Services Matrec inc. |
2012 QCCLP 1718 |
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[1] Le 11 janvier 2011, Services Matrec inc., l’employeur, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 14 décembre 2010 lors d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme sa décision initiale du 26 octobre 2010 et déclare que l’employeur doit assumer la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie le 10 février 2009 par son travailleur, monsieur André Bisson.
[3] En prévision de l’audience, le représentant de l’employeur a fait parvenir le 20 janvier 2012 un rapport médical du Dr DesMarchais, réalisé le 9 juin 2009, opinion déjà au dossier du tribunal. Par ailleurs, avec cet envoi, le représentant de l’employeur a déposé au dossier les résultats d’une investigation radiologique des genoux du travailleur, réalisée le 9 juin 2009 à la demande du Dr DesMarchais.
[4]
Par ailleurs, le représentant de l’employeur a produit une expertise
médicale datée du 9 janvier 2012, réalisée sur la foi du dossier par le Dr
Pierre Desnoyers, relativement à l’application demandée de l’article
[5] Enfin, le représentant de l’employeur a produit de la doctrine médicale au soutien de sa position au dossier.
[6] L’audience s’est tenue à Saint-Hyacinthe le 23 janvier 2012 en présence du représentant de l’employeur. Le dossier est mis en délibéré le même jour.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[7]
L’employeur invoque l’article
[8]
Subsidiairement, l’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la synovite qui s’est déclarée chez
le travailleur à la suite de la chirurgie subie le 12 février 2009 est une
lésion professionnelle au sens de l’article
LES FAITS
[9] Le travailleur, âgé de 48 ans, occupe un poste d’éboueur chez l’employeur depuis 1999 lorsque le 10 février 2009, il est victime d’un accident du travail qu’il décrit ainsi au formulaire « Réclamation du travailleur » produit :
En débarquant du marchepied du camion de vidange, le pied m’a partit sur la glace et me suis blessé au genou droit [ sic ]
[10] Le même jour, une radiographie du genou droit est faite et révèle ceci :
Élévation de la rotule indiquant une rupture du tendon rotulien. Il y a d’ailleurs un fragment osseux antérieur qui pourrait provenir d’un arrachement de la tubérosité tibiale antérieure.
[11] Le Dr McCaughey pose alors le diagnostic de rupture du tendon rotulien droit, prescrit l’utilisation de béquilles, de médication anti-inflammatoire ainsi qu’un arrêt du travail avec la mention que le « travailleur sera vu par un orthopédiste demain ».
[12] Le 11 février 2009, le Dr Gravel, orthopédiste, pose également le diagnostic de rupture du tendon rotulien droit. Il recommande une chirurgie.
[13] Le 12 février 2009, le travailleur est opéré au genou droit par la Dre Danielle Desloges, chirurgienne-orthopédiste. Au protocole opératoire, le médecin note :
[…]
Nous pratiquons une approche antérieure au niveau du genou droit. Ouverture des tissus sous-cutanés. Nous évacuons le volumineux hématome à la fois intra-articulaire et péri-articulaire du genou droit. Le tendon rotulien est complètement avulsé de la pointe de la rotule et délamine toute la surface supérieure de la rotule avec prolongation de la rupture dans tout le VMO et le long de l’aileron externe en latéral.
[14] Par ailleurs, le tribunal note de ce protocole opératoire qu’aucune observation n’est faite par la Dre Desloges quant à la présence d’ostéophytes dans le genou droit du travailleur.
[15] Le 18 février 2009, le Dr Latulippe pose le diagnostic de cellulite postopératoire pour laquelle le médecin prescrit de l’Ancef.
[16] Le 19 février 2009, un suivi postopératoire est fait auprès du Dr Nguyen. Il note que le traitement se poursuit.
[17] Le 27 février 2009, le travailleur revoit la Dre Desloges. Le médecin pose le même diagnostic de « rupture du tendon rotulien + VMO + aileron » et demande de poursuivre le port de l’attelle de Zimmer pour deux semaines supplémentaires et suggère de débuter des traitements de physiothérapie à compter du 16 mars, et ce, pour six semaines.
[18] Le 11 mars 2009, la CSST rend une décision par laquelle elle accepte la réclamation du travailleur pour un accident du travail le 10 février 2009, retenant le diagnostic de rupture du tendon rotulien droit. Cette décision n’a pas été contestée.
[19] Le 7 avril et le 22 mai 2009, la Dre Desloges fait les mêmes constats et recommandations que précédemment. Le 22 mai, elle suggère de procéder à l’évaluation du « DAP dès que le plateau est atteint ».
[20] Le 9 juin 2009, le travailleur est examiné par le Dr DesMarchais, chirurgien orthopédiste, à la demande de l’employeur. À son rapport, le Dr DesMarchais rapporte que le travailleur ne présente aucun antécédent au niveau de ses genoux. À l’historique, le médecin note :
Le patient nous explique que l’accident est survenu le 10 février 2009, vers 8 h 30 (patient dit qu’il a travaillé le 9 février, le lundi. Il dit que c’est arrivé le lendemain de son anniversaire, il s’en souvient très bien).
Le patient dit qu’en sortant de son camion, le pied gauche a glissé et là, il ne sait plus ce qui s’est passé. Il a écrasé par terre. Il n’a pas été capable de se relever. Le patient dit qu’il s’est fait transporter par le chauffeur du camion à Charles-Lemoyne.
[21] Le même jour, une radiographie des genoux est faite à la demande du Dr DesMarchais. Le Dr Christian Morin, radiologiste, rapporte ceci :
GENOU DROIT
Il y a une vis à la partie inférieure de la rotule. Il y a un petit bec ostéophytique à la face postérieure de la rotule.
Deux petits fragments osseux cortiqués sont visibles en infra-patellaire. Ils pourraient être situés en regard du tendon rotulien ou constitués de petites souris articulaires. Il y a par ailleurs de discrets phénomènes d’arthrose du genou.
GENOU GAUCHE
Sous la pointe inférieure de la rotule, il y a un fragment osseux qui semble provenir de la rotule elle-même et représenter une fracture d’allure plutôt ancienne non unie. Il y a par ailleurs un peu d’arthrose fémoro-patellaire et fémoro-tibiale.
