Airmédic Ambulance aérienne c. Groupe Radio Antenne 6 inc. (KYK-FM Radio-X 95,7)

2012 QCCS 738

    JF0853

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

CHICOUTIMI

(Chambre civile)

N° :

150-17-001994-117

 

DATE :

 1 er mars 2012

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE SERGE FRANCOEUR, J.C.S.

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AIRMÉDIC AMBULANCE AÉRIENNE

Demanderesse

c.

GROUPE RADIO ANTENNE 6 INC. (KYK-FM RADIO-X 95,7)

et

CARL MONETTE

            Défendeurs

 

 

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JUGEMENT

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[1]            Ancien militaire ayant agi comme ambulancier de vol dans les Forces armées canadiennes et pilote professionnel civil, François Rivard constate que le Québec est la seule province canadienne sans service d'ambulance héliporté, ce qui oblige une personne dans le besoin en forêt à recourir au service de la Sûreté du Québec ou de l'armée.

[2]            S'inspirant de modèles d'organisations à but non lucratif dont le Shock Trauma Air Rescue Society (STARS) en Alberta, il fonde la demanderesse AirMédic Ambulance Aérienne («AirMédic»).

[3]            Mais insatisfait du traitement donné à son entreprise dans une émission matinale radiophonique, il poursuit les défendeurs Groupe Radio Antenne 6 inc. (KYK-FM Radio-X 95,7) («Radio-X») et l'animateur Carl Monette en dommages intérêts pour 100 000 $.

FAITS

Parties

[4]            AirMédic est une personne morale, immatriculée le 21 mars 2000 en vertu de la partie 3 de la Loi sur les compagnies .  Ses activités économiques et le nombre de salariés au Registre des entreprises [1] , sont :

Description                         Transport aérien spécialisé (vol non régulier)

Précision                            Organisme humanitaire en transport

sanitaire aérien et héliporté sauvetage aérien héliporté

Nombre de salariés            Entre 50 et 99

au Québec

[5]            Groupe Radio Antenne 6 inc. est une propriété de RCN Média qui opère plusieurs stations radiophoniques.  Après avoir acquis les droits sur la licence Radio-X, elle met en ondes une station identifiée KYK-FM Radio-X sur le territoire du Saguenay-Lac-Saint-Jean, se qualifiant commercialement :  «Radio-X, c'est différent et percutant!»

[6]            Carl Monette, après avoir suivi une formation pro-média en 1999, travaille dans différentes provinces et villes canadiennes dans le domaine radiophonique.  Il fait ses classes dans des émissions musicales, participe ou remplace dans des émissions d'actualité, acquiert une expérience telle qu'il se voit confier à Radio-X l'importante fonction de morning man , reconnue pour être la locomotive de la journée.

[7]            À son émission le Show du Matin, il est accompagné du journaliste de carrière André Tremblay.

Procédures

[8]            AirMédic allègue que les défendeurs ont atteint à sa réputation le 30 septembre 2010 en traitant de l'information la concernant sans vérification des sources d'information; ce qui a amené la tenue de propos faux, mensongers et diffamatoires qui entraîne leur responsabilité civile.

[9]            Elle réclame 100 000 $ pour atteinte à la réputation, troubles, inconvénients et perte de temps associée à la tenue des propos mensongers.  À l'audition, sans amendement, cette somme est ramenée à 60 000 $.

[10]         En défense, Radio-X et Carl Monette invoquent que le Show du Matin est une émission de type parlé qui constitue un lieu d'expression public permettant à l'animateur et aux intervenants, incluant les auditeurs, de commenter et échanger sur des sujets d'intérêt public.

[11]         Les propos de Carl Monette au sujet d'AirMédic sont une série de questions sur les activités de l'entreprise qui font partie du domaine public et dans un contexte de liberté d'opinion et d'expression, il avait droit de questionner et d'émettre son opinion à l'égard de celles-ci.

[12]         De plus, de façon contemporaine aux propos reprochés, François Rivard, représentant d'AirMédic, a eu l'opportunité de tenir une entrevue d'une durée de près de quinze minutes qui lui a permis d'apporter et rectifier toute information qu'il jugeait pertinente.

