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TRIBUNAL D’ARBITRAGE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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N o de dépôt : |
2012-4283 |
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Date : |
le 28 février 2012 |
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DEVANT L’ARBITRE : |
Me Joëlle L’Heureux |
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Syndicat québécois des employées et employés de service, section locale 298 |
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Ci-après appelé « le Syndicat » |
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Et |
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Groupe Champlain (Marie-Victorin) |
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Ci-après appelé « l’Employeur » |
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Plaignant : |
Louis Poupart |
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Grief : 10-003
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Convention collective : |
SQEES du secteur de la santé et des services sociaux 2006-2010 |
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SENTENCE ARBITRALE
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[1] Le 8 février 2011, les parties me confiaient le mandat pour entendre et décider du grief 10-003 déposé à la suite du congédiement du plaignant, monsieur Louis Poupart, en date du 23 décembre 2010. L’employeur a procédé au congédiement du plaignant, après avoir appris qu’il avait accepté un cadeau en argent de la part de la propriétaire d’une agence avec laquelle l’employeur fait affaire. Les parties ont admis que la procédure de grief et d’arbitrage avait été respectée, et que l’arbitre avait juridiction pour entendre et décider du litige.
[2] L’employeur a fait témoigner monsieur Louis Poupart, le plaignant, madame Josée Turcot, chef des activités administratives, et madame Hélène Fortin, directrice régionale. Le syndicat a fait témoigner le plaignant à nouveau, ainsi que madame Rose-Andrée Éloi, propriétaire de l’agence Montrose.
[3] La lettre de congédiement résume les motifs de congédiement :
« (…) En effet, le 10 décembre 2010, un témoin vous a vu ouvrir une enveloppe contenant des billets de 100.00$.
Lors de notre rencontre du 20 décembre 2010, vous nous avez confirmé avoir reçu le 10 décembre 2010 un cadeau d’un de nos fournisseurs, Madame Rose Éloi de l’agence de main-d’œuvre indépendante MontRose. Vous nous avez précisé que ce cadeau était composé de pâtés provenant d’un traiteur, d’une enveloppe contenant une carte d’anniversaire et trois (3) billets de 100.00$.
Vous nous avez précisé avoir développé une relation plus étroite avec Madame Éloi au fil des années. Vous nous avez également mentionné que vous ne vous fréquentiez pas à l’extérieur. De plus, vous nous avez signifié que Madame Éloi a beaucoup d’argent et qu’elle est généreuse.
(…)
Lors que cette rencontre, vous nous avez précisé ne pas avoir cru pertinent de parler de ce cadeau à votre supérieur immédiat, puisqu’il s’agissait d’un cadeau personnel. Au contraire, vous nous avez précisé que si vous avez su, vous auriez demandé à Madame Éloi de vous remettre le tout à l’extérieur de l’installation. De ce fait, « personne n’aurait été au courant de mon lien avec Madame Éloi et du cadeau ». Vous nous avez de plus mentionné, « j’aurais pu ouvrir l’enveloppe dans un autre endroit sans la présence d’une autre personne, de cette manière, personne ne me questionnerait ».
En vous exprimant de la sorte, vous nous avez démontré ne remettre nullement en question vos agissements du 10 décembre dernier constituant ainsi une absence de jugement.
Comme technicien en administration, vous devez faire preuve d’une intégrité professionnelle exemplaire, car dans l’exercice de vos fonctions, vous bénéficiez au quotidien d’un pouvoir important à l’égard de la sélection des agences de main-d’œuvre indépendante.
Or, en acceptant des avantages pécuniaires, vous avez démontré que vous ne possédez pas les qualités essentielles pour occuper le poste que vous détenez. Votre comportement s’inscrit à l’encontre des valeurs et des approches véhiculées par le Groupe Champlain et dénote un grave manquement au niveau de l’éthique.
De plus, en acceptant de l’argent d’un fournisseur, vous avez contribué à affecter la réputation et la crédibilité du Groupe Champlain.
Compte tenu de ces faits, qui constituent des actes tout à fait inacceptables envers le Groupe Champlain, nous concluons que vous avez irrémédiablement brisé le lien de confiance envers votre employeur, lien qui doit nécessairement exister entre vous et l’employeur.