[22] Dans son rapport du 9 juin 2009, le Dr DesMarchais rapporte ainsi les résultats de la radiographie réalisée le même jour :
Investigation radiologique
Une radiographie du genou droit, AP, latéral, montre des ostéophytes relativement importants au niveau des épines tibiales. On note une vis retenant le tendon rotulien dans une rotule « patella alta ». Il existe des signes de remodelage au niveau du condyle fémoral interne dans sa bordure interne ainsi qu’au niveau du condyle fémoral externe. En latéral, on voit aussi un peu d’ostéophytose sur la marge postérieure des plateaux ainsi que sur la marge postérieure du condyle fémoral et sur la marge inféro-interne de la rotule, près de l’ostéosynthèse. Il existe de plus un épaississement du coussinet adipeux avec début d’ossification (début de maladie de Hoffa).
Du côté gauche, on note aussi une « patella alta » avec une patella bipartite avec un fragment dans la portion inférieure. En AP, il existe aussi une ostéophytose au niveau du compartiment des apophyses tibiales et sur le compartiment interne et aussi au niveau du compartiment externe. En latéral, on voit aussi de l’ostéophytose sur la marge postérieure tout à fait supérieure du condyle fémoral.
[23] À son examen du genou droit, le Dr DesMarchais note ceci :
On note une longue cicatrice de 17 cm de long X 0,5 cm de large, totalisant 8,5 cm carrés. La cicatrice est définitivement vicieuse, 0,5 en moyenne.
Il existe du liquide intra-articulaire avec un signe du glaçon évident.
Le genou est stable en interne et en externe.
La manœuvre de Mac Murray est négative.
Cependant, on note des modifications au niveau du plateau tibial interne, tant à droite qu’à gauche, avec un débordement et un gros ostéophyte.
Il existe aussi un accrochage patello-fémoral bilatéral, un petit peu plus marqué du côté droit, très facilement audible avec le stéthoscope lorsque le patient est assis sur le bord de la table orthopédique.
La mise en tension de la facette interne et externe de la rotule contre résistance ne modifie pas l’état du patient.
[24] En discussion, le Dr DesMarchais indique ceci :
En descendant de son camion, le patient s’est infligé lors d’une contraction violente pour se retenir du côté droit, un arrachement du tendon rotulien .
Le patient a été opéré rapidement. L’évolution a été satisfaisante au point de vue mobilité.
Cependant, le patient présente une synovite persistante sur un genou gonarthrosique telle que démontré [ sic ] par l’investigation radiologique.
(Les soulignements sont du tribunal)
[25] Au terme de son examen, le Dr DesMarchais retient donc en lien avec l’événement accidentel, les diagnostics de « rupture du tendon rotulien sur un genou arthrosique » et de « persistance d’une synovite postopératoire au genou droit ». Le médecin est d’avis que la lésion du travailleur n’est pas consolidée et que le travailleur devrait bénéficier d’une injection intra-articulaire de cortisone afin de guérir la synovite. Bien qu’il juge qu’il soit trop tôt pour déterminer des séquelles permanentes chez le travailleur, le médecin prévoit que le travailleur conservera de sa lésion un déficit anatomo-physiologique ainsi que des limitations fonctionnelles.
[26] Enfin, le même jour le Dr DesMarchais produit une note médico-administrative à l’attention de l’employeur. Le médecin y indique ceci :
Relation causale
La relation causale se doit d’être acceptée.
Condition préexistante
Le patient est porteur d’une condition préexistante qui est une gonarthrose
bilatérale bien évidente à l’examen clinique et confirmée par la radiologie.
Par ailleurs, à cause de cette gonarthrose, le patient présente une synovite persistante qui allonge la période de consolidation.
La condition personnelle déroge-t-elle de la norme biomédicale
Définitivement, la condition du patient âgé de 48 ans avec une telle arthrose et une déchirure quasi spontanée du tendon rotulien dévie de la norme biomédicale habituelle.
Assignation temporaire
Le patient peut faire de l’assignation temporaire à la condition de respecter les limitations fonctionnelles qui seront permanentes de toute manière.
[27] Le 13 juillet 2009, la Dre Desloges complète un rapport complémentaire sur lequel elle se dit en accord avec le diagnostic posé par le Dr DesMarchais. Elle note qu’elle reverra le patient pour « consolidation et DAP » le 3 août 2009.
[28] Le 3 août 2009, la Dre Desloges produit un rapport final pour un diagnostic de rupture du tendon rotulien droit, lésion qu’elle juge consolidée le même jour, avec séquelles permanentes.
[29] Le 12 août 2009, la Dre Desloges complète un rapport d’évaluation médicale. À son rapport, le médecin note que le travailleur n’a pas d’antécédents au niveau des genoux. Elle rappelle à l’historique que :
Le patient est tombé de son camion avec impact direct sur le genou droit. Il a consulté à l’Hôpital Charles-Lemoyne; il était incapable de faire une extension, ni une mise en charge. L’examen montrait un déplacement de la rotule proximalement au niveau du genou droit. Le Rx montrait une élévation de la rotule indiquant une rupture du tendon rotulien. Il y avait un fragment osseux antérieur qui pourrait provenir de l’arrachement de la tubérosité tibiale antérieure.
[30] Au terme de son examen, la Dre Desloges est d’avis que le travailleur conserve de sa lésion professionnelle un déficit anatomo-physiologique de 1 % ainsi que des limitations fonctionnelles, à savoir qu’il ne pourra courir, ni sauter.
[31] Le 17 août 2009, la Dre Geneviève Lampron, médecin conseil à la CSST note ceci :
ASPECT MÉDICAL :
T de 48 ans qui a subi un traumatisme au genou d. le 10-02-2009.
Dx accepté : rupture du tendon rotuléen d.
Nouveau dx de synovite post opératoire au genou d. émis par le md de l’E- retenu par le md traitant.
Ce dx est acceptable et en lien avec le FA [2]
[32] Le 19 août 2009, l’agent Poissant note :
Nouveau diagnostic/suivi capacité de travail
ASPECT MÉDICAL :
Un nouveau diagnostic de synovite post-opératoire au genou droit a été posé par le médecin désigné de l’employeur et il a été retenu par le médecin traitant.
Considérant le diagnostic initialement accepté de déchirure du tendon rotulien du genou droit pour lequel le T avait été opéré et l’avis du Dre Lampron du BM selon lequel il existe un lien médical plausible entre la synovite post-opératoire et l’événement, la synovite est jugée en relation avec l’événement. [ sic ]
[33] Le 20 août 2009, l’employeur indique à la CSST qu’il retire sa demande du 23 juin précédent requérant que le dossier du travailleur soit soumis à l’appréciation d’un membre du Bureau d’évaluation médicale.
