COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

Dossiers :

AQ-2001-1678, (AQ-1003-5155), AQ-2001-1681, (AQ-1003-5160),
AQ-2001-1680, (AQ-1003-5159), AQ-2001-1679, (AQ-1003-5157),
AM-2001-1640, (AM-1001-3603)

Cas :

CQ-2010-1427, CQ-2010-1428, CQ-2010-1429, CQ-2010-1430,
CM-2010-0999

 

Référence :

2012 QCCRT 0129

 

 

Québec, le

7 mars 2012

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DEVANT LE COMMISSAIRE :

Louis Garant, juge administratif

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Papiers de publication Kruger inc.

 

Requérante de première part

 

Kruger inc.

 

Requérante de deuxième part et mise en cause

 

Syndicat des travailleurs et travailleuses des pâtes et du papier de Brompton -

CSN

 

Requérant de troisième part et mis en cause

c.

 

Papiers de publication Kruger inc. / Kruger inc.

 

Intimée

et

 

Section locale 234 du Syndicat canadien des communications, de l’énergie

et du papier (SCEP), (constables-pompiers)

 

 

Section locale 136 du Syndicat canadien des communications, de l’énergie

et du papier (SCEP)

 

Section locale 265 du Syndicat canadien des communications, de l’énergie

et du papier (SCEP)

 

Section locale 234 du Syndicat canadien des communications, de l’énergie

et du papier (SCEP)

 

Mises en cause

 

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DÉCISION CORRIGÉE

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Le texte original a été corrigé le 12 avril 2012 et la description des correctifs est annexée à la présente version.

[1]           Nous sommes en présence de requêtes déposées en vertu de l’article 45 du Code du travail , L.R.Q. c. C-27 (le Code) par l’employeur Papiers de publication Kruger inc. (KPPI) et Kruger inc. pour l’établissement de Trois-Rivières où il y a quatre unités de négociation qui sont affiliées au Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP).

[2]           Une autre requête, celle-ci en vertu des articles 39 et 45 du Code, est déposée par le Syndicat des travailleurs et travailleuses des pâtes et du papier de Brompton - CSN (CSN). En réplique, l’employeur demande à la Commission d’accueillir cette requête, mais uniquement en vertu de l’article 45 du Code.

[3]           Dans toutes ces requêtes, Kruger inc. et KPPI, demandent à la Commission de constater qu’il y a eu aliénation d’entreprise au sens de l’article 45 du Code entre Kruger inc. et KPPI pour les établissements situés à Trois-Rivières et à Brompton. Quant aux parties syndicales, elles demandent plutôt que la Commission déclare que KPPI et Kruger inc. soient désignées conjointement à titre d’employeur ou encore, qu’il n’y a pas eu véritable aliénation d’entreprise et que Kruger inc. est et demeure le véritable employeur pour ces deux usines.

[4]           La requête de la CSN a été déposée le 3 mars 2010 et celles visant l’établissement de Trois-Rivières ont été déposées le 26 mars 2010 conjointement par Kruger inc. et KPPI.

Les faits

[5]           Dans l’empire Kruger, il y a plus de cent filiales propriété de Kruger inc. dont 95 % sont détenues à 100 % par Kruger inc. Cette dernière est une compagnie privée appartenant à Hicliff, propriété de Joseph Kruger II. KPPI est une filiale à 100 % de Kruger inc. incorporée le 23 juillet 2009.

[6]           En 1984, Kruger inc. procède à l’acquisition de l’usine de Corner Brook à Terre-Neuve, dont elle est propriétaire à 100 %. Puis, en 1997, il y a achat de Kimberly Clarke, aussi détenue à 100 %. En 2001, elle procède à l’acquisition de la compagnie Wayagamack dont elle est propriétaire à 51 %, le reste des actions étant détenu par Rexfor.

[7]           Puis, en 2004, Kruger inc. se dote d’un volet énergie où elle acquiert des entreprises d’hydroélectricité, de cogénération de même que de la production électrique à l’aide d’éoliennes.

[8]           La scierie de Gérard Crête est acquise à 100 % en 2005 de même que 75 % des actions de la Maison des Futailles, le reste étant détenu par le Fonds de solidarité.

[9]           En 2009, avant la transaction contestée, Kruger inc. possède des entreprises dans les domaines suivants :

Ÿ   Papiers de publication

Ÿ   Bois et forêts

Ÿ   Recyclage

Ÿ   Cartonnage

Ÿ   Papiers tissus

Ÿ   Énergie

Ÿ   Spiritueux

[10]        Dans le domaine des papiers de publication, on retrouve les entreprises suivantes :

Ÿ   Brompton

Ÿ   Trois-Rivières

Ÿ   Corner Brook

Ÿ   Wayagamack (51 %)

[11]        Puis, Kruger inc. opère une réorganisation et passe de sept unités de gestion à trois; on retrouve donc les produits industriels, les produits de consommation et l’énergie. Une des raisons de cette transformation est qu’à l’époque, le marché est dans le creux du cycle du papier et Kruger inc. cherche à alléger sa structure administrative.

[12]        C’est ainsi que le 23 juillet 2009, il y a création de plusieurs entreprises dans l’empire Kruger dont KPPI et Services Kruger inc. (KSI). Par la suite, le 18 septembre il y a transfert d’actifs dans ces diverses entreprises. La vente à KPPI s’est faite en contrepartie de 100 % des actions de cette dernière.

[13]        Le 17 septembre, monsieur Donald J. Cayouette, vice-président de direction et chef de l’Exploitation, écrit à tous les employés de Kruger inc. :

Dans ta foulée de la réorganisation de la société Kruger amorcée en juin, nous avons entrepris des démarches visant à poursuivre la modernisation et l'harmonisation de la structure légale de l'entreprise en fonction de nos divers secteurs d'activités. Pour ce faire, il était nécessaire de regrouper certaines activités au sein d'entités légales bien définies; c'est pourquoi nous créerons deux nouvelles sociétés, soit Papiers de publication Kruger inc. (KPPI) et Services Kruger inc. Concrètement, il s'agit de changements d'ordre administratif qui n'auront pas d'impact sur les structures organisationnelles et opérationnelles, ni sur les liens hiérarchiques au sein de l'entreprise. Nous souhaitons compléter cette initiative au cours des prochaines semaines.

Dans un premier temps, la société Papiers de publication Kruger inc. regroupera l'usine de Trois-Rivières et celle de Brompton, ainsi que les actifs liés à Scierie Parent. Cette nouvelle entité nous offrira toute la souplesse requise pour continuer à se développer dans le secteur des pâtes et papiers et du bois d'œuvre, dans un nouveau contexte d'affaires où les activités de l'industrie seront concentrées autour d'un plus petit nombre de sociétés. Éventuellement, d'autres actifs ou sociétés affiliées à Kruger pourraient être intégrées à KPPI.

