Laval Construction inc. c. Drainexc Inc.

2012 QCCQ 1683

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE QUÉBEC

« Chambre civile »

N°:

200-22-056723-109

 

DATE :

27 janvier 2012

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE MONSIEUR LE JUGE JACQUES TREMBLAY, J.C.Q.

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LAVAL CONSTRUCTION INC.

Représentée par :

M e Marie-Paule Gagnon (casier 14)

Stein Monast s.e.n.c.r.l.

Demanderesse

c.

DRAINEXC INC.

Représentée par :

M e Pierre Samson (casier 21)

Défenderesse

 

Audience tenue à Québec le 1 er décembre 2011

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JUGEMENT

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[1]            La demanderesse (Laval Construction) réclame de la défenderesse (Drainexc) la somme de 19 354,22 $ pour le retrait d’une requête en faillite logée contre elle de façon indue.


[2]            Drainexc déclare que sa conduite reposait sur la croyance que Laval Construction était incapable de faire face à ses obligations, particulièrement à son égard. Selon elle, les dommages sont minimes voire inexistants. Elle a rapidement réagi pour les minimiser.

LES FAITS

[3]            Drainexc a déposé le 20 août 2010 une requête en faillite contre Laval Construction. À l’audience, elle reconnaît qu’à cette date Laval Construction était solvable.

[4]            Drainexc a requis le retrait de sa requête en faillite. Un jugement de la Cour supérieure autorise ce geste le 13 septembre 2010.

[5]            Laval Construction exige 5000 $ pour la compenser de l’atteinte à sa réputation de compagnie solvable, fiable et bien gérée. Elle réclame en sus les honoraires d’avocats pour obtenir le retrait de la requête en faillite (6854,22 $) et 2500 $ à titre de dommages punitifs.

QUESTIONS EN LITIGE

1 ère question  :             Le dépôt de la requête en faillite a-t-elle constitué une atteinte à la réputation de Laval Construction?

2 e question  :               Laval Construction a-t-elle droit à une indemnité pour les gestes qu’elle a dû poser pour se défendre à la requête et en contrer ses effets négatifs?

3 e question  :               Laval Construction a-t-elle droit au remboursement des honoraires professionnels versés pour obtenir le retrait de la requête en faillite?

4 e question  :               La conduite de Drainexc entraîne-t-elle une condamnation pour dommages exemplaires?

ANALYSE ET DÉCISION

1 ère question  :           Le dépôt de la requête en faillite a-t-elle constitué une atteinte à la réputation de Laval Construction?


[6]            La requête en faillite était mal fondée. Elle reposait que sur une créance impayée qui du reste était litigieuse et mettait en cause la requérante elle-même. Le moyen approprié pour obtenir le paiement de sa créance demeure le recours civil et non l’instance de mise en faillite. Cela relève du domaine commun du droit des affaires [1] .

[7]            Avant d’intenter un recours en faillite, le pétitionnaire doit faire des démarches minimales de vérification quant au risque qu’il ne soit pas payé en raison de l’insolvabilité de son débiteur. Il est rare que l’insolvabilité résulte que d’une seule créance impayée.

[8]            La défenderesse affirme dans son plaidoyer de défense au paragraphe 53 que :

Jusqu’à cette conversation, la défenderesse avait toujours cru à la solvabilité de la demanderesse et ce n’est qu’en fonction des affirmations du président de cette dernière qu’elle a cru de bonne foi que la solvabilité de la demanderesse pouvait être déficitaire;

[9]            Or, la conversation entre Simon Gravel et Marc Richard bien qu’ambiguë ne peut constituer un aveu d’insolvabilité autorisant Drainexc à requérir son constat. Dans le contexte, monsieur Richard aurait dû comprendre que Construction Vergo inc. constituait un décideur important du litige et que le financement de la solution passait par cette entreprise.

[10]         L’utilisation de la requête en faillite par son côté radical et pour faire pression constitue par Drainexc une faute dont elle doit assumer la responsabilité.

