Akoum et Akoum |
2012 QCCLP 1575 |
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[1] Le 11 septembre 2011, monsieur Mohamad Akoum (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 26 août 2011, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, l’instance de révision confirme la décision initiale rendue le 20 mai 2011 et déclare que le travailleur n’a pas subi, le 1 er octobre 2010, de récidive, rechute ou aggravation en relation avec la lésion professionnelle du 8 juin 2004.
[3] L’audience est tenue à Montréal le 27 février 2012. Le travailleur est présent et n’est pas représenté. Aucun employeur n’est convoqué car le travailleur bénéficiait d’une protection personnelle. La cause est prise en délibéré le même jour.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] Le travailleur demande de reconnaître qu’il a subi, le 1 er octobre 2010, une récidive, rechute ou aggravation en relation avec la lésion professionnelle survenue le 8 juin 2004.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont d’avis de rejeter la requête au motif que la preuve ne démontre pas, de façon prépondérante, la détérioration de la condition du travailleur et ce, d’un point de vue médical objectif.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a subi, le 1 er octobre 2010, une récidive, rechute ou aggravation en relation avec la lésion professionnelle du 8 juin 2004.
[7]
La notion de récidive, rechute ou aggravation est comprise dans la
définition de lésion professionnelle, prévue à l’article
[8] La jurisprudence [3] exige que l’existence de la relation causale entre la récidive, rechute ou aggravation et la lésion initiale soit prouvée par preuve prépondérante. À cette fin, elle établit des paramètres, non exhaustifs et non cumulatifs, permettant d’évaluer cette relation causale : la gravité de la lésion initiale; la continuité de la symptomatologie; l’existence ou non d’un suivi médical; le retour au travail, avec ou sans limitations fonctionnelles; la présence ou l’absence d’une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique; la présence ou l’absence de conditions personnelles; la compatibilité de la symptomatologie lors de la récidive, rechute ou aggravation et lors de la lésion initiale; le délai entre la récidive, rechute ou aggravation et la lésion initiale.
[9] Dans le présent dossier, la preuve démontre que le travailleur offre des services de transport adapté lorsque, le 8 juin 2004, il subit un accident du travail. Alors qu’il attend au feu rouge, son véhicule est frappé à l’arrière par un camion remorque. Le travailleur est blessé à la colonne cervicale et à la colonne lombaire.
[10] Le 1 er avril 2005, une tomodensitométrie axiale lombaire montre :
[...]
Les pédicules vertébraux sont courts et le canal spinal lombaire inférieur est congénitalement un peu étroit chez ce patient.
En L2-L3 et L3-L4, de légers bombements disco-ostéophytiques diffus sont présents et une très petite protrusion discale médiane en L3-L4 sans sténose.
En L4-L5, il existe un étalement circonférentiel du disque et de petits ostéophytes marginaux, ainsi qu’une protrusion discale postéro-centrale plus proéminent du côté gauche, générant une sténose centrale modérée et comprimant le fourreau dural.
En L5-S1, une protrusion discale médiane et latérale gauche est visualisée refoulant les racines S1 des deux côtés et comprimant la gauche. Le canal spinal reprend un calibre plus adéquat à ce niveau.
EN RÉSUMÉ : Examen documentant la présence de légers bombements des disques en L2-L3 et L3-L4 et une discopathie en L4-L5 et L5-S1 associée à une hernie médiane prédominant du côté gauche en L4-L5 et à une hernie médiane et latérale gauche en L5-S1, le tout entraînant une sténose centrale vis-à-vis L4-L5.
[11] Le 17 novembre 2005, le docteur Mohammad Maleki, neurochirurgien, pratique une chirurgie consistant en une discoïdectomie L5-S1, hémilaminectomie L5 gauche et exploration de l’espace L4-L5.
[12] Le 9 février 2007, le docteur Maleki produit un rapport final consolidant la lésion et un rapport d’évaluation médicale avec bilan des séquelles. À noter que, selon la preuve, il ne subsiste pas de séquelles au niveau cervical mais seulement au niveau lombaire. Le docteur Maleki retient le diagnostic de hernie discale L5-S1 opérée.
[13] À l’examen clinique, il rapporte que le travailleur se déplace sans boiter. Il n’y a pas de spasme ni de déviation. L’amplitude articulaire est la suivante : flexion antérieure 70/90º, extension, flexions latérales et rotations 30/30º. L’examen neurologique révèle une hypoesthésie S1 gauche, une faiblesse modérée de la plantiflexion correspondant à la racine S1 gauche et une diminution des réflexes achilléens du côté gauche.1
[14] Le docteur Maleki alloue différents pourcentages de déficit anatomo-physiologique, notamment pour la chirurgie, pour une ankylose de la flexion antérieure ainsi que pour atteinte sensitive et motrice S1 gauche incluant une faiblesse de motricité, de légère à modérée, au niveau de la plantiflexion du pied gauche. Il émet les limitations fonctionnelles suivantes :
Monsieur Akoum devra éviter de forcer ou soulever des poids lourds de plus de 30 lbs. Il devra également éviter d’effectuer des mouvements de flexion/extension ou des torsions du dos à répétition et toute position stationnaire prolongée n’est pas recommandée.