[34] Le 24 août 2009, la CSST rend une décision par laquelle elle reconnaît au travailleur le droit à la réadaptation que requiert son état. Le même jour, la CSST détermine que le travailleur conserve de sa lésion professionnelle une atteinte permanente à son intégrité physique et psychique de 1,1 %. Ces décisions, contestées par l’employeur le 14 septembre 2009, seront maintenues le 16 octobre 2009 lors d’une révision administratives. Cette dernière décision est finale.
[35]
Le 20 septembre 2010, l’employeur présente une demande de partage de
coûts dans laquelle il invoque les dispositions de l’article
Par la présente, nous demandons un partage de coûts en vertu
de l’article
De toute évidence, monsieur Bisson est porteur d’une condition personnelle préexistante.
En effet, un examen radiologique a confirmé la présence d’une gonarthrose bilatérale bien évidente à l’examen clinique faite par le Dr Jacques Étienne Des Marchais le 9 juin 2009.
Compte tenu de ce qui précède, l’employeur considère notamment que la condition personnelle du travailleur constitue une déficience par rapport à la norme biomédicale et est assimilée à un handicap. Ce handicap a été déterminant dans le phénomène ayant causé sa lésion. N’eut été de cette condition personnelle, les conséquences de la lésion du travailleur n’auraient pas été les mêmes, elles auraient été beaucoup moins importantes.
À la lumière de ce qui précède, nous vous demandons d’accorder à l’employeur un partage de coûts conforme à la politique d’imputation de la CSST.
[36] Le 26 octobre 2010, la CSST rend une décision par laquelle elle rejette la demande de partage de coûts de l’employeur. Cette décision sera confirmée le 14 décembre 2010 lors d’une révision administrative, d’où le présent litige.
[37]
En prévision de l’audience, le représentant de l’employeur a déposé, en
sus des résultats de la radiographie réalisée le 9 juin 2009, un rapport datée
du 9 janvier 2012 par le Dr Pierre Desnoyers. On demande au Dr Desnoyers de se
prononcer au sujet de l’application de l’article
[38] Après avoir procédé à une revue du dossier, le Dr Desnoyers écrit ceci en discussion :
Monsieur André Bisson, âgé de 48 ans au moment de l’événement, déclare avoir subi un accident du travail le 10 février 2009. Selon le dossier qui nous a été fourni, les différents examens effectués ont démontré que monsieur Bisson était porteur préalablement à l’événement des conditions médicales personnelles préexistantes suivantes :
- Plusieurs ostéophytes au niveau du genou droit témoignant d’une gonarthrose
importante à ce niveau.
Monsieur Bisson est donc porteur d’une gonarthrose importante du genou droit qui, selon la description, est beaucoup plus importante que ce qui est décrit dans la littérature médicale pour une cohorte de patients du même âge que lui et ceci constitue donc une déviation par rapport à la norme biomédicale.
Il s’agit d’une condition médicale personnelle préexistante qui a évolué sur un très grand nombre d’années. Cette condition médicale préexistante est une anomalie par rapport à la norme biomédicale et constitue un handicap pour monsieur Bisson qui a eu des impacts à plusieurs égards. Nous constatons un temps de guérison plus long que ce qui est normalement prévisible. La gonarthrose importante que présente monsieur Bisson à son genou droit a entraîné une prolongation de la période de consolidation. Par ailleurs, on remarque dans le rapport d’expertise du Dr Des Marchais que « Le patient pèse 210 lbs, mesure 5 pieds et 9 pouces, […]. Ces mensurations amènent un calcul de l’indice de masse corporelle de plus de 30. Selon l’Organisation mondiale de la santé, un indice de masse corporelle de plus de 30 confirme le diagnostic d’obésité 1 .
L’obésité de monsieur Bisson a joué un rôle dans l’apparition, la progression et la dégradation de l’ostéoarthrose de son genou droit. L’obésité a également joué un rôle important suite à l’événement du 10 février 2009 en prolongeant la période de consolidation et en augmentant les frais de la réclamation comme le confirme plusieurs sources de la littérature médicale dont entre autres Bergeron et collaborateurs qui mentionnent :
« L’excès pondéral est un facteur de risque d’arthrose du genou » 2 .
Par ailleurs, Cheng et collaborateurs mentionnent :
« Lifetime risk for symptomatic knee osteoarthritis alone is 60.5% among persons who are obese, double the risk for those normal/underweight. 3_4
Cheng et collaborateurs ajoutent :
« Obesity is associated with onset of knee osteoarthritis […] , disease progression [and] disability, total joint replacement, and poor clinical outcomes after joint replacement, and likely has a critical role in the increasing impact of arthritis on disability, health-related quality of life, and health care costs. 4_5
En ce qui concerne la définition de handicap, on peut se référer à celle de l’Organisation mondiale de la santé qui mentionne que le handicap est défini comme étant une altération des structures physiologiques, psychologiques, anatomiques qui peut être symptomatique ou non symptomatique avant l’événement déclaré.
Cette obésité et cet indice de masse corporelle élevé de monsieur Bisson ont donc créé une surcharge biomécanique au niveau de son genou droit ce qui a eu plusieurs effets sur la prolongation de la période de consolidation suite à l’événement du 10 février 2009. Comme l’indique la littérature médicale citée ci-dessus, cette obésité et cet indice de masse corporelle élevé de monsieur Bisson ont joué un rôle dans la chronicité de la condition du patient, dans l’établissement d’un pourcentage d’atteinte permanente par le docteur Desloges, dans la limitation des activités du patient concernant entre autres la course et le saut, dans le changement de poste de monsieur Bisson qui a dû occuper un poste de chauffeur lors de son retour au travail puisqu’il ne pouvait plus effectuer son travail prélésionnel et dans le retard du retour au travail causé par l’obligation de monsieur Bisson de réussir des examens supplémentaires concernant le nouveau permis de conduire qui devenait nécessaire suite à ce changement de travail et donc dans l’augmentation des frais consécutifs.
Tous ces facteurs ont contribué à augmenter de façon importante les frais afférents à cette réclamation.
(1) Organisation mondiale de la santé : physical status : the use and interpretation of anthropometry. Report of a WHO expert committee , Geneve, Suisse : WHO; 1995. (WHO technical report series 854).
(2) Bergeron, Yves et al. : Pathologie médicale de l’appareil locomoteur, 2 e édition, Montréal, Maloine, Paris, 2008.
(3) Murphy L. et al., Lifetime risk of symptomatic knee osteoarthritis. Arthritis Rheum 2008;59 :1207-13.
