Imprimerie Mirabel inc. c. Bergeron |
2012 QCCS 941 |
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JM 1424
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-062508-109 |
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DATE : |
Le 21 février 2012 |
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PAR: |
L’HONORABLE |
DIANE MARCELIN, J.C.S. |
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IMPRIMERIE MIRABEL INC. |
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et |
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JOURNAL DE MONTRÉAL Requérant c. |
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Me ANDRÉ BERGERON |
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Intimé |
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et |
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TEAMSTERS/CONFÉRENCE DES COMMUNICATIONS GRAPHIQUES, SECTION LOCALE 41M |
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Mis-en-cause
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JUGEMENT |
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[1] Il s'agit d'une requête en révision de la décision d'un arbitre qui donne raison au syndicat mis en cause relativement à un grief au sujet du travail accompli par les aides-manutenteurs. Leurs responsabilités sont décrites à la convention collective qui lie les parties. Cette convention fut établie par un arbitrage de différend par l'arbitre Serge Brault.
[2] Lorsque le requérant décide de moderniser son usine de Mirabel et de transférer les employés de l'imprimerie de la rue Frontenac à cette nouvelle usine, il décide aussi de faire l'acquisition du système Aurosys qui va voir à gérer l'alimentation des presses en papier.
[3] L'arbitre Brault, suite à un arbitrage de différend en vertu du Code du travail rend une sentence arbitrale qui devient en fait la convention collective entre les parties.
[4] L'employeur avait demandé de créer une classification d'aide général, mais l'arbitre Brault qui rend la décision arbitrale décide de créer deux catégories de manutentionnaires soit les manutenteurs et les aides-manutenteurs. Leurs tâches respectives sont définies à l'article 3.01.3 et 3.01.4 de la convention collective (R-1).
[5] Le 3 novembre 2010, suite à un grief du syndicat, l'arbitre André Bergeron rend une décision et donne raison au syndicat en ce qui a trait au travail qui peut être accompli par les aides-manutenteurs. Le tout tourne autour du nouveau système Aurosys et ses périphériques. La seule question qui est devant la soussignée est résumée au paragraphe 137 de la décision de l'arbitre Bergeron et se lit ainsi:
« Il aurait sans doute été plus simple, dans la convention collective, de ne renvoyer qu'à « l'opération de l' AUROSYS », mais la preuve présentée en l'espèce ne fait aucun doute et me permet de conclure que si l'arbitre Brault a utilisé les termes « station », « appareil Aurosys » et « leurs périphériques », ce n'était pas pour autoriser les aides-manutenteurs à accomplir plus de tâches que celles énumérées au paragraphe 3.03.4. C'était plutôt pour s'assurer qu'en raison du jargon utilisé sur les lieux du travail, toutes les tâches d' « opération de l'AUROSYS » soient exclusivement effectuées par les différents modules du système, par exemple éloigner les robots de l' AUROport l'un de l'autre à l'aide de la manette rétractable lorsqu'ils cessent de fonctionner, ou encore, à l' AUROload , procéder à un « kyte » aux presses. » [1]
[6] Le requérant demande donc au tribunal d'annuler partiellement la décision de l'arbitre, André Bergeron, rendue le 3 novembre 2010.
[7] Le grief contestait l'interprétation adoptée par le requérant de l'article 3 de la convention collective (R-1) concernant l'attribution des tâches à deux classifications de salariés appelés d'une part manutenteurs et d'autre part aides-manutenteurs.
[8] L'article 3.03.3 décrit les tâches des manutenteurs et notamment aux sous-paragraphes c et d qui se lisent respectivement ainsi:
c) l'alimentation et l'opération de la station et de l'appareil Aurosys et de leurs périphériques;
d) la préparation des rouleaux de papier, incluant la colle et l'opération des dévidoirs, jusqu'au rejet des résidus à la fin de leur utilisation.