Une telle structure offre de nombreux avantages. Par exemple, nous aurons une plus grande flexibilité pour le développement de partenariats d'affaires et nous pourrons bénéficier pleinement de toutes les mesures fiscales disponibles et applicables. Par ailleurs, il sera plus facile pour des tierces parties d'investir dans nos projets puisqu'elles transigeront directement avec cette nouvelle filiale.

Du côté du siège social, la création de Services Kruger inc. facilitera la mise en place de services partagés au bénéfice des différentes filiales. Ces services incluront notamment la gestion de l ' approvisionnement, les technologies de l'information, les communications, les ressources humaines, l'ingénierie et l'environnement et la gestion des avantages sociaux. Cette nouvelle structure permettra de mettre en commun et d'harmoniser les ressources, de même que les pratiques et les systèmes de l ' entreprise, afin d'en assurer une plus grande efficacité.

Il faut souligner que ces changements n ' auront aucun impact sur les opérations, ni sur les relations avec nos clients, partenaires et fournisseurs.

Par ailleurs, les employés concernés par la mise en place de cette nouvelle structure conserveront leurs fonctions au sein de ces nouvelles filiales de Kruger, ainsi que leurs conditions d’emploi, leurs années de service et leurs avantages sociaux.

Ultimement, le but de ces changements est de poursuivre la modernisation de la structure de l’entreprise pour la rendre plus efficace, plus flexible et mieux positionnée pour saisir des occasions d’affaires qui découleront du nouveau contexte économique.

(…)

(Reproduit tel quel)

[14]        Ainsi, Kruger inc. ne détient plus désormais directement d’actifs opérationnels sauf en matière de cartonnage et de recyclage. Cette décision a été prise en bonne partie à cause du désir de monsieur Kruger de faire de Kruger inc. une société de portefeuille qui n’a pas d’opérations proprement dites, et ce, pour des fins successorales.

[15]        Malgré la restructuration, quelques usines qui œuvrent dans le domaine forestier dans l’empire Kruger ne sont pas dans KPPI. C’est le cas de Corner Brook parce que cette entreprise a contracté un prêt bancaire complexe et il aurait été difficile de l’intégrer dans l’entreprise KPPI pour cette raison. Quant à Wayagamack, Kruger ne possède que 51 % des actions. Les deux scieries acquises de Gérard Crête ne sont pas dans KPPI à cause de leur financement particulier.

[16]        L’activité de cogénération à Brompton a été rattachée à KPPI parce qu’elle est intégrée à l’usine et elle génère des économies substantielles pour celle-ci. L’entretien du barrage et de la centrale d’Hydro Bromptonville est fait par l’usine de Brompton qui facture à Hydro Bromptonville pour ces services.

[17]        Conformément à la lettre du 17 septembre, KSI offre divers services aux filiales, dont KPPI. Chacune des entités qui utilise les services fournis par KSI paie pour ceux-ci.

[18]        Compte tenu de l’état du marché du papier, de septembre 2009 à septembre 2010, KPPI était déficitaire et Kruger inc. a fait des avances de fonds pour assurer le roulement de l’entreprise.

[19]        Dans le cas de Scierie Parent, la CSD a acquiescé à la transmission d’entreprise en vertu des articles 39 et 45 du Code.

[20]        Comme le litige porte essentiellement sur l’identité de l’employeur, monsieur Alain Harvey, vice-président capital humain, division des produits industriels, responsable des ressources humaines pour la division, déclare que KPPI a sous sa gouverne approximativement 900 employés, soit 425 à Trois-Rivières et 415 à Brompton. À cela, il faut en rajouter quelques-uns à la Scierie Parent et d’autres, au siège social.

[21]        En matière de gestion des ressources humaines, lors de négociation de convention collective, il y a toujours un représentant de Kruger inc., soit monsieur Melançon, le directeur corporatif relations du travail et santé-sécurité. Ce dernier négocie dans chacune des divisions de Kruger inc.

[22]        Lors d’une négociation dans une usine comme Trois-Rivières ou Brompton, le comité patronal de négociation est constitué ainsi :

Ÿ   le directeur des ressources humaines;

Ÿ   le directeur de la production;

Ÿ   le directeur des services techniques;

Ÿ   le contrôleur;

Ÿ   une personne ressource de chez Kruger inc. (monsieur Melançon).

[23]        Avant la création de KPPI, monsieur Harvey était la personne ressource lors de ces négociations. Le mandat de négociation provient de Kruger inc. et cette situation prévalait avant la création de KPPI.

[24]        Les fonctions de monsieur Harvey sont de s’assurer de l’uniformité des politiques de Kruger et non de KPPI. En effet, certaines politiques d’importance majeure sont toujours décidées par Kruger inc. pour l’ensemble du réseau. Avant la création de KPPI, il faisait sensiblement le même travail que maintenant. En effet, il embauchait et embauche toujours les cadres supérieurs pour la division des produits industriels et il possède une autorité hiérarchique sur les directeurs des ressources humaines des usines. Lors d’un arbitrage de grief, il est consulté si le litige est important, tout comme avant la création de KPPI.

[25]        Ainsi, les gestionnaires de premier niveau dans les usines de Trois-Rivières et de Brompton sont embauchés par KPPI. Les mesures disciplinaires et les griefs sont gérés localement. Quant aux relevés pour fins d’impôts, ils sont émis par KPPI. Cette dernière a aussi ses propres comptes à la Commission des normes du travail, à la Commission de la santé et de la sécurité de même qu’à la Régie des rentes du Québec.

[26]        La directrice générale, rémunération globale de Kruger inc., madame Line Lebel, explique que Kruger inc. est signataire du contrat d’assurance collective et les filiales sont des employeurs participants.

[27]        L’arrivée de KPPI n’a rien changé dans son travail pour elle et son équipe.

[28]        Le débat porte sur la notion d’employeur, mais aussi sur les régimes de retraite. Ainsi, Kruger inc. affirme qu’il y a une équité résiduelle une fois les déficits des fonds comblés de 179 millions de dollars. La sécurité financière des régimes est assurée. Cependant, Kruger inc. a demandé à la Régie des rentes du Québec (la Régie) des mesures d’allègement pour le remboursement des déficits sur une période de quinze ans. Cette demande a été faite afin de bénéficier des mêmes avantages que certains de ses concurrents comme Abitibi Bowater.