ÉMISSION RADIOPHONIQUE

[13]         Pour procéder à l'analyse de la partie du Show du Matin du 30 septembre qui concerne AirMédic, on doit situer le contexte.

[14]         Les activités d'AirMédic sont du domaine public. Ses interventions et sauvetages sont souvent médiatisés.  Quoiqu'elle intervienne pour des personnes non membres de son organisation, elle compte près de 12 000 membres, sous forme individuelle, familiale ou corporative; le coût pour un individu est de 75 $ par année.

[15]         Elle assume aussi son financement par le biais de la Fondation AirMédic, qui tient des activités bénéfices publiques, exemple :  souper aux fruits de mer, etc.

[16]         Malgré ses sources de financement, AirMédic a vécu une crise financière importante et sa dette accumulée de l'ordre de 13 000 000 $ l'a obligée à déposer une proposition en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies [2] mais a réussi à continuer ses opérations.

[17]         En septembre 2010, la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean est en émoi suite à des délais d'intervention pour le sauvetage d'une personne blessée, une disparue et un décès.  Sur la sellette, la Sûreté du Québec en subit des critiques, explique qu'elle ne peut ramener un blessé à plus de 250 kilomètres en forêt en l'espace d'une ou deux heures.

[18]         Dans un article du journal Le Quotidien [3] qui porte sur les interventions de la Sûreté du Québec, on mentionne :

«Les secouristes ont parcouru plus de 500 kilomètres dans un chemin forestier.  Ça ne se fait pas en une heure ou deux», ajoute le porte-parole de la SQ.

Un appel a même été fait à AirMédic.  Mais comme il faisait nuit, l'hélicoptère d'AirMédic n'a pu se rendre sur les lieux.

«Transport Canada exige un hélicoptère à deux moteurs pour des vols de nuit.  Il a été décidé d'envoyer des secours terrestres, car c'était plus rapide que d'attendre au lendemain matin.  C'est toujours une question de temps qui mène nos interventions», explique François Rivard, président d'AirMédic.

[19]         Le 29 septembre 2010, un reportage [4] de Radio-Canada Saguenay-Lac-Saint-Jean précise que les difficultés financières d'AirMédic sont choses du passé, qu'elle accroît sa présence sur le territoire régional et possède des appareils dans 4 aéroports du Québec.

[20]         Le lendemain, Carl Monette adopte à son émission un ton moins conciliant que Radio-Canada à l'égard d'AirMédic.

[21]         Le segment de 8 heures à 8 h 30 porte sur cette entreprise.  D'ailleurs, après écoute de l'enregistrement [5] de l'émission, il importe de souligner que la pièce D-9 en contient la transcription fidèle.

[22]         La portion de l'émission concernant AirMédic se partage à parts égales entre une discussion de Carl Monette avec son journaliste André Tremblay et une entrevue de Carl Monette avec François Rivard :

             Segment I

Carl Monette (CM)

CM       Il est 8 h 05 dans le Show du Matin à KYK Radio X.  Euh, comment je pourrais vous expliquer ça ben clair là, on rit de votre gueule.  Je pense que c'est ça, je pense que c'est l'expression la plus simple qui vient en tête en premier ce matin, on rit de votre gueule, c'est très drôle, on vous prend pour euh… des caves…

CM       Hier, chu tombé en bas de ma chaise, hier chu tombé en bas de ma chaise, chu, chu tombé en bas de ma chaise.  Ça fait combien de temps qu'on parle de Germain Côté pis la Sûreté du Québec, depuis que les événements sont arrivés, nous sommes les seuls dans la région à avoir creusé le dossier pour vous prouver qu'il y a eu un manque flagrant dans la Sûreté du Québec et en même temps ça nous a emmené à un autre sujet «AirMédic».  Dans Le Quotidien de la semaine dernière, dans un dossier d'une personne perdue en forêt, on a demandé l'aide de l'hélicoptère de AirMédic et dans l'article, dans Le Quotidien, c'était écrit «AirMédic ne peut pas voler la nuit parce que y a un seul moteur et pour pouvoir voler la nuit, pour avoir la permission de décoller, ça prend un hélicoptère à deux moteurs».

André Tremblay (AT)

AT        Pis en plus c'est un moteur à piston hein?