(4) Cheng YJ et al. : Prevalence of doctor-diagnosed arthritis and arthritis-attributable activity limitation [in] United States, 2007-2009. Morbidity and mortality weekly Report (MMWR) Centers for disease control and prevention, October 8, 201; 59(39); 1261-1265.
(5) Anandacoomarasamy A, et al. The impact of obesity on the musculoskeletal system. Int J Obes 2008; 32; 211-22.
[39]
Enfin, dans une seconde opinion médicale rendue sur dossier le même
jour, le Dr Desnoyers se prononce cette fois sur l’application de l’article
DISCUSSION
Monsieur André Bisson, âgé de 48 ans au moment de l’événement, déclare avoir subi un accident du travail le 10 février 2009.
Nous considérons que certains éléments du dossier permettent
à l’employeur de présenter une requête à la CSST demandant l’application des articles
En effet, suite à l’intervention chirurgicale du 12 février 2009, on mentionne l’apparition d’une cellulite post-opératoire. Par la suite, on mentionne l’apparition d’une synovite post-opératoire lors de l’expertise du Dr DesMarchais et le médecin traitant, le docteur Danielle Desloges, orthopédiste, indique sur un rapport complémentaire qu’elle confirme être d’accord avec le diagnostic du Dr DesMarchais ce qui est également confirmé dans la note évolutive de l’agent Daniel Poissant de la CSST le 19 août 2009 telle que citée dans le texte ci-dessus.
Cette synovite post-opératoire constitue une NOUVELLE LÉSION SURVENUE À L’OCCASION DES SOINS qui a entraîné une prolongation de la période de consolidation, plusieurs douleurs et inconvénients au patient et la nécessité d’une réorientation en ce qui concerne son travail pour monsieur Bisson. Le Dr Desloges ne mentionne pas de séquelles fonctionnelles dans son rapport d’évaluation médicale du 12 août 2009. Cependant, elle mentionne que le patient présente « certaines douleurs et une incapacité à sauter ou courir ». Ceci a entraîné le changement de travail de monsieur Bisson et l’obligation de passer des examens supplémentaires pour l’obtention d’un nouveau permis de conduire obligatoire pour effectuer ce travail ce qui a demandé plusieurs mois. D’ailleurs, la note évolutive de la CSST du 15 juin 2009 de l’agente Ginette Guay mentionne que « le médecin lui suggère de ne plus faire ce travail ». Ceci a augmenté de façon importante les frais imputés à ce dossier.
Nous considérons donc que des éléments justifient l’employeur
ou son représentant de présenté une demande à la CSST pour qu’elle procède à l’application des articles
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[40] La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’employeur doit être imputé de la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par le travailleur le 10 février 2009.
[41]
Dans un premier temps, l’employeur invoque en sa faveur l’application
des dispositions de l’article
[42] Le tribunal croit approprié de traiter séparément les deux demandes de l’employeur.
[43] Dans le premier cas, l’employeur soutient que le travailleur était porteur de conditions personnelles avant la survenue de sa lésion professionnelle. Il soutient que ces conditions constituent un « handicap » au sens de l’article 329 et qu’il doit bénéficier d’un partage de coûts à ce titre.
[44]
L’article
[45]
Toutefois,
l’article
329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.
L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.
[46]
En l’espèce, puisque la demande de partage de coûts a été déposée le
20 septembre 2010 et que la lésion professionnelle est survenue le 10
février 2009, il s'ensuit qu’elle a été produite dans le délai prévu à
l’article
[47]
L’article
[48]
Selon la jurisprudence, pour que le travailleur soit considéré comme
handicapé au sens de l’article
[49] La déficience est une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique qui correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. Elle peut être congénitale ou acquise et elle peut ou non se traduire par une limitation antérieure des capacités du travailleur de fonctionner normalement. Elle peut être asymptomatique jusqu’à la survenance de la lésion professionnelle, mais en tout état de cause, elle doit exister avant la survenance de la lésion professionnelle.
[50] Afin de déterminer s’il existe un lien entre la déficience et la lésion professionnelle ou ses conséquences, la Commission des lésions professionnelles peut considérer la nature et la gravité du fait accidentel, le diagnostic initial, l’évolution du diagnostic et la condition du travailleur. Elle peut aussi examiner la compatibilité entre le plan de traitement prescrit et le diagnostic de la lésion professionnelle. Elle peut également considérer la durée de la période de consolidation, la gravité des conséquences de la lésion professionnelle, les opinions médicales à ce sujet et l’âge du travailleur [4] .
[51] Ces paramètres ne sont pas limitatifs et aucun d’entre eux n’est décisif en soi. Toutefois, pris ensemble, ils permettent d’évaluer le bien-fondé d’une demande de partage [5] .
[52]
Tel
que l’enseigne la jurisprudence précitée, afin de bénéficier des dispositions
de l’article
1- Que le travailleur présentait une déficience physique ou psychique avant la survenance de sa lésion professionnelle, laquelle doit elle-même correspondre à une déviation par rapport à la norme biomédicale pour le type de lésion en cause;
et ensuite
2- Que cette déficience a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur ses conséquences, par exemple en termes de prolongation de la durée normale de consolidation de la lésion.
[53] De l’avis du tribunal, cette première partie de la requête de l’employeur doit être rejetée, et ce, pour les motifs suivants.
[54] Le tribunal comprend de l’argumentaire présenté à l’audience et de l’analyse du dossier que l’employeur, s’appuyant sur les opinions du Dr DesMarchais et Desnoyers, soutient qu’avant sa lésion professionnelle, le travailleur était porteur d’une condition personnelle de gonarthrose à son genou droit. Le Dr Desnoyers, reprenant cette conclusion du Dr DesMarchais, soutient à son rapport du 9 janvier 2012 que cette condition a eu un impact sur les conséquences de la lésion, principalement sur la durée de consolidation de celle-ci.
[55] Par ailleurs, dans ce même rapport du 9 janvier 2012, le Dr Desnoyers invoque la présence d’un second handicap préexistant chez le travailleur, soit une condition d’obésité.
[56] Le Dr Desnoyers soutient que ce second handicap a « joué un rôle dans l’apparition, la progression et la dégradation de l’ostéoarthrose du genou droit » du travailleur, a eu « plusieurs effets sur la prolongation de la période de consolidation » et a « joué un rôle dans la chronicité de la condition du patient, dans l’établissement d’un pourcentage d’atteinte permanente par la docteure Desloges, dans la limitation des activités du patient concernant entre autres la course et le saut, dans le changement de poste de monsieur Bisson qui a dû occuper un poste de chauffeur lors de son retour au travail puisqu’il ne pouvait plus effectuer son travail prélésionnel et dans le retard du retour au travail causé par l’obligation de monsieur Bisson de réussir des examens supplémentaires concernant le nouveau permis de conduire qui devenait nécessaire suite à ce changement de travail et donc dans l’augmentation des frais consécutifs » [6] .
