Entrepôt Non-Périssable (Mtl) |
2012 QCCLP 1801 |
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[1] Le 28 mars 2011, Entrepôt Non-Périssable (Mtl) (l’employeur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles (le tribunal) par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) du 18 mars 2011, rendue à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue initialement le 24 janvier 2011 et déclare que l’employeur doit assumer la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle du 25 novembre 2007, subie par monsieur Alain Rufiange (le travailleur).
[3] Une audience est prévue à Joliette le 22 septembre 2011. L’employeur renonce à l’audience et obtient du tribunal un délai supplémentaire jusqu’au 15 novembre 2011 afin de lui permettre de déposer une argumentation écrite ainsi qu’un complément de preuve.
[4] Le tribunal reçoit et prend connaissance des documents supplémentaires le 15 novembre 2011, date à laquelle le dossier est mis en délibéré.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5]
L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles
d’accueillir sa requête et de déclarer qu’il a droit à un partage de
l’imputation en vertu de l’article
LES FAITS
[6] À l’époque pertinente, le travailleur, âgé de 32 ans, occupe depuis le mois de novembre 2001 un poste d’assembleur de commandes pour le compte de l’employeur, une entreprise qui effectue la vente au détail de produits alimentaires.
[7] Le 25 novembre 2007, le travailleur allègue avoir ressenti une douleur au bas du dos en soulevant une caisse.
[8] Le travailleur consulte le docteur Marc Feghali, le 27 novembre 2007, qui pose un diagnostic d’entorse lombaire. Des anti-inflammatoires et un arrêt de travail jusqu’au 29 novembre 2007 sont prescrits.
[9] Le travailleur reprend le travail le 2 décembre 2007 et constate une augmentation de la douleur. Le 4 décembre 2007, il consulte le docteur Grégoire Paré qui pose à nouveau le diagnostic d’entorse lombaire. Un retour au travail en assignation temporaire est autorisé et des traitements de physiothérapie sont prescrits.
[10] Par la suite, le suivi médical est assuré par le docteur Paré qui maintient les mêmes modalités thérapeutiques, à savoir une assignation temporaire et de la physiothérapie.
[11] Le 20 décembre 2007, la CSST rend une décision par laquelle elle accepte la réclamation du travailleur sous l’angle d’un accident du travail. Un diagnostic d’entorse lombaire est alors reconnu. L’employeur conteste cette décision.
[12] Un retour au travail régulier est autorisé à compter du 27 janvier 2008, à raison de 4 heures par jour, 4 jours par semaine. Le reste du temps, le travailleur est maintenu en assignation temporaire.
[13] Lors de la consultation du 19 février 2008, le docteur Paré augmente le travail régulier à 5 jours par semaine. Le nombre d’heures par jour demeure toutefois inchangé.
[14] Le 18 février 2008, le travailleur est examiné par le docteur Nicolas Sauvé, à la demande de l’employeur.
[15] Suite à son examen, le docteur Sauvé conclut en ces termes, en regard de la nécessité de poursuivre les soins et traitements :
4. Les soins sont-ils justifiés, suffisants et adéquats? Sinon, que suggérez-vous?
Puisqu’il s’agit d’un second événement en regard de la lésion lombaire et que monsieur présente une obésité importante, doublée d’un déconditionnement et d’une perte de tonus de la musculature de la ceinture pelvienne qui prédispose à ce type d’événement, je suggère que monsieur entreprenne un programme de renforcement de la ceinture pelvienne de type « Core Training » afin de stabiliser le tout et de prévenir la survenue d’autres épisodes fâcheux de ce genre.
[16] Le 11 mars 2008, le docteur Paré suspend les traitements de physiothérapie et prescrit de la chiropractie.
[17] Dans un Rapport complémentaire, daté du 25 mars 2008, le docteur Paré indique que le travailleur présente toujours une sensibilité à gauche lors de la palpation. Il estime que deux semaines de renforcement musculaire sont toujours nécessaires puisque la condition physique du travailleur le met à risque de rechute.
[18] Le 8 avril 2008, le docteur Paré complète un rapport médical final dans lequel il consolide à cette date un diagnostic d’entorse lombaire avec dérangement intervertébral mineur. Aucune atteinte permanente ni limitation fonctionnelle n’est reconnue.