Conséquemment, nous avons d’autre alternative que de vous congédier en date de ce jour. (…) »
[4] La preuve à l’audience a établi ceci. Le plaignant est technicien en administration. Il travaille depuis février 2007 pour Groupe Champlain. L’employeur administre plusieurs résidences pour personnes âgées. Il s’agit de centres privés conventionnés qui desservent une clientèle ciblée. Le budget d’opération vient du ministère de la santé et des services sociaux. Tous les employés sont des employés du gouvernement, et les soins et services doivent respecter les orientations et politiques du réseau public. L’entreprise doit faire des redditions de compte et éviter toute situation de conflit d’intérêts.
[5] Parmi ses fonctions, le plaignant est responsable de la liste de rappel. Cela signifie qu’il remplace le personnel absent. Il commence par épuiser les listes de rappel de l’employeur. Il voit ensuite s’il peut trouver un remplaçant en temps supplémentaire. Sinon, il s’adresse aux agences de main-d’œuvre. Le plaignant occupe un poste de jour. Trois agentes administratives partagent les heures de fin de semaine et de soir. Le plaignant confirme qu’elles se réfèrent à lui sur le plan professionnel comme technicien en administration.
[6]
Le plaignant déclare que le 7 décembre, il parlait au téléphone avec
madame Éloi. Il lui a mentionné que c’était l’anniversaire de Géraldine, une
autre employée de la centrale de remplacement, et que c’était son propre anniversaire
le lendemain. Le
8 décembre, le plaignant dit avoir encore parlé au téléphone avec madame Éloi.
Elle lui a souhaité bonne fête et lui a dit qu’elle viendrait lui porter des
pâtés pour son anniversaire. Le 10 décembre au matin, c’est madame Éloi qui l’a
appelé. Elle lui a dit qu’elle lui apportait un paquet et lui a demandé de
sortir pour lui remettre à l’extérieur. Madame Éloi ne se souvient pas avoir
demandé au plaignant de sortir, mais confirme qu’elle ne souhaitait pas entrer.
Elle explique qu’elle était habillée pour faire des courses et préférait rester
à l’extérieur. Madame Éloi dit avoir offert le cadeau pour souligner que
Marie-Victorin avait été sa première cliente, et les 10 ans de service de l’agence.
Elle souligne que le plaignant ne devait pas être là pendant la période des
fêtes et qu’il ne pourrait profiter du cadeau collectif avec les autres. Elle
confirme ne pas avoir offert de cadeau personnel à Géraldine qui avait son
anniversaire le 7 décembre. Madame Éloi qualifie ses relations avec le
plaignant de strictement professionnelles. Le plaignant dit qu’elle n’est pas
une amie, mais qu’ils ont tissé des relations de travail.
[7] La remise du cadeau s’est passée dehors, devant l’établissement. Selon le plaignant, l’enveloppe était dans un sac. Madame Éloi dit avoir remis l’enveloppe de main à main. Le plaignant a ouvert l’enveloppe dans son bureau. Il y avait à l’intérieur une carte d’anniversaire et trois billets de 100$. Au moment où il ouvrait l’enveloppe, le chef d’unité monsieur Méreste Innovent l’a vu et lui a demandé, « c’est quoi ça ». Le plaignant a répondu « un cadeau d’une agence ». Le plaignant affirme avoir appelé madame Éloi par la suite pour lui demander en quel honneur elle lui avait envoyé ça. Elle lui aurait répondu que c’était pour souligner le 10e anniversaire, parce qu’il faisait du bon travail et qu’elle n’avait pas eu le temps de lui acheter un cadeau comme elle aurait voulu. Madame Éloi affirme avoir reparlé au plaignant seulement lorsqu’il l’a appelé pour lui dire qu’il était congédié.
[8] Le plaignant confirme avoir eu un processus d’accueil au moment de son embauche. Il ne se souvient pas avoir reçu une pochette qui contenait des documents. Il reconnaît avoir été informé par mémo que la Politique relative aux conflits d’intérêts était versée sur l’intranet et que le personnel était invité à la consulter. Il affirme l’avoir consulté dans ses grandes lignes. Il précise que ce n’était pas un outil de travail pour lui. L’employeur met en preuve que madame Turcot est devenue chef des activités administratives en février 2008. Elle était la supérieure immédiate du plaignant. À l’occasion de la période des fêtes en décembre 2008 et en décembre 2009, elle a avisé l’ensemble des employés de la centrale de remplacement qu’ils ne devaient pas accepter des cadeaux personnels. Le plaignant affirme qu’il ne s’en souvient pas. Madame Turcot confirme qu’il était présent lors de ces rappels en 2008 et en 2009. Elle s’assure toujours de voir les quatre personnes qui travaillent à la centrale de remplacement. Il ne s’agit toutefois pas d’une rencontre formelle avec un avis de convocation.
