COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

Dossiers :

AQ-2001-2737, AQ-1004-4370

Cas :

CQ-2011-3574

 

Référence :

2012 QCCRT 0062

 

Québec, le

9 février 2012

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA COMMISSAIRE :

Line Lanseigne, juge administratif

______________________________________________________________________

 

 

Association des juristes de l’État

 

Requérante

c.

 

Agence du revenu du Québec

Intimée

et

 

Gouvernement du Québec
Direction des relations professionnelles

Conseil du trésor

 

Procureur général du Québec

 

Mis en cause

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]            Le 16 juin 2011, l’Association des juristes de l’État (l’AJE) dépose une requête en vertu des articles 45 , 46 du Code du travail, L.R.Q., c. C-27 (le Code) visant à constater la transmission des droits et obligations du ministère du Revenu du Québec à l’Agence du revenu du Québec (l’Agence) à la suite de l’entrée en vigueur, le 1 er avril 2011, de la Loi sur l’Agence du revenu du Québec , L.R.Q., c. A-7.003.

[2]            Elle demande également, en vertu de l’article 39 du Code, d’actualiser la terminologie de son accréditation pour tenir compte de cette nouvelle réalité de travail.

[3]            L’Agence s’oppose à cette dernière demande de sorte que le litige ne porte que sur cette question. Les conditions d’application de l’article 45 du Code sont quant à elles satisfaites.

L’ACCRÉDITATION DE L’AJE

[4]            L’AJE est accréditée par le Décret 14-96 adopté le 10 janvier 1996. L’unité de négociation y est décrite comme suit :

[…] tous les avocats et tous les notaires de la fonction publique, classés dans le corps d’emploi 115 au sens de la classification en vigueur au 2 septembre 1992, salariés au sens du Code du travail, à l’exception des personnes exclues en vertu de l’article 1 , paragraphe 1) du Code du travail, de celles exclues par les membres du comité conjoint et de celles qui pourraient être exclues conformément au quatrième paragraphe de l’article 66 de la Loi sur la fonction publique.

[5]            La classe d’emploi 115 est décrite au Recueil des politiques de gestion de la direction de la classification et de la rémunération du Conseil du trésor . Elle comprend les avocats et notaires dont les attributions relèvent de la pratique exclusive de leur ordre professionnel, lesquelles sont décrites de la façon suivante :

LES AVOCATS ET NOTAIRES (115)

SECTION I - CORPS ET CLASSE D’EMPLOI

1.     Les avocats et notaires forment un corps d’emploi dans la fonction publique.

2.     Ce corps d’emploi comprend une classe d’emploi, la classe d’avocat et notaire.

SECTION II - ATTRIBUTIONS

3.     Les avocats et notaires exercent, de façon principale et habituelle et pour le compte de l’État, les attributions prévues selon le cas, à la Loi sur le Barreau ou à la Loi sur le Notariat. Ils exercent diverses activités exigeant une connaissance théorique et pratique de la législation, de la réglementation, de la jurisprudence et des procédures.

Ainsi, les avocats et notaires sont notamment appelés à conseiller les autorités sur toute question de droit, à étudier les problèmes de nature juridique qu’entraîne l’application des lois dont les ministères ou organismes ont la responsabilité de l’exécution, à collaborer à la rédaction de la législation, de la réglementation et de tous les autres documents de nature juridique, à participer à l’administration de la Justice et à représenter les ministères devant les tribunaux judiciaires et administratifs et devant les commissions d’enquête.

SECTION III - CONDITIONS D’ADMISSION

4.     Pour être admis à la classe d’avocat et notaire, un candidat doit être inscrit selon le cas, au tableau de l’Ordre des avocats du Québec ou de l’Ordre des notaires du Québec.

SECTION IV -STAGE PROBATOIRE

5.     Lors du recrutement, le stage probatoire est de 12 mois pour les fonctionnaires de ce corps.

[6]            C’est la Directive concernant la classification des emplois de la fonction publique et sa gestion qui établit les classes d’emploi et ses règles de gestion. Cette directive a pour but notamment de simplifier et d’uniformiser la gestion des ministères et organismes gouvernementaux et d’établir le niveau de complexité d’emplois permettant « une relation directe avec la structure de rémunération » . Ainsi, au sein de la fonction publique, la classe d’emploi 115 s’apparente à un titre d’emploi.

