Québec (Office municipal d'habitation de) c. Lefrançois

2012 QCCQ 1262

COUR DU QUÉBEC

Division administrative et d'appel

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

LOCALITÉ DE

QUÉBEC

« Chambre Civile  »

N° :

200-80-005148-125

 

 

 

DATE :

29 février 2012

 

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

PIERRE CODERRE, J.C.Q.  (JC2399)

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OFFICE MUNICIPAL D'HABITATION DE QUÉBEC

Défendeur - APPELANT;

c.

 

FRANÇOISE LEFRANÇOIS

Demanderesse - INTIMÉE;

et

RÉGIE DU LOGEMENT

           Mise en cause;

 

 

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JUGEMENT SUR PERMISSION D'APPELER D'UNE DÉCISION

DE LA RÉGIE DU LOGEMENT

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[1]            L'appelant, l'Office municipal d'habitation de Québec (l'Office) appelle de la décision rendue le 20 décembre 2011 par la juge administratif Micheline Leclerc dans le dossier numéro 18 101005 018 P 110620 à la suite d'une demande de l'intimée, madame Françoise Lefrançois (madame Lefrançois) qui a contesté son changement de catégorie dans un logement à loyer modique.

LES FAITS

[2]            Au début de 2010, madame Lefrançois habite depuis environ dix ans un logement subventionné par l'Office au […] dans la ville de Québec.

[3]            Il s'agit d'un logement à loyer modique d'une chambre à coucher.  Madame Lefrançois est, selon l'Office, dans la catégorie "Famille".

[4]            La bâtisse où demeure madame Lefrançois est la propriété de Les Immeubles Khoder et Ouellet.

[5]            Le 20 juillet 2010, madame Lefrançois complète un formulaire, transmis par l'Office, intitulé "Territoires de sélection".  Il est mentionné sur celui-ci : 1 chambre à coucher - Personne retraitée.  Ainsi, l'Office change la catégorie qui avait été attribuée auparavant à madame Lefrançois.  Sur le formulaire, il est indiqué que madame Lefrançois doit encercler 1 ou plus d'un choix de sous-territoire dans la partie ombragée qui correspond à son territoire actuel.  Ensuite, si elle le désire, elle peut également choisir deux autres choix de sous-territoire dans ceux qui sont marqués d'un "X".

[6]            Madame Lefrançois encercle trois territoires différents dont un à Loretteville.  Dans ce dernier cas, il y a deux adresses, soit le […] et le […].  Madame Lefrançois encercle le […]

[7]            Le 9 août 2010, l'Office transmet à madame Lefrançois un avis de transfert de logement.  Il est écrit entre autre ceci :

"Après analyse de votre dossier, nous avons constaté que votre logement ne correspond plus à votre composition familiale.  De ce fait, la présent est pour vous informer que vous devrez déménager d'un 1 c.c. «Famille» pour un 1 c.c., dans la catégorie «Personnes retraitées».

Tel que stipulé à l'article 1990 du Code civil du Québec, le locateur peut, en tout temps, reloger le locataire qui occupe un logement d'une catégorie autre que celle à laquelle il aurait droit dans un logement approprié, s'il lui donne un avis de trois mois.  Le locataire peut faire réviser cette décision par le tribunal dans le mois de la réception de l'avis."

(texte reproduit intégralement)

[8]            Le 28 septembre 2010, l'Office envoie une autre lettre à madame Lefrançois afin de l'informer qu'elle est relogée au […] à Loretteville et ce, à partir du 1 er février 2011.

[9]            Le 5 octobre 2010, madame Lefrançois fait la demande suivante à la Régie du logement :

"En date du 28 septembre 2010, le défendeur m'avise qu'il s veullent me reloger dans un logement d'une autre catégorie, ce que je refuse."

(texte reproduit intégralement)

[10]         Dans ce même document, il est mentionné ceci dans "Objet de la demande" :

"Contestation de l'inscription dans une catégorie de L.L.M. (logement à loyer modique)."