[9] Tous les témoins confirment que la centrale de remplacement recevait des cadeaux collectifs pendant la période des fêtes. La pratique consistait à laisser les cadeaux sur place au bénéfice de tous les employés. Madame Éloi faisait aussi ce genre de cadeaux.
[10] Le plaignant admet qu’il contactait les représentants des agences lorsqu’il cherchait du personnel remplaçant, et qu’il devait utiliser la liste de priorité. Il minimise le rôle de cette liste de priorité. Le plaignant témoigne à l’effet que cette liste a été modifiée au fil du temps. Ce n’est pas une bible, dit-il. Dans une situation urgente, il peut appeler plusieurs agences et prend la première qui rappelle. Il se sert de la liste pour consulter les numéros de télécopieur qui y sont inscrits. Le plaignant explique aussi que les besoins sont définis par les chefs d’unité, et non par lui. Ce sont aussi les chefs d’unité qui décident de radier. À un certain moment, l’agence ASS n’avait plus d’infirmières orientées.
[11] Un document à l’entête de Groupe Champlain intitulé « Liste téléphonique des agences de personnel retenues à la direction régionale de Montréal » est déposé sous la cote E-1. Le nom de plusieurs agences y apparaît, avec une priorité d’appel qui diffère selon que le remplacement vise une infirmière, un préposé aux bénéficiaires ou un coordonnateur. L’agence Montrose apparaît en priorité 3 pour les infirmières.
[12] Madame Fortin témoigne sur la façon de prioriser les agences de main-d’œuvre. Des critères sont pris en compte, comme des garanties sur la qualité des services et la capacité d’assurer une continuité et une stabilité. L’employeur engage des coûts d’orientation et de formation, il veut s’assurer que l’agence peut répondre aux besoins. À l’automne 2010, deux agences avec les priorité 1 et 2 ont communiqué avec elle, car les demandes de service avaient chuté au cours des derniers mois. Le témoin dit avoir constaté, après vérifications, que les besoins en termes de personnel infirmier de l’employeur allaient en croissant, tandis que les services fournis par ces deux agences allaient en diminuant. Madame Fortin affirme avoir rencontré le plaignant et les autres personnes qui travaillent à la liste de rappel pour leur souligner l’importance de respecter la liste de priorité. Le plaignant nie que cette rencontre avec madame Fortin a eu lieu. Il affirme qu’il s’en souviendrait, car il aurait eu beaucoup de choses à dire sur ce sujet. Le plaignant confirme cependant qu’il pouvait avoir de brèves discussions normales et habituelles dans le cours du travail, avec sa supérieure madame Turcot, sur les agences de main-d’œuvre.
[13] Le témoin dépose un tableau (E-4) qui illustre les heures fournies par cinq agences entre le 1 er avril 2010 et le 31 mars 2011. Il s’agit des cinq premières agences sur la liste de priorité des préposés aux bénéficiaires. On y retrouve le nom de l’agence, le nombre d’heures utilisées au total, et le nombre d’heures utilisées pour le titre d’emploi d’infirmière. La deuxième agence sur la liste de priorité des infirmières n’apparaît pas sur le document E-4. Madame Fortin ne peut expliquer pourquoi l’agence ayant la priorité 2 sur le document E-1 ne se retrouve pas sur le tableau E-4, ni avant, ni après le départ du plaignant. Madame Fortin présume que l’agence ayant la priorité 2 pour les infirmières a été remplacée par l’agence ayant la priorité 1 pour les proposés aux bénéficiaires. Pour elle, la consigne est toutefois claire. Les priorités 1 et 2 sont accordées à Lyne Lachance et à ASS. Ces deux agences ne se retrouvaient pas où elles devaient être en terme d’heures fournies, tandis que l’agence Montrose apparaît en haut de liste des heures utilisées, pour presque toutes les périodes avant le congédiement du plaignant. Certains écarts sont significatifs.
