Bédard et Canac-Marquis Grenier ltée
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2012 QCCLP 1530 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 31 mars 2011, monsieur Alain Bédard (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision et/ou révocation à l’encontre d’une décision rendue par cette instance le 15 mars 2011.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles accueille le moyen préalable soulevé par Canac-Marquis Grenier ltée (l’employeur) et déclare irrecevable la réclamation du travailleur datée du 18 janvier 2010.
[3] Une audience est tenue à Lévis le 16 novembre 2011 en présence du travailleur et de l’employeur qui est représenté par avocat.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] Le travailleur prétend qu’il y a des erreurs dans les faits rapportés par le premier juge administratif et il n’est pas d’accord avec les conclusions qu’il a retenues.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs recommandent de rejeter la requête déposée par le travailleur. Aucune erreur manifeste et déterminante quant à l’issue du litige n’est démontrée. Le travailleur a tout simplement fait valoir qu’il ne partage pas les conclusions retenues par le premier juge administratif.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu de réviser la décision qu’elle a rendue le 15 mars 2011.
[7]
Le législateur prévoit, à l’article
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[8]
Il a aussi prévu un recours en révision ou en révocation pour un des
motifs mentionnés à l’article
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[9] La présente requête met en cause la notion de « vice de fond ». Cette notion est interprétée de façon cohérente par la Commission des lésions professionnelles comme signifiant une erreur manifeste de droit ou de fait ayant un effet déterminant sur l’issue du litige [2] .
[10] De plus, dans les décisions C.S.S.T. et Jacinthe Fontaine et C.L.P [3] ainsi que dans l’affaire C.S.S.T . et Touloumi [4] , la Cour d’appel du Québec après avoir repris avec approbation les principes qui se dégagent des décisions de la Commission des lésions professionnelles, incite le tribunal à faire preuve de retenue lorsqu’il est saisi d’un recours en révision et en révocation. Elle indique qu’il « ne saurait s’agir de substituer à une première opinion ou interprétation des faits ou du droit, une seconde opinion ni plus ni moins défendable que la première » [5] . La Cour d’appel ajoute que « le recours en révision ne doit pas être un appel sur les mêmes faits » et qu’une partie « ne peut ajouter de nouveaux arguments au stade de la révision » [6] . Ainsi, la Cour d’appel conclut que c’est la gravité, l’évidence et le caractère déterminant d’une erreur qui sont susceptibles de constituer un vice de fond de nature à invalider une décision. Le fardeau de preuve qui incombe à celui qui demande la révision ou la révocation d’une décision demeure donc relativement imposant.
[11] Ces paramètres étant établis, qu’en est-il en l’espèce?
[12] La Commission des lésions professionnelles entend d’abord faire quelques remarques préliminaires.
[13] En début d’audience, le travailleur avise le tribunal qu’il a convoqué un témoin qu’il souhaite faire entendre pour clarifier des faits rapportés dans la décision dont il demande la révision. Il affirme qu’il n’a pas contacté ce témoin pour la première audience puisque l’employeur lui a transmis une lettre en octobre 2010 lui interdisant, dit-il, « tout contact avec les employés de la succursale de St-Georges ».
[14] En se référant aux dispositions de la loi, la soussignée a expliqué au travailleur les motifs qui donnent ouverture à la révision d’une décision et a précisé que ce recours n’est pas une occasion de refaire le débat et de présenter de nouveaux témoins. Le tribunal a donc refusé d’entendre le témoin.
[15] Il s’avère par ailleurs que dans la lettre du 7 octobre 2010, l’employeur interdit au travailleur de se présenter à la succursale de St-Georges pendant les heures de travail pour les motifs qu’il expose et qu’il est inutile de reprendre ici. Manifestement, cette lettre n’a pas la portée que le travailleur veut lui donner.
[16] Le tribunal procède maintenant à l’analyse de la requête présentée par le travailleur à l’encontre de la décision rendue le 15 mars 2011.
[17] À l’origine, la contestation du travailleur émane d’une décision de la CSST rendue à la suite d’une révision administrative, qui déclare recevable la réclamation présentée le 18 janvier 2010 et conclut par ailleurs que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le 15 avril 2009.
[18] Devant le premier juge administratif, compte tenu de la preuve faite en cours d’audience, l’employeur soumet que la réclamation du travailleur est irrecevable puisqu’elle a été déposée après l’expiration du délai de six mois prévu à la loi. La Commission des lésions professionnelles accueille ce moyen préalable.