(texte ajouté entre parenthèses)

LA DÉCISION DE LA RÉGIE DU LOGEMENT

[11]         Tel que mentionné plus haut, le 20 décembre 2011, la juge administratif Micheline Leclerc rend sa décision.  Au paragraphe 1 de celle-ci, elle écrit :

[1]         La locataire demande la révision de la décision de l'Office municipal d'habitation de Québec de la transférer dans un autre logement et la condamnation aux frais.

[12]         Après une présentation de la preuve et une analyse de celle-ci, la juge administratif Leclerc s'attarde principalement sur l'information qui a été transmise ou non à madame Lefrançois relativement à son transfert de logement.  Elle écrit ceci à ce sujet :

[26]       Ainsi, de l'avis du Tribunal, l'Office n'a pas exercé son droit de transfert conformément aux normes de coopération et de renseignement faisant partie de son obligation de bonne foi, ces normes devant d'ailleurs s'appliquer à toutes les étapes de l'attribution d'un logement à loyer modique et aux conditions d'un transfert et ce, avant que la demande de transfert ne soit référée au Comité.

[13]         En conséquence, la juge administratif Leclerc, conclut ainsi :

[27]       ACCUEILLE la demande de la locataire;

[28]       RÉVISE la décision de l'Office municipal d'habitation de Québec de transférer la locataire dans un logement situé dans l'immeuble sis au […] à Loretteville.;

[29]       Sans frais.

 

LES MOTIFS DE L'APPEL ET LES QUESTIONS EN LITIGE

[14]         L'Office base principalement son appel sur le fait que la juge administratif Micheline Leclerc a rendu une décision non pas sur la demande telle que formulée, soit une contestation du changement de catégorie de madame Lefrançois de «Famille» à «Personne retraitée» mais plutôt sur l'information qu'a reçu ou non madame Lefrançois de la part de l'Office et sur l'obligation de loyauté et de coopération.

 

[15]         L'Office formule ainsi la première question qu'elle considère qui doit être traitée en appel :

a)         La Régie du logement s'est-elle prononcé « ultra petita », puisque la demande ne requérait la révision de la décision de l'Office municipal d'habitation de Québec qu'en raison du seul fait qu'il avait classé l'intimée dans la mauvaise catégorie ?

[16]         Subsidiairement, l'Office formule les questions suivantes :

b)         L'Office municipal d'habitation de Québec a-t-il une obligation contractuelle d'information et de coopération, lorsqu'il s'agit d'appliquer des normes réglementaires de façon équitable pour tous ceux que cette réglementation vise ?

c)         L'Office municipal d'habitation de Québec est-il soumis à une obligation d'information et de coopération alors que le formulaire de choix de territoire est très précis et ne laisse place à aucune interprétation ?

d)         En vertu de la Loi et des dispositions réglementaires applicables, l'intimée a-t-elle le choix de choisir un immeuble où elle veut demeurer, en écartant ceux dans lesquels elle ne veut pas vivre ?

 

LES PRINCIPES DE DROIT APPLICABLES

[17]         En matière de permission d'appeler d'une décision de la Régie du logement, les principes devant guider le Tribunal sont bien établis par la jurisprudence.

[18]         Dans Breton c . ABM Habitations inc . [1] , le juge Richard Landry résume les critères à suivre :

[13]       L'analyse de la jurisprudence des dernières années démontre que certains juges adoptent une approche plus «  restrictive  » dans la détermination de ce qui constitue «  une question en jeu…qui devrait être soumise à la Cour » alors que d'autres préconisent une attitude plus «  libérale  ».

[14]       Plusieurs critères ont déjà été pris en considération dans la détermination des questions qui sont susceptibles de donner ouverture à l'appel par opposition à celles qui ne le devraient pas:

1 o le sérieux et l'importance des motifs d'appel allégués et l'impact de la décision attaquée sur le justiciable concerné:

2636-5205 Québec inc. c. Beaudry [2] ;

Industries D. Grenier inc. c. Grenier [3] ;

Procureur général du Québec c. Forages Garant et Frères inc. [4] ;

Ministère de la Justice c. Schulze [5] ;

Brault et Martineau c. Montréal (Communauté Urbaine de) [6] ;

Société Québécoise d'Assainissement des Eaux c. Breton [7] .

