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TRIBUNAL D’ARBITRAGE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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N o de dépôt : |
2012-3908 |
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Date : |
le 20 février 2012 |
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DEVANT L’ARBITRE : |
Me Joëlle L’Heureux |
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Union des routiers, brasseries, liqueurs douces et ouvriers de diverses industries, local 1999 |
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Ci-après appelé « le Syndicat » |
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Et |
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Laboratoire Riva inc. |
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Ci-après appelé « l’Employeur » |
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Grief collectif : 59099
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Convention collective : |
du 20 décembre 2004 au 19 décembre 2010 |
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SENTENCE ARBITRALE sur un moyen préliminaire |
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[1] Le 9 décembre 2009, les parties me confiaient le mandat pour entendre et décider du grief collectif 59099 déposé le 15 juillet 2009. Après deux jours d’audience, l’employeur a formulé un argument de prescription du grief. Les parties m’ont demandé de suspendre l’audience et de rendre une décision sur l’objection à partir de la preuve entendue. Des plaidoiries écrites ont été déposées, la dernière en date du 20 janvier 2012.
[2] Le grief se lit comme suit :
« Résumé du grief
Viol de la convention collective en vertu de l’annexe ² B ² Classification et Salaires ainsi que tout autres articles pertinents. Les préposés aux travaux divers conteste le fait qu’ils ne reçoivent pas la rémunération adéquate lorsqu’ils effectue des opérations de lavage d’équipement. (sic)
Réparation demandée
Que l’employeur ajuste le salaire selon la convention collective lorsque les salariés lavent les pièces d’équipements de fabrications, payable au 15-07-2009 le tout sans perte des droits et privilèges prévus à la convention collective. (…) »
[3] L’employeur a aussi déposé à l’audience copie de la requête en précisions transmise au syndicat, et la réponse obtenue. Voici les questions et réponses en ce qui a trait au premier paragraphe du grief :
Question 1. Outre l’annexe « B » de la convention collective, auriez-vous l’obligeance de nous indiquer à quelle(s) disposition(s) et/ou article(s) pertinent(s) de la convention collective le grief collectif fait référence lorsqu’il est allégué qu’il y a eu viol de la convention collective par l’employeur ?
1. Les articles de la convention collective qui ont été violés, outre l’annexe B, sont plus particulièrement l’article 19 de la convention collective ainsi que tous autres articles pertinents. L’employeur utilise maintenant les préposés à différentes tâches qui relevaient auparavant des autres classifications et qui requièrent de la formation et un degré de responsabilité et de difficulté plus élevé que les tâches qui leurs étaient auparavant dévolues. Historiquement et lorsque le taux de salaire de ces préposés a été négocié, leurs tâches étaient des tâches d’entretien et de conciergerie qui ne requéraient aucune formation et aucun suivi de « PON ». En gros, leurs tâches actuelles ne sont pas celles de préposé aux travaux divers mais relèvent d’une nouvelle classification créée par l’employeur.
Question 2. Quelle est la rémunération adéquate revendiquée par les préposés aux travaux divers visés par le grief collectif ?
2. La rémunération revendiquée, qui nous paraît adéquate compte tenu des tâches et des responsabilités des préposés aux travaux divers, est celle des préposés à la pesée et au mélange.
Question 3. Depuis quand les préposés aux travaux divers visés par le grief collectif ne reçoivent-ils pas, suivant les prétentions alléguées, la rémunération adéquate à laquelle fait référence le grief lorsqu’ils effectuent des opérations de lavage d’équipement ?
3. Il est difficile de répondre de façon spécifique à cette question puisque les tâches et les responsabilités des préposés aux travaux divers ont été augmentées et bonifiées de façon graduelle depuis quelques années. Le grief réclame que le taux horaire des préposés aux travaux divers soit ajusté en date du 15 juillet 2009.