[19]
Au cœur de ce litige, une réclamation relative à une lésion
professionnelle alléguée être survenue le 15 avril 2009, laquelle n’a pas rendu
le travailleur incapable de travailler avant le 16 janvier 2010. Le premier
juge administratif établit d’abord que dans ces circonstances, les modalités
qui doivent être rencontrées pour le dépôt d’une réclamation sont prévues à
l’article
271. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle qui ne le rend pas incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion ou celui à qui aucun employeur n'est tenu de verser un salaire en vertu de l'article 60, quelle que soit la durée de son incapacité, produit sa réclamation à la Commission, s'il y a lieu, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de sa lésion.
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1985, c. 6, a. 271.
[20] S’appuyant sur la jurisprudence [7] , le premier juge administratif conclut que le délai pour le dépôt d’une réclamation court à partir du moment où le travailleur, à la suite de la manifestation de la lésion, a un intérêt, réel et actuel à présenter une réclamation, par exemple lorsqu’il reçoit des soins et des traitements compensables par la CSST et ce, même s’il n’y a pas d’arrêt de travail.
[21] Le travailleur a témoigné à l’audience. Essentiellement, il allègue avoir subi un accident du travail le 15 avril 2009 qui a entraîné une blessure au genou gauche. Il allègue avoir travaillé malgré la persistance de la douleur au genou gauche, douleur qui augmente avec le temps au point où il doit le protéger en utilisant davantage son genou droit. C’est dans ce contexte que le 4 décembre 2009, il se présente à l’urgence pour un problème au genou droit. Le 8 décembre 2009, il consulte son médecin, le docteur E. Tardif qui recommande une investigation radiologique pour les deux genoux. À la suite de cette investigation, il remplit une attestation qu’il adresse à la CSST dans laquelle il retient le diagnostic de déchirure méniscale interne au genou gauche et recommande des travaux légers.
[22] Devant le premier juge administratif, le travailleur affirme sous serment n’avoir jamais eu de douleurs au genou gauche avant l’événement allégué du 15 avril 2009 et n’avoir jamais consulté avant le mois de décembre 2009.
[23] Or, il est prouvé que le travailleur consulte le 26 avril 2009 au Centre hospitalier Beauce Etchemin pour une douleur au genou gauche apparue en descendant d’un escabeau. Des médicaments sont prescrits, notamment l’Oxycontin, qui n’est disponible qu’au comptoir du pharmacien. La note de cette consultation est déposée à l’audience.
[24] Il est également prouvé que le travailleur a présenté des douleurs au genou gauche avant l’événement allégué du 15 avril 2009. Une note médicale du 27 novembre 2009 le confirme. Il est alors question d’une douleur au genou gauche depuis un an.
[25] Questionné sur le contenu de ces documents, le travailleur affirme n’avoir aucun souvenir de la consultation du 26 avril 2009 et il nie avoir dit au médecin qu’il avait mal au genou depuis un an. À son avis, c’est une erreur. En fait, il n’aurait pas répondu de façon aussi précise.
[26]
Le premier juge administratif écarte la thèse du travailleur et il
s’explique clairement aux paragraphes [57] à [62]. Il retient donc de la preuve
que la manifestation de la lésion au genou gauche s’est produite clairement le
26 avril 2009 et que déjà le travailleur avait un intérêt réel et actuel à
réclamer car il devait se procurer un médicament pour traiter sa lésion au
genou gauche. En conséquence, il retient la date du 26 avril 2009 comme point
de départ pour le calcul du délai de six mois prévu à l’article
[27]
Le premier juge administratif poursuit l’analyse de la preuve et cherche
à vérifier si le travailleur a établi un motif raisonnable pour expliquer le non-respect
du délai, ce qui permettrait de le relever de son défaut tel que le prévoit
l’article
[28] À ce sujet, le travailleur soumet qu’il a continué à travailler malgré la persistance des douleurs, guidé par ses valeurs de loyauté, d’honnêteté et de service auprès de son employeur. À ses yeux, il est plus important de continuer à travailler que de consulter des médecins pour une lésion qu’il estime mineure.