[19] Le 24 avril 2008, le travailleur est examiné par le docteur Richard Leclaire, physiatre et membre du Bureau d’évaluation médicale. L’avis médical est rendu le 1 er mai 2008.
[20] Suite à son examen, le docteur Leclaire conclut que la date de consolidation doit être fixée au 8 avril 2008 sans la nécessité de traitement additionnel. Se prévalant de son pouvoir discrétionnaire, il précise également qu’aucune atteinte permanente ni limitation fonctionnelle ne doit être retenue.
[21] Le 9 mai 2008, la CSST rend une décision à la suite de l’avis du Bureau d’évaluation médicale du 1 er mai 2008. Par cette décision, elle déclare que la lésion professionnelle (entorse lombaire) est consolidée en date du 8 avril 2008 et qu’aucun traitement additionnel au-delà de cette date n’est justifié. Elle déclare également que cette lésion n’entraine aucune atteinte permanente ni limitation fonctionnelle. En conséquence, elle conclut que le travailleur est capable d’exercer son emploi à compter du 8 avril 2008. Cette décision est contestée par l’employeur.
[22] Le 24 juillet 2008, la CSST rend une décision, à la suite d’une révision administrative. Cette décision qui comporte deux volets confirme les conclusions des décisions initiales rendues les 20 décembre 2007 et 9 mai 2008 portant sur l’admissibilité de la réclamation et sur les conclusions de l’avis du Bureau d’évaluation médicale du 1 er mai 2008. L’employeur dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles [2] .
[23]
Le 2 décembre 2010, l’employeur produit une demande de partage de
l’imputation en vertu de l’article
[24] Le 24 janvier 2011, la CSST rend une décision par laquelle elle refuse la demande de partage de l’imputation de l’employeur. Ce dernier en demande la révision.
[25] Le 18 mars 2011, la CSST rend une décision, à la suite d’une révision administrative. Elle confirme son refus d’accorder un partage de l’imputation et s’explique en ces termes :
[…] La Révision administrative rappelle qu’une condition antérieure à la lésion professionnelle énoncée par le médecin désigné de l’employeur doit être objectivée et apparaître au suivi du médecin qui a charge du travailleur, soit par des tests ou des rapports médicaux antérieurs à la lésion professionnelle, soit par des énoncés, des trouvailles ou des rapports médicaux postérieurs à la lésion mais qui reconnaissent l’antériorité de cette condition.
La Révision administrative estime que les éléments soumis par l’employeur ne permettent pas de lui accorder un partage de l’imputation du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle survenue le 25 novembre 2007.
Même si l’obésité pouvait constituer une déficience, la preuve n’est pas prépondérante dans le présent dossier pour conclure qu’elle a contribué à la survenance de la lésion professionnelle ni qu’elle en a altéré l’évolution.
La preuve de la présence d’une déficience ne doit pas reposer seulement sur des probabilités de risque ou sur des hypothèses. La condition du travailleur doit être clairement documentée et l’employeur doit démontrer que cette condition ne correspond pas à la norme biomédicale, telle que définie précédemment.
Dans le présent dossier, la Révision administrative estime que les éléments soumis qui identifient l’obésité comme étant un facteur de risque ne constituent pas une démonstration suffisante pour conclure à la présence d’une déficience au moment de la lésion.
[26] L’employeur dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre de cette décision, d’où le présent litige.
[27] À titre de complément de preuve, l’employeur dépose les notes médico-administratives du docteur Sauvé. En regard de l’existence d’une condition personnelle, il se prononce ainsi :
[…]
2 . Existe-t-il chez monsieur Rufiange une condition personnelle qui pourrait justifier cette absence ou une prolongation de celle-ci?
Effectivement, monsieur souffre d’une obésité qualifiée de morbide (IMC à 42 kg/m 2 ).
Ceci mène très certainement à une faiblesse de sa ceinture pelvienne ainsi qu’à une augmentation de la demande de la musculature dans cette région, qui facilite l’apparition de ce type de lésion et en retarde la guérison.