CM       Hier, chu tombé su le cul, chu tombé su le cul, heille!  Radio-Canada!  Payée avec mes taxes, vos taxes, on fait un reportage sur AirMédic, faut, faut que je vous le fasse entendre O.K. écoutez ça…

REPORTAGE RADIO-CANADA

CM       Écoute rendu-là, je m'su relevé pis j'ai faite dans… non heille, ça se peut pas, sont en train de nous vanter le travail de AirMédic.  Sont en train, parce que là c'est le temps de la chasse pis y a des ZECS qui s'organisent, pis si vous voulez faire un endroit où'sse que l'hélicoptère puisse atterrir pour aller donner des soins aux chasseurs si y'a un problème ou si y'a de quoi, pis là y'a François Rivard qui dit que c'est de plus en plus populaire, on a de la visibilité, euh, pardon!  On a même embarqué là-dedans.  M. Marcel Simard, M. Simard est le président de la Fédération des chasseurs et pêcheurs du Saguenay-Lac-Saint-Jean, on a parlé avec M. Simard 2 fois depuis les dernières semaines au sujet de la chasse et de le, début de la chasse pis euh, y avait aussi d'autres petits sujets qu'on a parlés.  Heille!  On présente ça à Radio-Canada, pis en plus, dans le reportage, on voit 2 gars habillés dont j'imagine qu'il y a peut être un François Rivard là-dedans là qui emmène une civière qui approche à côté de l'hélicoptère, euh, je m'excuse là, euh, Allô!  2 petites choses, pis AirMédic ont augmenté le coût de la cotisation annuelle pour les membres,

AT        Jusqu'à 75 $.

CM       75 $ par année.  Pis dans le journal de la semaine dernière on peut lire «Y vole pas la nuite parce que y'a juste 1 moteur» fait que déjà en partant, vous savez qu'on pourra jamais aller vous chercher avec AirMédic si jamais vous êtes pogné dans un endroit bâtard la nuit.  Y décolle pas.  D'ailleurs, l'hélicoptère, je peux vous le dire, m'a trouvé ma feuille, oussé que je l'avais mis, je l'avais…

AT        Si tu cherches le modèle c'est un Robinson R…

CM       Un Robinson R 44-2 qui a été loué à Capital Hélicoptère.  C'est un petit 4 places.  J'aurais aimé ça qu'on puisse voir la civière rentrer dans l'hélicoptère hier.

AT        Impossible.

CM       C'est impossible.  C'est un petit 4 places, la civière rentre pas dedans.  Fait que si on a besoin de vous évacuer avec une civière, oubliez ça, on peut pas y aller, on a pas…, à rentre pas dans l'hélicoptère.

AT        De jour comme de nuit là.

CM       Non, non, de jour comme de nuit, ça change absolument rien.  La civière rentre pas dans l'hélicoptère.  Si jamais vous avez une fracture ouverte ou n'importe quoi, je vous l'ai dit la semaine passée là, y peuvent pas aller vous chercher, y peuvent pas vous sortir de là, la civière rentre pas dans l'hélicoptère; et on continue de prendre une cotisation de 75 $ annuellement et on fait de la belle publicité, un beau reportage de Radio-Canada, AirMédic, on est présent, pis on est là, pis on va vous sauver, pis continuez de faire les cotisations pis envoye, let's go, dans le fond mon Léon.  Heille!  Attendez là, heille calmez-vous un peu là, euh, on va mette les choses en perspectives là, on va se calmer un peu les quételles là.  Y'a du monde qui a vu ça hier pis y'on dit, heille ça vrai, on pourrait donner des, pis si jamais on s'en va en forêt dans le bois, y'a des chasseurs qui se sont inscrits à AirMédic, y'on pris leur cotisation avant de partir en pensant que si y'arrive un problème y vont aller les chercher, «too bad for you» y peuvent pas aller vous chercher.  Bon si vous êtes pété un ongle O.K. c'est correct.  François Rivard, président ou directeur général à

AT        Directeur général.

[…]

CM       Effectivement.  Donc, on ne peut pas voler la nuit, on ne peut pas amener de civière dans l'hélicoptère.  On est toujours à quelques questions près, savoir y'a-tu un médecin, l'infirmière là-dedans, si c'est un 4 places dans le Air 44-2?

