rendre au garage municipal et l’Employeur exige qu’ils y soient à 7 h 30. Les employés quittent donc leur domicile plus tôt et leur travail commence à leur arrivée au garage municipal, comme le prévoit le paragraphe 3 de l’article  57 de la LNT .

[20]         L’Employeur n’a proposé aucune autre solution et doit assumer son choix d’imposer le transport collectif vers Oka aux employés.

[21]         Si on donne un sens trop restrictif à l’article  57.3 de la LNT , il perd tout son sens.

[22]         À l’appui de ses prétentions, le Syndicat soumet la jurisprudence suivante :

Ville de Mercier et Fraternité des policiers de Ville Mercier , Me Jacques Sylvestre, arbitre, 20 mars 2002, AZ-02142063 ;

Syndicat des communications de Radio-Canada et Société Radio-Canada, Me Louise Viau, arbitre, 9 décembre 2005, AZ-50350702 ;

Syndicat national de la sylviculture-CSN et Aménagement forestier Vertech Inc ., M. Paul Émile Thellend, arbitre, 30 avril 2007, AZ-50431635 .

Partie patronale

[23]         Pour l’Employeur la décision de ne pas rémunérer le temps de transport vers Oka est une décision unique qui a été transmise au Syndicat le 16 décembre 2009. Le grief ayant été déposé en mars 2010, il est nécessairement prescrit selon les dispositions du paragraphe 7.02 de la convention collective.

[24]         Sur le fond, le représentant patronal réfère le tribunal à l’article 10 et aux lettres d’entente no 1 et 2 de la convention collective. Ces lettres d’entente font expressément référence à la situation à l’étude et ne prévoient pas de rémunération pour le temps de déplacement des employés vers Oka, pas plus que vers Rosemère ou Blainville.

[25]         Si les parties avaient voulu rémunérer ce temps de transport, elles l’auraient fait dans ces lettres d’entente comme elles ont prévu le remboursement des frais de transport.

[26]         La jurisprudence prévoit que le temps de transport pour se rendre à son lieu de travail ne constitue pas du temps de travail. Les employés avaient le choix d’utiliser leur propre moyen de transport s’ils le désiraient. Une employée a fait ce choix et il a été respecté par l’Employeur. Cette dernière ne demande d’ailleurs pas d’être rémunérée pour son temps de transport vers Oka.

[27]         La preuve n’a pas révélé que le transport collectif était obligatoire. Cela résultait davantage d’une demande des employés à la direction.

[28]         À l’appui de ses prétentions, le procureur patronal dépose la jurisprudence suivante :

Fraternité des policiers-pompiers de la Ville de Montmagny Inc . et Ville de Montmagny , Me Francine Beaulieu, arbitre, 21 novembre 2011, DTE 2002T-106 ;

Collège de Sorel-Tracy et Syndicat des employés du CEGEP Tracy des employés de soutien Campus Sorel-Tracy , Me Harvey Frumkin, arbitre, 26 janvier 1982, DTE T82-239 ;

Société canadienne de la Croix-Rouge et Les infirmières et infirmiers unis inc. , Me Claude H. Foisy, arbitre, 12 février 1986;

Syndicat national de la sylviculture (SNS-CSN) c. Morin , C.S. Rimouski, 22 avril 2010, DTE 2010T-551 ;

Syndicat national de la sylviculture (SNS-CSN) et Société d’exploitation des ressources de la Vallée Inc. et als et Marcel Morin, ès qualité , Cour d’appel, 30 juin 2010;

Syndicat international des travailleurs de la boulangerie, confiserie, tabac et meunerie, section locale 350-T et Trebor Allan Inc . Me Jean-Guy Ménard, arbitre, 30 juin 2003, DTE 2003T-820 ;

Société d’énergie de la Baie-James et Métallurgistes unis d’Amérique, section locale 6833, Me Pierre A. Lachapelle, arbitre, 20 avril 1992, DTE 92T698;

Ville de Longueuil et Syndicat des pompiers du Québec, section locale Longueuil , Me Jean-Pierre Lussier, arbitre, 22 décembre 2009, DTE 2010T-289 ;

Commission des normes du travail c. Inventaire de l’Est Inc ., Cour d’appel, 8 janvier 2007, DTE 2007T-178 ;

Compagnie Sorevco Inc . et Métallurgistes unis d’Amérique, section locale 9324 , Me Jean-Denis Gagnon, arbitre, 30 mars 2003, DTE 2003T-924 ;

