Perron et Desgagnés Marine Cargo inc. |
2012 QCCLP 1690 |
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[1] Le 11 février 2011, monsieur Michel C. Perron (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 11 janvier 2011 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 21 octobre 2010 et déclare que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle.
[3] Une audience est tenue à Québec le 12 décembre 2011 à laquelle assistent le travailleur et Desgagnés Marine Cargo inc. (l’employeur) qui est représenté par avocat. L’affaire est mise en délibéré à compter du 27 janvier 2012, après avoir reçu l’ensemble des documents médicaux dont le dépôt avait été requis à l’audience.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître que l’arthrose qui affecte ses genoux est une lésion professionnelle.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d'employeurs recommandent de rejeter la requête du travailleur. Le travailleur ne bénéficie d’aucune présomption pour établir la relation entre l’arthrose aux deux genoux et un événement survenu au travail ou encore avec les risques particuliers du travail qu’il exerce. Il avait donc le fardeau de démontrer, par une preuve prépondérante, cette relation, ce qu’il n’a pas a réussi à faire. Son seul témoignage est insuffisant. Ils sont d’avis que le travailleur n’a pas été victime d’une lésion professionnelle.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a subi une lésion professionnelle.
[7] La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [1] (la loi) définit comme suit la notion de « lésion professionnelle » :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[8] Dans le cas sous étude, le travailleur présente de l’arthrose aux deux genoux. Il prétend que cette maladie est en lien avec son travail de matelot. Ainsi, pour conclure dans le sens souhaité par le travailleur, la preuve doit établir qu’il s’agit d’une maladie survenue à l’occasion d’un accident du travail ou encore qu’il s’agit d’une maladie professionnelle. Ces notions sont également spécifiquement définies à la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[9] Dans certaines circonstances [2] , la loi accorde au travailleur la possibilité de se prévaloir de l’application d’une présomption pour établir la relation de causalité entre la pathologie alléguée et le travail. En l’espèce, le diagnostic reconnu et non contesté, soit l’arthrose aux deux genoux, ne donne pas ouverture à ce moyen de preuve.
[10] Ainsi, selon les définitions précitées, il appartient au travailleur de démontrer que cette maladie est, soit la conséquence d’un événement imprévu et soudain survenu au travail ou encore qu’elle serait reliée aux risques particuliers du travail de matelot. Le tribunal écarte d’emblée cette dernière hypothèse car, d’une part, ce n’est pas ce que le travailleur prétend et, d’autre part, il n’a de toute façon pas été prouvé que son travail de matelot l’expose à des risques particuliers de développer de l’arthrose aux deux genoux.
[11] Le tribunal ne peut conclure qu’il existe une relation de causalité entre une maladie et le travail en se fondant uniquement sur le témoignage du travailleur. Une simple affirmation ne fait pas la preuve de cette relation. Médicalement, la relation doit être démontrée par une preuve probante.
[12] À la lumière de ces principes, le tribunal conclut en l’espèce que la prépondérance de la preuve n’établit pas que l’arthrose aux deux genoux est une lésion professionnelle. Il ressort plutôt de la preuve qu’il s’agit d’une condition personnelle qui est nécessairement évolutive. Aucune preuve n’établit par ailleurs qu’un accident du travail ou qu’une maladie professionnelle a aggravé cette condition personnelle.
[13] Il s’agit en l’espèce, d’un travailleur qui exerce le métier de matelot depuis plus de trente ans. Il travaille environ huit mois par année. Les tâches d’une journée normale de travail sont variées. Elles incluent des travaux de peinture de diverses structures, l’usage de différents outils, ou d’un boyau d’arrosage, d’un balai, d’une pelle et autres. Le travailleur doit évidemment marcher sur les ponts et utiliser les échelles et escaliers du bateau.
[14] Vers juin 1992, le travailleur ressent les premières douleurs au genou gauche. Elles sont apparues en marchant, sans événement particulier, ni personnel ni professionnel, au souvenir du travailleur. Une radiographie est demandée en raison de douleur chronique à la face latérale du genou. Le rapport de cet examen fait le 19 octobre 1992, ne met pas en évidence de lésion osseuse ou articulaire. Le 18 décembre 1992, le travailleur subit une méniscectomie interne au genou gauche. En post-opératoire, le diagnostic de chondropathie est aussi retenu. Le travailleur retourne à son travail après une période de convalescence.