[29]        Actuellement, les ratios de solvabilité pour les régimes de retraite sont de 71 % pour Brompton et 68 % pour Trois-Rivières.

[30]        À la demande de la Commission, monsieur André Lorquet de la Régie est venu expliquer les conséquences d’un changement d’entreprise comme le propose Kruger inc. en ce qui a trait au régime de retraite des salariés. C’est ainsi que, tel que le prévoit la Loi sur les régimes complémentaires de retraite , L.R.Q. c. R-15.1, lorsqu’il y a substitution d’employeur, ce que vise à faire Kruger inc., la Régie peut imposer des conditions lors de ce transfert. Avant de prendre sa décision, la Régie s’assure de la capacité financière du nouvel employeur à assumer les obligations du régime. À cette fin, elle peut demander des expertises. Les parties peuvent faire des représentations et lorsque la décision est rendue, celle-ci peut être contestée devant le Tribunal administratif du Québec.

[31]        Dans le cas présent, la Régie a suspendu sa décision à la suite des commentaires des associations syndicales alléguant qu’il n’y avait peut-être pas de transfert au même degré que l’employeur le prétend. Elle attend donc la décision de la Commission des relations du travail pour se prononcer.

[32]        Puis, monsieur Lorquet a expliqué que lorsqu’il y a des déficits dans un régime, la loi prévoit des périodes de remboursement pour combler ces déficits. S’il y a substitution d’employeur, il n’y a pas d’interruption dans le régime. Toutefois, si la substitution n’est pas autorisée, la loi prévoit la façon dont le régime se termine.

[33]        Monsieur Claude Gagnon, le représentant SCEP national qui a sous sa gouverne les associations de salariés de Trois-Rivières, et ce, depuis 1992, affirme qu’il a été mis au courant de la création de KPPI de la même façon que les salariés, soit par la lettre du 17 septembre 2009. Toutefois, il a appris lors des audiences que monsieur Harvey travaillait désormais pour KPPI.

[34]        Pour monsieur Jacques Bellemarre, le président de la section 265 du SCEP, aucun changement dans la façon de fonctionner n’est survenu depuis l’arrivée de KPPI. Selon lui, en matière d’avantages sociaux, de commandes de clients, de payes, de transport autre que le papier, de santé-sécurité et de comptabilité, tout est identique.

[35]        Il a entendu parler de KSI lors de l’audience malgré qu’il ait reçu la lettre du 17 septembre. Il affirme cependant qu’il n’a pas porté attention lors de la lecture de celle-ci.

[36]        Antérieurement au dépôt des requêtes devant la Commission, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des pâtes et du papier de Brompton - CSN a déposé un grief, le 28 octobre 2009, contestant le changement de promoteur de leur régime de retraite. Le Syndicat réclame le maintien intégral de ce régime, et ce, conformément à la convention collective qui prévoit qu’aucun changement ne peut être apporté au régime de retraite jusqu’en 2015.

[37]        Lors de l’audition de ce grief devant l’arbitre, l’employeur a demandé à cette dernière de surseoir aux procédures jusqu’à ce qu’une décision de la Commission soit rendue à la suite des requêtes déposées en vertu de l’article 45 du Code .

[38]        Le 11 juin 2010, l’arbitre accepte de surseoir à l’audition du grief tel que le requiert l’employeur. Le Syndicat CSN se pourvoit en Cour supérieure contre cette décision et le 14 janvier 2011, la Cour rejette la requête en révision judiciaire de la décision interlocutoire de l’arbitre de griefs.

[39]        Insatisfait, le Syndicat CSN demande l’intervention de la Cour d’appel et le 16 mars 2011, cette dernière rend une décision dans laquelle elle est du même avis que le juge de la Cour supérieure et elle refuse d’intervenir.

[40]        Dans sa décision ( 2011 QCCA 480 ), elle écrit :

[10]      L’arbitre n’a pas refusé d’exercer sa compétence. Elle l’a fait, mais avec un résultat que le requérant conteste. Cela ne signifie pas que la Cour supérieure doive intervenir. S’il est vrai que l’arbitre doit agir avec diligence, cette diligence s’interprète à la lumière des circonstances de l’espèce, ce qui signifie, parfois, qu’il est préférable d’attendre le résultat d’une autre procédure surtout lorsque, comme en l’espèce, l’audition a déjà débuté devant l’autre décideur et que des dates ont déjà été arrêtées pour la continuer.

[12]      La décision interlocutoire n’a pas ici un caractère définitif, malgré le désir du requérant d’avoir une décision de l’arbitre avant celle de la CRT. En ce sens, il était loisible pour la Cour supérieure de constater le caractère inapproprié de la demande de révision judiciaire, même au stade de l’irrecevabilité.

[13]      Il me paraît aller de soi que la décision que la CRT sera appelée à rendre, dans le cadre de sa compétence, pourrait avoir un impact déterminant sur le sort de la procédure d’arbitrage, notamment en ce qui a trait à l’identité du nouvel employeur, de sorte que je ne peux voir dans la décision arbitrale la manifestation d’un excès de compétence, comme le plaide le requérant.

LES argumentS des parties

[41]        L’employeur plaide qu’il y a eu transaction entre Kruger inc. et KPPI et que celle-ci constitue une aliénation totale. Ainsi, l’article 45 du Code doit recevoir son application. KPPI est une véritable entreprise, qui possède des actifs importants; il ne s’agit pas d’une coquille vide. Cette vente a un impact important sur les relations du travail.

[42]        Si les parties syndicales entendent prouver que cette transaction n’a pas d’effet, ce fardeau leur revient.

[43]        La façon dont Kruger inc. fonctionne avec KPPI est identique à celle des dizaines d’autres filiales de Kruger inc. Il n’y a pas de preuve que cette dernière s’occupe de la gestion quotidienne des entreprises détenues par KPPI.

[44]        Pour le SCEP, l’employeur a le fardeau de prouver qu’il y a eu aliénation puisque c’est lui qui a déposé les requêtes en vertu de l’article 45 du Code. Bien qu’il y ait eu vente en droit commercial, cette opération juridique n’a pas d’impacts sur l’article 45 du Code. En effet, il n’y a pas de changement de structure de l’entreprise concédée puisqu’il n’y a pas eu aliénation, transport ou concession. Kruger inc. ne s’est pas départie de ses usines, il n’y a pas de transfert du droit de propriété.

[45]        La vente à KPPI s’est faite en contrepartie de 100 % des actions de cette dernière. Kruger inc. ne s’est donc départie de rien. Le personnel de la haute direction garde contrôle sur les éléments essentiels de KPPI et il y a un seul porte-parole au niveau de la négociation collective.