L’AGENCE

[7]            L’entrée en vigueur de Loi sur l’Agence du revenu du Québec , L.R.Q., c. A-7.003, le 1 er avril 2011, a eu pour effet de transférer le personnel du ministère du Revenu à l’Agence y incluant les avocats et notaires (classe 115) visés par l’unité de négociation de l’AJE.

[8]            Du même souffle, cette loi crée en l’Agence un organisme autonome du gouvernement, entièrement imputable dont la gestion et l’administration de ses activités sont confiées à un conseil d’administration indépendant. Ainsi, les responsabilités de l’Agence en matière de gestion des ressources humaines ne dépendent plus du Conseil du trésor comme c’était le cas pour le ministère du Revenu. Désormais, ses employés ne sont plus nommés et rémunérés suivant la Loi sur la fonction publique, L.R.Q., c. F-3.1.1.

[9]            C’est dans ce contexte que l’AJE demande à la Commission d’actualiser son libellé d’accréditation et de déclarer qu’elle est accréditée « pour représenter tous les salariés avocats et notaires de l’Agence du revenu qui exercent les attributions prévues à la directive de classification des avocats et notaires (115) (C.T. 167875 du 14 juin 1988 ci-annexée) ».

[10]         L’AJE veut ainsi éviter que l’inclusion ou l’exclusion des salariés dans son unité de négociation soit reliée nommément à la classe 115, alors que l’Agence n’est plus visée par la politique du gouvernement en matière de classification d’emploi. Elle précise que l’Agence pourrait modifier à son gré la désignation de la classe d’emploi associée aux fonctions d’avocats et de notaires et rendre obsolète la portée de son accréditation.

DÉCISION et Motifs

[11]         La Commission possède de larges pouvoirs pour adapter l’accréditation lorsque surviennent des changements au sein de l’entreprise. Toutefois, dans le cadre de cet exercice d’actualisation, elle ne peut modifier les paramètres essentiels de l’accréditation afin de préserver les droits des tiers et respecter la volonté majoritaire des groupes de salariés. C’est donc par une nouvelle requête en accréditation que doit se faire une modification substantielle à la portée de celle-ci ou lorsque des difficultés découlant de l’application de l’article 45 du Code remettent en cause son caractère approprié.

[12]         Ces limites aux pouvoirs de la Commission ont maintes fois été rappelées par les tribunaux. La Cour d’appel dans l’affaire Syndicat des salariés de distribution de produits pharmaceutiques (FISA) c. Médis, service pharmaceutiques et de santé inc. , D.T.E. 2000T-602 , discute de cette question en référant à un jugement du Tribunal du travail, Syndicat des fonctionnaires de la Société des alcools du Québec c . Société des alcools du Québec , [1973] T.T. 397 :

S’agissant d’une requête en vertu de l’article 30 du Code du travail (maintenant 39), le commissaire enquêteur n’a pas juridiction pour élargir ou modifier, de quelque façon que ce soit, la portée d’une accréditation mais seulement de la préciser en regard de cas particuliers. […]

Il est en effet bien établi que l’élargissement ou la modification d’une accréditation ne saurait se faire qu’au temps prévu à l’article 21 et non par une requête selon l’article 30 dont l’application peut être demandée en tout temps. […] Les mots « toutes autres questions relatives à l’accréditation » ne peuvent certes être interprétés comme pouvant permettre un amendement ou une modification à une accréditation. […] L’article 30 ne saurait permettre une transformation majeure du contenu même de l’accréditation. Enfin, l’article 30 dans son application ne peut conduire le tribunal à porter atteinte à des droits que pourraient faire valoir le cas échéant des tiers ou une partie intéressée voulant utiliser les dispositions de l’article 21.

[13]         Également, c’est avec circonspection et en dernier lieu que la Commission pourra recourir à ses larges pouvoirs prévus à l’article 46 du Code pour reconfigurer ou réaménager des unités de négociation lors de difficultés découlant de l’aliénation d’entreprise.