[15] Le 29 mai 2007, la CSST détermine que le travailleur est capable d’exercer un emploi convenable de commis au service du personnel. Cet emploi n’étant pas disponible, la CSST informe le travailleur de son droit à l’indemnité de remplacement du revenu pendant au plus un an. Le travailleur conteste cette décision. Le 6 juin 2008, l’instance de révision déclare irrecevable cette demande puisque hors délai. Le 18 juin 2009, la Commission des lésions professionnelles [4] confirme cette décision.
[16] Le 13 juin 2008, la CSST refuse de rembourser le coût pour l’achat de souliers orthopédiques et orthèses plantaires sur mesure. Le 4 septembre 2008, l’instance de révision confirme la décision. Le 18 juin 2009, la Commission des lésions professionnelles [5] infirme cette décision, reconnaissant la relation causale entre les souliers et orthèses et les séquelles de la lésion professionnelle, plus particulièrement la paresthésie résiduelle à la jambe gauche et la faiblesse de plantiflexion du pied gauche et reconnaissant au travailleur le droit à l’assistance médicale.
[17] Entre-temps, le 3 juin 2008, le docteur Maleki produit un autre rapport final dans lequel il réfère à la date de consolidation qu’il a fixée au 9 février 2007 et à l’évaluation des séquelles déjà faite qui demeure inchangée. De plus, il écrit :
Séquelles de hernie discale L5S1
inapte à travailler
pas de traitement à offrir
[18] Le travailleur formule une réclamation pour récidive, rechute ou aggravation survenue le 1 er octobre 2010 dont le refus fait l’objet du présent litige. Au soutien de cette réclamation, des documents médicaux divers (notes cliniques dont les auteurs ne sont pas identifiés, tests) sont versés au dossier. Concernant le site de lésion lombaire, aucun rapport médical sur un formulaire de la CSST et aucune opinion d’un médecin effectuant la synthèse des différents éléments médicaux ne s’y retrouvent.
[19] Aux fins de rendre la décision initiale du 20 mai 2011, la CSST retient le diagnostic de « status post discoïdectomie avec douleurs chroniques ».
[20] Dans son analyse, la CSST tient compte d’un rapport médical complété, le 2 août 2010, sur un formulaire de la Régie des rentes du Québec [6] par le docteur Sabah Bekhor [7] , neurologue.
[21] La CSST retient l’opinion de son médecin conseil, le docteur François Trudel, à l’effet que ce rapport ne contient aucune description d’une détérioration physique de l’état de santé du travailleur.
[22] Dans ce rapport, le docteur Bekhor écrit qu’à l’examen clinique, les réflexes ostéotendineux sont symétriques, les réflexes achilléens sont faibles, il y a une diminution du « straight leg raising », une diminution de la flexion et de l’extension, une diminution de la sensation (illisible) et une difficulté à marcher sur la pointe des pieds. À la rubrique diagnostique, le docteur Bekhor écrit qu’il s’agit d’une atteinte discale avec sciatique gauche post discoïdectomie et d’une méralgie paresthétique gauche. Il conclut que le travailleur est capable de travailler selon les recommandations du docteur Maleki à l’effet de ne pas occuper un emploi impliquant la force. Il mentionne que la présence d’une arachnoïdite doit être éliminée et prescrit une résonance magnétique ainsi qu’une électromyographie.
[23] Des notes cliniques datées du 4 août 2010 sont versées au dossier mais leur auteur n’est pas identifié. Il est question d’aggravation d’une sténose spinale vraisemblablement aux niveaux L4-L5, L5-S1.
[24] Le 29 septembre 2010, une résonance magnétique lombaire documente des changements dégénératifs modérés multiétagés :
[...]
FINDINGS :
There is no previous for comparison.
The conus is unremarkable and terminate at T12.
MODIC type II changes on either side of L5-S1 intervertebral disc and MODIC type 1 changes are seen in the superior endplate of L4.
Unremarkable frontal and lateral alignment of the lumbar spine.
L1-L2: Unremarkable.
L2-L3: Mild diffuse disc bulge. Otherwise unremarkable.
L3-L4 : Diffuse disc bulge and ligamentum flavum hypertrophy causing mild spinal canal stenosis. The neural foramina are unremarkable.
L4-L5: Diffuse disc bilge with surimposed annular tear. There is mild narrowing of the left neural foramen.