2 o le caractère nouveau ou controversé de la question soulevée ou l'intérêt général qu'elle soulève:

2636-5205 Québec inc. c. Beaudry [8] ;

Lamarche, Mc Guinty Inc. c. Municipalité de Bristol [9] ;

Procureur Général du Québec c. 176050 Canada inc. [10] .

 

3 o la faiblesse apparente de la décision attaquée:

Dinard c. Dinard [11] ;

Corporation de l'École des Hautes Études Commerciales de Montréal c. Lacombe [12] ;

Forget et al c. Ville de Terrebonne [13] .

4 o la violation des règles de justice naturelle:

Hydro-Québec c. Lauréat Richard inc.   [14] ;

Québec (Procureur Général) c. Savard   [15] .

 

[15]       Dans son jugement rendu le 7 février 2005 dans Ste-Pie (Municipalité de) c. Québec (Commission de protection du territoire agricole)   [16] , la Cour d'appel énonce clairement que les critères à privilégier en semblables matières sont ceux qui ont été proposés par Monsieur le juge Jean-François Gosselin dans Lamarche, Mc Guinty inc.   [17] :

[9] …«  Les critères guidant la Cour du Québec en regard de la permission d'appeler ont été élaborés dans Lamarche, Mc Guinty inc . c. Municipalité de Bristol   [1999] RJQ 1270 .  On y retient, principalement:

[…] l'existence d'une question SÉRIEUSE, CONTROVERSÉE , NOUVELLE ou d' INTÉRÊT GÉNÉRAL dont l'appréciation se ferait préalablement à l'introduction du recours par l'exigence d'obtenir la permission d'un juge, comme en matière d'accès à l'information et de logement.

[16]       Le juge appelé à statuer sur l'octroi de la permission d'en appeler doit procéder à un examen préliminaire des questions soulevées et écarter celles qui n'ont pas de chances raisonnables de succès en appel.  Le soussigné partage sur ce point l'approche de Monsieur le juge Théroux exprimée dans IBM c. Bromont (Ville de)   [18] :

Il est bien établi que le juge saisi d'une demande de permission d'en appeler ne doit pas analyser le fond de la question et doit se garder d'en évaluer le mérite.  Bien que son examen doit, à cette étape, demeurer assez sommaire, il peut toutefois constituer un examen préliminaire visant à écarter d'emblée les appels apparemment futiles et abusifs.

[19]         Le Tribunal va décider de la permission d'appeler en fonction des balises mentionnées précédemment.

 

ANALYSE

[20]         La base du transfert de logement fait par l'Office à l'égard de madame Lefrançois est issu du changement de catégorie de celle-ci.

[21]         En vertu de l'article 1990 C.c.Q., l'Office transmet un avis, le 9 août 2010, à madame Lefrançois pour l'aviser de cela :

1990 .    Le locateur peut, en tout temps, reloger le locataire qui occupe un logement d'une catégorie autre que celle à laquelle il aurait droit dans un logement approprié, s'il lui donne un avis de trois mois.

Le locataire peut faire réviser cette décision par le tribunal dans le mois de la réception de l'avis.

[22]         Le 28 septembre 2010, madame Lefrançois est informée du logement qui lui est attribué.

[23]         Le 5 octobre 2010, lorsqu'elle entreprend son recours à la Régie du logement, madame Lefrançois mentionne qu'elle refuse d'être relogée "dans un logement d'une autre catégorie".  Ainsi, elle remet en cause le fait d'être inscrite par l'Office dans la catégorie "Personne retraitée" au lieu de "Famille" comme c'était le cas auparavant.

[24]         La décision de la Régie du logement porte sur le droit de transfert de logement par l'Office en fonction de "normes de coopération et de renseignement faisant partie de son obligation de bonne foi".

[25]         La juge administratif Micheline Leclerc révise la décision de l'Office de transférer madame Lefrançois mais ne se prononce pas sur le changement de catégorie de cette dernière de "Famille" à "Personne retraitée".

[26]         C'est ainsi que l'Office formule sa principale question au soutien de sa demande de permission d'appeler, à savoir la Régie du logement s'est-elle prononcée " ultra petita ", c'est-à-dire sur un sujet autre que celui qui lui était soumis.