[46]        Pour ce syndicat, nul n’est besoin de recourir au concept de l’osmose puisque Kruger inc. et KPPI ne forment qu’une seule et même entreprise.

[47]        De façon subsidiaire, il plaide que Kruger inc. et KPPI exercent ensemble le rôle de l’employeur.

[48]        Finalement, le SCEP rappelle à la Commission qu’une fois la transmission de droits constatée, rien n’empêchera plus Kruger inc. de se soustraire à ses obligations, notamment en ce qui a trait au régime de retraite.

[49]        La CSN est d’avis que la transaction effectuée par Kruger inc. en septembre 2009 n’a pas fait apparaître un nouvel employeur au sens du Code. Kruger inc. est bel et bien demeuré le véritable employeur de l’entreprise située à Brompton. En effet, Kruger inc. a informé les salariés qu’il n’y aurait pas de changement à leur égard. L’organisation quotidienne du travail est demeurée la même de sorte que les rapports juridiques entre les parties n’ont pas été modifiés par la création de KPPI.

[50]        Toutefois, la création de cette entité qu’est KPPI risque d’entraîner des préjudices aux salariés et au Syndicat. En effet, cette transaction aura un impact important en matière de retraite pour les salariés de l’usine de Brompton puisque la modification de la désignation de l’employeur d’origine constitue un risque financier important pour les participants actifs et les retraités.

[51]        Puisque le régime de retraite découle des dispositions de la convention collective signée par Kruger inc., cette transaction risque de changer les rapports juridiques établis et viole jusqu’à un certain point l’exercice de la liberté d’association protégée tant par le Code que par les chartes. La Commission doit donc refuser de cautionner cette manœuvre et rejeter la requête de l’employeur.

Les motifs

[52]        De l’avis de la Commission, dans un contexte comme celui-ci, il faut rechercher qui est le véritable employeur des salariés et non qui est le propriétaire de l’entreprise. Il s’agit là d’une distinction importante qui tient compte de la réalité du monde du travail et des fins poursuivies par le législateur en adoptant le Code.

[53]        De plus, l’accréditation n’est pas rattachée au propriétaire de l’entreprise, mais à l’entreprise elle-même. Pour que l’article 45 du Code s’applique, il faut qu’il y ait eu concession ou aliénation de l’entreprise; c’est donc dire qu’il faut être en présence de la même entreprise. Cette entreprise quelle est-elle? Comment l’identifier?

[54]        Dans l’affaire U.E.S., local 298 c. Bibeault , [1988] 2 R.C.S. 1048 , la Cour suprême adopte la définition élaborée par le juge Lesage. Elle écrit :

172. Au lieu d'être réduite à une liste de fonctions, l'entreprise recouvre l'ensemble des moyens dont dispose un employeur pour atteindre la fin qu'il recherche. J'adopte la définition de l'entreprise proposée par le juge Lesage dans une affaire subséquente, Mode Amazone c. Comité conjoint de Montréal de l'Union internationale des ouvriers du vêtement pour dames , [1983] T.T. 227 , à la p. 231:

L'entreprise consiste en un ensemble organisé suffisant des moyens qui permettent substantiellement la poursuite en tout ou en partie d'activités précises. Ces moyens, selon les circonstances, peuvent parfois être limités à des éléments juridiques ou techniques ou matériels ou incorporels. La plupart du temps, surtout lorsqu'il ne s'agit pas de concession en sous-traitance, l'entreprise exige pour sa constitution une addition valable de plusieurs composantes qui permettent de conclure que nous sommes en présence des assises mêmes qui permettent de conduire ou de poursuivre les mêmes activités: c'est ce qu'on appelle le going concern . Dans Barnes Security , le juge René Beaudry, alors juge puîné, n'exprimait rien d'autre en mentionnant que l'entreprise consistait en "l'ensemble de ce qui sert à la mise en oeuvre des desseins de l'employeur". (…)

[55]        Dans le cas qui nous occupe, ce sont des usines de pâtes et papier. Donc, l’entreprise constitue cet ensemble d’actifs matériels et humains qui permettent de poursuivre la production de ces matières.

[56]        Il y a deux usines qui font l’objet du présent débat, Trois-Rivières et Brompton. La première est visée par quatre accréditations liées au SCEP, la seconde à une seule, détenue par la CSN. Ce sont ces accréditations qui doivent être maintenues, malgré la vente de l’entreprise. C’est ce que prévoit l’article 45 du Code. La Cour suprême écrit dans la même affaire :

186. Il est unanimement reconnu que, pour reprendre les mots du juge Chouinard dans l'affaire Adam c. Daniel Roy Ltée , précitée, à la p. 688, "[l]'objet premier [de l'art.45] était de modifier la situation créée par l'arrêt de la Cour d'appel dans l'affaire Brown, Syndicat national des travailleurs de la pulpe et du papier de La Tuque Inc. c. Commission des relations ouvrières de la Province de Québec , [1958] B.R. 1." L'effet de la décision de la Cour d'appel dans l'affaire Brown était de reconnaître que les principes du droit civil, et notamment le principe de la relativité des contrats énoncé à l'art. 1023 C.c.B.C. , mènent à la caducité de l'accréditation et de la convention collective suite à la vente de l'entreprise. Les articles 45 et 46 ont été promulgués afin de remédier à cet effet du droit civil.

187. Ce qu'il importe de souligner c'est que les termes de l'art. 45 ne prétendent pas modifier le droit civil, ni écarter toute application du droit civil à une entreprise qui est l'objet d'une accréditation ou d'une convention collective. Son seul objet est de prévenir l'invalidité de l'accréditation ou de la convention collective à cause des principes du droit civil.

188. En d'autres termes, l'art. 45 ne règle pas, de façon générale, l'aliénation ou la concession d'une entreprise. À titre d'exemple, la vente d'une entreprise où il y a un syndicat, tout comme la vente d'une entreprise où il n'y en a pas, se fait selon les règles du droit commun. L'effet de l'art. 45 est simplement de maintenir la validité de la certification et de la convention collective suite à une vente, pourvu qu'il y ait continuité de l'entreprise.

189. Il est donc évident que l'existence d'une aliénation ou d'une concession de l'entreprise ne peut être établie que par recours au droit civil. Contrairement à ce que prétend l'appelant, le recours aux définitions civilistes de l'aliénation et de la concession ne porte pas atteinte au particularisme du droit du travail. Bien au contraire, c'est le législateur qui dicte une telle démarche: il est impossible d'ignorer le droit civil quand il s'agit d'interpréter une disposition qui a pour objectif de déroger à l'une des règles de ce droit, celle de la relativité des contrats, d'autant plus que, pour y parvenir, le législateur emprunte précisément la terminologie du droit privé.