[14]         Dans l’affaire SCFP, section locale 3520 c. Centre de réadaptation en déficience intellectuelle KRTB , [1975] AZ-95147076 (T.T.), le juge Morin du Tribunal du travail traite des pouvoirs conférés à la Commission à l’article 46 du Code comme suit :

Dans le cas d’aliénation d’entreprise, le but premier de l’article 45 du Code du travail est de protéger les accréditations et les conventions collectives. Ce but est tellement évident et important que, suite à des demandes d’évocation, deux juges de la Cour Supérieure ont même estimé que les commissaires du travail n’avaient pas, en vertu de l’article 46, le pouvoir d’annuler des accréditations et des conventions collectives.

Jusqu’alors, le Tribunal avait décidé que l’article 46 donnait de larges pouvoirs pouvant aller jusqu’au réaménagement des conventions et des accréditations si cela s’avérait nécessaire. Ce n’est cependant qu’après avoir tout essayé pour régler les difficultés qu’on devait recourir à ce procédé ultime. 

(…)

Le Tribunal estime toujours que l’article 46 donne les pouvoirs ci-haut mentionnés. On doit cependant les utiliser après avoir fait de sérieux efforts pour régler autrement les difficultés, justement parce que le but de l’article 45 est de protéger les accréditations et les conventions collectives.

[15]         Ainsi, même en présence de difficultés résultant de la double accréditation ou de la cohabitation de deux accréditations dont les champs d’application se recoupent, la Commission doit éviter, si possible, de faire disparaître l’accréditation ou d’en redessiner le champ d’application.

[16]         Bref, le Code autorise la Commission à décider de toutes questions relatives à l’accréditation dans la mesure où elle n’altère pas la portée intentionnelle de celle-ci en y retranchant ou y incluant un groupe sauf dans les situations spécifiquement prévues au Code.

l’accréditation de l’AJE

[17]         Tout d’abord, il convient de rappeler les enseignements de la jurisprudence concernant la portée exacte de l’unité de négociation.

[18]         Ainsi, au-delà du texte même de la description de l’unité de négociation, il faut rechercher, à la lumière des circonstances dans lesquelles l’accréditation a été octroyée, quelles étaient véritablement les catégories d’emploi visées ( L’Hôtel-Dieu de Roberval c. Syndicat national des employés de l’Hôtel-Dieu de Roberval, [1970] T.T. 1).

[19]         Par ailleurs, ce sont des fonctions qui sont visées par l’accréditation et non des titres d’emploi. ( Université du Québec à Montréal c. Syndicat des professeurs de l’Université du Québec (Montréal) [1971] T.T. 216; Commission scolaire Seigneurie c . Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 2416 , D.T.E. 83T-289 (T.T.); St-Lin (Corporation municipale de la paroisse de) c. Burns , D.T.E 84T-121 (C.A); Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP-section locale 4755) c. Les Centres de la jeunesse et de la famille Batshaw , 2009 QCCRT 248).

[20]         L’AJE est accréditée par décret conformément aux articles 64 et 66 de la Loi sur la fonction publique .

64. Le Syndicat de la fonction publique du Québec inc. est reconnu comme représentant de tous les fonctionnaires qui sont des salariés au sens du Code du travail (chapitre C-27), sauf  :

1 o les salariés enseignants;

2 o les salariés membres de l’ordre professionnel des avocats, des notaires , des médecins, des dentistes, des pharmaciens, des optométristes, des médecins vétérinaires, des agronomes, des architectes, des ingénieurs, des arpenteurs- géomètres, des ingénieurs forestiers, des chimistes ou des comptables agrées, ainsi que les personnes admises à l’étude de ces professions;

3 o les salariés diplômés d’université, économistes, géographes, géologues, biologistes, urbanistes, comptables, vérificateurs, psychologues, travailleurs sociaux, conseillers d’orientation et autres professionnels;

 (…)

66. Le gouvernement peut accorder l’accréditation à toute association de salariés pour représenter chacun des groupes visés dans les paragraphes 1 o , 3 o , et 4 o de l’article 64 et les membres de chacune des professions visées dans le paragraphe 2 o du même article avec les personnes admises à l’étude de cette profession.

(…)

Cette accréditation a le même effet qu’une accréditation accordée par la Commission des relations du travail en vertu du Code du travail (chapitre C-27).

(Soulignement ajouté)

[21]         Il est bien reconnu que pour être inclus dans une unité de négociation visant des professionnels à pratique exclusive, il faut avoir été embauché comme tel et exécuter un travail relevant de cette pratique exclusive.