[9] Plus loin, l'article 3.03.4 décrit les tâches des aides-manutenteurs et notamment aux sous-paragraphes a et d qui se lisent ainsi:
a) les travaux reliés à la manutention du papier et de tout autre produit nécessaire à l'opération des presses de leur réception jusqu'à l'alimentation des presses, à l'exclusion de l'opération de la station et de l'appareil Aurosys et de leurs périphériques;
d) l'alimentation, l'opération et l'entretien de routine et préventif de tous les équipements et lieux de travail du département de la manutention, sauf la station et l'appareil Aurosys.
[10] Le requérant soutient que l'intimé a commis une erreur déraisonnable, se méprenant sur l'identité et l'objet même du module AUROload, et incidemment du système Aurosys en le confondant avec un équipement partie intégrante des presses appelé communément « dévidoirs »,« dérouleurs » ou « reel splicers ».
[11] Le requérant soutient que l'intimé a confondu les dévidoirs avec l'AUROlaod et assimile l'opération qui consiste à effectuer un « kyte » ,« web-up » ou « fanion » à un travail relié à l'AUROload. Il s'agit pour le requérant d'une erreur déraisonnable.
[12] L'intimé devait déterminer la portée et l'interprétation de l'expression « à l'exclusion de l'opération de la station et de l'appareil Aurosys et de leurs périphériques,» que l'on retrouve à l'alinéa a) du paragraphe 3.03.4 de la Convention, et de l'expression « sauf la station et l'appareil Aurosys» que l'on retrouve à l'alinéa d) de ce même paragraphe.
[13] Sans reprendre, par les présentes, toutes les explications et les composantes du système Aurosys, ce dernier comprend plusieurs modules (6) qui assurent l'alimentation des presses en papier, dont le module AUROload. Ce dernier a pour fonction de charger et décharger les rouleaux de papier sur les dévidoirs (R-4).
[14] Le site internet du fabricant R-4, décrit le module AUROload en ces termes: « AUROload: automated reel splicer loading
AUROload, the loading and unloading system, tales over when the reel has been laid on the trolley at the reel splicer transport system. It is tailored to work with the MANROLAND reel splicers. In addition to the automatic reel splicer loading, the manual MANUload version is also available. » (nos soulignés) [2]
[15] Il appert donc que l'AUROload vise essentiellement à charger et décharger les rouleaux de papier sur les dévidoirs (reel splicers) installés à l'établissement. Il y en a seize.
[16] L'intimé se réfère aussi à la documentation du fabricant au paragraphe 10 et 128 de sa Décision et cite ce qui suit :
«AUROSYS covers all areas of modern logistics-starting from the automated unloading of lorries, via warehousing, unwrapping, splicing preparation of the paper reels up to the automated loading of the reel splicers and disposal of residual reels, tubes and waste [3] .» (Nos soulignés)
[17] Par la suite et contrairement à la preuve selon le requérant, l'intimé conclut que le module AUROload est muni de bras mécaniques. Il s'exprime ainsi au paragraphe 28 de sa décision:
«L'AUROload est une pièce d'équipement muni de bras mécaniques qui peut prendre deux rouleaux de papier à la fois.» [4]
[18] Un peu plus loin dans sa décision, l'intimé écrit au paragraphe 27 ce qui suit:
«Une fois le rouleau ainsi préparé, un des deux robots sur rail, appelés AUROport et commandés par le système AUROSYS, le saisit et l'apporte soit à l'AUROrack, où il est entreposé en attendant d'être utilisé, doit directement à l'AUROload où se trouvent les dévidoirs utilisés pour l'impression. [5] »
[19] Toujours selon le requérant, la preuve démontre abondamment que l'AUROload n'a pas de bras, mais que ce sont les dévidoirs qui en ont.
[20] Le requérant soutient que l'intimé a confondu l'AUROload avec les dévidoirs au para 68 de sa décision, qu'il s'est trompé au para 85 en déclarant que le système Pecom avait un certain contrôle sur l'AUROload.