[14] Suite au départ du plaignant, madame Fortin dit avoir reçu un appel de madame Éloi qui ne comprenait pas pourquoi les demandes de services à son agence avaient diminué. Elle disait qu’elle était au premier rang, ce qui n’avait jamais été convenu par madame Fortin ou madame Turcot. Madame Éloi nie avoir appelé la directrice ou quiconque.
[15]
Le plaignant a été convoqué pour une rencontre avec l’employeur le
20 décembre 2010. Il n’a pas eu de préavis. Son représentant syndical était
présent. Il confirme avoir dit qu’il avait un lien d’amitié avec madame Éloi et
une très bonne relation. Il a lui-même fait référence à un pot de vin, disant
qu’il pouvait comprendre que l’employeur pensait que c’était un pot de vin. Il
se souvient avoir mentionné que ce n’était pas pertinent d’en parler à son
supérieur parce que c’était un cadeau qui provenait d’une amie. Il confirme
aussi avoir répliqué que s’il avait su, lui et madame Éloi se seraient vus
ailleurs. Il a dit cela parce qu’il voyait que ça faisait une histoire. On lui
posait des questions sur quelque chose qui lui appartenait et il ne comprenait
pas. À l’audience, le plaignant affirme avoir dit n’importe quoi lors de cette rencontre,
car il était décontenancé.
[16] Madame Fortin a assisté à la rencontre du 20 décembre. Cette rencontre a permis de confirmer que l’information reçue voulant que le plaignant avait accepté un cadeau de 300$ était véridique. Le plaignant disait que si c’était à refaire, il s’organiserait autrement. Elle était très mal à l’aise avec le fait qu’il ne démontre aucun remords ou regret. Pour elle, le lien de confiance était atteint.
[17] Le 31 décembre, le plaignant a adressé une lettre à madame Fortin. Cette lettre a été admise sous réserve, car postérieure aux faits. Le plaignant y décrit les motifs de ces gestes. Compte tenu de sa défense à l’audience et qu’il s’agit, entre autres, d’une question de crédibilité, la lettre est admise. Le plaignant y dit qu’il a acquis son expérience de travail dans le secteur privé et que les cadeaux à la période des fêtes y sont monnaie courante. Il décrit le contexte ainsi :
« Maintenant que je connais la très grande sensibilité que le Groupe Champlain éprouve à ce chapitre, permettez-moi de mettre en relief quelques points importants : le fait qu’une agence m’ait offert un cadeau d’anniversaire n’a rien à voir avec la présence ou non de cette agence à l’intérieur du Groupe Champlain. Depuis dix ans qu’elle y est présente, cette agence a voulu dire : continue ton bon travail. J’appelle ça de la reconnaissance. La carte reçue aurait très bien pu contenir des billets de hockey, et on connait la valeur d’un seul de ces billets! »
[18] Le plaignant affirme maintenant que si c’était à refaire, il aviserait sa supérieure. Il considère que globalement il ne méritait pas un congédiement.
[19] L’employeur souligne que les faits sont clairs. Le plaignant est responsable de la liste de rappel. Il a une influence sur le niveau d’affaire des agences, et accepte un cadeau substantiel de l’une de ces agences. Le cadeau reçu par le plaignant ne se compare pas aux cadeaux de groupe usuels. Le plaignant a contrevenu de façon directe à la Politique relative aux conflits d’intérêts et aux directives données par l’employeur. Il s’est placé dans une situation de conflit d’intérêts. Le cadeau reçu est susceptible d’altérer son jugement dans le choix d’une agence. Il n’a jamais avisé l’employeur qu’il avait reçu ce cadeau, bien qu’il ait eu dix jours pour le faire entre la date à laquelle il a reçu l’argent et la date de la rencontre avec l’employeur. Accessoirement, le procureur souligne que face à une telle évidence, comme en matière de vol, il n’est pas nécessaire pour l’employeur de prouver que le plaignant a reçu une directive lui interdisant de poser le geste reproché. Le plaignant savait très bien qu’il ne devait pas accepter ce cadeau. Sa réaction le 20 décembre, lorsqu’il dit que s’il avait su, il aurait ouvert l’enveloppe ailleurs, le montre bien.