CM       M'a vous dire que ça sert à quoi.  Non hier chu tombé en bas de ma chaise, chu tombé euh chu tombé en bas de ma chaise.

AT        4 places serrées en plus.

CM       Tu sais euh, l'intérieur d'une voiture Echo, tu sais sur la grandeur, l'équivalent environ.  Mais, Radio-Canada, on vous vante les mérites.  Pis en, on invite les gens des ZECS à faire des endroits ousse qu'on puisse atterrir.  Pis allez-y donnez des cotisations.  Pis… euh

AT        C'est drôle ça été repris par Le Quotidien en plus cette nouvelle là pis moé j'ai jamais réussi à parler à M. Rivard depuis deux semaines.

CM       Ouais, mais eux-autres à chaque fois qui arrive quelque chose, y'a pas de problèmes, y sont capables là.

AT        Ah!  On me dit qui pourrait y'avoir une civière extérieure.

CM       Ah, ok, de l'accrocher sul'bord pis de la traîner jusqu'à temps qu'on la ramène.

AT        Ah! Ah! couché su un patin.

CM       En passant, à l'extérieur ce que vous voyez là, sur le côté de l'hélicoptère, c'est pour mettre du stock dedans là.

AT        Ouais.

CM       Avec, eu, soit des pansements ou des trousses de survie ou des trousses de premiers soins ou quoique ce soit là.

AT        Parce que ça rentre pas en dedans.

CM       Ben, non, ben c'est ça.  Ah! Ah!  Allez l'attacher su le bord de l'avion, brummm avec le gars dans le coin.  Vous allez le traîner avec une corde, si y'é perdu dans le fond de la ZEC j'sais pas quoi, vous allez le ramener pendant une demie heure brummm en train de voler en dessous?  Voyons.  Il est 8 h 16.

[…]

Segment II

CM       Je t'arrête en direct André, j'ai en ligne le directeur général d'AirMédic M. François Rivard .

Annonce…

CM       Bon 8 h 20 dans le Show du Matin.  On a essayé de l'rejoindre maintenant depuis quasiment tous les jours depuis 2 semaines, euh, on n'a pas été capable d'y parler mais petite intervention ce matin et on a en ligne le directeur général d'AirMédic M. François Rivard.  M. Rivard bon matin.

François Rivard (FR)

FR        Oui, bonjour monsieur, euh, ça me surprendrait que vous auriez essayé 2 semaines parce qu'on est ici pis mon cellulaire qui est toujours disponible, alors ce matin c'est, on a eu le message sur la boîte vocale, pis sinon mon système téléphonique fonctionne très bien là, j'sais pas quel numéro que vous aviez là mais…

[…]

CM       O.K ben là, expliquez moé quelque chose, euh, M. Rivard on essaye de vous rejoindre depuis le début entr'autres suite à ce que vous avez dit et qui a été cité dans Le Quotidien, on vous a appelé, la Sûreté du Québec vous a déjà appelé pour un cas de disparition, euh en forêt et vous ne pouviez pas sortir parce que c'était la nuit et vu que votre hélicoptère a seulement 1 moteur, c'était impossible de voler la nuit.

FR        ???  Inaudible.

CM       C'est vrai ça?

FR        C'est une loi de Transport Canada, en fait, qui oblige, euh, tout ce qui commercial, euh, d'être munis de 2 moteurs pour voler la nuit.  Simplement c'est une règle de sécurité pour eux autres, si y'arrive une panne moteur, ben en tout cas, au moins tu n'as 2, t'sais ben, t'es capable de t'en sortir…

CM       Donc, si jamais il y a quelqu'un qui communique avec vous la nuit et qu'il y a un problème, euh, les services d'AirMédic ne sont pas disponibles.

FR        Ben, nous on donne une assistance toujours là, téléphonique parce que ben souvent les gens en forêt y'ont de la misère à faire le 911 ou quoi que ce soit donc, nous on devient comme une centrale pour les régions plus isolées et à partir de là on envoie par la voie terrestre les secours appropriés mais on laisse pas les gens comme ça, ça c'est clair là.  On dit pas «on vole pas de nuit on n'y va pas» donc on s'organise pour envoyer les secours terrestres là si…

CM       Ouais, mais si ça prend pas juste des secours terrestres mais sinon vous appelez quoi, vous appelez l'Armée, vous envoyez, vous appelez la SQ, euh?

