Commission scolaire de Montréal

2012 QCCLP 1625

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

5 mars 2012

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

447804-71-1108

 

Dossier CSST :

136329976

 

Commissaire :

Sylvie Arcand, juge administratif

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Commission scolaire de Montréal

 

Partie requérante

 

 

 

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DÉCISION

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[1]            Le 26 août 2011, la Commission scolaire de Montréal (l’employeur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle elle conteste une décision rendue le 17 août 2011 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.

[2]            Par cette décision en révision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 11 février 2011 et refuse d’appliquer l’article 329 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [1] (la loi).

[3]            À l’audience prévue pour le 2 mars 2012, l’employeur, bien que dûment convoqué, était absent.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]            L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de lui accorder un partage des coûts de l’ordre de 10 % à son dossier d’employeur pour la lésion professionnelle subie par madame Nicole Guilbault le 25 mai 2010.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[5]            La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’employeur a droit à un partage des coûts en vertu de l’article 329 de la loi, lequel se lit comme suit :

329.  Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.

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1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.

 

 

[6]            La notion de « travailleur déjà handicapé » n’est pas définie à la loi.  Cependant, deux décisions rendues en 1999 proposent des définitions qui ont été suivies par la suite et qui représentent le courant majoritaire à la Commission des lésions professionnelles auquel souscrit la soussignée [2] .  Il ressort de ces décisions que, pour bénéficier d’un partage d’imputation en vertu de l'article 329 de la loi, l’employeur doit démontrer que le travailleur souffrait, avant que se manifeste la lésion professionnelle, d’une déficience.  Cette déficience est soit une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique qui correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale.  Il n’est pas nécessaire que cette déficience se soit manifestée ou soit connue avant la survenance de la lésion professionnelle.

[7]            L’employeur doit ensuite démontrer l’existence d’un lien entre cette déficience et la lésion professionnelle, à savoir soit que la déficience a influencé l’apparition ou la production de la lésion ou que la déficience a eu un impact sur les conséquences de cette même lésion professionnelle.

[8]            La Commission des lésions professionnelles est d’avis, après une étude attentive du dossier, qu’il n’a pas été établi, par prépondérance de preuve, que la travailleuse était handicapée au sens de l’article 329 de la loi lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle.

[9]            La travailleuse est âgée de 49 ans et elle occupe le poste d’éducatrice en service de garde lorsqu’elle est victime d’un accident du travail le 25 mai 2010.  À cette date, elle reçoit un coup de cloche-pied sur le talon gauche.

[10]         La réclamation de la travailleuse est acceptée par la CSST le 8 juillet 2010 en raison du diagnostic de ligamentite au pied gauche.

[11]         Une radiographie effectuée le 7 juillet 2010 démontre la présence d’un enthésophyte proéminent infracalcanéen au site d’attache proximale du fascia plantaire, qui apparaît légèrement épaissi, documentant ainsi une fasciopathie chronique.  On note aussi un petit enthésophyte au niveau de l’aspect postérieur du calcanéum au site d’attache distale du tendon d’Achille.  Ce tendon présente des contours plus ou moins délimités compatibles avec la présence d’une bursite rétrocalcanéenne et, possiblement, aussi rétroachilléenne.

[12]         Toujours le 7 juillet 2010, la travailleuse est expertisée à la demande de l’employeur par le docteur Giasson.  Il note que la travailleuse n’a aucun antécédent pertinent.  Suite à son examen objectif, il retient le diagnostic de tendinopathie achilléenne gauche, qu’il considère être une condition personnelle.  Il ne fournit aucune explication quant à l’existence d’une déficience chez cette travailleuse.

[13]         Une résonance magnétique de la cheville gauche est effectuée le 21 octobre 2010.  Cet examen est interprété comme démontrant un minime épanchement intra-articulaire et une déchirure musculaire partielle à la jonction musculotendineuse du tendon achilléen.  On note la présence de tendinose du tendon.  L’examen démontre aussi une épine de Lenoir, modérément proéminente, avec œdème, au niveau de la tubérosité calcanéenne, compatible avec des changements reliés à un stress traumatique.