Question 4. À quelles opérations de lavage d’équipement le grief collectif fait-il référence de façon plus précise ? Le cas échéant, nous préciser le ou les départements concernés ?
4. Toutes les opérations de lavage d’équipement selon les normes « PON » sont visées par le grief. »
[4] L’employeur est une compagnie pharmaceutique qui emploie une quarantaine d’employés syndiqués. Cette entreprise fabrique et conditionne des médicaments. Le litige découle du fait que l’employeur a confié aux préposés aux travaux divers des tâches de lavage, de nettoyage et de séchage des pièces d’équipements mobiles ou détachables qui étaient auparavant effectuées par des salariés d’autres classifications. La preuve pendant ces deux jours d’audience a couvert de façon détaillée en quoi consistent le démontage des pièces, le lavage et le nettoyage de pièces et des salles, l’étiquetage, et autres choses. Pour chaque opération, une procédure opératoire normalisée prévoit la méthode et les normes à suivre pour effectuer l’opération. Cependant, compte tenu de la nature de l’objection, uniquement la preuve sur le moment et la façon dont le changement dans les tâches est intervenu est pertinente et utile.
[5] Monsieur Ulyse Thibault est préposé à la pesée et au mélange et est président du syndicat. Il s’agit du premier témoin entendu. Auparavant, les pièces mobiles et détachables étaient lavées par les opérateurs des salles de fabrication et de conditionnement ou par les préposés à la pesée et au mélange. Maintenant, les préposés à la pesée et au mélange démontent les pièces, et le lavage de ces pièces mobiles ou détachables est effectué par les préposés aux travaux divers, ainsi que par madame Micheline Pagé-Corbeil. L’employeur a dit que c’était pour gagner du temps de production. Invité à situer dans le temps le moment du changement, monsieur Thibault parle du moment de l’arrivée de monsieur Meideros.
[6] Monsieur Anibal Meideros a été embauché en janvier 2006 comme concierge, sur le quart de jour. Il affirme que ses tâches correspondaient aux tâches énoncées aux documents déposés sous S-17 et S-18. Il s’agit de tâches générales d’entretien qui consistent à assurer un service de conciergerie pour l’entrepôt, la salle de repos, le fumoir et les chambres de bain, en plus des vidanges et du recyclage. Il posait aussi les étiquettes sur les palettes et lavait la voute. Il était alors le seul préposé aux travaux divers chez l’employeur.
[7] Monsieur Meideros affirme que ses tâches ont complètement changé. Il a été assigné au lavage de pièces mobiles dans la salle de lavage. Il a eu à prendre connaissance des procédures opératoires normalisées pendant trois jours, à partir de février 2008. À la même époque, il a aussi reçu une formation d’un chef d’équipe qui lui a montré comment laver les pièces. Après quelques hésitations, monsieur Meideros situe ce changement en février 2008, à l’arrivée de madame Michelle Hamelin comme nouvelle patronne. Il a commencé à laver les pièces tout de suite après sa formation. En principe, il lave des pièces toute la journée. Il fait d’autres tâches lorsqu’il remplace Mario Durocher. Entre février 2008 et le dépôt du grief, il pouvait aussi laver les salles ou démonter des pièces. L’employeur a cessé de lui confier ces tâches après le dépôt du grief.
[8] Monsieur Jean Fournier a été embauché en avril 2008, à titre de préposé aux travaux divers pour œuvrer sur le quart de soir. Il a reçu à ce moment une description de tâches (E-7).
«
·
Vider les
poubelles et les bacs à rebuts (…)
·
Faire le ramassage du papier,
carton et vider les déchiqueteurs (…)
·
Entretien des 5 salles de bain et
des 2 vestiaires (…)
·
Entretien de la cafétéria (…)
·
Entretien de l’entrepôt (….)