[57]        Ici, selon les règles du droit civil, la preuve a démontré qu’il y a eu vente de Kruger inc. à KPPI. Comme il y a continuité de l’entreprise, le Code prévoit donc que l’accréditation et la convention collective sont désormais transférées chez le nouvel acquéreur de cet ensemble organisé, et ce, pour les deux usines qui constituent chacune une entreprise.

[58]        Le Code n’empêche pas la transaction civile de s’opérer, mais il en minimise les conséquences sur l’accréditation et la convention collective. Cela pourrait suffire à trancher le débat, mais d’autres arguments ont été soulevés touchant l’identité de l’employeur.

[59]        Une décision phare en ce domaine est l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Ville de Pointe-Claire c. Le Syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau, section locale 57 (SEPB-UIEPB-CTC-FTQ) , [1997] 1 R.C.S 1015 . Bien qu’elle ait été rendue dans le cadre d’une relation tripartite, il n’en demeure pas moins que les balises qui y sont établies s’appliquent en faisant les adaptations nécessaires. Le juge en chef Lamer écrit à la page 1047 :

À mon avis, dans un contexte de rapports collectifs régis par le Code du travail , il est primordial que l’employé temporaire puisse négocier avec la partie qui exerce le plus grand contrôle sur tous les aspects de son travail - et non seulement sur la supervision de son travail quotidien. De plus, lorsqu’un certain dédoublement de l’identité de l’employeur se produit dans le cadre d’une relation tripartite, l’approche plus globale et plus souple a l’avantage de permettre l’examen de la partie qui a le plus de contrôle sur tous les aspects du travail selon la situation factuelle particulière à chaque affaire. Sans établir une liste exhaustive des éléments se rapportant à la relation employeur-salarié, je mentionnerai à titre d’exemples, le processus de sélection, l’embauche, la formation, la discipline, l’évaluation, la supervision, l’assignation des tâches, la rémunération et l’intégration dans l’entreprise.

[60]        Puis, il ajoute à la page 1055 :

(…) En effet, le Code du travail a été conçu essentiellement pour des relations bipartites comprenant un salarié et un employeur. 

[61]        Si l’on applique ce raisonnement au présent dossier, nul doute n’apparaît, l’employeur des salariés travaillant dans les usines de Trois-Rivières et de Brompton est l’entité connue sous le nom de Papiers de publication Kruger inc.

[62]        Dans l’affaire Syndicat des travailleurs de l’information du Journal de Montréal (CSN) et Netgraphe inc. (Canoë) , (division de la société en commandite Canoë), AZ-501110350, maître Alain Turcotte, alors commissaire du travail, écrit le 7 janvier 2002 :

[118]    Le Syndicat m’invite à voir dans la mise en ligne du Journal de Montréal, faite par Canoë, la continuité de la mission du Journal de Montréal. Par conséquent, les trois salariés seraient déjà inclus dans le certificat d’accréditation existant du syndicat. Subsidiairement, le Journal de Montréal et Canoë formeraient un seul employeur pour les fins de relations de travail.

[119]    Il est possible que le statut d’employeur soit détenu conjointement par plusieurs personnes même si l’accréditation multi patronale est illégale au Québec, il faut toutefois la présence d’un ensemble organisé de plusieurs éléments servant à la production essentielle des entités sous étude.

[130]    Il n’y a aucune preuve d’un contrôle du travail de chacun des salariés par le Journal de Montréal ou par le Journal de Québec. L’existence de préalables techniques à respecter ne constitue, en l’occurrence, une directive sur le travail.

[131]    Donc, l’élément le plus important de la définition de salarié, et par implication d’employeur, la subordination juridique, penche nettement en faveur d’une relation d’emploi avec Canoë.

[63]        Puis, le commissaire aborde alors la question importante de l’osmose :

[133]    L’osmose qu’il faut rechercher est expliquée ainsi par le Juge en chef du Tribunal du travail Bernard Lesage :

« L’osmose, mot clé de l’arrêt classique Autobus Bélair inc., précité, c’est non pas l’arrimage de deux entreprises, c’est-à-dire leur contrôle lié même étroitement pour l’avantage mutuel de deux employeurs : c’est bien davantage, et d’une nature différente.

C’est la constatation que les structures, les ensembles apparents d’éléments organisés pour produire des objectifs nécessitant l’engagement de salariés - ce qui est la définition d’entreprise intéressant le droit du travail - sont imbriqués au point de ne constituer qu’une seule entreprise en réalité.

Cela signifie que les moyens essentiels de production de chaque entreprise apparente ou une partie d’entre eux sont non seulement contrôlés et possédés par une même personne ou en commun par plusieurs, physiques ou morales, mais utilisés de façon indistincte, interchangeable, pour la réalisation de l’un ou de l’autre de tous les objectifs poursuivis, lesquels sont entièrement assumés par le ou les chefs de l’entreprise, tant administrativement qu’économiquement. Ce degré de possession, ce mode de fonctionnement des moyens caractéristiques des deux entreprises apparentes, permettent l’utilisation intégrée de leurs structures essentielles ou de parties d’entre elles, est l’aspect fondamental de l’« osmose ».

[134]    Il est indéniable que Sun Media (le Journal de Montréal et le Journal de Québec) et Canoë (Société en commandite Canoë) se retrouvent dans l’organigramme sous Quebecor inc. (voir l’organigramme simplifiée E-1). Il est également clair que les hautes autorités de Quebecor suivent l’ensemble des activités de cet empire financier fort diversifié, notamment, par une présence aux différents conseils d’administration.

[135]    Cependant, cela est loin de suffire pour conclure à l’intégration des deux entités. C’est l’imbrication des structures, des moyens essentiels de production, qu’il faut rechercher.

[64]        Le commissaire écrit ensuite au sujet de la structure juridique de l’entreprise :

[194]    Il ne faut pas confondre le fait que ces entités corporatives se placent sous l’égide de Quebecor pour conclure qu’il n’y a qu’une entreprise. Du point de vue des relations de travail, on ne peut aller aussi loin. Il faut une preuve d’osmose, preuve absente du présent dossier.

[65]        L’analogie avec la présente affaire est importante. La haute direction de Kruger inc. suit de près les activités des usines regroupées dans KPPI. On ne peut toutefois conclure qu’il s’agit là d’une seule et unique entreprise où que Kruger inc. est le véritable employeur.