Ainsi, un indice de masse corporelle à 42 kg/m 2 implique donc que l’obésité est une maladie qui devrait être traitée.
Ainsi, je suggère fortement que monsieur perde du poids et qu’il compense par un programme de renforcement de la perte de fonction de sa musculature de la ceinture pelvienne. Il est clair dans ma tête que cette obésité morbide a contribué à la survenue et a retardé la guérison de cette lésion.
[28] Finalement, au soutien de ses prétentions, la représentante de l’employeur réfère le tribunal à plusieurs décisions rendues faisant état des principes applicables en matière de partage de l’imputation dans des cas d’obésité.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[29]
La
représentante de l’employeur plaide que ce dernier a droit à un partage de
l’imputation en vertu de l’article
[30]
Estimant
que toutes les conditions nécessaires à l’application de l’article
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[31]
Le
tribunal doit déterminer si l’employeur a droit à un partage de l’imputation
des coûts dans le présent dossier, en application de l’article
[32]
Le
principe général en matière d’imputation est énoncé au premier alinéa de l’article
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
[…]
__________
1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[33] Ce faisant, la CSST impute à l’employeur le coût des prestations versées en raison d’un accident du travail survenu à un travailleur, alors qu’il est à son emploi.
[34]
Toutefois,
le législateur a prévu des exceptions à ce principe, dont l’une est énoncée à
l’article
329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.
L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.
[35] La notion de travailleur « déjà handicapé » a quant à elle fait l’objet de plusieurs décisions du présent tribunal, de sorte que son interprétation est maintenant clarifiée et établie. Selon cette jurisprudence [3] , le travailleur handicapé est celui qui présente une déficience physique ou psychique qui a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de cette lésion.
[36] L’employeur doit donc, dans un premier temps, établir de manière prépondérante que le travailleur était porteur d’une déficience avant la survenance de la lésion professionnelle. Ainsi, selon la jurisprudence majoritaire du présent tribunal, qui réfère d’ailleurs à la Classification internationale des handicapés [4] , une déficience est une perte de substance ou une altération d’une structure anatomique ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique, qui correspond à une déviation par rapport à la norme biomédicale. Cette déficience peut être congénitale ou acquise. Elle peut, ou non, se traduire par une limitation des capacités du travailleur de fonctionner normalement. Elle doit toutefois être présente avant la manifestation de la lésion professionnelle, mais peut exister à l’état latent, et ne pas s’être manifestée avant la survenance de cette lésion.
[37] De cette interprétation, il convient de conclure que la simple existence d’une condition personnelle chez le travailleur n’est pas suffisante. Il faut de plus qu’il soit démontré que cette condition personnelle était présente avant l’événement reconnu et qu’elle s’écarte de la norme biomédicale. Une fois ces éléments établis, on peut conclure à l’existence d’une déficience.
[38] En regard de l’interprétation à donner à la question de « norme biomédicale » le tribunal réfère à la décision rendue dans l’affaire Les créations Morin [5] qui conclut en ces termes :
[
81
] L’article
[82] Aussi, lorsque l’on réfère à la classification internationale des handicaps 11 dans laquelle on retrouve la définition de la déficience retenue dans la jurisprudence, on constate que le désavantage , notion à laquelle réfère le juge administratif Robichaud, résulte d’une déficience; il en est donc la conséquence.
[
83
] Le tribunal est d’avis que le
handicap au sens de l’article
[ 84 ] Enfin, selon la définition plus récente que donne l’Organisation mondiale de la santé 12 , la déficience est une perte ou une anomalie d’une structure anatomique ou d’une fonction organique. On précise que, dans ce contexte, le terme anomalie est utilisé pour désigner un écart important par rapport à des normes statistiques établies, c’est-à-dire un écart par rapport à la moyenne de la population dans le cadre de normes mesurées.
[ 85 ] Cette définition reprend essentiellement celle déjà retenue par le tribunal. Il y a donc lieu de conclure que la notion de déficience, telle qu’appliquée, n’est pas dépassée.
[ 86 ] Considérant l’ensemble de ces éléments, le tribunal ne voit pas de raison de s’écarter de la jurisprudence majoritaire en cette matière, cela dit avec respect pour l’opinion contraire.