FR        Oui, oui, c'est ça, on travaille toute en collaboration ensemble.

CM       … Y'a pas de secours terrestre là?

FR        Pardon, non, non, on n'a pas de secours terrestre, on travaille tous ensemble, c'est ça, fait qu'on est complémentaire à eux autres… complémentaire à eux autres aussi.

CM       Oui, mais quand vous dites tantôt s'ils peuvent pas rejoindre la police parce que le cellulaire rentre pas y vous rejoignent comment M. Rivard?

FR        Ouais, ben notre ligne est sans frais là, parce que nous aussi avec les radios émetteurs avec l'étoile 4 y sont capables de nous rejoindre directement, donc on a différents milieux de, de…

CM       Ouais, mais si y'ont pas de radio émetteur pis y'ont juste un cellulaire y vont faire le 911?

FR        Euh, ben… le cellulaire ça rentre pas dans le bois.  Ça va être… ça va fonctionner avec le téléphone satellite directement… peuvent nous appeler sur notre ligne d'urgence là.

CM       Donc, si les gens ont pas de téléphone satellite, on peut pas vous rejoindre.

FR        Ah!  Ben écoutez, c'est comme toute autre chose, faut…  des gens y'ont pas de communication y vont vous envoyer quelqu'un appeler, pis etc là, fait que…

[…]

[23]         Par la suite, monsieur Rivard explique la situation de son entreprise, le type d'hélicoptère qu'il possède et loue. Celle à l'aéroport de Bagotville permet des interventions sans civière.  Lorsqu'une opération nécessite une civière, on nolise un appareil qui le permet :

FR        En, en faite en faite AirMédic vous savez qu'on, on est un service d'urgence, donc on a notre personnel, donc on loue l'hélicoptère et on configure, on met notre personnel à bord, Paramédic; infirmier, et là on est capable de porter secours aux patients.  Parce que juste louer un hélicoptère pas de personnel à bord ça sert à rien là.  C'est comme si on avait un truck là.  Fait qu'on, on offre le service médical avec notre personnel à bord.

CM       O.K.  Euh, vous avez un médecin toujours avec vous M. Rivard ou un infirmier, une infirmière?

FR        Ouais, nous c'est un paramédic, l'équipe de base c'est un paramédic de vol et un infirmier.

CM       Qui sont basés à quel endroit?

FR        Ben on a de basé i ci à Saguenay, on a de basé à Québec, à Trois-Rivières et à   St-Hubert.  On a à peu près 50, 55 personnel qui sont comme ça là.

CM       Pis à chaque fois que vous avez un appel à quelque part ou quoi que ce soit, vous louez un autre hélicoptère, vous emmenez le paramédic et l'infirmière…

FR        C'est ça, c'est en plein ça.  Donc on a des gens, des personnels de garde à toutes les jours et lorsqu'on a une intervention, on appelle ça un code, on on le met en code jaune là, fait que lui y s'en vient tout de suite à la base, l'hélicoptère s'en vient pis on part.  Ça ça toujours commencé de même, depuis 2000 qu'on fait ça là.  Même dans le temps qu'on avait nos propres machines pis qu'étaient en maintenance quoi que ce soit, on louait des Astar, ça toujours été comme ça.

 

[…]

[24]         Par la suite, lorsque Carl Monette tente de connaître le salaire que François Rivard tire d'AirMédic et le coût du cours de pilote d'hélicoptère qu'il a suivi, le ton des échanges devient aride.  François Rivard se sent insulté.  Carl Monette conclut qu'être membre d'AirMédic c'est un choix, mais suggère qu'au lieu de payer 75 $ à cette fin, il est préférable de faire appel à la Sûreté du Québec, tellement sur la sellette à ce moment, qu'elle devrait agir rapidement si besoin est.