[57] Avec égards, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que l’employeur n’a pas établi la présence d’un « handicap préexistant » chez le travailleur, au sens donné à cette expression par la jurisprudence citée précédemment.
[58] Quant à la gonarthrose à laquelle fait référence les docteurs DesMarchais et Desnoyers, le tribunal retient que le Dr DesMarchais a conclu à la présence d’une « gonarthrose bilatérale bien évidente à l’examen clinique et confirmée par la radiologie ».
[59] Son interprétation repose sur son appréciation de la radiographie réalisée le 9 juin 2009. Le Dr DesMarchais écrit ceci à ce sujet:
Investigation radiologique
Une radiographie du genou droit, AP, latéral, montre des ostéophytes relativement importants au niveau des épines tibiales. On note une vis retenant le tendon rotulien dans une rotule « patella alta ». Il existe des signes de remodelage au niveau du condyle fémoral interne dans sa bordure interne ainsi qu’au niveau du condyle fémoral externe. En latéral, on voit aussi un peu d’ostéophytose sur la marge postérieure des plateaux ainsi que sur la marge postérieure du condyle fémoral et sur la marge inféro-interne de la rotule, près de l’ostéosynthèse. Il existe de plus un épaississement du coussinet adipeux avec début d’ossification (début de maladie de Hoffa).
Du côté gauche, on note aussi une « patella alta » avec une patella bipartite avec un fragment dans la portion intérieure. En AP, il existe aussi une ostéophytose au niveau du compartiment des apophyses tibiales et sur le compartiment interne et aussi au niveau du compartiment externe. En latéral, on voit aussi de l’ostéophytose sur la marge postérieure tout à fait supérieure du condyle fémoral.
[60] Or, le radiologue ayant réalisé la radiographie en question a plutôt rapporté ceci :
GENOU DROIT
Il y a une vis à la partie inférieure de la rotule. Il y a un petit bec ostéophytique à la face postérieure de la rotule.
Deux petits fragments osseux cortiqués sont visibles en infra-patellaire. Ils pourraient être situés en regard du tendon rotulien ou constitués de petites souris articulaires. Il y a par ailleurs de discrets phénomènes d’arthrose du genou.
GENOU GAUCHE
Sous la pointe inférieure de la rotule, il y a un fragment osseux qui semble provenir de la rotule elle-même et représenter une fracture d’allure plutôt ancienne non-unie [ sic ]. Il y a par ailleurs un peu d’arthrose fémoro-patellaire et fémoro-tibiale.
[61] De l’avis du tribunal, le Dr DesMarchais a visiblement amplifié la nature de la condition arthrosique décrite par le radiologiste lorsqu’il affirme à sa note médico-administrative que : « Définitivement, la condition du patient âgé de 48 ans avec une telle arthrose et une déchirure quasi spontanée du tendon rotulien dévie de la norme biomédicale habituelle ».
[62] De son côté, le Dr Desnoyers se fie essentiellement à l’analyse faite par le Dr DesMarchais au sujet de la gonarthrose du travailleur pour soutenir comme lui que le travailleur présentait une telle condition personnelle avant la survenue de sa lésion professionnelle et que cette gonarthrose s’écarte de la norme biomédicale en la matière.
[63] Le tribunal préfère et retient à ces opinions celle du radiologiste qui décrit, en juin 2009, uniquement la présence de « petits becs ostéophytiques », de « petites souris articulaires » et de « discrets phénomènes d’arthrose du genou ».
[64] Par ailleurs le tribunal constate que la radiographie réalisée le 10 février 2009, soit le lendemain de l’accident du travail, est muette quant à la présence d’arthrose ou de gonarthrose chez le travailleur. De même, le protocole opératoire du 12 février 2009 ne fait état de la présence d’aucune gonarthrose alors qu’il révèle clairement la présence d’un « volumineux hématome à la fois intra-articulaire et péri-articulaire du genou droit », signe manifeste d’une relation de la condition du travailleur avec l’événement accidentel, deux jours plus tôt.
[65] De l’avis du tribunal, même en considérant que la condition de gonarthrose révélée chez le travailleur était présente avant sa lésion professionnelle, l’employeur n’a pas démontré en quoi cette condition de gonarthrose s’écarte de la norme biomédicale en la matière, seconde condition requise pour conclure à la reconnaissance d’un « handicap ».
[66] À cet égard, le Dr DesMarchais affirme, dans ses conclusions médico-administratives, que la condition de gonarthrose du travailleur déroge de la « norme biomédicale ».
[67] Toutefois, tel que mentionné précédemment, le médecin fait cette affirmation sur la base du fait qu’il considère « qu’une telle arthrose chez un patient de 48 ans n’est pas dans la norme ». Or, le tribunal est d’avis, pour les motifs mentionnés précédemment, que l’arthrose constatée chez le travailleur par le radiologiste n’est pas si importante que le soutient le Dr DesMarchais. Par ailleurs, et surtout, le Dr DesMarchais n’appuie ses dires sur aucune doctrine médicale.
[68] Quant au Dr Desnoyers, qui partage l’opinion du Dr DesMarchais sur cette question, son analyse se résume à ceci :
Monsieur Bisson est donc porteur d’une gonarthrose importante du genou droit qui, selon la description, est beaucoup plus importante que ce qui est décrit dans la littérature médicale pour une cohorte de patients du même âge que lui et ceci constitue donc une déviation par rapport à la norme biomédicale.
Il s’agit d’une condition médicale personnelle préexistante qui a évolué sur un très grand nombre d’années. Cette condition médicale préexistante est une anomalie par rapport à la norme biomédicale et constitue un handicap pour monsieur Bisson qui a eu des impacts à plusieurs égards.
[69] Or, le tribunal a pris connaissance des deux textes de doctrine médicale que lui a fait parvenir le représentant de l’employeur (sur les cinq textes cités par le Dr Desnoyers), et constate qu’on n’y établit aucun élément permettant de déterminer une norme biomédicale relative à la présence de gonarthrose chez un patient.