[66]        Toujours à propos de l’osmose, la Commission écrit dans l’affaire Syndicat des employés de Purdel Bic (CSN) c. Purdel Coopérative agroalimentaire et Les pétroles BSL, s.e.c. , 2007 QCCRT 0206 , après avoir cité l’extrait de l’affaire Ville-Marie Pontiac Buick énoncé plus haut :

[51]      Pour qu’il y ait osmose entre les entreprises, il ne suffit donc pas qu’elles soient la propriété ou sur le contrôle des mêmes personnes, il faut qu’elles soient intégrées l’une à l’autre de manière à former, dans les faits, qu’une seule entreprise. Tel n’est pas le cas dans le présent dossier.

[53]      Le fait que Purdel et BSL aient des liens étroits au niveau de leur structure corporative est insuffisant pour considérer qu’elles forment une seule entreprise. À ce sujet, l’auteur Robert P. Gagnon, dans Le droit du travail au Québec , 5 e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, p. 309, écrit :

428     (…) Pour conclure que plusieurs personnes, physiques ou morales, sont ensemble un seul employeur aux fins de l’accréditation, il faut plus qu’une association, même étroite, entre ces personnes dans la poursuite d’un objectif commun pour leur avantage mutuel. Leurs entreprises apparemment distinctes doivent être fonctionnellement intégrées au point de n’en former véritablement qu’une seule, par osmose.

[67]        Sur les liens étroits entre les hauts dirigeants d’une entreprise et la présence d’osmose, la Commission se prononce de façon suivante dans l’affaire Syndicat catholique des ouvriers du textile de Magog inc., local 20 c. CSBS inc. et Soft Tex Pillows inc. et CSBS Holdings inc. , 2007 QCCRT 0497  :

[28]      À l’étape des plaidoiries, le requérant insiste sur le fait que les directeurs, MM. Dubois et Côté, ainsi que M me  Mongeau relèvent du représentant de l’actionnaire majoritaire, qui est le même.  Force est de constater que «  c’est la même personne qui dirige  », à savoir M. Polakiewicz, fait-il valoir.  De ce constat, le requérant invite la Commission à tirer la conclusion que l’on se trouve en présence d’une seule et même entreprise. 

[29]      Soit dit avec égards, cette prétention du requérant ne peut être retenue.  En effet, tel qu’il ressort de façon on ne peut plus claire de la jurisprudence, le contrôle exercé par un même actionnaire ou par une même haute direction ne suffit pas à soutenir une telle conclusion.  Dans l’affaire Revêtements Férox Coatings inc. c. Les Métallurgistes unis d’Amérique, local 8990 , T.T. Montréal, nº 500-28-000094-870, 1987-11-13, Monsieur le juge Bernard Lesage l’exprimait comme suit :

D’abord il tombe sous le sens commun qu’il ne suffit pas qu’une même personne dirige deux entreprises pour que celles-ci n’en constituent plus qu’une seule à toutes fins utiles . Lorsque M. Shoer est administrateur général tant d’une appelante que de l’autre, en principe et ce sont les règles du droit corporatif, il est mandataire distinct de chaque société. Ce n’est que dans son action quant à l’utilisation de son mandat, qu’on pourra voir s’il y a inter-relation suffisante des actions posées prétendument au nom de chaque mandant séparément.

[30]      Dans ce cas où il avait pourtant été établi que la même personne avait «  en pratique la main haute sur l’administration générale des deux compagnies  », le Tribunal refusa de conclure que l’on se trouvait en présence d’une seule entreprise, à cause de «  l’existence d’une machinerie distincte, de produits de base différents, aussi généralement d’un personnel affecté séparément aux activités de chaque société  », comme dans le cas qui nous occupe.

[31]      Ce faisant, le Tribunal ne faisait qu’appliquer une jurisprudence constante sur l’osmose nécessaire entre les deux entreprises apparentes, jurisprudence suivie par la Commission des relations du travail depuis qu’elle a pris la relève du Bureau du commissaire général du travail et du Tribunal du travail. (…)

[32]      Dans l’affaire Teamsters / Conférence des communications graphiques, section locale 41M, F.T.Q., C.T.Q. (CCG/41M) c. Journal de Montréal et al ( 2006 QCCRT 0529 ), la Commission passe en revue certaines décisions rendues depuis cette affaire Ville-Marie Pontiac Buick, pour conclure que «  le fait d’avoir des actionnaires et une gestion supérieure identiques  » n’est pas suffisant en soi.  L’extrait pertinent de cette décision se lit comme suit :

[70]     La jurisprudence subséquente à l’affaire Ville-Marie Pontiac Buick précitée établit que le fait d’avoir des actionnaires et une gestion supérieure identiques peut ne pas être suffisant pour constater une situation d’osmose entre les entreprises lorsque :

·          Les moyens de production ne sont pas utilisés de manière indistincte [ Syndicat national du carton façonné de Drummondville c. Produits Easterntube inc. , AZ-94147089 , D.T.E. 94T-1394 (T.T.)];

·          La gestion est autonome et le fonctionnement individuel [ Union internationale des travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 501 c. Jos Tondreau et Fils inc. , AZ-97144001 , D.T.E. 97T-19 (C.T.)];

·          Elles ont des activités propres et des clientèles distinctes [ Transfo-Métal inc. c. Syndicat des travailleurs de Transfo-Métal (C.S.N.) , AZ-50086821 , D.T.E. 2001T-783 (T.T.)];

·          L’équipe de direction et les activités sont distinctes et il n’y a pas d’interchangeabilité des employés même si certains services sont communs [ Boiseries coloniales, division de Groupe Cabico inc. c. Travailleuses et travailleurs unis de l’alimentation et du commerce, section locale 502 , AZ-50123740 , D.T.E. 2002T-634 (T.T.)];

 

·          Chacune a sa mission et un ensemble de moyens qui lui est propre [ Syndicat nationale de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs (euses) du Canada (TCA-Canada) c. Moulage sous pression AMT inc. , 2005 QCCRT 0231 ].

[33]      En l’espèce, force est de conclure que chacune des deux entreprises manufacturières a «  sa mission et un ensemble de moyens qui lui est propre  », que «  les moyens de production ne sont pas utilisés de manière indistincte  » et qu’«  il n’y a pas interchangeabilité des employés  », même si certains services communs leur sont dispensés par la société de gestion.