[11]         Est-ce que la réputation de Laval Construction a été atteinte?

[12]         La requête en faillite a été retirée rapidement. Elle a fait l’objet d’une publicité spécifique dans un bulletin intitulé « Le failli, le droit immobilier au quotidien » qui est consulté par les gens d’affaires oeuvrant avec Laval Construction.

[13]         La requête en faillite fait état d’une créance impayée de l’ordre de 65 000 $ sans autres éléments négatifs sur la santé financière de Laval Construction.


[14]         La réputation est constituée de l’ensemble des opinions qu’a le milieu où Laval Construction agit ou est susceptible d’agir. Ce milieu ne peut ignorer que dans une année Laval Construction peut exécuter des contrats totalisant plus de 7 000 000 $. Une recherche aux plumitifs des tribunaux révèle l’absence de toute poursuite civile, criminelle ou pénale. Les partenaires financiers sont régulièrement payés; les employés aussi.

[15]         Le dépôt d’une requête en faillite constitue certes un accroc à cette image de solidité et de bonne gestion. Mais, ceux qui en ont été avisés sont ceux qui sont le plus à même d’en relativiser l’impact négatif. Son retrait rapide évite la création de rumeurs ou de décisions négatives justifiées par le simple fait de l’existence de cette requête.

[16]         La Cour suprême du Canada établit que l’atteinte à la réputation doit être appréciée du point de vue du citoyen ordinaire en respectant la liberté d’expression et celle d’avoir recours aux tribunaux [2] . Cette décision rappelle la nécessité d’un lien causal entre la faute reprochée et les dommages subis. Il faut donc éviter l’extrapolation entre l’impact généralement associé à la procédure de faillite avec la détermination d’un dommage automatique à Laval Construction. La réputation repose sur une palette plus large de considérations évitant qu’une simple assertion puisse porter atteinte véritablement et de façon marquée à la réputation de bonne performance de cette entreprise.

[17]         Je ne crois pas à la lumière de la preuve que la réputation de Laval Construction ait pu être affectée d’une façon sérieuse et persistante en raison du dépôt de la requête de Drainexc, de son contenu et de sa publicité dans un bulletin d’affaires s’adressant à une clientèle spécialisée.

2 e question  :             Laval Construction a-t-elle droit à une indemnité pour les gestes qu’elle a dû poser pour se défendre à la requête et en contrer ses effets négatifs?

[18]         La requête en faillite constitue un événement dramatique dans la vie d’une entreprise qui exige une gestion serrée pour éviter les dommages subséquents. La preuve est faite que les hautes instances de Laval Construction ont dû consacrer des énergies pour informer et rassurer les employés, ses partenaires d’affaires tant prêteurs que fournisseurs. Ils ont dû monter un dossier pour se défendre à cette affirmation ponctuelle d’insolvabilité contenue à la requête de Drainexc.

[19]         Le caractère injustifié et abusif de la requête en faillite entraîne une condamnation à indemniser pour les gestes et énergies perdus. Le montant réclamé de 5000 $ apparaît raisonnable dans les circonstances.

3 e question  :             Laval Construction a-t-elle droit au remboursement des honoraires professionnels versés pour obtenir le retrait de la requête en faillite?

[20]         La Cour d’appel maintient la règle que les honoraires professionnels ne peuvent être réclamés sur le simple fait qu’une procédure judiciaire est rejetée, parce que non justifiée [3] . Cependant, dans le présent cas, l’utilisation de la procédure de façon contraire aux principes de base qui la justifie et pour faire pression sur son débiteur entraîne la responsabilité.

[21]         Drainexc inc. invoque que des efforts professionnels sont toujours utiles pour le litige concernant les sommes qui lui sont dues pour le travail exécuté au chantier de Cap-de-la-Madeleine. À ce propos, une faible déduction a déjà été admise pour le travail du 22 juillet 2010 (P-18).