·
Laver les couloirs de la
fabrication à tous les jours selon la cédule établie;
·
Vérifier les imprimantes et
photocopieurs (…)
·
Nettoyer les étagères de
l’entrepôt (…)
·
Refaire la disposition des « racks
» (…)
·
Donner les bacs de recyclage au
récupérateur lors du ramassage;
·
Cirer et décaper les planchers
désignés (cafétéria, vestiaires et passages);
·
Placer la commande de papier (…)
·
Pelleter le devant des portes (…)
·
Étendre le sel à glace devant les
portes d’entrées;
·
Enlever les scellés sur les barils
de marchandise quand le CQ (…)
·
Laver la salle de nettoyage (…)
·
Laver les pièces d’équipement
(conditionnement et fabrication);
·
Laver les salles de production
(conditionnement et fabrication) - (plancher, plafonds, murs);
·
Laver les poinçons du secteur de
la fabrication;
·
Changer les supports des étagères
de l’entrepôt au besoin;
·
Déménager et assembler des meubles
de bureau;
·
Vider le torit au besoin;
·
et toute autre tâche requise par
l’Employeur. »
[9] Dans le cadre de ses fonctions de préposé aux travaux divers, monsieur Fournier a été appelé à laver ou nettoyer des pièces mobiles ou détachées provenant des salles de fabrication et des salles de conditionnement, en plus des autres tâches décrites à la description de tâches (E-7). Il a aussi reçu de la formation sur les procédures opératoires normalisées.
[10] Monsieur Mario Durocher a été embauché en 2002, à titre de préposé aux travaux divers, sur le quart de jour. Il effectue alors des tâches générales d’entretien ménager. Il est le seul employé aux travaux divers entre 2002 et 2005. En 2005, l’employeur refuse de reprendre monsieur Durocher au travail en raison de ses limitations fonctionnelles. L’employeur l’a réintégré le 22 septembre 2008, à la suite d’une décision arbitrale. Monsieur Durocher dit que ses tâches ont été modifiées à ce moment. Il effectue toujours les tâches qu’il exécutait avant 2005, mais participe aussi au lavage des pièces. Étant donné ses limitations fonctionnelles, il fait seulement le séchage des pièces, et non le lavage. Il a aussi reçu de la formation sur les procédures opératoires normalisées.
[11] Les parties ont toutes deux fait référence à la description de tâches reproduite dans la décision de l’arbitre Clément impliquant monsieur Durocher. Cette description de tâche de 2005 est presque identique à celle déposée sous E-7, à l’exception des quatre tâches de lavage qui ont été ajoutées à E-7.
[12] L’extrait suivant des notes écrites résume l’essentiel de la position patronale :
« Le grief collectif #59099 reproche à l’Employeur d’utiliser les préposés aux travaux divers pour des tâches qui relevaient auparavant d’autres classifications d’emplois, soit des opérations de lavage ou de nettoyage de pièces mobiles et/ou détachables provenant des salles de fabrication de conditionnement, ce qui relèverait d’une nouvelle classification d’emploi créée par l’Employeur.
Laboratoire Riva emploi trois (3) préposés aux travaux divers, soit Anibal Meideros, Jean Fournier et Mario Durocher. Ces salariés ont appris à différents moments, la modification apportée par l’Employeur quant à leurs tâches.
De façon plus particulière, la preuve du Syndicat révèle que c’est au mois de février 2008 que Anibal Meideros reconnaît avoir commencé à travailler à la salle de lavage de pièces (…)
La preuve syndicale révèle également que Jean Fournier, qui a été embauché le 7 avril 2008, a commencé à effectuer ces opérations de lavage de pièces dès son embauche.
Enfin, la preuve syndicale indique que Mario Durocher a pris connaissance de la modification apportée à ses tâches lors de son retour au travail suite à une absence de près de trois (3) ans, soit le 22 septembre 2008.