[27]         Sur la base des critères énoncés dans la section précédente, le Tribunal conclut que les motifs de l'appel sont sérieux.

[28]         La décision de la juge administratif Micheline Leclerc comporte une faiblesse apparente en ce que l'objet principal de la demande de madame Lefrançois n'a pas été traitée et il n'y a pas de conclusion à son sujet, soit pouvait-il y avoir, dans ce cas, changement de catégorie ?

[29]         Compte tenu qu'à ce stade-ci le Tribunal doit procéder à un examen préliminaire des questions soulevées, la permission d'appeler est autorisée pour les motifs exprimés précédemment.

[30]         En conséquence, le Tribunal détermine la principale question devant être traitée dans l'appel comme étant la première énoncée dans la section "les motifs de l'appel", soit la Régie du logement a-t-elle rendue une décision " ultra petita " ?  Quant aux trois autres questions, elles devront être traitées subsidiairement, si requis, et ce, en fonction de ce qui sera décidé sur la question principale.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

ACCUEILLE la requête pour permission d'appeler;

PERMET l'appel devant la Cour du Québec de la décision rendue le 20 décembre 2011 par la Régie du logement dans le dossier portant le numéro : 18 101005 018 P 110620;

DÉTERMINE la question principale en appel comme étant :

La Régie du logement s'est-elle prononcé « ultra petita », puisque la demande ne requérait la révision de la décision de l'Office municipal d'habitation de Québec qu'en raison du seul fait qu'il aurait classé l'intimée dans la mauvaise catégorie ?

SUBSIDIAIREMENT , les questions suivantes feront l'objet de l'appel, si nécessaire en fonction du jugement qui sera rendu sur la question précédente :

L'Office municipal d'habitation de Québec a-t-il une obligation contractuelle d'information et de coopération, lorsqu'il s'agit d'appliquer des normes réglementaires de façon équitable pour tous ceux que cette réglementation vise ?

             L'Office municipal d'habitation de Québec est-il soumis à une obligation d'information et de coopération alors que le formulaire de choix de territoire est très précis et ne laisse place à aucune interprétation ?

             En vertu de la Loi et des dispositions réglementaires applicables, l'intimée a-t-elle le choix de choisir un immeuble où elle veut demeurer, en écartant ceux dans lesquels elle ne veut pas vivre ?

LE TOUT frais à suivre.

 

 

 

 

Juge Pierre Coderre, J.C.Q.

 

 

 

 

 

Me Denis Gingras, Avocat

GINGRAS VALLERAND BARMA

LAROCHE AMYOT, Avocats  (Casier 67)

Procureurs de l'APPELANT

 

Madame Françoise Lefrançois

INTIMÉE

Personnellement

 

Date d’audience :

24 février 2012.

Décision de la Régie du logement en date du 20 décembre 2011

Numéro : 18 101005 018 P 110620

 



[1]     2011 QCCQ 10332 .

[2]     [1993] R.D.I 2522 (C.A.), en particulier les opinions de Messieurs les juges Vallerand et Lebel

[3]     J.E. 98-409 (C.A.)

[4]     J.E. 2002-954 ; voir aussi dans le même sens Roberval (Ville de) c. Lebeaume B.E. 2002BE-963

[5]     [1998] R.J.Q. 2180

[6]     C.Q. Montréal, 500-02-093661, 28 mai 2001, j. Barbe; voir aussi dans le même sens Ville de Québec c. Placements Cimak inc. B.E. 2002BE-729 ; Procureur Général du Québec c. Roy B.E. 2002BE-638

[7]     REJB 2000-22249

[8]     Précité, note 3, en particulier l'opinion de Monsieur le juge Nichols

[9]     [1999] R.J.Q. 1270

[10]    J.E. 2002-146 (C.Q.)

[11]    J.E. 97-817 (C.A.)

[12]    J.E. 98-931 (C.A.)

[13]    C.Q. Terrebonne, 700-02-013865-028 , 20 mars 2002, j. Paquin

[14]    J.E. 2007-1570

[15]    J.E. 2004-478

[16]    J.E. 2005-473 (C.A.), par. 9

[17]    Précité, note 9

[18]    C.Q. Bedford, 455-80-000103-075 , 29 janvier 2008