PRÉTENTIONS D'AIRMÉDIC

[25]         Au cours de son témoignage, François Rivard s'en prend aux commentaires irrespectueux et inappropriés de Carl Monette, lorsqu'il mentionne particulièrement «on rit de votre gueule, on vous prend pour des caves» et de s'être livré à une envolée mensongère lorsqu'il affirme que l'hélicoptère utilisé par AirMédic, soit le Robinson RH-44 ne vole pas la nuit et qu'une civière n'entre pas dans cet hélicoptère et ainsi, qu'il ne sert à rien d'être membre d'AirMédic et de débourser 75 $ par année à titre de membre.

[26]         Aussi, il soutient que ne mentionnant pas qu'AirMédic loue lorsque nécessaire un appareil Astor 350AB qui peut recevoir une civière, Carl Monette a trompé la population et ses auditeurs.

DROIT APPLICABLE

[27]         La Cour suprême dans Farès Bou Malhab et Diffusion Métromédia CMR inc. et André Arthur [6] établit que :

[17]       La liberté d'expression est protégée par la Charte canadienne des droits et libertés, al. 2b ), et par la Charte des droits et libertés de la personne .  Elle constitue un des piliers des démocraties modernes.  Elle permet aux individus de s'émanciper, de créer et de s'informer, elle encourage l'émergence de la vérité.  La liberté d'expression est essentielle pour que les décisions à caractère social, économique et politique reflètent les aspirations des membres de la société.  Elle possède une portée étendue et protège tout autant les propos recherchés que les remarques qui provoquent l'ire.  Elle n'est toutefois pas absolue et peut être limitée par d'autres droits propres à une société démocratique, dont le droit à la protection de la réputation.

(références omises)

et résume les éléments constitutifs de la diffamation en droit civil québécois comme suit :

[22]       Il n'existe pas, au Québec, de recours particulier pour sanctionner la diffamation.  Le recours en diffamation s'inscrit dans le régime général de la responsabilité civile prévu à l'art. 1457 C.c.Q.  Le demandeur a droit à une indemnisation si une faute, un préjudice et un lien causal coexistent.  La détermination de la faute suppose l'examen de la conduite de l'auteur de celle-ci; celle du préjudice requiert l'évaluation de l'incidence de cette conduite sur la victime et celle de la causalité exige que le décideur conclue à l'existence d'un lien entre la faute et le préjudice.  C'est un domaine du droit où il importe de bien distinguer faute et préjudice.  La preuve du préjudice ne permet pas de présumer qu'une faute a été commise.  La démonstration de la commission d'une faute n'établit pas, sans plus, l'existence d'un préjudice susceptible de réparation.

[23]       L'action en diffamation fait aussi intervenir la Charte québécoise , puisque, comme je l'ai souligné plus tôt, l'action repose sur une atteinte au droit à la sauvegarde de la réputation, garanti à l'art. 4 de cet instrument.  L'article 49 de la Charte québécoise prévoit le droit à la réparation du préjudice causé par une atteinte illicite aux droits de la personne.  La Charte québécoise n'a toutefois pas créé un régime indépendant et autonome de responsabilité civile qui ferait double emploi avec le régime général.  Les principes généraux de la responsabilité civile servent toujours de point de départ pour l'octroi de dommages-intérêts compensatoires à la suite d'une atteinte à un droit.  Les actions en responsabilité civile fondées sur une atteinte à un droit, tel que le recours en diffamation, constituent donc un point de rencontre de la Charte québécoise et du Code civil .  Cette convergence des instruments doit être considérée dans la définition des trois éléments constitutifs de la responsabilité civile, c'est-à-dire la faute, le préjudice et le lien de causalité .

(références omises et souligné du Tribunal)

[28]         On doit donc maintenant procéder en balançant le droit à la vie privée et à la réputation versus le droit à la liberté d'expression et d'opinion, au droit à l'information et à la liberté de presse; déterminer s'il y a faute et, le cas échéant, le préjudice et le lien de causalité.

FAUTE

[29]         De manière générale, la faute correspond à une conduite qui s'égare de la norme de comportement d'une personne raisonnable.

[30]         Rappelons qu'en matière de diffamation, il s'agit du comportement qu'une personne informée adopterait dans les circonstances et que la véracité du message n'est qu'un des facteurs à considérer pour évaluer le caractère fautif du comportement.  Bien que vrai, des propos peuvent néanmoins avoir été tenus fautivement.  La médisance, tout autant que la calomnie, est sanctionnée.