(…)
Ainsi, même en se positionnant à la date la plus éloignée à laquelle les préposés aux travaux divers peuvent avoir pris connaissance de la modification apportée à leurs tâches, soit le 22 septembre 2008, lorsque Mario Durocher a réintégré son poste, il ne fait aucun doute qu’en date du grief collectif #59099, le 15 juillet 2009, le délai est, depuis longtemps, expiré et qu’en conséquence, le grief est prescrit. »
[13] Le procureur patronal réfute qu’il s’agisse d’un grief de nature continue, car, dit-il, le grief logé conteste la classification d’emploi des préposés aux travaux divers appelés à effectuer des opérations de lavage. Il poursuit :
« Ainsi, il [le grief] ne conteste pas le fait que ces tâches leur aient été confiées. Le grief n’allègue donc pas une violation répétitive de la convention collective à chaque fois que les préposés aux travaux divers sont appelés à faire ces opérations de nettoyage. Si tel avait été le cas, il aurait alors peut-être été possible de discuter d’une violation répétitive de la convention collective. Or, le grief conteste plutôt les effets continus d’une décision unique prise à un moment précis par l’Employeur, soit de confier le lavage de pièces d’équipement mobiles et/ou détachées aux préposés aux travaux divers, prise par Laboratoire Riva en février 2008. »
[14] La partie syndicale plaide qu’il n’y a pas eu décision unique de la part de l’employeur. Elle considère que la preuve n’a pas été faite par l’employeur de la décision de modifier les tâches de préposé aux travaux divers en février 2008.
[15] La partie syndicale plaide aussi que le grief est continu parce qu’il porte sur une violation récurrente et répétitive de la convention. Donc, la prescription opère pour le passé seulement et non pour l’avenir. Pour la partie syndicale, le grief ne conteste pas la classification, mais plutôt la rémunération :
« Or, le grief sous étude conteste la rémunération que les préposés reçoivent lorsqu’ils effectuent des opérations de lavage d’équipement, il ne conteste pas leur classification et ne conteste pas non plus une décision unique de l’employeur. Il s’ensuit donc que c’est à chaque fois qu’ils effectuent ces tâches sans recevoir une rémunération adéquate qu’il y a violation de la convention collective.
À titre d’exemple, M. Durocher, qui est l’un des plaignants, n’effectue pas des fonctions qui comportent un taux de salaire supérieur à la même fréquence que M. Fournier. Dans le même ordre d’idée lorsque M. Meideros effectue les opérations traditionnellement attribuées aux préposés aux travaux divers en remplacement de M. Durocher, la même logique s’applique. Ce n’est donc pas une question de classification qui est contestée, mais bel et bien une question de rémunération.
Les plaignants ne contestent pas le fait de détenir la classification de préposé aux travaux divers. Ils ne contestent pas que, compte tenu de leurs fonctions, ils devraient obtenir une autre classification déjà prévue à la convention collective telle que préposée à la pesée et au mélange. Ils contestent le fait d’exécuter, pour certains régulièrement et d’autres de façon ponctuelle, certaines fonctions essentielles appartenant à une autre classification et de ne pas recevoir une rémunération adéquate pour ce faire. »
[16] Le litige découle d’un changement dans les façons de faire chez l’employeur, qui a décidé de confier aux préposés aux travaux divers la procédure de lavage et de nettoyage des pièces mobiles et détachables d’équipement.
[17] L’employeur soumet que le grief est prescrit, ayant été déposé à l’extérieur des délais qui sont énoncés à l’article 9.03. Conformément à l’article 9.04, ces délais sont de rigueur et emportent déchéance de terme.
9.03 Pour le règlement d’un grief, on observe la procédure suivante :
Première étape
Tout salarié qui se croit lésé dans les droits que lui reconnaît la présente convention doit, dans un délai ne dépassant pas quinze (15) jours ouvrables suivant immédiatement les faits qui ont donné naissance au grief, le soumettre par écrit, au représentant de l’Employeur. Le salarié est accompagné de son délégué syndical. Si le représentant de l’Employeur ne rend pas sa décision dans les quinze (15) jours ouvrables suivant la réception du grief ou si le salarié n’est pas satisfait de la décision rendue par le représentant de l’Employeur, il peut référer son grief au Syndicat.