[22]         Dans ce contexte, une jurisprudence constante confirme que l’accréditation de syndicats groupant des salariés membres d’une profession mentionnée au paragraphe 2° de l’article 64 de la Loi sur la fonction publique , comme en l’espèce, vise uniquement les salariés engagés en tant que membres de leur ordre professionnel qui exercent les fonctions relevant de la compétence de leur ordre professionnel. ( Syndicat des professionnels du Gouvernement du Québec c. P.G. du Québec , D.T.E. 82T-94 (T.T.); Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec c. Procureur général du Québec , D.T.E. 88T-922 (T.T.); Association des juristes de l’État c. Procureur général du Québec et al ., D.T.E. 2000T-876 (T.T.); Association des juristes de l’État c. Procureur général du Québec du Québec c. al. , [2001] AZ-50085945 (T.T.).

[23]         Ainsi, appelé à déterminer si une avocate qui n’exécutait manifestement pas un travail qui relevait de son ordre professionnel pouvait néanmoins faire partie de ce groupe distinct, le juge Morin, dans l’affaire Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec précitée, interprète en ces termes le paragraphe 2° de l’article 64 de la Loi sur la fonction publique  :

Pour comprendre l’étendue de l’accréditation détenue par le Syndicat, il faut d’abord déterminer quel sens il faut donner aux termes du paragraphe b) de l’article 110 [maintenant paragraphe 2° de l’article 64]. Est-ce que tous les fonctionnaires membres de telle corporation professionnelle sont visés par ce paragraphe b) ou seulement ceux qui sont engagés comme tel? Si ce sont tous les membres des corporations professionnelles prévues à ce paragraphe, le Syndicat n’étant pas accrédité pour les membres de l’ordre des avocats, M e  Moro n’est pas couverte par l’accréditation. Par contre, si ce paragraphe b) ne s’adresse qu’aux salariés qui sont engagés en tant que membres de corporations professionnelles, parce qu’ils sont membres de corporations professionnelles, parce qu’ils exécutent des travaux de la juridiction des corporations professionnelles, Me Moro ne sera pas couverte par le paragraphe b) mais bien par le paragraphe c) [maintenant 3°] et dès lors, sous réserve de traiter de la question de la nomination, elle est couverte par l’accréditation.

C’est certes cette façon de voir qui doit prévaloir. […] À l’époque où l’article 20 du Code (texte d’avant la refonte de 1977) déterminait des unités spécifiques pour les membres de certaines corporations professionnelles, c’est ainsi que le Tribunal voyait les choses. En effet, on a déterminé que le paragraphe 3 de l’article 20 faisant une unité distincte pour les membres des corporations professionnelles ne s’appliquait que si les salariés avaient été embauchés à cause de leur appartenance à une corporation, effectuaient des travaux de juridiction à ces corporations professionnelles, voir entre autres la décision du juge en chef Jean-Paul Geoffroy dans ASSOCIATION DES INGÉNIEURS, PROFESSEURS AU DÉPARTEMENT D’INGÉNIERIE, UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À TROIS-RIVIÈRES c. L’ASSOCIATION DES PROFESSEURS DE L’UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À TROIS-RIVIÈRES (1971) T.T., p.287.

[24]         Le paragraphe 2° de l’article 64 de la Loi sur la fonction publique crée donc une unité distincte pour les membres d’ordres professionnels qui ne s’adresse qu’aux salariés qui sont engagés en tant que membre de ces ordres et qui accomplissent des actes qui leurs sont exclusivement réservés.

[25]         Ainsi, seule la personne qui répond à cette condition sera visée par l’un des groupes distincts énumérés à la Loi sur la fonction publique . À l’inverse, celle qui n’exerce pas des fonctions réservées à son ordre professionnel, bien qu’elle soit membre de son ordre professionnel, ne pourra être visée.

[26]         La Commission reprenant ces enseignements dans la décision Syndicat des architectes de la Ville et de la Communauté urbaine de Montréal c. Syndicat des professionnelles et professionnels municipaux de Montréal , 2003 QCCRT 0448 , confirme, une fois de plus, qu’il ne suffit pas d’appartenir à son ordre professionnel pour faire partie d’une unité de négociation visant des professionnels à pratique exclusive.