[20]
En raison des contradictions dans les versions fournies par le plaignant
et étant donné l’ensemble des témoignages, l’employeur conclut que le plaignant
a menti. Le
20 décembre, le plaignant a nié l’évidence en tentant de camoufler le tout
comme un cadeau personnel et n’a démontré aucun remords. Il s’agit de facteurs
aggravants qui font en sorte que l’employeur a décidé de congédier le
plaignant. S’il avait simplement avisé l’employeur du cadeau et remis l’argent,
l’affaire aurait été réglée. S’il avait reconnu son erreur lors de la rencontre
du 20 décembre et manifesté des regrets, il aurait pu s’attendre à une longue
suspension. Il n’a rien fait de cela. Il ment et dit même qu’il aurait dû
camoufler son geste.
[21] Le plaignant n’a pas nié avoir reçu 300$. Toutefois, selon le syndicat, l’employeur n’a pas démontré que le plaignant avait contrevenu à la Politique. Cette Politique permet de recevoir certains cadeaux. L’appréciation d’un cadeau modeste est variable. Le plaignant a ouvert son enveloppe sans se cacher.
[22] L’employeur amplifie la gravité de la faute. Si la Politique relative aux conflits d’intérêts était si importante, pourquoi ne pas l’avoir remise de main à main à chaque employé? Le syndicat considère aussi que l’employeur n’a pas démontré l’importance de respecter la priorité entre les agences tel qu’indiqué au document E-1. Quant au tableau E-4, plusieurs facteurs peuvent influer sur le nombre d’heures de chaque agence.
[23] Pour le syndicat la mesure est trop sévère. Le plaignant a un dossier disciplinaire vierge. L’employeur aurait dû être proactif et s’informer plus tôt auprès du plaignant sur ce qui s’était passé. Il a plutôt attendu 10 jours et a convoqué le plaignant sans préavis pour la rencontre du 20 décembre. On peut comprendre les réponses du plaignant lors de la rencontre.
[24] Le 23 décembre 2010, le plaignant a été congédié pour avoir accepté un cadeau de 300$ d’un fournisseur, ce qui le plaçait en situation de conflit d’intérêts. Dans la lettre de congédiement, l’employeur souligne aussi l’absence de remise en question de ses gestes par le plaignant. À l’audience, face à l’ensemble de la preuve, le procureur de l’employeur ajoute que le plaignant a menti et que le tribunal devra en tenir compte. Le tribunal doit décider si les faits sont prouvés, s’ils constituent une faute et si cette faute justifie le congédiement.
[25] La Politique relative aux conflits d’intérêts (la Politique) définit le conflit d’intérêts comme suit :
« Toute situation réelle, apparente ou potentielle dans laquelle une personne est mise dans l’obligation ou la possibilité de faire un choix entre deux intérêts, soit le sien et celui du résident, ou le sien et celui de l’établissement (…) »
[26] La Politique poursuit en disant que tout membre du personnel doit s’abstenir d’être le bénéficiaire de faveurs émanant d’entreprises (…) qui pourraient avoir pour effet de réduire son indépendance professionnelle ou administrative. La Politique fournit même des modalités d’application concrète :
« 4.4 Sous réserve du paragraphe 4.5, aucun membre du personnel ne peut accepter d’un résident, d’un organisme ou d’une entreprise, une compensation, financière ou autre, dans le cadre de ses services ou de ses fonctions;
4.5 Un membre du personnel peut accepter une gratification de valeur modeste (fleurs, friandises) uniquement dans le but de la partager avec les membres de son équipe de travail;
4.6 Sous réserve du paragraphe 4.7, aucun membre du personnel ne peut accepter de dons, cadeaux, avantages ou montant d’argent de la part d’un fournisseur;
4.7 Un membre du personnel pourrait accepter un cadeau ou un autre avantage d’un fournisseur en autant qu’il n’ait qu’une valeur modeste et qu’il ne crée pas d’engagement. En cas de doute sur l’opportunité d’accepter une gratification, le membre du personnel doit demander l’avis de son supérieur. Dans tous les cas, le membre du personnel qui accepte un tel cadeau ou avantage doit en informer son supérieur immédiat. »
[27] Il est clair que cette Politique met en relief que le conflit d’intérêts existe dès que le salarié se place dans une situation où il pourrait avoir, ou aurait la possibilité de faire un choix entre ses intérêts personnels et ceux de son employeur. La Politique décrit même des situations qui visent spécifiquement la relation entre un membre du personnel et un fournisseur. Le plaignant a été invité à lire cette Politique versée sur l’intranet. Il dit l’avoir lu dans ses grandes lignes, car il ne s’agissait pas d’un outil de travail pour lui. Au contraire, cette Politique vise directement le genre de situation dans lesquelles le plaignant peut se retrouver. L’employeur y a mis par écrit ce qui relève du sens commun, c’est-à-dire qu’un salarié ne peut accepter de cadeaux d’un fournisseur de l’entreprise.