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11 ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTÉ et INSTITUT NATIONAL DE LA SANTÉ ET DE LA RECHERCHE MÉDICALE, Classification internationale des handicaps : déficiences, incapacités et désavantages : un manuel de classification des conséquences des maladies, coll. « Flash informations », Paris, CTNERHI/INSERM, 1988, 203 p.
12 ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTÉ, Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé , CIF , Organisation mondiale de la santé, 2001.
[39] Au stade de l’évaluation du caractère normal ou anormal de la condition personnelle, le décideur doit analyser cette condition en la comparant à ce que l’on retrouve habituellement chez un travailleur du même âge au moment de la survenance de l’événement [6] . La littérature médicale permettra ici d’appuyer les prétentions de celui ou celle qui doit faire une telle démonstration.
[40] Une fois la preuve de l’existence d’une déficience établie, il appartient à l’employeur de démontrer que cette déficience a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de celle-ci. Pour ce faire, la jurisprudence [7] a énoncé certains critères pouvant être utilisés pour analyser la relation entre cette déficience et la lésion professionnelle. Chacun de ces critères n’est pas décisif à lui seul. Toutefois, pris ensemble, ils permettent d’évaluer le bien-fondé de la demande de partage de l’imputation.
[41] Ainsi, on réfère à la nature et à la gravité du fait accidentel, au diagnostic initial de la lésion professionnelle, à l’évolution du diagnostic et de la condition du travailleur, à la compatibilité entre le plan de traitements prescrits et le diagnostic de la lésion professionnelle, à la durée de la période de consolidation compte tenu de la lésion professionnelle, à la gravité des conséquences de la lésion professionnelle et aux opinions médicales à ce sujet.
[42]
Dans
le cas à l’étude, il est opportun de constater en premier lieu que la demande
de partage de l’imputation déposée le 2 décembre 2010 respecte le délai
prescrit à l’article
[43] Toutefois, le tribunal considère que la preuve médicale soumise par l’employeur ne permet pas de conclure à la présence d’une déficience correspondant à une déviation par rapport à une norme biomédicale.
[44] En ce qui a trait à l’existence d’une condition personnelle antérieure à l’événement du 25 novembre 2007, la représentante de l’employeur allègue d’une part que le travailleur était porteur d’une obésité morbide. Cette affirmation repose notamment sur les propos tenus par le docteur Sauvé dans ses notes médico-administratives du 18 février 2008. Ainsi, il précise qu’au moment où il procède à l’évaluation du travailleur le 18 février 2008, celui-ci présente un indice de masse corporelle de 42 kg/m2.
[45] À partir de cet indice de masse corporelle, le docteur Sauvé indique que le travailleur présente une obésité qualifiée de « morbide ». Aucune doctrine médicale n’est toutefois soumise à l’appui de cette prétention permettant au tribunal de constater la source de cette affirmation et d’en apprécier la valeur probante.
[46] De la même façon, la représentante de l’employeur qualifie l’obésité du travailleur de morbide sur la base d’un « tableau publié sur le site de Passeport Santé ». Or, ce document n’est pas déposé au dossier par la représentante de l’employeur. Dans de telles circonstances, le tribunal estime qu’il ne lui appartient pas d’effectuer une recherche afin d’obtenir le document cité et d’en vérifier l’exactitude.
[47] Le tribunal constate de plus que cette mention relative au poids du travailleur survient presque quatre mois après l’événement. Antérieurement à l’évaluation du docteur Sauvé, les médecins du travailleur n’ont jamais fait référence à cette problématique. Le membre du Bureau d’évaluation médicale non plus.
[48] Suite à l’évaluation médicale du docteur Sauvé et en réponse à celle-ci, le docteur Paré indique que le travailleur présente toujours une sensibilité à gauche lors de la palpation. Il estime que deux semaines de renforcement musculaire sont toujours nécessaires puisque la condition physique du travailleur le met à risque de rechute.
[49] Sans plus de précision de la part du médecin traitant, le tribunal ne peut tirer une conclusion selon laquelle il fait nécessairement référence à l’obésité du travailleur dans cette remarque. Il peut tout aussi bien s’agir ici de déconditionnement ou de manque de tonus musculaire.