[21] Le requérant note que l'arbitre s'est aussi trompé sur le fonctionnement de l'écran tactile au paragraphe 36 de sa décision.
[22] Il faut voir que l'arbitre s'est rendu sur les lieux et a pu voir comment fonctionne le système Aurosys, ses périphériques et les autres pièces d'équipements.
[23] Enfin, l'arbitre se prononce au paragraphe 137 de sa décision. Il s'exprime ainsi:
«Il aurait sans doute été plus simple, dans la convention collective, de ne renvoyer qu'à « l'opération de l' AUROSYS », mais la preuve présentée en l'espèce ne fait aucun doute et me permet de conclure que si l'arbitre Brault a utilisé les termes « station », « appareil Aurosys » et « leurs périphériques », ce n'était pas pour autoriser les aides-manutenteurs à accomplir plus de tâches que celles énumérées au paragraphe 3.03.4. C'était plutôt pour s'assurer qu'en raison du jargon utilisé sur les lieux du travail, toutes les tâches d'« opération de « l' AUROSYS » soient exclusivement effectuées par les manutenteurs, qu'il s'agisse de celles accomplies aux postes de commande ou aux différents modules du système, par exemple éloigner les robots de l' AUROport l'un de l'autre à l'aide de la manette rétractable lorsqu'ils cessent de fonctionner, ou encore, à l'AUROload , procéder à un « kyte » aux presses. [6] »
[24] Pour le requérant, il s'agit d'une erreur flagrante et déraisonnable, car dit-il, il se méprend sur l'objet et l'identité des deux équipements,
[25] Pour les mis-en-cause, sans concéder que l'arbitre a fait une erreur au paragraphe 28 de sa décision, ils soutiennent que, même s'il y avait une erreur, celle-ci n'est pas déterminante selon eux. Ils rappellent que l'arbitre s'est rendu sur les lieux, qu'il a vu le fonctionnement du système et qu'il sait comment ce dernier fonctionne,
[26] Ils soulignent que la fonction d'aide-manutenteur ne comprend pas le vocable «dévidoir» dans la classification. Les mis-en-cause renvoient aussi à la preuve faite devant le tribunal d'arbitrage en particulier aux pages 72 et suivantes, où le système «AUROload et le système AUROsys » sont discutés.
[27] Pour les mis-en-cause, l'arbitre avait aussi cette preuve devant lui en plus de sa visite au site.
[28] La partie requérante soutient que la décision de l'arbitre est déraisonnable vu son erreur manifeste et son incompréhension des systèmes qu'il devait interpréter.
[29] Comme il s'agit d'interpréter une section d'une convention collective, l'arbitre de grief rend donc une décision au cœur même de sa juridiction. La norme de contrôle est celle de la décision raisonnable.
[30] La Cour suprême du Canada s'y exprime ainsi à l'arrêt Dunsmuir :
[47]«La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[48]… Que faut-il entendre par déférence dans ce contexte? C’est à la fois une attitude de la cour et une exigence du droit régissant le contrôle judiciaire. Il ne s’ensuit pas que les cours de justice doivent s’incliner devant les conclusions des décideurs ni qu’elles doivent respecter aveuglément leurs interprétations. Elles ne peuvent pas non plus invoquer la notion de raisonnabilité pour imposer dans les faits leurs propres vues. La déférence suppose plutôt le respect du processus décisionnel au regard des faits et du droit. Elle « repose en partie sur le respect des décisions du gouvernement de constituer des organismes administratifs assortis de pouvoirs délégués ». . . . Nous convenons avec David Dyzenhaus que la notion de [ TRADUCTION ] « retenue au sens de respect » n’exige pas de la cour de révision [ TRADUCTION ] « la soumission, mais une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision». . . [citations omises] [7]
[31] À l'arrêt Newfoundlannd and Labrador Nurses'Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), la juge Abella s'exprime ainsi au nom de la Cour:
[13]C’est dans cette optique, selon moi, qu’il faut
interpréter ce que la Cour voulait dire dans
Dunsmuir
lorsqu’elle a
parlé de la « justification de la décision [et de] la transparence et [de]
l’intelligibilité du processus décisionnel ». À mon avis, ces propos témoignent
d’une reconnaissance respectueuse du vaste éventail de décideurs spécialisés
qui rendent couramment des décisions — qui paraissent souvent contre-intuitives
aux yeux d’un généraliste — dans leurs sphères d’expertise, et ce, en
ayant
recours à des concepts et des termes souvent propres à leurs champs d’activité.