[190]  Qu’advient-il, par ailleurs, si le professionnel embauché comme tel pour effectuer du travail relevant de sa pratique exclusive, cesse d’exercer sa profession?

[191]  Il apparaît évident que dès que la fonction occupée par ce professionnel ne correspond plus à celle pour laquelle il a été précisément embauché ou encore si le travail que lui confie l’employeur ne s’inscrit plus dans le champ de sa pratique exclusive, il ne peut plus être visé par son accréditation d’origine mais plutôt versé dans celle qui couvre les fonctions qu’il est dorénavant appelé à exercer. C’est ce qu’enseigne le Tribunal du travail dans les affaires Syndicat professionnel des ingénieurs de la Ville de la Communauté Urbaine de Montréal c. Ville de Montréal (T.T. Montréal, 500-28-00187-773, Juge Jean Girouard, 29 mai 1978) et Syndicat des professionnels du Gouvernement du Québec c. P.G. du Québec (T.T. Montréal, 500-28-000765-818, Juge Louis Morin, 25 janvier 1982).

[192]  Il ne faut pas oublier, en effet, que ce sont les fonctions exercées qui sont visées par une unité de négociation, pas le diplôme de la personne qui les exerce ou même le titre que leur donne l’employeur. Et l’exercice de ces fonctions fera en sorte que les titulaires des postes seront versés dans la même unité, peu importe leurs qualifications. On imagine facilement les problèmes de gestion que poserait toute autre interprétation, un employeur pouvant avoir à appliquer deux ou trois conventions collectives pour une fonction donnée, selon que le titulaire du poste a une formation d’architecte, d’urbaniste ou d’ingénieur.

[193]  Comme l’écrivait, récemment, la Commissaire du travail Andrée St-Georges, appelée à interpréter le certificat d’accréditation des ingénieurs de la Communauté urbaine de Montréal :

[129]  Autrement dit, les fonctions et pas seulement le diplôme doivent déterminer la catégorie à laquelle appartient un professionnel de la sorte.  C’est une évidence. Toute autre interprétation aurait pour effet d’engendrer des incongruités. Un ingénieur, aussi membre du Barreau et qui choisit de se consacrer à la pratique du droit, devra-t-il faire partie du groupe des ingénieurs ou de celui des avocats ? Poser la question, c’est y répondre. ( Syndicat professionnel des ingénieurs de la Ville de Montréal et la Communauté Urbaine de Montréal c. Communauté urbaine de Montréal , Dossier : AM-1001-5802 ; CAS : CM-1004-3635 et CM-1004-5853, 5 février 2001, p. 8.)

[194]  Le raisonnement s’applique tout autant lorsqu’il est question d’un changement dans le statut professionnel du salarié que de son inclusion dans une unité de négociation particulière.

(Soulignement ajouté)

[27]         C’est donc dire que, pour être visé dans l’unité de négociation de l’AJE, l’avocat ou le notaire doit exercer une fonction qui requiert qu’il soit membre de son ordre professionnel et exécuter les activités de sa profession de façon habituelle et principale. Le fait d’être membre du Barreau ou de la Chambre des notaires ne permet pas, en soi, de l’inclure dans l’unité de négociation.

[28]         D’ailleurs, la Directive concernant la classification des emplois de la fonction publique et sa gestion prévoit spécifiquement une classe d’emploi, appelée 115, qui regroupe tous les emplois d’avocats et de notaires de la fonction publique dont les titulaires effectuent les attributions réservées aux membres de ces ordres professionnels. Cette compétence exclusive, propre aux membres de ces ordres professionnels est, en outre, reprise dans le descriptif de la classe d’emploi 115.

[29]         En d’autres mots, pour être visées par l’unité de négociation de l’AJE, les fonctions exercées par le juriste doivent nécessairement être celles décrites à la classe d’emploi 115 puisque ce sont celles qui constituent son champ de pratique exclusive.

[30]         Pour paraphraser les propos du juge Morin dans l’arrêt Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec précité, ce n’est pas parce qu’un comptable est membre du Barreau qu’il est un avocat visé par l’accréditation de l’AJE.