[28] Le tribunal retient donc que le plaignant savait qu’il lui était interdit d’accepter un cadeau d’un fournisseur. J’arrive à cette conclusion, car je retiens le témoignage de madame Turcot qui affirme qu’elle avisait chaque année tout le personnel de la centrale de remplacement, incluant le plaignant, de n’accepter aucun cadeau d’un fournisseur. J’arrive à cette conclusion, car le plaignant admet avoir lu la Politique dans ses grandes lignes. J’arrive aussi à cette conclusion parce que le plaignant, lors de la rencontre du 20 décembre 2010, a voulu faire croire que l’argent reçu était un cadeau personnel de la part d’une amie. Il pensait ainsi se défiler de l’interdiction faite à un employé d’accepter un cadeau de la part d’un fournisseur.
[29] En acceptant 300$ en argent de la part de la propriétaire d’une agence de main-d’œuvre à qui l’employeur donne des contrats, le plaignant a contrevenu directement à la Politique et s’est placé en situation claire de conflit d’intérêts. Il est impossible de confondre l’argent reçu par le plaignant avec un cadeau de valeur modeste permis par la Politique, de type fleur ou friandise. De plus, le plaignant n’a jamais allégué avoir omis d’aviser l’employeur au motif que le cadeau avait une valeur modeste et était conforme à la Politique.
[30] Afin de déterminer si le congédiement était justifié, le tribunal doit statuer sur la gravité de la faute. Les auteurs Bernier et al. [1] écrivent que l’ampleur du conflit d’intérêts s’évalue en fonction de l’importance de l’atteinte au lien de confiance unissant le salarié à son employeur et non en fonction du préjudice financier qu’il peut engendrer, citant l’affaire de Bell Canada rendue par l’arbitre Lussier en 1995 [2] .
[31] Le tribunal souligne ici être face à un homme d’âge mûr. Il travaille pour l’employeur depuis un peu plus de trois ans. Il n’est pas le seul à jouer un rôle dans le choix des agences qui fourniront de la main-d’œuvre, mais son rôle est important. Il occupe le poste de technicien à la centrale de remplacement. Il n’y a qu’un poste de technicien. Les agentes administratives se réfèrent à lui sur le plan professionnel. Une fois les besoins établis par les chefs d’unité, c’est lui qui communique avec les diverses agences pour offrir les heures de remplacement. Il admet lui-même qu’il peut appeler l’une ou l’autre agence. En fait, il ne respecte pas la liste de priorité fournie par l’employeur. Il est donc dans une situation où il peut facilement favoriser une agence au détriment d’une autre, et au détriment des ententes faites par l’employeur pour assurer une qualité et une stabilité des services. La fonction principale du plaignant consiste à répartir les heures de remplacement entre les agences de main-d’œuvre. Le conflit d’intérêts dans lequel le plaignant s’est placé touche ici le cœur même de ses fonctions professionnelles.
[32] L’employeur a aussi mis en preuve un écart significatif entre les heures accordées aux agences et leur rang sur la liste de priorité. Les chiffres qui apparaissent sur ce tableau peuvent laisser penser qu’il y a effectivement eu un mouvement inexpliqué dans l’ordre de priorité des agences. L’employeur n’avait toutefois pas l’obligation de faire cette preuve pour démontrer le conflit d’intérêts et la faute grave. Étant donné le poste occupé par le plaignant, la preuve du conflit d’intérêts est suffisante pour démontrer la faute grave. En acceptant de l’argent d’un fournisseur, le plaignant a aussi contribué à affecter la réputation et la crédibilité de l’employeur, comme ce dernier l’invoque dans sa lettre de congédiement. Madame Fortin a témoigné sur les plaintes reçues de la part de deux autres agences. Les établissements du réseau de la santé doivent faire preuve d’une grande intégrité dans la gestion des fonds publics. L’employeur ne peut tolérer que la personne qui contacte les agences pour offrir les heures de remplacement reçoive un cadeau substantiel, sans le dévoiler, de l’une de ces agences.