C’est sur ce fondement que notre Cour a changé d’orientation dans
Syndicat
canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du
Nouveau-Brunswick
[14] …«Il me semble que c’est ce que la Cour voulait dire dans Dunsmuir en invitant les cours de révision à se demander si « la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité » (par. 47).
[…]
[17] Le fait que la convention collective puisse se prêter à une interprétation autre que celle que lui a donnée l’arbitre ne mène pas forcément à la conclusion qu’il faut annuler sa décision, si celle-ci fait partie des issues possibles raisonnables. Les juges siégeant en révision doivent accorder une [ TRADUCTION ] « attention respectueuse » aux motifs des décideurs et se garder de substituer leurs propres opinions à celles de ces derniers quant au résultat approprié en qualifiant de fatales certaines omissions qu’ils ont relevées dans les motifs.
[…]
[25] L’arbitrage permet aux parties à la convention collective de régler leurs différends dans les plus brefs délais, tout en sachant que la solution de rechange consiste non pas à se pourvoir en contrôle judiciaire, mais à négocier dans deux ou trois ans une nouvelle convention collective contenant des modalités différentes. Ce processus serait paralysé si l’on exigeait des arbitres qu’ils répondent à tous les arguments ou modes possibles d’analyse.
[26] En l’espèce, il ressort des motifs que l’arbitre avait bien saisi la question en litige et qu’il est parvenu à un résultat faisant sans aucun doute partie des issues possibles raisonnables. Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens. [8] »
[32] Tant l'arrêt Dunsmuir que l'arrêt Newfoundland montrent que la perfection n'est pas exigée d'un arbitre qui interprète une convention collective. Le but de l'arbitrage est de trouver une solution raisonnable selon le texte de la convention collective et non de trouver la solution parfaite.
[33] L'arbitre aux présentes s'est rendu sur les lieux, il a vu le fonctionnement des systèmes et a tiré sa propre conclusion. Il a motivé sa décision, qui prise dans son ensemble, démontre qu'il s'agissait d'une solution possible vu le texte de la convention et son interprétation du système. Le fait qu'il fasse une erreur au paragraphe 28 de sa décision ne vicie pas totalement son raisonnement et la solution qu'il applique trouve raisonnablement assise dans le texte de la convention,
[34] Les enseignements récents de la Cour suprême nous guident dans cette affaire et force est de conclure qu'il faille rejeter la requête en révision.
[35] POUR CES MOTIFS, le Tribunal:
[36] REJETTE la requête la requête en révision judiciaire.
[37] Avec dépens.
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__________________________________ DIANE MARCELIN, J.C.S. |
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Me Hubert Graton |
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Quebec Media Pour les demanderesses |
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Le défendeur est absent et non représenté |
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Me Michel Morissette Poudrier Bradet Pour la mise-en-cause |
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Date d’audience : |
Le 14 septembre 2011 |
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[1] R-2 par. 137.
[2] Par. 27 de la requête en révision et R-4.
[3] Précité note 1, par. 10.
[4] Précité note 1, par. 28.
[5] Précité note 1, par. 27.
[6] Précité note 1, par. 137.
[7]
Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick
,
[8]
Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre-Neuve-et-Labrador
(Conseil du Trésor),