Deuxième étape : arbitrage
Si une partie décide de porter le grief à l’arbitrage, il doit en aviser l’autre, par écrit, dans les trente (30) jours de la réception de la réponse s’il y en a eu une, ou dans les trente (30) jours de l’expiration du délai pour la première étape, s’il n’y a pas eu de réponse. (…)
[18] Le syndicat soumet que l’employeur n’a pas pris une décision unique à une date précise et contestable par voie de grief dans les délais prescrits à la convention, et soumet aussi qu’il s’agit d’un grief continu.
[19] Le tribunal ne retient pas la proposition du syndicat qui soumet que le transfert s’est effectué de façon graduelle, qu’il ne s’agit donc pas d’une décision unique de l’employeur. Monsieur Thibault, président du syndicat, ne peut préciser la date, mais confirme qu’un changement a bel et bien été mis en place par l’employeur, dans le but d’être plus efficace. L’ensemble de la preuve permet de situer cet ajout aux tâches de préposé aux travaux divers en février 2008. Monsieur Meideros est, à cette date, le seul préposé aux travaux divers. Monsieur Fournier n’a pas encore été embauché et monsieur Durocher n’a pas été réintégré. Entre février 2008 et septembre 2008, le nombre de préposés aux travaux divers passe d’un à trois.
[20] En se basant sur la décision de l’arbitre Clément qui a ordonné la réintégration de monsieur Durocher, le syndicat dit que la décision n’a pas été communiquée aux salariés en février et avril 2008. Le tribunal doit décider en fonction de la preuve soumise devant lui. Tant le président du syndicat que monsieur Meideros confirment qu’il y a eu un changement relatif à la procédure de lavage en février 2008. Cette nouvelle procédure s’est appliquée à monsieur Fournier lors de son embauche en avril 2008. Monsieur Fournier a reçu une nouvelle description d’emploi qui comprend les tâches de lavage. La nouvelle procédure s’est appliquée à monsieur Durocher lors de sa réintégration au 22 septembre 2008. La preuve ne démontre pas une application graduelle de la décision d’ajouter des tâches au préposé aux travaux divers. Les tâches de monsieur Meideros n’ont pas été modifiées graduellement, pas plus que celles des autres préposés aux travaux divers. Ce qui a changé entre février 2008 et le dépôt du grief est le nombre de préposés aux travaux divers, et non la tâche.
[21] Le tribunal conclut donc que les faits donnant ouverture au grief se sont produits en février 2008. Le grief a été déposé en juillet 2009, donc nettement à l’extérieur des délais prévus à la convention pour contester une violation de la convention. Cette conclusion ne règle pas tout, bien qu’elle ait une importance non négligeable dans la suite des choses. Il reste la question du grief continu. Le grief déposé le 15 juillet 2009 peut-il être considéré comme un grief continu?
[22] Le grief, par son libellé, reproche à l’employeur un viol de la convention en vertu de l’annexe B sur la classification et les salaires, et allègue que les préposés aux travaux divers ne reçoivent pas la rémunération adéquate lorsqu’ils effectuent des opérations de lavage de pièces d’équipements de fabrication. La réparation demandée est un ajustement de salaire lorsque les salariés lavent les pièces d’équipement. L’ajustement est demandé à la date du dépôt du grief.
[23] L’annexe B s’intitule « Classifications et salaires ». Les classifications y sont énumérées, dont celle de préposé aux travaux divers, et celle de préposé à la pesée et au mélange. L’annexe B ne comprend pas de définitions de fonctions. Elle contient l’échelle de progression et les taux de salaire pour chaque classification.