[14]         Le dossier est soumis au Bureau d’évaluation médicale et c’est le docteur Masri qui rencontre la travailleuse le 10 novembre 2010 et qui signe un avis le 23 novembre 2010.  Le docteur Masri note aussi qu’il n’y a aucun antécédent.  Suite à son étude du dossier et à son examen objectif, il retient le diagnostic de déchirure musculaire partielle à la jonction musculotendineuse du tendon achilléen gauche.  Il consolide la lésion le 10 novembre 2010 avec une atteinte permanente de 1 %.  Il ne retient aucune limitation fonctionnelle.

[15]         La CSST a, le 6 décembre 2010, rendu une décision entérinant les conclusions du docteur Masri et cette décision n’a fait l’objet d’aucune demande de révision.

[16]         Afin d’obtenir un partage des coûts en vertu de l’article 329 de la loi, il est nécessaire de démontrer, par prépondérance de preuve, l’existence d’une déficience.  Or, on ne retrouve, dans le présent dossier, à l’exception d’une radiographie et d’un rapport de résonance magnétique, aucune opinion médicale spécifique et détaillée expliquant la présence d’une déficience et démontrant l’impact de cette déficience sur la lésion professionnelle.  Il y a tout simplement absence de preuve à cet effet.

[17]         Il n’est pas suffisant d’affirmer qu’une travailleuse souffre d’une condition personnelle afin d’obtenir un partage des coûts en vertu de l’article 329 de la loi.

[18]         Dans l’affaire J .B. Deschamps (Impressions Piché) [3] , le juge administratif Rivard écrit, relativement à la preuve qui doit être offerte par l’employeur, ce qui suit :

[22]      Le tribunal note que l’opinion du représentant de l’employeur, qui est avocat, cela dit avec le plus grand respect, ne peut pas équivaloir à une analyse médicale par un médecin permettant d’identifier la déficience précise, dans le cas du travailleur visé dans le présent dossier, et les effets de cette déficience sur les phénomènes qui ont causé la lésion ou les conséquences qui en ont découlé.

 

[23]      Une argumentation aussi savante et judicieuse soit-elle ne remplacera jamais une analyse médicale telle qu’exigée par la jurisprudence et les règles du fardeau de la preuve en vigueur devant le présent tribunal. Le fardeau de la preuve qui repose sur les épaules de l’employeur est celui de démontrer, par une preuve factuelle et médicale, l’existence de la déficience et de ses effets. Ce n’est pas l’opinion du représentant de l’employeur qui importe mais bien la qualité de la preuve médicale et de l’analyse propre aux faits du dossier par un médecin qui pourra être prise en compte selon la balance des probabilités.

 

[24]      Le tribunal doit faire le constat que l’employeur n’a soumis aucune preuve médicale et articulée permettant d’établir de façon probante l’existence des déficiences alléguées et qui aurait eu un impact sur l’évolution de la lésion professionnelle subie par le travailleur le 9 août 2004.

 

[25]      L’employeur n’a soumis aucun rapport médical comportant une analyse des faits particuliers du dossier en fonction de la situation particulière de ce travailleur et selon les circonstances du fait accidentel initial au cours duquel celui-ci a soulevé un poids d’environ 150 livres. L’employeur ne fait que soumettre des allégations par le biais de son représentant dans le cadre d’une argumentation écrite. Le représentant, rappelons-le, n’est pas un médecin et ses arguments soumis par le biais d’une plaidoirie écrite ne constituent aucunement l’équivalent d’une preuve médicale. Le tribunal rappelle que les représentants ne peuvent, sans avis médicaux à cet effet, spéculer à partir des examens radiologiques et des informations médicales apparaissant au dossier afin d’échafauder une théorie visant à soutenir une demande de partage de coûts.

 

[26]      Les demandes de partage de coûts soumises au tribunal doivent s’appuyer sur une preuve médicale particularisée, prenant en compte l’ensemble des éléments factuels et médicaux du dossier soumis à l’attention de la Commission des lésions professionnelles visant le travailleur précis dans ce dossier.