[50] Bien qu’il soit plausible de croire que le travailleur présentait une telle surcharge pondérale lors de l’événement du 25 novembre 2007, force est de constater que la preuve factuelle est muette à cet égard.
[51]
D’autre
part, le fait que le travailleur ait connu un épisode d’entorse lombaire d’une
durée de cinq mois quelques années avant l’événement ne démontre pas la
présence d’une condition personnelle. À ce sujet, le tribunal constate des
informations contenues au dossier que cette entorse lombaire semble s’être résorbée
complètement et ne pas avoir laissé de séquelle, du moins le dossier n’en fait
pas mention. Le tribunal conclut qu’il s’agit certes d’un « antécédent au
niveau lombaire », mais que la preuve ne démontre pas que cet antécédent
doit être considéré comme un handicap, au sens de l’application de l’article
[52] À tout événement, même si le tribunal concluait que le travailleur présentait une surcharge pondérale lors de l’événement du 25 novembre 2007, il n’en demeure pas moins que la preuve que cette condition dévie de la norme biomédicale n’a pas été établie.
[53] Le tribunal rappelle à ce sujet qu’en matière d’imputation, l’article 329 est une disposition d’exception à la règle générale d’imputation. Ainsi, il appartient à l’employeur de démontrer chacun des éléments permettant l’application de cette exception. Cette preuve ne peut être basée sur de simples déductions ou sur des hypothèses et doit s’appuyer sur une preuve médicale objective.
[54] Dans la présente affaire, la preuve est quasi muette à cet égard. Le docteur Sauvé n’émet aucun commentaire visant à faire la démonstration que la surcharge de poids rencontrée chez le travailleur constitue une déviation de la norme biomédicale. Son opinion se résume à établir à partir du poids et de la taille du travailleur qu’il présente un indice de masse corporelle élevé représentant une obésité et que cette dernière a contribué à la survenance de l’événement et en a retardé la guérison.
[55] Le docteur Sauvé ajoute également que « cette obésité importante, doublée d’un déconditionnement et d’une perte de tonus de la musculature de la ceinture pelvienne prédispose à ce type d’événement ». Toutefois, il ne fournit aucune précision permettant d’établir que de telles conditions dévient de la norme biomédicale.
[56] Certes, il qualifie l’obésité de maladie et précise qu’elle doit être traitée. Par contre, il ne précise pas en quoi cette « maladie » dévie de la norme biomédicale.
[57] L’opinion médicale émise par le docteur Sauvé au soutien des prétentions de l’employeur ne satisfait pas le tribunal. Bien que le tribunal ne doute aucunement de l’expertise et de la compétence du docteur Sauvé, il ne peut accorder la valeur probante escomptée sur ces simples affirmations formulées dans le cadre d’une expertise médicale et d’une note médico-administrative.
[58] Le tribunal constate de plus, à la lecture de la décision de la révision administrative, que la question de la norme biomédicale a été soulevée dans le dispositif et que l’absence de preuve concluante à ce sujet a été reprochée à l’employeur.
[59] En plus de la production des notes médico-administratives du docteur Sauvé, la représentante de l’employeur appuie ses prétentions sur des décisions antérieures rendues par la Commission des lésions professionnelles.
[60]
À ce sujet, en ce qui a trait à la qualification de l’obésité comme
étant un handicap permettant l’application de l’article
[61] Le tribunal s’est d’ailleurs prononcé à quelques reprises sur le sujet. Ainsi, dans l’affaire Arrondissement Villeray/Saint-Michel/Parc-Extension [8] , le tribunal traite de cette question de la façon suivante :
[32] Le tribunal accorde peu de valeur probante à l’opinion du docteur Thiffault. Celui-ci ne fait qu’évoquer le poids et la taille du travailleur sans étayer son opinion en établissant un rapport scientifique entre ces deux données. De plus, il ne donne aucune analyse ou explication pour mettre en perspective le poids du travailleur en tenant compte notamment de sa masse musculaire, de son ossature et de la répartition des graisses. En somme, le poids d’un individu est insuffisant en soi, sans mise en contexte médicale, pour faire la preuve d’une déficience déviant par rapport à la norme biomédicale .