[31]         Qu'en est-il dans notre cas?

[32]         La lecture du verbatim des segments concernant AirMédic dans le Show du Matin, l'écoute des enregistrements pour en comprendre le contexte, la sensibilité des propos, ne peut amener à conclure que la conduite de l'animateur Carl Monette est fautive.

[33]         AirMédic et ses activités font partie du domaine public.  Ses opérations de sauvetage sont médiatisées, son financement découle d'un recrutement membre par membre et sa fondation sollicite des dons.

[34]         Elle a des activités louables mais a fait la manchette pour l'accumulation d'une dette de 13 000 000 $, a changé d'hélicoptère ou dû mettre fin à certains contrats d'appareils ce qui a été discuté publiquement, possède à l'aéroport de Bagotville un hélicoptère qui ne peut transporter une civière.  Il est vrai que pour chacune de ses opérations elle en loue une qui le permet lorsque nécessaire et fournit tout le personnel médical approprié.  Cependant, des questions peuvent être posées, un point de vue différent apporté de celui du reportage de Radio-Canada du 29 septembre 2010.

[35]         Carl Monette et son journaliste André Tremblay ont suivi l'actualité entourant AirMédic, pris connaissance des articles dans le journal Le Quotidien, du reportage de Radio-Canada, à tout le moins sur le site internet de la société d'état et obtenu des renseignements de différentes sources se plaignant de certaines pratiques d'AirMédic.

[36]         À son émission du 30 septembre, Carl Monette adopte une pensée critique concernant AirMédic, c'est son droit et là repose la liberté de presse.

[37]         Radio-Canada a une façon de traiter les nouvelles, Radio-X une autre.  Les auditoires visés sont différents.  Il est vrai que Carl Monette et le journaliste André Tremblay n'ont pas toute l'information concernant le type d'hélicoptère utilisé.  Ils ironisent sur la situation.  Carl Monette attaque le reportage télévisé de Radio-Canada, soulignant qu'elle est une société d'état qui vit de contributions gouvernementales.

[38]         Par la suite, il discute d'AirMédic, utilise certaines données qui sont erronées mais reflètent sa pensée et la conclusion des recherches qu'il a faites.

[39]         Bref, le Tribunal ne peut souscrire à la conclusion que Carl Monette a attaqué indûment AirMédic.  Le ton utilisé à son émission est sarcastique, allie humour et information, c'est une façon d'agir qui lui appartient.

[40]         D'ailleurs, dans l'interrogatoire avant défense [7] , François Rivard répond :

Me Benoît Amyot

Question           Donc, ce que vous reprochez à monsieur Monette, ce n'est pas tant un commentaire en particulier, que ce soit le vol de nuit, que ce soit une civière?

François Rivard

Réponse           Non

Question           On reproche d'inciter les gens à ne pas devenir membre d'AirMédic?

Réponse          C'est en plein ça.

Question           Entre autres à la page trois (3) de la requête introductive d'instance il est mentionné au troisième paragraphe, et là ce sont réellement les propos de monsieur Carl Monette : «Il ne sert à rien d'être membre d'AirMédic et de débourser 75 $ par année à titre de membre»?

Réponse           Et voilà.

Question           Donc c'est ça que vous reprochez à monsieur Monette?

Réponse           Oui monsieur.

Question           Il n'a pas le droit de dire ça?

Réponse           C'est en plein ça.

Question           Lors de l'entrevue que vous avez faite avec monsieur Monette ce matin-là du 30 septembre, il vous a demandé à quoi ça sert AirMédic, que quelqu'un qui a un satellite est aussi bien d'appeler la SQ.  Vous souvenez-vous qu'il vous ait posé cette question-là, mais ça se peut que je n'aie pas les mots exacts?

Réponse           Non, je ne me souviens pas.

Question           Vous souvenez-vous d'avoir eu l'opportunité ce matin-là d'expliquer quelle était l'utilité de AirMédic?

Réponse           Oui, je l'ai sûrement expliqué.

Question           Et pour vous c'est important d'adhérer à AirMédic, je présume, c'est votre raison d'être?

Réponse           Sans membre, il n'y aura pas de AirMédic, c'est la seule source de financement qui est réellement valable.