[70] Par ailleurs, l’opinion du Dr Desnoyers, outre qu’elle ne permette pas de comprendre sur quoi il s’appuie pour qualifier la condition de gonarthrose notée chez le travailleur de « déviation par rapport à la norme biomédicale », vise bien davantage à documenter la seconde condition de handicap alléguée chez le travailleur, soit son obésité.
[71] Le tribunal considère que les opinions émises par les docteurs DesMarchais et Desnoyers sont loin d’être satisfaisantes quant à la nature de ce premier « handicap » invoqué chez le travailleur et qu’elles se résument, en définitive, à soutenir que le travailleur était porteur, avant sa lésion professionnelle, d’une condition personnelle de gonarthrose. De l’avis du tribunal, une telle opinion n’est pas suffisante, tel que l’enseigne la jurisprudence [7] .
[72] Le tribunal ne saurait se satisfaire d’opinions médicales laconiques qui ne font qu’énoncer qu’une condition dévie de la norme biomédicale, sans que l’on puisse comprendre véritablement en quoi il y a « déviation » ni même quelle devrait être la norme en question [8] .
[73] Dans ce contexte, le tribunal est d’avis que l’employeur n’a pas démontré que la condition de gonarthrose révélée chez le travailleur s’écarte de la norme biomédicale en la matière chez une personne de 48 ans.
[74] De l’avis du tribunal, ceci suffit à rejeter la demande de l’employeur sur la base de la question de la présence de gonarthrose au genou droit du travailleur.
[75] Ceci étant, et même si le tribunal devait errer sur cette question, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que l’employeur n’a d’aucune façon démontré en quoi la gonarthrose constatée en juin 2009 pouvait avoir joué un rôle dans la survenue de la lésion professionnelle ou même sur les conséquences de cette lésion.
[76] De l’avis du tribunal, la présence de gonarthrose chez le travailleur est anecdotique dans ce dossier.
[77] Le tribunal est en effet d’avis que l’accident du travail subi le 10 février 2009 était loin d’être banal et qu’il explique, en soi, l’ensemble de la pathologie qui a affecté le travailleur par la suite.
[78] Le travailleur a rapporté une chute au bas de son camion le 10 février 2009. Bien que l’on ne retrouve pas au dossier une description très précise de l’événement accidentel, la Dre Desloges a noté à son rapport d’évaluation médicale que « le patient est tombé de son camion avec impact direct sur le genou droit ». Dans son rapport du 9 juin 2009, le Dr DesMarchais rapporte de son côté que « Le patient dit qu’en sortant de son camion, le pied gauche a glissé et là, il ne sait plus ce qui s’est passé. Il a écrasé par terre. Il n’a pas été capable de se relever. Le patient dit qu’il s’est fait transporter par le chauffeur du camion à Charles-Lemoyne ».
[79] En fait, de l’événement accidentel, le Dr DesMarchais en conclut ceci :
En descendant de son camion, le patient s’est infligé lors d’une contraction violente pour se retenir du côté droit, un arrachement du tendon rotulien.
[80] Le travailleur a consulté le 10 février 2009. Le même jour, une radiographie révélait ceci :
Élévation de la rotule indiquant une rupture du tendon rotulien. Il y a d’ailleurs un fragment osseux antérieur qui pourrait provenir d’un arrachement de la tubérosité tibiale antérieure.
[81] De l’avis du tribunal, l’événement accidentel du 10 février 2009 a causé la rupture du tendon rotulien du travailleur, ce pour quoi il a été opéré dès le 12 février 2009.
[82] Pour le tribunal, l’événement accidentel explique à lui seul la lésion subie et la présence de la gonarthrose, vue à la radiographie réalisée en juin 2009, n’a pu jouer un rôle quelconque à l’égard de la survenue de cette lésion professionnelle, ou quant aux conséquences découlant de cette lésion.
[83] La chirurgie était requise pour la lésion subie, tout comme les traitements de physiothérapie reçus. Il est vrai que la chirurgie s’est compliquée d’une synovite. Toutefois, cette question doit davantage être analysée sous l’angle de la survenue d’une lésion attribuable à des soins, tel que le soumet d’ailleurs l’employeur.
[84] Par ailleurs, hormis cette pathologie qui s’est installée à la suite de la chirurgie, les séquelles permanentes reconnues au travailleur par son médecin traitant, la Dre Desloges, l’ont été en raison du diagnostic retenu de rupture du tendon rotulien. Or, le tribunal est lié par ces constats médicaux qui n’ont pas été soumis à l’appréciation du Bureau d’évaluation médicale. De l’avis du soussigné, rien ne permet de soutenir que ces séquelles ne sont pas en lien avec la lésion subie.
[85] Ainsi, ce premier argument de l’employeur doit échouer en ce qui a trait à la présence de la gonarthrose au genou droit du travailleur.
[86] De l’avis du tribunal, il en est de même en ce qui a trait à la condition d’obésité chez le travailleur soulevée par le Dr Desnoyers.
[87]
Dans son rapport, le Dr Desnoyers soutient que le travailleur présente
une condition d’obésité et qu’il s’agit là d’un second handicap présent chez le
travailleur aux fins de l’analyse de l’application des dispositions de
l’article
[88] Avec égards pour l’opinion du Dr Desnoyers, le tribunal est de nouveau d’avis que la preuve apportée par l’employeur, quant à la condition d’obésité chez le travailleur, ne permet pas de conclure à l’existence d’un handicap préexistant chez le travailleur.
[89]
En matière de handicap, lorsqu’une condition d’obésité est alléguée, la
jurisprudence du tribunal, que partage le soussigné, est à l’effet qu’il ne
suffit pas de conclure à un indice de masse corporelle (IMC) même supérieur à
30 pour pouvoir déduire de ce constat la présence d’un « handicap »
au sens des dispositions de l’article
[90] Il est vrai que la jurisprudence a maintes fois reconnu qu’une condition d’obésité pouvait constituer un handicap au sens des dispositions de l’article 329 de la loi [9] .
[91] Toutefois, la jurisprudence enseigne également qu’en cette matière, le seul constat d’une condition d’obésité mesurée par un indice de masse corporelle (IMC) est insuffisant pour conclure en la présence d’un handicap dans la mesure où, pour évaluer le risque de maladies associées à l'obésité, il est important de mesurer à la fois l'IMC et la distribution de la masse adipeuse. Comme le rappelait la juge Desbois dans l’affaire Congrégation des Sœurs Notre-Dame du Saint-Rosaire [10] :
[27] De plus, il est bien spécifié dans le texte cité que « pour évaluer le risque de maladies associées à l’obésité, il est important de mesurer à la fois l’IMC et la distribution de la masse adipeuse ». L’IMC (Indice de masse corporelle), et son nom l’indique bien, n’est qu’un indice qui ne répond pas de tout.