[33] Par ailleurs, du poids et de la taille, madame Lazure qui représente l’employeur devant la CSST, indique que ces données permettent d’établir que le travailleur possède un indice de masse corporelle (IMC) de 34,5. S’appuyant sur un tableau de Santé Canada qui n’a pas été déposé en preuve, mais que le tribunal connaît bien, madame Lazare conclut que le travailleur est porteur d’une obésité de classe 1. [ sic ]
[…]
[35] L’indice de masse corporelle représente certes une donnée importante sur l’état du travailleur. Toutefois, sans mise en perspective médicale par rapport à l’ensemble de la condition du travailleur, cette donnée, à elle seule, ne permet pas au tribunal d’inférer qu’il s’agit d’un handicap déviant par rapport à une norme biomédicale [9] . Sur les limites de l’indice de masse corporelle, dans la décision Produits thermovision inc. et CSST [10] , la Commission des lésions professionnelles écrit :
_________________
9
Olymel Soc. en commandite A.F.
,
10
[38] Tel que le rappelle la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles, avant de conclure que l’obésité constitue une déficience, il faut prendre en compte l’indice de masse corporelle et la distribution de la masse adipeuse 22 . L’indice de masse corporelle demeure un indice qui ne fait pas foi de tout 23 .
__________________
22
Congrégation des Sœurs Notre-Dame du
Saint-Rosaire,
C.L.P.
23 Wilco inc., C.L.P. 379514-71-0905, 1 er mars 2010, J.-F. Clément .
[36] De plus, dans l’affaire Congrégation des sœurs Notre-Dame du Saint-Rosaire 11 , la Commission des lésions professionnelles retient que l’indice de masse corporelle est un élément de preuve qui doit faire l’objet d’une analyse médicale :
[27] De plus, il est bien spécifié dans le texte cité que « pour évaluer le risque de maladies associées à l’obésité, il est important de mesurer à la fois l’IMC et la distribution de la masse adipeuse ». L’IMC (Indice de masse corporelle), et son nom l’indique bien, n’est qu’un indice qui ne répond pas de tout.
[28] Il va ainsi notamment de soi qu’une personne peut présenter un poids important mais constitué essentiellement de masse musculaire, alors qu’une autre du même poids présentera quant à elle une masse adipeuse beaucoup plus importante. La masse adipeuse peut par ailleurs être concentrée dans la région abdominale ou répartie de manière plus équilibrée. Il ne saurait alors être question de mettre toutes ces personnes sur le même pied quant à la qualification de leur « obésité » respective, le cas échéant, et des risques y associés.
_____________________
11
C.L.P.
[37] En somme, dans le présent dossier, il n’y a aucune preuve médicale prépondérante que le poids du travailleur constitue une déviance par rapport à une norme biomédicale. Outre les propos du docteur Thiffault, la preuve du handicap repose essentiellement sur l’argumentation du représentant de l’employeur et la jurisprudence déposée au soutien de celle-ci. Or, dans la décision J.B. Deschamps (Impression Piché) 12 , la Commission des lésions professionnelles souligne qu’une argumentation ne remplace pas une analyse médicale et, à ce titre, ne répond pas au fardeau de preuve que doit remplir une partie :
[23] […] Ce n’est pas l’opinion du représentant de l’employeur qui importe, mais bien la qualité de la preuve médicale et de l’analyse propre aux faits du dossier par un médecin qui pourra être prise en compte selon la balance des probabilités.
__________________
2
C.L.P.
[62] Le tribunal souscrit entièrement aux propos tenus dans cette affaire et conclut que l’on ne peut tirer une preuve de déviation de la norme biomédicale sur la simple foi d’un indice de masse corporelle élevé. Il faut plus. Une démonstration médicale objective et prépondérante est nécessaire.
[63] Ainsi, le tribunal constate dans la présente affaire que l’employeur, hormis une courte mention dans le cadre de l’opinion médicale et dans la note médico-administrative du docteur Sauvé, ne fournit aucune preuve médicale supplémentaire à l’appui de son argumentation écrite. Les arguments et les affirmations produits ne peuvent remédier à l’absence de preuves médicales pertinentes et prépondérantes [11] .