[34]      En outre, contrairement à ce que suggère le requérant, la preuve révèle que les directeurs de ces deux entreprises jouissent d’une marge de manœuvre assez appréciable, qui s’apparente plus à celle d’un directeur général face à son conseil d’administration qu’à celle d’un contremaître à l’égard d’un surintendant ou directeur de production.  Certes, ils doivent agir dans le cadre budgétaire défini par l’actionnaire principal, respecter son plan stratégique et ses politiques générales, mais il leur reste un degré de latitude important quant aux moyens à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs qui leur sont fixés, dans la gestion de leur équipe respective, entre autres.  Quoi qu’il en soit, comme on l’a vu, on ne saurait accorder à ce seul facteur un poids prépondérant.

[68]        Sur le volet des liens qui existent entre la haute direction et la présence d’osmose ou d’employeur unique aux fins du Code, la Commission énonce dans l’affaire Syndicat professionnel des infirmières et infirmiers de Québec (FIIQ) c. Groupe Champlain inc. et Centre hospitalier de l’Assomption (St-Georges de Beauce) inc. et CHSLD Chanoine-Audet , 2007 QCCRT 0017  :

[39]      Le requérant invoque le courant de jurisprudence développé jadis par le Tribunal du travail, repris depuis par la Commission, établissant que si osmose il y a entre deux entreprises au point qu’elles n’en constituent plus qu’une seule, les entités juridiques qui les exploitent constituent, aux fins du Code , un employeur unique.

[40]      Il prétend avoir fait la preuve qu’il y a osmose d’une part entre l’entreprise du CENTRE et celle de GROUPE CHAMPLAIN , et, d’autre part, entre celle de CHANOINE-AUDET et celle de GROUPE CHAMPLAIN , de telle sorte qu’il y aurait lieu de modifier les accréditations qu’il détient pour ajouter, dans chaque cas, le nom de GROUPE CHAMPLAIN.

[41]      La Commission n’est pas de cet avis. Certes, les administrateurs de GROUPE CHAMPLAIN , le nouvel actionnaire du CENTRE et de CHANOINE-AUDET , sont les mêmes. C’est la prérogative des actionnaires d’une personne morale de désigner les administrateurs de leur choix. Mais, faut-il le rappeler, la personne morale formée en vertu de la Loi sur les compagnies , est dotée d’une personnalité morale distincte de celles de ses actionnaires et le seul fait que les mêmes personnes physiques se retrouvent à la direction de deux corporations ne suffit pas pour qu’on conclut à osmose.

[42]      Pour qu’il y ait osmose, les entreprises elles-mêmes doivent être à ce point imbriquées l’une dans l’autre, dépendantes l’une de l’autre, qu’il ne soit plus possible, concrètement, de les distinguer et que, dans les faits, n’en constituent plus qu’une seule.

[44]      Ne change non plus rien, dans cette affaire, le fait qu’une personne se soit vue attribuer la responsabilité du personnel professionnel spécialisé dans les deux établissements. C’est la même chose pour le mandat confié au service des ressources humaines de GROUPE CHAMPLAIN, puisque la preuve établit que ces mandats sont gérés entreprise par entreprise. (…)

[69]        En vertu de toute cette jurisprudence, il est clair que le véritable employeur des salariés des entreprises de Brompton et de Trois-Rivières est KPPI.

[70]        Il y a eu aliénation de Kruger inc. à KPPI tel qu’en fait foi la documentation déposée lors de l’audience et malgré que Kruger inc. et même si monsieur Kruger lui-même s’inquiète de la santé financière de ses usines; il s’agit là de réflexes de propriétaire et non d’un employeur au sens du Code du travail.

[71]        La prétention selon laquelle Kruger n’a rien vendu n’a pas de fondements. Il y a une transaction qui est intervenue entre Kruger inc. et KPPI et celle-ci a des effets en matière de relations du travail, notamment en ce qui a trait à l’article 45 du Code. Le mode de fonctionnement de la haute direction n’a peut-être pas été transformé par cette transaction, mais il n’en demeure pas moins qu’elle existe et qu’elle a des effets sur les relations du travail et l’accréditation.

[72]        En ce qui a trait à la proposition subsidiaire qui ferait en sorte que Kruger inc. et KPPI exercent ensemble le rôle de l’employeur, elle ne peut être retenue pour les mêmes raisons.

[73]        La CSN voudrait que la Commission déclare que KPPI et Kruger inc. soient un même employeur notamment parce qu’ils seraient solidairement responsables du déficit du régime de retraite. Elle tire cet argument des articles 11 et 12 de la Loi sur les régimes complémentaires de retraite et de l’article 21.8 de la convention collective qui les lie à Kruger inc.

[74]        Il n’appartient pas à la Commission d’usurper le rôle de la Régie des rentes du Québec ou de l’arbitre de griefs. Le législateur leur a confié une mission particulière et il leur revient de l’exercer en temps voulu.

[75]        La notion d’employeur doit être déterminée en fonction du Code et de la jurisprudence qui en découle et non en vertu d’une autre loi ou d’une convention collective qui est un contrat de nature privée. La situation financière d’une entreprise ou d’un régime de retraite ne sont pas des éléments que la jurisprudence a retenus afin de décider de l’application de l’article 45 du Code.

[76]        L’article 45 du Code n’est pas le gardien des régimes de retraite, mais bien de l’accréditation et de la convention collective. Ces régimes sont des créatures des conventions collectives et c’est en vertu des mécanismes internes à celles-ci ou de lois particulières qu’ils sont protégés, le cas échéant.

[77]        Ainsi, il faut retenir que malgré qu’il soit possible que le statut d’employeur soit détenu conjointement par plusieurs personnes, il faut constater ici que l’entreprise aliénée visée par l’accréditation ne se retrouve pas, même partiellement, chez Kruger inc., mais bien chez KPPI. C’est dans cette entreprise que les deux usines qui constituent chacune un ensemble organisé poursuivent leur « going concern ».

[78]        En ce qui a trait à l’osmose, elle doit être présente pour que le contrôle exercé par une même haute direction ou par un même actionnaire soit suffisant pour conclure à la présence d’une seule et même entreprise.

[79]        Or ici, la preuve n’a pas démontré qu’on était en situation d’osmose. Il n’y a pas interchangeabilité des employés même si monsieur Harvey intervient dans les relations du travail à certaines occasions. Il ne contrôle pas le déroulement quotidien des relations du travail dans les deux usines.

[80]        Comme la jurisprudence le mentionne, les gestionnaires d’une usine peuvent se gouverner dans un cadre budgétaire établi par une autre entité, respecter son plan stratégique et ses politiques, mais s’ils leur restent un degré de latitude important quant aux moyens pour les mettre en œuvre, l’établissement constitue un employeur distinct.

[81]        La preuve syndicale l’a révélé, il n’y a pas eu de changement important pour les salariés. C’est donc à dire que le travail continue normalement et que ce sont encore et toujours les gestionnaires des usines qui exercent le plus grand contrôle sur tous les aspects du travail.