[28] Il va ainsi notamment de soi qu’une personne peut présenter un poids important mais constitué essentiellement de masse musculaire, alors qu’une autre du même poids présentera quant à elle une masse adipeuse beaucoup plus importante. La masse adipeuse peut par ailleurs être concentrée dans la région abdominale ou répartie de manière plus équilibrée. Il ne saurait alors être question de mettre toutes ces personnes sur le même pied quant à la qualification de leur « obésité » respective, le cas échéant, et des risques y associés.
[29] Or, en l’instance le docteur Robert n’a jamais examiné le travailleur, ne sait rien d’autre que le poids et la taille de ce dernier et ne peut fournir quelque autre détail sur l’obésité qu’il allègue, notamment sur sa répartition et sur l’importance de la musculature du travailleur.
[30] De plus, le docteur Robert est le premier médecin au dossier à qualifier le travailleur d’obèse et à considérer cette condition en relation avec la lésion professionnelle survenue le 4 février 2004.
[92] En l’espèce, aucune telle analyse de la distribution de la masse adipeuse n’est rapportée par aucun des médecins ayant examiné le travailleur au fil du dossier. En fait, seul le Dr Desnoyers semble s’intéresser à la notion d’obésité chez le travailleur et ceci, sans qu’il n’ait lui-même examiné le travailleur. Aussi, dans ce contexte, le tribunal est d’avis qu’une appréciation de la distribution de la masse adipeuse chez le travailleur était d’autant plus requise.
[93] En conséquence, pour le tribunal, la preuve disponible au dossier ne démontre pas que le poids du travailleur puisse être qualifié d’anomalie déviant de la norme biomédicale et, partant, constituer un handicap.
[94]
Pour l’ensemble de ces motifs, le soussigné est donc d’avis que la
requête de l’employeur, en ce qui a trait à l’application demandée des
dispositions de l’article
[95]
Il reste au tribunal à déterminer si l’employeur peut bénéficier de
l’application des dispositions de l’article
[96] Ces articles se lisent comme suit :
31. Est considérée une lésion professionnelle, une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion :
1° des soins qu'un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins;
2° d'une activité prescrite au travailleur dans le cadre des traitements médicaux qu'il reçoit pour une lésion professionnelle ou dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation.
Cependant, le premier alinéa ne s'applique pas si la blessure ou la maladie donne lieu à une indemnisation en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25), de la Loi visant à favoriser le civisme (chapitre C-20) ou de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I-6).
__________
1985, c. 6, a. 31.
327. La Commission impute aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations :
1° dues en raison d'une lésion professionnelle visée dans l'article 31;
2° d'assistance médicale dues en raison d'une lésion professionnelle qui ne rend pas le travailleur incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion.
__________
1985, c. 6, a. 327.
[97] D’emblée, le tribunal souligne que si la CSST semble s’être interrogée sur l’admissibilité du diagnostic de synovite postopératoire posé par le Dr DesMarchais, notamment en ce que la Dre Lampron, médecin conseil à la CSST, a indiqué à sa note du 17 août 2009 que : « Ce dx est acceptable et en lien avec le FA », on ne retrouve toutefois aucune décision formelle en ce sens au dossier.
[98]
De même, on ne retrouve pas au dossier de décision de la CSST se prononçant spécifiquement sur la reconnaissance de ce diagnostic en fonction de
l’application des dispositions des articles
[99]
Enfin, le tribunal constate que la demande de partage de coûts produite
par l’employeur en septembre 2010 ne requérait que l’application de l’article
[100] Le tribunal est d’avis que l’absence de décision explicite par la CSST disposant ou non de l'existence d'une lésion professionnelle en vertu de l'article 31 ne constitue pas une fin de non-recevoir à une demande de partage de coûts en vertu du premier paragraphe de l'article 327 [11] .
[101]
De même,
bien que la demande initiale de l’employeur présentée à la CSST demandait l’application des dispositions de l’article
[102] La Commission des lésions professionnelles a déterminé à de nombreuses reprises qu’elle avait les entiers pouvoirs de disposer d’une requête même si l’employeur n’allègue pas devant elle l’application du même article de loi que celui invoqué initialement auprès de la CSST.
[103] Dans l’affaire Pâtisserie Chevalier inc . [12] , la juge Sénéchal écrivait ceci :
[75] Par conséquent, lorsque le tribunal est valablement
saisi d’un recours formé en vertu de l’article
[76] La jurisprudence des tribunaux supérieurs 10 regorge d’exemples illustrant et surtout réitérant ce caractère « de novo » du processus de contestation devant la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles ou la Commission des lésions professionnelles et ce, en accord avec les principes de célérité, d’efficacité et de souplesse qui caractérisent la justice administrative.
[77] S’il est possible pour une partie de faire valoir une preuve nouvelle devant la Commission des lésions professionnelles, il est d’autant possible pour cette partie de faire valoir une argumentation nouvelle. À la seule différence qu’en l’absence de preuve nouvelle pour supporter l’argumentation nouvelle, le tribunal doit s’en tenir à la preuve colligée au dossier pour juger de la demande. Le tribunal peut alors procéder à sa propre appréciation de la preuve sans être contraint de suivre celle faite par la CSST. Dans de telles circonstances, le tribunal devra toutefois s’assurer de la validité de la demande de l’employeur, c’est-à-dire, que les formalités prévues, le cas échéant, sont respectées.
(10)
Bruneau c. Centre hospitalier St-Jean et C.A.L.P. et CSST,
[104] Ce principe a été repris de façon constante par la suite [13] et le tribunal partage entièrement les avis émis dans ces affaires.
[105]
En
l’espèce, contrairement aux articles
[106] Comme le rappelait la juge administratif Lévesque dans l’affaire Commission scolaire Châteauguay [15] :
La CLP a compétence pour se prononcer sur la contestation de l'employeur portant sur l'application de l'article 327 puisque les décisions initiales de la CSST concernaient les articles 326 et 329, lesquels se trouvent tous dans le chapitre du financement, et que même si les motifs pour l'imputation sont différents, elle est saisie du même objet en litige, soit l'imputation des coûts résultant des prestations dues à la suite d'un accident du travail.
[107] Ceci étant, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que cette dernière partie de la requête de l’employeur doit également être rejetée, et ce, pour les motifs suivants.