[31]         C’est aussi la situation de nombreux juristes au sein de la fonction publique qui occupent des emplois d’agent de recherche de la classe 105 qui ne nécessitent pas qu’ils soient avocats ou notaires. Ces titulaires, bien que membres du Barreau pour plusieurs ou de la Chambre des notaires, sont engagés à titre de diplômés en droit et non en raison de leur appartenance à l’un ou l’autre de ces ordres professionnels. Ils n’exercent donc pas les actes réservés prévus à la classe 115 et conséquemment, n’occupent pas une fonction d’avocat ou de notaire visée par l’accréditation de l’AJE.

[32]         Cette réalité a plus d’une fois été confirmée par nos tribunaux : Association des juristes de l’État c. Québec procureur général, 2005 QCCRT 0482 confirmée en Cour d’appel; Association des juristes de l’État ( 2000 précitée); Association des juristes de l’État ( 2001 précitée).

La demande d’actualisation

[33]         Cela étant, le changement proposé par l’AJE modifie-t-il substantiellement la portée de son unité de négociation? Rappelons que l’association désire remplacer le libellé d’origine :

«  Que l’Association des juristes de l’État soit accréditée pour représenter tous les avocats et tous les notaires de la fonction publique, classés dans le corps d’emploi 115 au sens de la classification en vigueur au 2 septembre 1992 […]. »

(Soulignement ajouté)

[34]         Pour qu’il se lise dorénavant comme suit :

«  Que l’Association des juristes de l’État soit accréditée pour représenter tous les salariés avocats et notaires de l’Agence du Revenu qui exercent les attributions prévues à la directive de classification des avocats et notaires (115) (C.T. 167875 du 14 juin 1988 ci-annexée) ».

(Soulignement ajouté)

[35]         La Commission ne le croit pas.

[36]         En effet, ce nouveau libellé vise la même réalité que celle qui prévalait au sein de la fonction publique. Il n’ajoute aucunement ni ne retranche un nouveau groupe, mais décrit plutôt l’unité dans des termes qui représentent la nouvelle situation.

[37]         D’une part, ce sont toujours exclusivement les avocats et notaires, dont la fonction requiert qu’ils soient membres de l’un ou l’autre de ces ordres professionnels, qui sont visés par l’unité de négociation de l’AJE. Compte tenu de ce qui précède, il paraît même superflu de spécifier, à l’accréditation originelle, que ce sont les avocats et notaires de la classe 115 puisque seuls ces derniers sont visés par l’unité de négociation de l’AJE. Cela va donc de soi.

[38]         D’autre part, comme en a décidé le Tribunal du travail dans l’arrêt Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec précité, le fait d’être classé dans le corps d’emploi 115 n’est pas suffisant pour être visé par l’unité de négociation de l’AJE. Encore faut-il que l’avocat ou le notaire exerce habituellement les fonctions réservées à son ordre professionnel.

[39]         Dans cette affaire, le gouvernement prétendait que le juriste mis en cause avait été engagé à titre de membre du Barreau conformément à la classe 115. Comme cette nomination (classification) n’avait jamais été révoquée et que ce juriste n’avait pas été reclassé même s’il occupait désormais un poste de professionnel, son appartenance au groupe d’avocats et de notaires (115) devait être maintenue. Or, le juge Morin écarte cette prétention en ces termes :

Je ne vois rien dans les articles concernant le régime syndical dans la Loi sur la fonction publique qui justifie le Gouvernement de donner, quant au régime syndical, tant d’importance à l’acte de nomination. Il n’est pas contredit qu’en pratique, bien que cela ne soit pas constaté par un acte de nomination, Me Moro a été mutée à un poste de recherchiste au Tribunal du travail à Montréal, poste qui est normalement occupé par les salariés visés par l’accréditation détenue par le Syndicat requérant.

Je ne vois pas qu’il faille dans le cadre de la Loi sur la fonction publique mettre de côté le principe maintes fois reconnu par le Tribunal que la détermination de l’inclusion ou de l’exclusion d’un employé à titre de salarié dans une unité d’accréditation n’est pas relié au titre donné par un employeur, mais bien aux fonctions réellement remplies.

(Soulignement ajouté)

[40]         Ainsi, l’appartenance ou non à l’unité de négociation de l’AJE dépendra des fonctions et responsabilités réellement exercées par le juriste, indépendamment des descriptions, qualifications ou classe de fonction élaborées par l’employeur. Ceci, pour éviter que ce dernier ne décide de l’allégeance syndicale de ses salariés, comme le souligne la jurisprudence.