[24]
Jugeant le grief imprécis, l’employeur a demandé des précisions au
syndicat. En réponse à la question qui visait à indiquer à quoi le grief
faisait référence lorsqu’il alléguait le viol de la convention, le syndicat a
répondu que l’employeur utilisait maintenant les préposés à différentes tâches
qui relevaient auparavant des autres classifications. Dans sa réponse, le
syndicat a souligné que lorsque le taux de salaire des préposés aux travaux
divers avait été négocié, leurs tâches étaient des tâches d’entretien et de
conciergerie qui ne requéraient aucune formation et aucun suivi de
« PON ». Les tâches actuelles (on comprend les tâches de lavage) ne seraient
pas celles de préposés aux travaux divers, mais relèveraient d’une nouvelle
classification créée par l’employeur. Le syndicat précise qu’il réclame la
rémunération des préposés à la pesée et au mélange. Les dispositions violées
seraient l’article 19 et l’annexe B de la convention.
19.01 Les classifications et les taux de salaire horaires applicables sont établis à l’annexe ² A ² [1] de la présente convention.
L’Employeur informe le Syndicat de toute nouvelle classification ou fonction assujettie à la présente convention qu’il entend créer dans son établissement. L’Employeur fixe le taux qu’il lui semble approprié selon les taux et les fonctions déjà apparaissant à l’annexe ² A ² . Si le Syndicat n’est pas d’accord avec le taux fixé, il peut se prévaloir de la procédure de grief et d’arbitrage. Toutefois, la décision de l’arbitre doit tenir compte des fonctions et des taux horaires qui apparaissent à l’annexe ² A ² . Cette décision est rétroactive à compter du moment où le salarié a occupé la nouvelle fonction. (…)
[25] Les deux parties ont déposé des décisions illustrant des cas d’espèce. Les principes énoncés se recoupent. Afin de déterminer si le grief est effectivement de nature continue, il faut identifier l’objet véritable du grief. Quelle est la violation alléguée de la convention? Pour qu’un grief soit continu, il faut que l’objet du grief corresponde à une violation qui se répète. Il faut ici distinguer une violation qui se répète, d’un dommage récurrent. Ce qui est contesté par le grief n’est pas le dommage, mais la violation de la convention.
[26] L’employeur a déposé six décisions qui concluent à une absence de grief continu. Dans une dernière décision déposée par l’employeur [2] , l’arbitre Nathalie Faucher est saisie d’un grief qui demande un ajustement salarial en raison de responsabilités accrues confiées aux préposés au service à la Société de transport de la Ville de Laval. Une disposition de la convention prévoit que si l’employeur décide d’apporter des modifications dans une fonction existante, il devra consulter le syndicat au sujet des attributions de cette fonction et du salaire projeté. En cas de désaccord, la procédure de griefs s’applique. L’employeur soumet avoir apporté ces modifications en 1998, et le syndicat les situe plutôt en 2003. L’arbitre conclut que les salariés visés doivent effectuer les vérifications avant le départ des autobus depuis 1998. Sur cette base, elle aurait accepté l’argument de prescription. Elle rejette toutefois cet argument, car un autre changement survenu en 2003 permet de conclure qu’il y a eu, en 2003, une modification à la fonction qui permet de conclure que le grief n’est pas prescrit.
[27] Comme l’illustrent les affaires précitées, les situations où les tâches sont en cause peuvent être considérées comme des griefs de nature continue ou non, selon l’objet véritable du grief. Cette situation sera particulièrement vraie dans un cas d’assignation de tâches. Si le grief, dans son essence, conteste la classification, par exemple, le grief ne sera pas continu. Le reproche vise alors un événement qui ne se répète pas, même si ses effets se répètent. S’il s’agit d’une violation de clauses portant sur le versement du salaire, par exemple, la violation sera répétée et le grief sera continu.