Ville de Deux-Montagnes et Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 985 , M. Pierre N. Dufresne, arbitre, 28 septembre 2001;

Corporation des écoles Peter-Hall Inc. et Alliance des professeurs et professeures de Montréal , Me François Hamelin, arbitre, 24 novembre 1989;

Syndicat des travailleuses et travailleurs de la section locale 800 et Union des employées et employés de service, section locale 800, Me Bernard Lefebvre, arbitre, 23 janvier 2004, DTE 2004T-374 ;

Travailleuses et travailleurs unis de l’alimentation et du commerce, TUAC 500 et Super C Richelieu , Me Jean-Denis Gagnon, arbitre, 17 mars 2008, DTE 2008T-465 ;

V.         DÉCISION ET MOTIFS

[29]         Par son grief, le Syndicat réclame que l’Employeur cesse la pratique d’obliger les employés assignés à Oka «  de se présenter au travail en dehors de leur horaire régulier de travail pour être transporté aller/retour en dehors du territoire de l’Employeur vers leur lieu de travail temporaire sans être rémunéré pour ces heures supplémentaires ».

[30]         L’Employeur allègue, pour sa part, que le grief est prescrit, car déposé en dehors du délai de 40 jours ouvrables prévu au paragraphe 7.02 de la convention collective. À cet argument, le Syndicat reconnait que sa réclamation est prescrite pour la période du 18 novembre 2009 au 18 janvier 2010, mais que le grief étant continu, la réclamation est toujours valide pour la période ultérieure au19 janvier 2010.

[31]         Il y a lieu pour le tribunal de décider de cette question dès maintenant.

[32]         Rappelons brièvement les faits liés à cette objection: à la suite de la fermeture de la bibliothèque municipale, certains employés sont assignés à Oka afin de gérer la collection qui y est déménagée temporairement. Après une brève période de covoiturage, l’Employeur décide de mettre à la disposition des employés un service de transport collectif qui quitte à tous les matins du garage municipal à 7 h 30 en direction d’Oka et les ramènent à 16 h 30 au même endroit.

[33]         Le 9 décembre 2009, le Syndicat réclame par écrit la reconnaissance du temps de déplacement vers Oka comme du temps de travail rémunéré à taux supplémentaire. L’Employeur répond, le 16 décembre 2009, qu’il considère n’avoir aucune obligation de payer le temps de transport pour la période de déplacement.  Le Syndicat dépose un grief à l’encontre de cette décision le 4 mars 2010.

[34]         Le paragraphe 7.02 de la convention collective prévoit un délai de rigueur de 40 jours ouvrables pour déposer un grief. Donc, manifestement le grief déposé par le Syndicat est à l’extérieur de ce délai de rigueur. Le Syndicat le reconnait, mais plaide qu’il s’agit d’un grief de nature continue et que la réclamation est toujours valide pour la période incluse à l’intérieur du délai de 40 jours ouvrables de son dépôt, soit à partir du 19 janvier 2010.

[35]         S’agit-il d’un grief de nature continue?

[36]         L’arbitre Claude H. Foisy, dans la décision Société canadienne de la Croix-Rouge , précitée, retrace l’origine de cette notion et son application. Référant à l’arbitre Beatty dans la décision Les Sœurs de la Charité d’Ottawa [1] , Me Foisy s’exprime ainsi sur la notion de grief continu :

« Partant de la prémisse qu’en droit commun, en matière contractuelle, le droit d’action prend naissance dans la violation d’une promesse contraignante contenue au contrat et qu’en matière délictuelle, le droit d’action prend naissance dans une faute ou la commission d’un dommage et que, comme la convention collective était un contrat, il fallait computer la prescription à partir de la violation de la convention collective et non de la commission ou de la survenance de dommages subséquents. À la page 35, il s’exprime ainsi :

            « … the appropriate rule for deciding the isolated or continuing nature of a grievance is the rule developed in contract law. The reccurence of damage will not make a grievance a continuing grievance. It is necessary that the party in breach violate a recurring duty. When a duty arises at intervals and is breached each time, a « continuing » violation occurs, and the agreement’s limitation period does not run until the final increases without any further breach, the grievance is isolated, and the period runs from the breach, irrespective of damage.