L5-S1: Mild diffuse disc bulge. No significant spinal canal stenosis. The neural foramina are unremarkable.
CONCLUSION :
Mild multilevel degenerative changes are seen, as described above.
[25] Le 4 octobre 2010, le docteur Bekhor procède à l’électromyographie et conclut à des changements neurogènes compatibles avec une sténose spinale plus sévère au niveau L5-S1. Il réitère qu’une arachnoïdite doit être éliminée :
IMPRESSION :
[...]
On electromyography this study shows evidence for severe neurogenic changes with denervation corresponding to S1 radiculopathy seen bilaterally more from the left, also moderate neurogenic changes from the L5 distribution mainly from the left. Mild denervation also with denervation of the left S1 paraspinals. Overall changes compatible with moderate multilevel lumbar disc with spinal stenosis appearing to be more severe at L5-S1. To rule-out arachnoiditis. [...]
[26] À l’audience, le travailleur témoigne de la détérioration de sa condition qui se manifeste par une sensation de brûlure à la hanche gauche qui descend jusqu’au genou avec hypoesthésie des trois derniers orteils. Il témoigne de la difficulté à demeurer debout et d’une faiblesse rendant difficiles les actions de soulever, pousser ou tirer des charges. De façon générale, il se sent plus faible. Sa conjointe témoigne des difficultés occasionnées dans leur vie en raison de ses symptômes. Le travailleur témoigne aussi des difficultés rencontrées dans les différents emplois occupés à la suite de la détermination de l’emploi convenable.
[27] À la lumière de cette preuve, le tribunal doit déterminer si, le 1 er octobre 2010, le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation en relation avec sa lésion professionnelle du 8 juin 2004.
[28] La chirurgie effectuée le 17 novembre 2005 a consisté en une discoïdectomie L5-S1 et une hémilaminectomie L5. À la suite de cette chirurgie, le docteur Maleki alloue un déficit anatomo-physiologique pour la discoïdectomie, pour l’ankylose au niveau de la flexion mais aussi pour une atteinte sensitive et motrice S1 au niveau du membre inférieur gauche. L’atteinte sensitive reconnue est de classe II (code 112434) et compense une hypoesthésie incluant dysesthésie et douleur. L’atteinte motrice reconnue est de classe III (code 111872) et compense une faiblesse objective contre résistance légère.
[29] La preuve soumise démontre-t-elle, de façon prépondérante, que la condition du travailleur se serait détériorée depuis l’évaluation du docteur Maleki, que sa condition au 1 er octobre 2010 correspondrait à une récidive, rechute ou aggravation?
[30] Le tribunal estime que la preuve soumise ne fait pas cette démonstration d’un point de vue médical objectif. À cet égard, les témoignages du travailleur et de sa conjointe ne suffisent pas à démontrer la survenance d’une récidive, rechute ou aggravation. Une preuve médicale objective et prépondérante est exigée.
[31] Les notes médicales du 4 août 2010 font état d’une aggravation de la sténose spinale. Lors de l’électromyographie du 4 octobre 2010, le docteur Bekhor mentionne que la sténose spinale apparait plus sévère à L5-S1. Cependant ces affirmations apparaissent peu compatibles avec la preuve spécifique puisque aucune sténose spinale n’est décrite en L5-S1 à la résonance magnétique du 29 septembre 2010.
[32] À deux reprises, le 2 août 2010 et le 4 octobre 2010, le docteur Bekhor avance l’hypothèse de la présence d’une arachnoïdite. Encore une fois, ces affirmations ne sont pas appuyées par la preuve spécifique puisque la résonance magnétique du 29 septembre 2010 ne décrit pas la présence d’une arachnoïdite alors que ce test est susceptible de le déceler.
[33] Enfin, l’examen clinique rapporté par le docteur Bekhor, le 2 août 2010 est trop sommaire pour démontrer, de façon prépondérante une récidive, rechute ou aggravation reliée à la lésion professionnelle du 8 juin 2004.
[34] Le fardeau de preuve qui incombait au travailleur n’est pas relevé et le tribunal doit en conséquence rejeter sa réclamation.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête du travailleur, monsieur Mohamad Akoum;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 26 août 2011, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas subi, le 1 er octobre 2010, de récidive, rechute ou aggravation en relation avec la lésion professionnelle du 8 juin 2004;
DÉCLARE que le travailleur n’a en conséquence pas droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles .
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Lina Crochetière |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2]
Lapointe
et
Compagnie
Minière Québec-Cartier
[3]
Boisvert
et
Halco
[4] Dossier 353962-71-0807.
[5] Dossier 358715-71-0809.
[6] Le travailleur témoigne que sa demande à la Régie des rentes du Québec n’a pas été accordée.
[7] Le travailleur témoigne avoir été référé au docteur Bekhor par une connaissance.