Question           Dans la lettre P-3 vous mentionnez que monsieur Monette aurait dû déclarer que AirMédic utilise et loue un hélicoptère de marque Astor 350AB, appareil dans lequel il est possible d'entrer une civière, et que l'organisation le fait régulièrement.  Vous nous avez dit tantôt que vous, vous avez eu l'occasion de le mentionner lors de l'entrevue par la suite avec monsieur Monette?

Réponse           Oui, je l'ai mentionné.

Question           Mais pour vous ce n'est pas suffisant le fait que vous l'ayez expliqué, je comprends que pour vous ce n'est pas suffisant?

Réponse           Non, ce n'est pas suffisant parce que le mal était fait avant.

[41]         Ce qui est en cause lors de l'émission radiophonique, ce sont des points de vue de personnalités différentes.

[42]         Carl Monette en a contre Radio-Canada et contre la Sûreté du Québec.  Par manque d'information, il comprend mal les services de première ligne offerts par AirMédic.

[43]         Cet animateur de radio au franc parlé utilise dans son émission un style qui lui est propre.  Mais il s'est renseigné, tout comme son journaliste, avant de traiter d'AirMédic.  Il se trompe concernant la possibilité qu'une civière n'entre pas dans l'hélicoptère mais l'erreur est rattrapée dans la même émission lors de l'intervention de François Rivard.

[44]         Pour le reste, que peut-on faire si Carl Monette ne comprend pas ou ne veut pas comprendre les difficultés de l'utilisation d'un cellulaire en forêt, qu'un téléphone satellite ne donne pas accès au 911 et faire de l'humour en imaginant une civière attachée à l'extérieur de l'hélicoptère fait partie du spectacle de l'émission Show du Matin.

[45]         Tout ne doit pas être pris à la lettre.  Le citoyen ordinaire aura compris l'extravagance des propos de Carl Monette et le bien-fondé de l'intervention de François Rivard.

[46]         Quant au questionnement de Carl Monette sur la pertinence ou non d'être membre d'AirMédic, de payer 75 $ par année pour ce faire, c'est un droit.  Juger qu'il est plutôt préférable de faire appel à la Sûreté du Québec au lieu d'AirMédic, c'est une pensée.  Elle ne donne certes pas droit à un recours en dommages et intérêts.

[47]         Soulignons aussi que Carl Monette n'a pas insisté sur les revenus que tire François Rivard d'AirMédic et sur le cours d'hélicoptère suivi.  Il a aussi démontré de la retenue en ne traitant pas d'AirMédic par après.

PRÉJUDICE

[48]         Aucune faute n'ayant été établie, il n'est pas nécessaire d'approfondir l'aspect préjudice.  Sinon pour souligner qu'il semble inexistant et aucune preuve suffisante n'a été apportée.

[49]         François Rivard a son entreprise à coeur, se débat pour la faire progresser, la financer, est sensible à toute critique, mais semblent minimes les conséquences de l'émission du 30 septembre 2010, si conséquences il y a.

[50]         Aussi, Radio-X, à tout le moins à l'automne 2010, a une faible cote d'écoute limitée au Saguenay et de plus, François Rivard a eu l'opportunité de faire valoir son point de vue dans la même émission, aux mêmes heures d'écoute.

DÉPENS

[51]         Considérant que Carl Monette admet avoir fait erreur sur le type d'hélicoptère utilisé par AirMédic, ce qui est le point de départ du litige entre les parties, aucun frais n'est accordé.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL  :

[52]         REJETTE l'action sans frais.

 

 

 

 

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SERGE FRANCOEUR, j.c.s.

 

Me Claude Desbiens

DESBIENS LÉVESQUE

Procureurs de la demanderesse

 

Me Benoît Amyot

CAIN LAMARRE CASGRAIN WELLS

Procureurs des défendeurs

 

Date d’audience :

25 et 26 janvier 2012

 



[1] Pièce P-1.

[2] Article publié dans Le Quotidien le 12 février 2009, pièce D-1-A.

[3] Pièce D-2.

[4] Pièces D-3 et P-6.

[5] Pièce P-6.

[6] 2011 CSC 9 .

[7] Tenu le 28 avril 2011, pages 38 à 42.