[15] En 2006, le travailleur ressent des douleurs au genou droit. Elles sont apparues de la même façon que celles au genou gauche, sans événement particulier, ni personnel ni professionnel, au souvenir du travailleur. Le travailleur passe une radiographie du genou droit le 8 février 2007. Le radiologiste décrit un amincissement de l’interligne articulaire tibio-fémorale interne par arthrose « modérément importante » et de l’arthrose fémoro-patellaire.
[16] Le 4 juillet 2007, le travailleur fait une chute à son travail. Il subit une fracture de l’os malaire, ainsi que du cadre orbitaire et du plancher orbitaire du côté gauche. Il est opéré le 6 juillet 2007. Les notes médicales n’indiquent pas de douleur particulière aux genoux. La preuve révèle par ailleurs, qu’à la suite de cette chute, le travailleur n’a pas eu de traitement quel qu’il soit pour les genoux.
[17] Le travailleur est de retour au travail en octobre 2007.
[18] Le travailleur allègue que les douleurs au genou gauche se sont accentuées après la chute. Elles deviennent encore plus marquées à compter du printemps 2008. Le travailleur ne consulte pas entre 2007 et 2009. Il affirme toutefois qu’au travail, tous connaissaient ses problèmes aux genoux.
[19] En février 2009, lors d’un examen annuel, il est notamment question des douleurs aux genoux. Le docteur Savoie écrit :
[…] pt va bien par ailleurs, sent que lorsqu’il travaille très fort (pt matelot de marine marchande) il accuse dlr genoux (connu pour arthrose modéré genou drt)
[20] Le docteur Savoie diagnostique une arthrose symptomatique aux genoux. Le travailleur passe de nouvelles radiographies le 13 février 2009. Elles démontrent un amincissement important de l’interligne articulaire tibio-fémorale au genou droit et un amincissement pratiquement complet de l’interligne articulaire tibio-fémorale au genou gauche.
[21] Le travailleur cesse de travailler en septembre 2010. Aucun événement particulier n’est survenu, mais les douleurs aux genoux deviennent de plus en plus invalidantes.
[22] Il consulte le docteur Savoie à compter de septembre 2010. Il se plaint de douleurs identiques aux deux genoux qu’il évalue à 5 sur une échelle de 10 au repos et à 9 sur une échelle de 10 à la pratique des activités de la vie quotidienne. À cette époque, le docteur Savoie émet une attestation qu’il adresse à la CSST. Il recommande un arrêt de travail et dirige le travailleur en orthopédie.
[23] Le travailleur est alors pris en charge par le docteur L. Lemire, orthopédiste. Le 6 mars 2011, le travailleur est opéré pour une prothèse totale du genou gauche. Le diagnostic post-opératoire est une arthrose sévère au genou gauche avec un genu varum marqué. Au moment de l’audience, le travailleur est en attente pour une prothèse totale au genou droit.
[24] Tel qu’expliqué dans les premiers paragraphes de cette décision, pour donner raison au travailleur, il faut être en mesure de conclure à partir de la preuve documentaire et testimoniale, qu’il est plus probable que la pathologie alléguée dépende de circonstances reliées au travail que d’une autre cause. Or, cette conclusion ne peut être retenue en l’espèce.
[25] Il est clair que les premières douleurs aux genoux ne sont pas en lien avec un événement survenu au travail. L’arthrose qui affecte les deux genoux du travailleur est devenue symptomatique sans événement particulier. On ne peut pas conclure, des notes médicales, que la chute du mois de juillet 2007 ait changé le cours des choses de quelle que manière que ce soit. Il n’y a aucun indice qui permet de corroborer l’allégation du travailleur selon laquelle il a ressenti plus de douleurs au genou gauche après la chute. Le travailleur n’a d’ailleurs pas consulté entre 2007 et 2009.
[26] Lorsqu’il consulte à nouveau, les examens démontrent que l’arthrose présente aux deux genoux, depuis bon nombre d’années, est encore plus marquée qu’elle ne l’était. La preuve ne permet pas de relier cette évolution à un accident du travail. Cette condition personnelle a naturellement évolué.
[27] Assurément, le travailleur ressent plus de douleurs aux genoux en travaillant ce qui prouve que le travail est une occasion comme une autre où les douleurs aux genoux se manifestent, mais n’établit pas la relation de causalité entre le travail et la pathologie en cause.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de monsieur Michel C. Perron;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 11 janvier 2011 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que monsieur Michel C. Perron n’a pas été victime d’une lésion professionnelle en septembre 2010.
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MARIE BEAUDOIN |
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M e Bernard Cliche |
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LANGLOIS, KRONSTRÖM, DESJARDINS |
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Représentant de la partie intéressée |