[108] L’employeur s’appuie sur l’opinion du Dr Desnoyers pour soutenir que la synovite « post-opératoire » diagnostiquée chez le travailleur par le Dr DesMarchais, le 9 juin 2009, constitue une lésion attribuable aux soins reçus par le travailleur pour sa lésion professionnelle, soit une rupture du tendon rotulien. Dans son rapport du 9 janvier 2012, le Dr Desnoyers formule cette conclusion principalement sur la foi des constats faits par le Dr DesMarchais le 9 juin 2009. Aussi, le Dr Desnoyers indique ceci :
En effet, suite à l’intervention chirurgicale du 12 février 2009, on mentionne l’apparition d’une cellulite post-opératoire. Par la suite, on mentionne l’apparition d’une synovite post-opératoire lors de l’expertise du Dr DesMarchais et le médecin traitant, le docteur Danielle Desloges, orthopédiste, indique sur un rapport complémentaire qu’elle confirme être d’accord avec le diagnostic du Dr DesMarchais ce qui est également confirmé dans la note évolutive de l’agent Daniel Poissant de la CSST le 19 août 2009 telle que citée dans le texte ci-dessus.
Cette synovite post-opératoire constitue une NOUVELLE LÉSION SURVENUE À L’OCCASION DES SOINS qui a entraîné une prolongation de la période de consolidation, plusieurs douleurs et inconvénients au patient et la nécessité d’une réorientation en ce qui concerne son travail pour monsieur Bisson. [ sic ]
[109] De l’avis du tribunal, cette conclusion du Dr Desnoyers est bien trop sommaire pour que le tribunal puisse la retenir.
[110] Cette opinion ne permet d’aucune façon au tribunal de comprendre en quoi une synovite diagnostiquée pour la première fois quatre mois après une chirurgie pourrait être attribuable directement à cette chirurgie, bien que le titre « post-opératoire » y ait été accolé.
[111] Le tribunal n’ignore pas qu’une synovite puisse découler d’une chirurgie. Toutefois, encore faut-il établir que c’est bien ladite chirurgie qui en est la cause.
[112] Or, dans le présent cas, il est vrai que le 18 février 2009, le Dr Lalancette a constaté la présence d’une cellulite qualifiée de postopératoire. Toutefois, outre qu’il ne s’agisse pas d’une synovite, le tribunal constate que le médecin a alors choisi de traiter cette condition de cellulite uniquement à l’aide de la médication Ancef, sans autre investigation ni traitement.
[113] Par ailleurs, la Dre Desloges, médecin du travailleur, ne rapporte par la suite aucune synovite lors des consultations subséquentes du travailleur, le 27 février, le 7 avril et le 22 mai 2009.
[114] Ce n’est que le 9 juin 2009 que le Dr DesMarchais pose, pour la première fois, le diagnostic de synovite. À son rapport, il est vrai que le Dr DesMarchais retient chez le travailleur, en sus du diagnostic de rupture du tendon rotulien sur un genou arthrosique, celui de « persistance d’une synovite postopératoire au genou droit », mais de l’avis du soussigné, il est loin d’être clair que c’est à la chirurgie du 12 février 2009 que le médecin attribue cette synovite, contrairement à ce que laisse entendre le Dr Desnoyers à son propre rapport.
[115] En effet, dans sa note médico-administrative à l’attention de l’employeur, déposée au dossier par le représentant de l’employeur, le Dr DesMarchais indique ceci :
Condition préexistante
Le patient est porteur d’une condition préexistante qui est une gonarthrose bilatérale bien évidente à l’examen clinique et confirmée par la radiologie.
Par ailleurs, à cause de cette gonarthrose, le patient présente une synovite persistante qui allonge la période de consolidation.
(Les soulignements sont du tribunal)
[116] De l’avis du tribunal, si la synovite persistante est dite « post-opératoire » par le Dr DesMarchais, du strict point de vue temporel, il apparaît clair au soussigné que ce médecin relie davantage cette synovite à la condition de gonarthrose dont est porteur le travailleur plutôt qu’à la chirurgie subie.
[117] Le tribunal préfère cette opinion du Dr DesMarchais à celle du Dr Desnoyers, lequel ne cite pas l’opinion du Dr DesMarchais rapportée ci-dessus par le tribunal.
[118]
En
conséquence, de l’ensemble de ces constats, le tribunal est d’avis que
l’employeur n’a tout simplement pas établi que la synovite diagnostiquée chez
le travailleur à compter du 9 juin 2009 résultait de sa chirurgie du 12 février
2009. Il n’a donc pas droit à l’application en sa faveur des dispositions de
l’article
[119] Pour l’ensemble de ces motifs, la requête de l’employeur doit être rejetée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de Services Matrec inc., l’employeur, déposée le 11 janvier 2011;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 14 décembre 2010 lors d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’employeur doit assumer la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie le 10 février 2009 par son travailleur, monsieur André Bisson.
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Michel Watkins |
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M. Gérald Corneau |
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GCO SANTE ET SÉCURITÉ INC. |
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Représentant de la partie requérante |
[1] L.R.Q. c. A-3.001.
[2] Note du tribunal : Le tribunal n’a pas retrouvé au dossier de décision distincte de la part de la CSST quant au diagnostic de synovite posé chez le travailleur.
[3]
Municipalité Petite-Rivière-St-François
et
CSST
,
C.L.P.
[4]
Centre hospitalier de Jonquière
et
CSST
, C.L.P.
[5] Hôpital Général de Montréal , précitée note 3.
[6] Note du tribunal : pages 7 et 8 du rapport du Dr Desnoyers.
[7]
Voir par exemple :
149520 Canada inc. (Sports Experts)
et
CSST,
C.L.P.
[8]
La Mutuelle
de
prévention des produits de la forêt, aménagement et transformation
et
Scierie Gatineau inc
.,
C.L.P.
[9]
Voir par exemple :
Centre Hospitalier Notre-Dame de Montréal
et
Langlois
,
C.L.P. 91986-71-9710, 9
juillet 1999
, M. Bélanger;
Clermont Chevrolet Oldsmobile inc
.,
C.L.P.
[10]
C.L.P.
[11]
Industrie manufacturière Mégantic
et
Roy
,
[12]
C.L.P.
[13]
Voir par exemple :
La Compagnie
US
Coton (Canada) (La)
, C.L.P.
[14]
Scierie Pékan inc., C.L.P.
[15] C.L.P. 105037-71-9807, 29 avril 1999, D. Lévesque.