[22]         Étant en matière de dommages, Laval Construction se doit de les minimiser. Lors de ce premier épisode judiciaire du litige, ses procureurs acquièrent une connaissance approfondie du débat à venir et sur les contrats intervenus pour le chantier de Cap-de-la-Madeleine. Après le dépôt de la contestation survenu le 1 er septembre 2010, les procureurs ont pu s’employer à gérer ce dernier aspect, tel qu’en fait foi notamment l’inscription du 10 septembre 2010.

[23]         Pour tenir compte de ces éléments, un montant de 6000 $ est donc attribué à ce chapitre.

4 e question  :             La conduite de Drainexc entraîne-t-elle une condamnation pour dommages exemplaires?

[24]         Les dommages punitifs sont réclamés sur la base de l’article 54.4 du Code de procédure civile qui se lit à ce chapitre comme suit :

54.4.  Le tribunal peut, en se prononçant sur le caractère abusif d'une demande en justice ou d'un acte de procédure, ordonner, le cas échéant, le remboursement de la provision versée pour les frais de l'instance, condamner une partie à payer, outre les dépens, des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par une autre partie, notamment pour compenser les honoraires et débours extrajudiciaires que celle-ci a engagés ou, si les circonstances le justifient, attribuer des dommages-intérêts punitifs.

Si le montant des dommages-intérêts n'est pas admis ou ne peut être établi aisément au moment de la déclaration d'abus, il peut en décider sommairement dans le délai et sous les conditions qu'il détermine.


[25]         Le geste reproché d’intenter une procédure injustifiée et abusive a été posé dans le cadre d’un chantier particulier auquel les parties collaborent. Drainexc justifie sa démarche par une déclaration ambiguë du créancier de ne pas avoir d’argent pour elle. Le risque de récidive est faible de la part de Drainexc puisque cela affecterait sa propre crédibilité d’affaires et en conséquence ses intérêts. Le Tribunal doit également noter le retrait rapide de la procédure lorsqu’on réalise la méprise. Au surplus, Drainexc est représentée et assistée par un avocat lors de cette démarche devant la Cour de faillite. En raison du caractère dissuasif des dommages punitifs tant à l’égard de Drainexc qu’aux autres partenaires d’affaires qui oeuvrent dans le domaine de la construction, une somme de 1000 $ sera fixée à ce chapitre correspondant sensiblement à 1/10 de la condamnation monétaire déjà octroyée [4] .

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

            ACCUEILLE partiellement la requête de Laval Construction inc.;

CONDAMNE Drainexc inc. à payer à Laval Construction inc. la somme de 11 000 $ portant intérêt au taux légal de 5 % l’an et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 17 septembre 2010;

CONDAMNE Drainexc inc. à payer à Laval Construction inc. la somme de 1000 $ à titre de dommages exemplaires portant intérêt au taux légal de 5 % l’an et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec et ce à compter du 17 septembre 2010;

LE TOUT avec dépens.

 

 

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JACQUES TREMBLAY, J.C.Q.

 

M e Marie-Paule Gagnon (casier 14)

Stein Monast s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la demanderesse

 

M e Pierre Samson (casier 21)

1094, avenue Murray

Québec (Québec)  G1S 3B6

Procureur de la défenderesse

Date d’audience :

1 er décembre 2011

 



[1]     BROCHU, Denis, Précis de la faillite et de l’insolvabilité , 3 e édition, 2010, Publications CCH ltée, p. 183;

      HOULDEN, L.W., MORAWETZ, G.B. et SARRA, Janis P., The 2011 Annotated Bankruptcy and Insolvency Act , 2011, Carswell, pages 147 et 149;

      Promer Seafoods International Ltd (Syndic de) , AZ-93021484 (C.S.).

 

[2]     Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc ., 2011, CSC 9 (CanLII).

[3]     Viel c. Entreprises immobilières du Terroir inc., 2002, R.J.Q. 1262 .

[4]     Article 1621 C.c.Q;

      Windheim c. Windheim , 2011 QCCS 6118 , pages 7 à 9.

      Cinar c. Robinson , 2011 QCCA 1361 .