[29] Appréciant l’ensemble de la preuve, le premier juge administratif n’a pas jugé crédibles les explications fournies par le travailleur. D’une part, il estime que dès la première consultation, le travailleur avait intérêt à obtenir les soins appropriés et d’autre part, il retient de la preuve que ce dernier a participé activement à son déménagement à l’été 2009 ce qui l’amène à conclure :
[69] En somme, le tribunal est plutôt en présence d’un travailleur qui a privilégié ou priorisé certaines activités plutôt que de déposer une réclamation à la CSST alors qu’il était évident qu’il était souffrant et que sa lésion était manifeste depuis au moins le 26 avril 2009.
[70] Il n’y a donc aucun motif, que ce soit la
négligence ou ses priorités personnelles qu’il se donne malgré ses valeurs de
loyauté et de disponibilité auprès de son employeur, qui peut justifier le
dépôt hors délai de sa réclamation. Sa réclamation doit donc être déclarée
irrecevable en vertu des articles
[30]
Bien que le dispositif de la décision, déclare irrecevable la réclamation
du travailleur, le premier juge administratif énonce subsidiairement les motifs
qui l’auraient amené à conclure que le travailleur n’a pas été victime d’une
lésion professionnelle au sens de l’article
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[31] Il conclut premièrement que le fait accidentel n’a pas été établi par une preuve prépondérante et, dans l’hypothèse où il aurait été prouvé, celui-ci ne pouvait avoir causé une déchirure méniscale au genou gauche.
[32] Au soutien de sa requête, le travailleur dépose un document de six pages, qu’il titre « Requête en appel de la décision rendue, le 15 mars 2011 ». À l’audience, le travailleur est invité à commenter ce document.
[33] La soussignée n’entend pas reprendre ici de façon détaillée le contenu de ce document ni l’ensemble des commentaires que le travailleur a formulé à l’audience. Le tribunal constate en effet que ni le contenu de sa requête, ni les commentaires additionnels qu’il a formulés à l’audience ne font référence à une erreur manifeste qui aurait un effet déterminant sur l’issue du litige. Le travailleur n’a pas établi que le premier juge administratif a conclu sans preuve, ni qu’il en a omis une partie importante ou encore qu’il n’a pas motivé sa décision.
[34] La soussignée fait donc siens les propos éclairés du juge Fournier de la Cour supérieure dans l’affaire Migliara et Commission des lésions professionnelles et I mprimerie impeccable inc. [8] :
[28] Il est évident, à la lecture de la requête en
révision que Migliara n’entre pas dans l’étroite juridiction qui est accordée
au commissaire de révision à l’article
[35] En l’espèce, le travailleur expose à nouveau sa version des faits, son interprétation des événements de la même manière qu’il l’a fait devant le premier juge administratif. Il répète qu’il n’a pas de souvenir de la consultation du 26 avril 2009 et qu’ il n’a jamais mentionné avoir mal au genou gauche depuis si longtemps au médecin qu’il l’a examiné le 27 novembre 2009.
[36] Il ajoute que le premier juge administratif écrit faussement qu’il a déménagé lui-même ses meubles à l’été 2009. Sur cette question, l’employeur réfère le tribunal au « Précis de cour », rédigé par le travailleur dans lequel ce dernier évoque lui-même sa participation au déménagement.
[37] Par ailleurs, le travailleur a aussi répété avec insistance qu’il a toujours été un employé exemplaire à tout point de vue. Il a conclu en disant qu’il souhaitait que l’employeur « prenne ses responsabilités » et qu’il soit indemnisé pour son problème aux genoux.
[38] Aucun des commentaires du travailleur n’établit de motifs donnant ouverture à la révision.
[39] Le premier juge administratif a apprécié l’ensemble de la preuve et a jugé que la preuve documentaire éloquente ne pouvait être écartée par les explications peu crédibles du travailleur. Il a par la suite appliqué la règle de droit pertinente pour conclure à l’irrecevabilité de la réclamation du travailleur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en révision déposée par monsieur Alain Bédard.
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MARIE BEAUDOIN |
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M e François Pinel |
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BEAUVAIS, TRUCHON, ASS. |
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Représentant de la partie intéressée |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2]
Produits forestiers
Donohue inc.
et
Villeneuve
,
[3]
[4]
C.A. Montréal
[5] Précitée, note 3.
[6] Précitée, note 3.
[7]
Morand
et
Forage Expert G.R. inc.,
[8]
(C.S. , 2011-12-06)