[82]        Ainsi, les éléments importants de la relation employeur - salariés, selon la Cour suprême, sont contrôlés par les gestionnaires des usines de Trois-Rivières et de Brompton, des employés de KPPI.

[83]        Le fait que des services communs soient dispensés par Kruger inc. ou KSI ne change en rien à cette relation. Cette situation existait avant l’arrivée de KPPI et elle continue au profit des entreprises et des salariés.

[84]        Soulignons que si Kruger inc. avait vendu ces usines à des tiers, l’article 45 du Code s’appliquerait tout autant.

[85]        Nous sommes face à des requêtes en transmission de droits et d’obligation déposées par l’employeur et il lui appartient de faire la preuve qu’il y a eu aliénation au sens du Code et ainsi, transmission des accréditations de Kruger inc. à KPPI. La preuve prépondérante soutient cette prétention.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

ACCUEILLE                   les requêtes de l’employeur;

CONSTATE                   l’aliénation totale de l’entreprise Kruger inc. à Papiers de publication Kruger inc. ;

DÉCLARE                      que Papiers de publication Kruger inc. est liée par l’accréditation détenue par la Section locale 234 du Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP) (constables-pompiers) et par la convention collective en vigueur, et devient partie à toute procédure s’y rapportant en lieu et place de Kruger inc. ;

DÉCLARE                      que la Section locale 234 du Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP) (constables-pompiers) est accréditée pour représenter :

                                                Tous les constables-pompiers, salariés au sens du Code du travail.

                                         De :    Papiers de publication Kruger inc.

                                                    3285, chemin Bedford

                                                    Case postale 796, Station « A »

                                                    Montréal (Québec)  H3C 2V2

                                                    Établissement visé  :

                                                    3735, boulevard Royal,

                                                    Trois-Rivières (Québec)  G9A 5P6

                                         Dossier : AQ-2001-1678

DÉCLARE                      que Papiers de publication Kruger inc. est liée par l’accréditation détenue par la Section locale 136 du Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP) et par la convention collective en vigueur, et devient partie à toute procédure s’y rapportant en lieu et place de Kruger inc. ;

DÉCLARE                      que la Section locale 136 du Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP) est accréditée pour représenter :

                                                Tous les employés à l’exception des papetiers, des employés de bureau et des employés temporaires, tel que décrit à la section 2 de la convention collective de travail.

                                         De :    Papiers de publication Kruger inc.

                                                    Case postale 188

                                                    Trois-Rivières (Québec)  G9A 5P6

                                                    Établissement visé  :

                                                    Case postale 188

                                                    Trois-Rivières (Québec)  G9A 5P6

                                         Dossier : AQ-2001-1679

DÉCLARE                      que Papiers de publication Kruger inc. est liée par l’accréditation détenue par la Section locale 265 du Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP) et par la convention collective en vigueur, et devient partie à toute procédure s’y rapportant en lieu et place de Kruger inc. ;

DÉCLARE                      que la Section locale 265 du Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP) est accréditée pour représenter :

                                                Tous les employés de bureau et cléricaux, salariés au sens du Code du travail à l’exception du gérant de division, des surintendants, des contremaîtres, des gardiens, du responsable à la santé et à la sécurité, des secrétaires des chefs de service, du commis à la production (scheduling clerk) et du commis au service du bien-être.

                                         De :    Papiers de publication Kruger inc.

                                                    3285, chemin Bedford

                                                    Case postale 796, Station « A »

                                                    Montréal (Québec)  H3C 2V2

                                                    Établissement visé  :

                                                    3735, boulevard Royal,

                                                    Trois-Rivières (Québec)  G9A 5P6

                                         Dossier : AQ-2001-1680

 

DÉCLARE                      que Papiers de publication Kruger inc. est liée par l’accréditation détenue par la Section locale 234 du Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP) et par la convention collective en vigueur, et devient partie à toute procédure s’y rapportant en lieu et place de Kruger inc. ;

DÉCLARE                      que la Section locale 234 du Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP) est accréditée pour représenter :

                                                Paper makers, oiler, clothing men, paper inspectors, rewinder men, helpers, including winder, rewinder and rerolers crews, head coating men, coating men 1-2-3 super calendar operators and helpers, trainees for the above jobs of the coating department, à l’exception des personnes exclues par la loi.

                                         De :    Papiers de publication Kruger inc.

                                                    Case postale 188

                                                    Trois-Rivières (Québec)  G9A 5P6

                                                    Établissement visé  :

                                                    Case postale 188

                                                    Trois-Rivières (Québec)  G9A 5P6

                                         Dossier : AQ-2001-1681

DÉCLARE                      que Papiers de publication Kruger inc. est liée par l’accréditation détenue par le Syndicat des travailleurs et travailleuses des pâtes et du papier de Brompton - CSN et par la convention collective, et devient partie à toute procédure s’y rapportant en lieu et place de Kruger inc. ;

DÉCLARE                      que le Syndicat des travailleurs et travailleuses des pâtes et du papier de Brompton - CSN est accréditée pour représenter :

                                                Tous les employés à l’exception des gardiens et de ceux automatiquement exclus par la loi.

                                         De :    Papiers de publication Kruger inc.

                                                    220, route de Windsor

                                                    Sherbrooke (Québec)  J1C 0E6

                                                    Établissement visé  :

                                                    220, route de Windsor

                                                    Sherbrooke (Québec)  J1C 0E6

                                         Dossier : AM-2001-1640

 

 

__________________________________

Louis Garant

 

M e Marie-Hélène Jetté

M e Gilles Touchette

NORTON ROSE

Représentants de la requérante de première part, de la mise en cause (Kruger inc.)

et de l’intimée

 

M e Mario Évangéliste

ROY ÉVANGÉLISTE, AVOCAT-E-S

Représentant du requérant de troisième part

 

M e Richard Bertrand

TRUDEL NADEAU

Représentant des mises en cause (SCEP)

 

Date de la dernière audience :

14 décembre 2011

 

Correction apportée le 12 avril 2012 :

À la première page, on aurait dû lire les numéros de dossiers d’accréditation comme suit :

Dossiers :        AQ-2001-1678, (AQ-1003-5155), AQ-2001-1681, (AQ-1003-5160),
                        AQ-2001-1680, (AQ-1003-5159), AQ-2001-1679, (AQ-1003-5157),
                        AM-2001-1640, (AM-1001-3603)

(AQ-1003-5157) est en lien avec AQ-2001-1679 et

(AQ-1003-5160) est en lien avec AQ-2001-1681.