[41]         En l’espèce, l’Agence n’est plus visée par la Loi sur la fonction publique et, de ce fait, elle n’est pas soumise à la classification des emplois du gouvernement. Or, si l’inclusion ou l’exclusion d’un salarié dans une unité de négociation n’est pas subordonnée à la classe ou au titre donné par l’employeur, cela est d’autant plus vrai lorsque cette désignation est celle d’un tiers employeur, comme dans le cas présent.

[42]         Les impératifs de stabilité et la continuité des rapports de travail que sous-tend le Code impliquent qu’il faille adapter l’accréditation au changement de l’entreprise, et ce, afin de préserver la paix industrielle. De la même façon qu’une accréditation visant les salariés d’une entreprise autrefois étatisée ne devrait plus désigner ces derniers comme des fonctionnaires; l’appartenance des avocats et des notaires à la classe d’emploi 115 n’a plus sa raison d’être dans la terminologie descriptive de l’unité de négociation de l’AJE.

[43]         Comme le souligne le Tribunal du travail dans l’arrêt, Association des ingénieurs, professeurs au département d’ingénierie, Université du Québec à Trois-Rivières c. Association des professeurs de l’Université du Québec à Trois-Rivières , [1971] T.T. 287 :

…c’est la notion de salarié, la nature des relations de celui-ci avec son employeur et sa situation relativement aux autres salariés qui servent de termes à la détermination des unités de négociation. En définitive, c’est d’abord le contrat de travail qui précise ces relations. Il peut arriver que l’on doive également se référer à la fonction telle qu’elle est exécutée. (…)

[44]         Ainsi, la nomination à la classe d’emploi 115, laquelle relève désormais d’une institution étrangère à l’Agence et à son cadre de relations du travail, ne peut servir de facteur pour déterminer l’inclusion ou l’exclusion d’un salarié dans l’unité de l’AJE.

[45]         Il n’appartient pas à la Commission de déterminer quel type de professionnel doit exercer une fonction. La description des emplois relève maintenant de l’Agence qui, à l’instar de son prédécesseur le ministère du Revenu, décidera de ses besoins d’emploi et s’ils nécessitent d’être comblés par un avocat ou un notaire ou un diplômé en droit.

[46]         Indépendamment de la référence à la classe 115 dans la description de l’accréditation, il y aura alors lieu de s’interroger sur les activités principales exercées par le salarié pour déterminer son appartenance à l’unité de négociation de l’AJE.

[47]         L’Agence suggère à la Commission de reconduire le libellé d’origine. Selon elle, l’actualisation demandée par l’AJE pourra être effectuée dans un autre temps lorsqu’un réel conflit de juridiction se présentera. L’actualisation requise ne modifie pas la portée intentionnelle de l’accréditation. Rien ne justifie qu’il faille attendre pour l’adapter à la nouvelle réalité. Toutefois, la Commission estime approprié de préciser au libellé demandé qu’il s’agit de la directive en vigueur au moment du transfert.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

ACCUEILLE                   la requête;

CONSTATE                  au 1 er avril 2011, la transmission partielle des droits et obligations du Gouvernement du Québec (ministère du Revenu) auprès de l’ Agence du revenu du Québec ;

DÉCLARE                    que Agence du revenu du Québec est liée, depuis le 1 er avril 2011, par l’accréditation détenue par l’Association des juristes de l’État et par la convention collective en vigueur, et devient partie à toute procédure s’y rapportant en lieu et place du mis en cause, le Gouvernement du Québec (ministère du Revenu) ;

DÉCLARE                    que l’ Association des juristes de l’État est accréditée pour représenter :

« Tous les salariés avocats et notaires de l’Agence du revenu du Québec qui exercent les attributions prévues à la directive de classification des avocats et notaires ( 115 ) en vigueur au moment du transfert (C.T. 167875 ci-annexée) ».

De :            Agence du revenu du Québec

                   3800, rue de Marly

                   Québec (Québec)  G1X 4A5

 

 

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Line Lanseigne

 

M e Luc Bruneau

Représentant de la requérante

 

M e André Lepage et M e Christian Drolet

HEENAN BLAIKIE AUBUT

Représentants de l’intimée

 

Date de la dernière audience :

11 novembre 2011

 

/jb