[28] Dans leurs argumentations écrites, la partie patronale et la partie syndicale définissent l’objet du présent grief de façon bien différente. L’employeur est d’avis que l’objet du grief est la classification, car le grief conteste le fait qu’il n’ait pas modifié la classification en fonction des nouvelles tâches. Le syndicat argumente, à l’encontre de l’objection, que le grief conteste la rémunération et ne demande pas d’obtenir une autre classification. Il conteste le fait d’exécuter certaines fonctions essentielles qui appartiennent à une autre classification et de ne pas recevoir la rémunération adéquate.
[29] La ligne ici est relativement mince, car quel que soit l’objet réel du grief, le but visé est d’obtenir une bonification du taux horaire. Il faut donc revenir au libellé du grief et à l’objet du grief tel que précisé pour en comprendre le fondement. Le tribunal conclut que le syndicat, par ce grief, allègue que les tâches telles que modifiées relèvent d’une autre classification. Il reproche à l’employeur d’avoir contrevenu à l’article 19 de la convention, lequel porte sur la classification et le taux horaire applicable. Le grief vise la détermination d’un nouveau taux de salaire pour les préposés aux travaux divers, car le taux de salaire versé ne correspond plus à la complexité des tâches.
[30] La modification des tâches a été implantée en février 2008. Une nouvelle description de tâches a suivi au plus tard en avril 2008. L’employeur a fait un choix et a revu l’organisation du travail. Il a modifié la description de tâches du préposé aux travaux divers, sans changer sa classification ou son taux de salaire. C’est cela que le syndicat conteste et le tribunal ne peut modifier l’essence du grief. La violation alléguée par le grief n’est pas continue. Elle ne se répète pas à chaque fois qu’un préposé aux travaux divers effectue des tâches de lavage de pièces. Il s’agit là des effets de la décision, mais pas de la décision elle-même.
[31] La convention, à ses articles 9.03 et 9.04, énonce des délais de rigueur à l’intérieur desquels une partie peut loger un grief. Par ces dispositions, les deux parties ont convenu qu’après un certain temps, une décision ne pouvait plus être contestée en arbitrage. Une extension de délais est possible par entente. Il n’y a pas eu de preuve à cet égard dans le présent dossier. Le grief a été déposé le 15 juillet 2009, et les faits qui y ont donné naissance sont survenus plus d’un an auparavant. Il faut donc conclure que le grief est prescrit.
POUR CES MOTIFS
Le moyen d’irrecevabilité est accueilli et le grief est rejeté.
(S) Joëlle L’Heureux |
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________________________________ __ Joëlle L’Heureux, arbitre |
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Pour le syndicat : |
Me Marie-Claude Veilleux |
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Pour l’employeur : |
Me Marc-André Laroche |
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Date de délibéré : |
le 20 janvier 2012 |
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Décisions déposées pour l’employeur
Fraternité des policières et policiers de Gatineau inc.
et Gatineau (Ville de),
Mirabel (Ville de) et Fraternité des policiers de
Mirabel,
Syndicat des communications de Radio-Canada et Société
Radio-Canada,
Québec (Gouvernement du) (Ministère de l’Emploi et de la
Solidarité sociale) et Syndicat de la fonction publique du Québec,
Immunocorp Sciences inc. et Syndicat des employées et employés en analyses
médicales,
Syndicat des employés d’entretien de la Société de
Transport de la Ville de Laval et Société de transport de la Ville de Laval,
Décisions déposées pour le syndicat
CLD de la Municipalité régionale de comté d’Antoine-Labelle et Syndicat des
travailleuses et travailleurs du CLD de la Municipalité régionale de comté d’Antoine
Labelle,
Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du
papier, section locale 143 et Goodyear Canada,
[1] Le texte de l’article 19 fait référence à l’annexe A, ce qui semble être une coquille, car l’annexe A est la liste d’ancienneté et l’annexe B porte sur la classification et les salaires.
[2]
Syndicat des employés d’entretien de la Société de Transport de la Ville
de Laval et Société de transport de la Ville de Laval,