[33] Le comportement du plaignant après avoir reçu ce cadeau constitue finalement un facteur aggravant. Il aurait eu amplement le temps de dévoiler le fait, et il a choisi de ne pas le faire. Le syndicat reproche à l’employeur d’avoir attendu 10 jours pour convoquer le plaignant à une rencontre. Tout d’abord, rien dans la preuve ne permet de conclure que l’employeur a attendu 10 jours. En fait, la preuve n’a pas établi à quel moment l’employeur a appris le fait. Ceci est toutefois accessoire, car c’est à l’employé qui reçoit le cadeau à agir concrètement pour le refuser, ou pour dévoiler le tout promptement.
[34]
Un autre facteur aggravant découle des propos tenus par le plaignant
lors de la rencontre du 20 décembre 2010. À l’audience, il blâme l’employeur
pour ses réponses. Il dit avoir répondu n'importe quoi, car il n’a pas eu de
préavis. Le plaignant a choisi de répondre comme il l’a fait lors de la
rencontre du 20 décembre. Il a insisté pour dire que madame Éloi était une amie
et qu’ils avaient une très bonne relation. La lettre du
20 décembre précitée reprend d’autres paroles, qui sont admises à l’audience. Le
plaignant a menti lors de cette rencontre. Il a aussi menti dans sa lettre du
31 décembre, dans laquelle il invoque encore le fameux cadeau d’anniversaire. La
preuve révèle cependant que le cadeau de 300$ était de toute évidence en lien
avec le travail, et que le plaignant le savait. Le plaignant a aussi, lors de
la rencontre du
20 décembre, émis des commentaires révélateurs, dans le sens qu’il aurait dû
faire cela ailleurs et ainsi éviter de se faire prendre.
[35] Le tribunal doit donc retenir que le plaignant a voulu tromper son employeur sur la nature du cadeau. Il n’a démontré aucun regret. Il a plutôt dit que s’il avait su, il se serait arrangé pour ne pas se faire prendre. Ces propos ne sont pas anodins. L’employeur en a tenu compte, et il était légitime pour lui de le faire. La jurisprudence confirme en effet que l’absence de collaboration, le refus d’admettre les faits, les tentatives de camouflage peuvent briser le lien de confiance. Cet extrait des auteurs Bernier et al. illustre cette position :
« 3.459. Plusieurs arbitres ont statué que lorsque le salarié ne collabore pas à l’enquête de l’employeur portant sur la faute qu’il a commise, lorsqu’il nie les faits qui lui sont reprochés, lorsqu’il refuse d’admettre son manquement devant le tribunal d’arbitrage, ces éléments constituent un facteur aggravant. Les tentatives de camouflage son souvent jugées sévèrement. Ce facteur aggravant est important puisqu’il démontre l’absence de remords ou de repentir et attaque souvent le lien de confiance nécessaire au maintien de la relation d’emploi du salarié fautif. »
[36] Le syndicat demande au tribunal de considérer l’absence de dossier disciplinaire du plaignant. Étant donné l’ancienneté du plaignant qui était d’un peu plus de trois ans, ce facteur n’est pas décisif. Surtout, la preuve ne permet pas de retenir l’absence d’intention fautive, ce qui est déterminant. Le tribunal doit plutôt constater qu’il y a bien peu de facteurs atténuants dans ce dossier.
[37] Le conflit d’intérêts qui est démontré est une faute grave en raison du poste sensible occupé par le plaignant et du fait qu’il gère des fonds publics. Le comportement du plaignant après le fait constitue un facteur aggravant significatif. Pour ces motifs, l’employeur n’a pas retenu l’option de la longue suspension. Il a considéré que le congédiement devenait la seule option car le lien de confiance était rompu. La décision de l’employeur était raisonnable dans les circonstances et le tribunal n’a pas à intervenir.
POUR CES MOTIFS
REJETTE le grief.
(S) Joëlle L’Heureux |
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________________________________ __ Joëlle L’Heureux, arbitre |
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Pour le syndicat : |
Monsieur Esteben Harguindeguy |
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Pour l’employeur : |
Me Michel Desrosiers |
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Date d’audience : |
le 1 er décembre 2011 et le 7 février 2012 |
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