[64] Le tribunal souligne également que l’on ne peut pallier à une preuve médicale absente ou déficiente par la preuve administrée dans d’autres affaires similaires. Chaque cas est un cas d’espèce et doit être analysé à son mérite.
[65] L’analyse de la jurisprudence déposée par l’employeur permet de dégager des distinctions importantes sur le plan factuel par rapport au présent dossier. Ainsi, dans la décision Portes Cascades inc. (Les) [12] , l’employeur a étayé sa preuve par le dépôt de littérature médicale. Dans l’affaire Les Viandes Lacroix inc. [13] , la travailleuse était affectée de plusieurs conditions préexistantes et l’employeur a également présenté une preuve de nature médicale. À noter que dans cette décision, le tribunal fait référence à des décisions qui ne tiennent compte que de l’indice de masse corporelle pour conclure à une déficience.
[66] Dans l’affaire C. Soins Prolongés de Montréal [14] , le tribunal conclut que l’obésité constitue une déficience sur la base uniquement de l’indice de masse corporelle.
[67] Dans l’affaire Entrepôt Non-Périssable (Mtl) [15] , le travailleur présente plusieurs conditions personnelles et l’employeur a offert une preuve de nature médicale. Dans l’affaire Sobey’s Québec inc. [16] , l’expert médical traite spécifiquement de la notion de « norme biomédicale » et le travailleur présente également une condition personnelle au niveau lombaire.
[68] Le tribunal comprend principalement de l’analyse de ces décisions qu’à l’époque où elles ont été rendues, une preuve d’un indice de masse corporelle élevée était suffisante pour conclure à une déficience.
[69] Avec respect pour l’opinion contraire, le tribunal conclut dans la présente affaire que la seule preuve de l’indice de masse corporelle sans explication supplémentaire et sans littérature médicale à l’appui ne constitue pas une preuve prépondérante que l’obésité dont est atteint le travailleur dévie de la norme biomédicale.
[70] Ainsi, le tribunal conclut que l’employeur n’a pas fait la preuve que le travailleur présentait, avant l’événement, une déficience qui constitue une déviation par rapport à la norme biomédicale.
[71] La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que l’employeur n’a pas établi à la satisfaction du tribunal, que le travailleur était porteur d’un handicap préexistant avant la lésion professionnelle subie le 25 novembre 2007.
[72] Puisque le tribunal considère que la preuve offerte par l’employeur ne permet pas de conclure à la présence d’un handicap préexistant à la lésion professionnelle survenue le 25 novembre 2007, il est inutile de poursuivre l’analyse quant à la possible relation entre ce handicap et la survenance de la lésion ou sur ses conséquences.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête du 28 mars 2011 de Entrepôt Non-Périssable (Mtl), l’employeur;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 18 mars 2011, à la suite d’une révision administrative;
ET
DÉCLARE que l’employeur demeure imputé de la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par monsieur Alain Rufiange, le travailleur, le 25 novembre 2007.
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Renée-Claude Bélanger |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Le dossier de la Commission des lésions professionnelles porte le numéro 354898. Un désistement est produit par l’employeur le 17 novembre 2008.
[3]
Municipalité Petite-Rivière St-François,
[4] ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTÉ et INSTITUT NATIONAL DE LA SANTÉ ET DE LA RECHERCHE MÉDICALE, Classification internationale des handicaps : déficiences, incapacités et désavantages : un manuel de classification des conséquences des maladies, coll. « Flash informations », Paris, CTNERHI/INSERM, 1988, 203 p.
[5]
2010
QCCLP 8909
.
Voir au même effet
Parkway
Pontiac Buick inc
.
[6] Sodexho Canada inc ., C.L.P. 149700-31-0011, 9 mai 2001.
[7]
Hôpital
Général de Montréal
,
[8]
2011
QCCLP 1508
; voir aussi
[11]
Viandes Seficlo inc.,
C.L.P.
[12] 2007 QCCLP 4305 , N. Lacroix.
[13] 2008 QCCLP 1083 , M.-D. Lampron.
[14]
[15]
C.L.P.
[16]
C.L.P.