 

[27]      Le tribunal souligne que la jurisprudence exige plus qu’une simple affirmation faite par un représentant sans appui sur les données précises du dossier et sur une information objective sur le plan médical pour apprécier l’existence de la déficience et sa déviation par rapport à la norme biomédicale.

 

[19]         Dans Transport V.A. inc. [4] , le juge administratif Clément, toujours relativement au fardeau de preuve de l’employeur, écrivait :

[52]      Le tribunal n’a pas la connaissance d’office du fait qu’il soit anormal ou déviant, à l’âge de 59 ans, de ressentir certaines douleurs aux épaules, en raison de la présence d’arthrose. Rien n’indique que le travailleur ait dû s’absenter du travail, en raison de cette condition, auparavant.

 

[53]      La preuve est donc vague sur l’étendue des problèmes antérieurs du travailleur et absente sur le fait qu’on peut déduire qu’il y a déviation par rapport à une biomédicale.

 

 

[20]         Toujours dans l’affaire J.B. Deschamps [5] précitée, le juge administratif Rivard ajoute :

[31]      Le tribunal n’a donc pas à spéculer lui-même ou à partir des allégations d’un représentant de l’employeur sur le sens qu’il faut donner au contenu de la résonance magnétique, plus particulièrement du 14 février 2005, qui évoquait une discopathie dégénérative étagée chez le travailleur. Le tribunal ne dispose d’aucune donnée médicale particularisée au dossier pour affirmer et conclure que la discopathie dégénérative modérée et multiétagée doit être considérée comme une déviation par rapport à la norme biomédicale chez ce travailleur âgé de 41 ans au moment de la lésion.

 

[32]      Il s’agit ici d’hypothèses et de spéculations qui ne peuvent pas équivaloir à une preuve prépondérante.

 

[33]      Le tribunal rappelle, encore une fois, que le seul fait que la durée de la consolidation normalement attendue, par rapport à une entorse lombaire, soit dépassée, ne constitue pas en soi un élément suffisant pour emporter la conclusion d’emblée que le partage de coûts de l’employeur serait bien fondé.

 

 

[21]         Dans l’affaire Ratiopharm [6] , la juge administrative Nadeau s’exprime comme suit relativement à l’absence de preuve démontrant une déficience :

[16]      La représentante de l’employeur affirme que cette dégénérescence et cette arthrose facettaire ne constituent pas des conditions normales pour un homme de cet âge sans soumettre la moindre preuve au soutien de sa prétention. Aucune opinion médicale, aucune littérature médicale n’est déposée.

 

 

[22]         Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles, en accord avec les principes dégagés par les décisions précitées, considère qu’il n’est pas établi, par prépondérance de preuve, que la travailleuse était handicapée au moment de la survenance de sa lésion professionnelle.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de la Commission scolaire de Montréal, l’employeur;

CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 17 août 2011, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que l’employeur doit assumer la totalité des coûts de la lésion professionnelle subie par madame Nicole Guilbault, la travailleuse, le 25 mai 2010.

 

 

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Sylvie Arcand

 

 

 

 

Me Karolyne Gagnon

COMMISSION SCOLAIRE DE MONTRÉAL - SECTEUR JURIDIQUE

Représentante de la partie requérante

 



[1]          L.R.Q. c. A-3.001.

[2]           Municipalité Petite Rivière St-François et CSST , C.L.P. 115785-32-9905 , 17 novembre 1999, M.A. Jobidon; Hôpital général de Montréal , C.L.P. 102851-62-9806 , 29 novembre 1999, Y. Tardif.

[3]           C.L.P. 336858-31-0712, 3 novembre 2008, J.-L. Rivard.

[4]           C.L.P. 332852-03B-0711, 3 juin 2003, J.-F. Clément.

[5]           Voir note 3.

[6]           C.L.P. 348625-61-0805 , 8 mai 2009, L. Nadeau.