The term continuing grievance is misleading; it implies a single, extended violation rather than a repeated one. »

…Je partage ce point de vue. S’il fallait qu’une décision isolée et bien identifiée dans le temps de l’employeur puisse être remise en question en tout temps, il n’y aurait aucune finalité à ladite décision et l’administration de la convention collective deviendrait vite un véritable cauchemar, ce que précisément, les dispositions relatives aux délais de prescription dans la convention collective visent à éviter. »

[37]         L’arbitre Serge Brault, dans la décision Ville de Mirabel [2] , à laquelle réfère l’arbitre Louise Viau, dans la décision Société Radio-Canada , précitée, reprend la distinction entre la notion de la violation continue et celle de la violation unique ayant des conséquences se répétant dans le temps :

«  [ 30]             Ainsi, un des principaux traits d’un grief continu est le caractère répétitif de la violation alléguée de la convention collective.  Autrement dit, un grief peut être qualifié de continu lorsqu’il s’attaque à une séquence, une série de violations répétées de la convention collective, par opposition à une violation unique et isolée, mais dont les conséquences se répéteraient dans le temps. À l’examen, on peut affirmer que la répétition virtuelle d’une violation ouvre droit à un grief continu, alors que celle de seuls dommages, pas nécessairement.

[31]             Selon la jurisprudence, la rémunération est un champ de la convention collective susceptible de donner lieu à des violations contestables par un grief de nature continue.

[33]             Cela dit, un courant jurisprudentiel, du reste nettement majoritaire, veut que l’attribution d’une classification erronée ne constitue pas une violation de la convention collective qui donne naissance à un grief de nature continue. »

[38]         Qu’en est-il de notre dossier? La jurisprudence souligne l’importance de bien identifier la nature de la contestation visée par le grief afin de statuer sur la nature continue ou non du grief.

[39]         Dans le cas à l’étude, la contestation réfère à la décision de l’Employeur de ne pas considérer le temps de déplacement du garage municipal vers la bibliothèque d’Oka et le retour à Sainte-Thérèse à titre de temps de travail. Il s’agit là de la véritable nature du grief. D’ailleurs, le Syndicat invoque notamment l’article  57 de la Loi sur les normes du travail pour appuyer sa réclamation :

57.   Périodes de travail - Un salarié est réputé au travail dans les cas suivants:

 1° lorsqu'il est à la disposition de son employeur sur les lieux du travail et qu'il est obligé d'attendre qu'on lui donne du travail;

 2° sous réserve de l'article 79, durant le temps consacré aux pauses accordées par l'employeur;

 3° durant le temps d'un déplacement exigé par l'employeur;

 4° durant toute période d'essai ou de formation exigée par l'employeur .

[40]         Comme on peut le constater, ledit article vise expressément à préciser à quel moment un employé est considéré être au travail. Ce n’est qu’accessoirement que le Syndicat réclame la rémunération à temps supplémentaire pour ces périodes de travail.

[41]         Or, la décision de l’Employeur de ne pas reconnaitre la période de transport comme du temps de travail a été prise et communiquée à la déléguée syndicale le 16 décembre 2009.

[42]         Il s’agit donc, comme le mentionne l’arbitre Foisy, d’une décision isolée et bien identifiée dans le temps. Les effets de cette décision se sont perpétués tout au long de la période de déménagement temporaire à Oka, mais la violation présumée est une décision unique confirmée au Syndicat le 16 décembre 2009.

[43]         On ne peut donc, dans les circonstances de la présente affaire, assimiler la contestation du Syndicat à un grief continu.

[44]         Dans la mesure où le grief est déposé plus de 40 jours ouvrables après la connaissance par le Syndicat des faits donnant ouverture au grief et que les parties n’ont pas, conformément au paragraphe 7.05 de la convention collective, convenu par écrit de déroger à la procédure de grief, le tribunal déclare que le grief est prescrit.

[45]         Par conséquent, pour tous ces motifs, le tribunal :

ACCUEILLE l’objection patronale quant à la prescription du grief 10-05;

REJETTE ledit grief, parce que prescrit.

 

 

 

 

 Montréal, le 19 janvier 2012

 

 

 

 

 

 

 

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 René Beaupré, arbitre

 

 

 

Pour l’EMPLOYEUR :  Me Serge Benoit

Pour le SYNDICAT :    Madame Karine Lavoie

Ministère du Travail

 

Dossier n o 1011-1303-MQ

Sentence n o 144-12



[1] ( 1973) 3 LAC (2nd) 392 (Beatty)

[2] Ville de Mirabel et Fraternité des policiers de Mirabel (grief de Patrick Hénault), 6 janvier 2004, D.T.E. 2004T-569