Simard c. Girard

2012 QCCQ 1762

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

CHICOUTIMI

LOCALITÉ DE

CHICOUTIMI

« Chambre civile »

N° :

150-32-007583-103

 

 

 

DATE :

14 février 2012

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SOUS LA PRÉSIDENCE DU

JUGE PIERRE SIMARD

 

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MATHIEU SIMARD

 

Demandeur

 

c.

 

ALAIN GIRARD

et

GUYLAINE SIMARD

 

Défendeurs

 

 

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JUGEMENT

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JS1236

 

 

[1]            Le demandeur Mathieu Simard recherche, en raison des vices cachés, une diminution du prix de vente d'un chalet acquis des défendeurs Alain Girard et Guylaine Simard. La somme réclamée est de 5 756,63 $.

[2]            Le chalet en question fut acheté en octobre 2009. Il se situe parmi une concentration de chalets de petites dimensions dont les résidents ne sont propriétaires que du bâtiment qu'ils ont construit, le fonds de terre étant en location.

[3]            À l'occasion d'un séjour dans cette communauté, le demandeur apprend que le chalet des défendeurs est à vendre. La transaction se fait relativement rapidement, aux alentours du 12 octobre 2009, et elle est faite avec la mention « tel que vu et visité ».

[4]            Le chalet acheté est d'apparence agréable, mais de petites dimensions, quatorze pieds par vingt pieds. Il n'y a pas d'eau courante ni égout. D'après la description du défendeur, il n'y a qu'une toilette chimique à usage limité. Toujours d'après le défendeur, le chalet n'est pas réellement habitable l'hiver et ne sert qu'à partir du printemps jusqu'à l'automne de chaque année.

[5]            Le chalet en question est installé sur un terrain en pente, il repose sur des blocs de béton sur lesquels des poutres ont été installées pour supporter et soutenir le plancher.

[6]            En dessous du plancher il y a un espace qui est accessible: cependant, d'après le demandeur, au moment de sa visite préachat, les objets qui y étaient entassés l'empêchaient de voir l'état des poutres de soutien du chalet.

[7]            La prise de possession du chalet a lieu immédiatement mais ce n'est qu'au printemps suivant, lorsque Mathieu Simard prépare son chalet pour l'été, que ce dernier aperçoit une accumulation d'eau à l'extérieur du chalet. Il enlève alors les planches de bois compressé qui recouvrent l'extérieur des fondations de blocs de béton pour s'apercevoir que la lisse sur le dessus des blocs est pourrie. Il pousse son investigation et s'aperçoit que les poutres, les lisses et une partie du plancher sont dans un état de pourriture avancée. Il avise verbalement le défendeur Girard qui rejette immédiatement toute responsabilité.

[8]            Il demande une évaluation à un entrepreneur. Ce dernier examine les lieux et soumet une première estimation de 10 600 $. Le 14 juin 2010, Mathieu Simard fait parvenir un avis aux défendeurs. Devant l'absence de réponse des défendeurs, Mathieu Simard fait procéder aux réparations. Cependant, dans le but de diminuer les coûts, l'entrepreneur, avec l'accord du demandeur, sacrifie certains aspects non essentiels de son évaluation et effectue les travaux pour la somme de 5 756,63 $. Mathieu Simard réclame cette somme à ses vendeurs.

[9]            Le recours du demandeur est fondé sur la garantie de qualité du Code civil du Québec [1] . Il est possible en vertu de l'article 1732 du Code civil du Québec d'exclure la garantie légale des vices cachés. Encore plus, il est possible de faire en sorte que la vente à laquelle on procède soit faite aux risques et périls de l'acheteur.

[10]         De telles clauses doivent cependant être claires et sans ambiguïté. L'utilisation des mots « tel que vu et visité » a souvent été interprétée par la jurisprudence. Elle n'implique pas que la vente à laquelle on procède est faite sans garantie et encore moins qu'elle soit faite aux risques et périls de l'acheteur. Elle constitue tout au plus une reconnaissance de la part de l'acheteur qu'il a vu et examiné le bien vendu et qu'il se satisfait de ce qui était visible.

[11]         Dans le présent cas, cette clause n'est d'aucune utilité.

[12]         Pour réussir dans son recours, le demandeur doit prouver que le vice est grave, antérieur à la vente, inconnu de l'acheteur et caché.

[13]         La gravité du vice reproché par Mathieu Simard ne fait aucun doute. Le défaut reproché attaquait les pièces de structure et le plancher et le déficit d'utilisation qui en découle est important.

[14]         D'après le témoignage de Jean-Pierre Perreault, ces vices existaient depuis plus de cinq ans: ils étaient donc antérieurs à la vente.

[15]         Par ailleurs, les vices en question n'étaient pas à la connaissance de l'acheteur. D'ailleurs, le défendeur Girard ignorait lui aussi l'existence de vices. A fortiori, la prétention du demandeur à l'effet qu'il ne connaissait pas les vices est plus que probable.

[16]         La seule difficulté de ce dossier repose dans le caractère caché des vices. Ainsi, les défendeurs allèguent que le demandeur Simard a acheté, sans mesure particulière, un petit chalet, modestement équipé, sans eau, sans aqueduc, sans égout, d'une dimension très réduite et qu'il savait être une habitation simple et saisonnière.

[17]         L'argument est important puisque l'expert même du demandeur est venu témoigner que s'il avait examiné l'immeuble avant la vente, il se serait aperçu qu'il était trop bas et en danger d'être en contact avec de l'eau et de l'humidité, ce qui a comme corollaire d'être susceptible d'être affecté par de la pourriture.

[18]         L'entrepreneur Perreault a décrit la nature du problème qui se situe au niveau des fondations. Celles-ci, à la longue, se sont lentement enfoncées dans le sol: les poutres du chalet et son plancher sont alors venus en contact avec l'humidité du sol, ce qui a fait pourrir les poutres de soutien du chalet.

[19]         D'après Perreault, le phénomène durait depuis cinq ou six ans. Il décrit que, s'il avait fait l'examen du chalet, il aurait détecté ce problème. Cependant, à son avis, un acheteur sans connaissance particulière ne peut pas réellement apprécier la situation.

[20]         Le deuxième alinéa de l'article 1726 du Code civil du Québec nous dit ce qui suit:

Il n'est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l'acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert .

[Les soulignés sont de nous.]

[21]         La Cour supérieure disait ceci quant à cette disposition qui est introduite dans notre droit depuis 1994:

Cette disposition écarte la controverse quant à la nécessité d'avoir recours à un expert. Cette obligation n'apparaissant pas aux dispositions du Code civil du Bas-Canada (art. 1522 et ss). Ce sont les tribunaux qui avaient en matière immobilière défini le vice caché à partir d'un concept objectif:  le vice sera caché s'il échappe à l'examen visuel de l'expert sans investigation poussée ou destruction partielle des éléments du bâtiment. L'absence de recours à l'expert n'était pas fatale si la partie établissait que pareille assistance n'aurait été d'aucune utilité. L'obligation de recourir à un expert était également modulée suivant différents critères dont l'âge du bâtiment.

Ceci étant dit comment doit-on interpréter les dispositions du Code civil du Québec à cet égard?

L'acheteur prudent et diligent d'un immeuble procède à un examen visuel attentif et complet du bâtiment. Il est à l'affût d'indice pouvant laisser soupçonner un vice. Si un doute sérieux se forme dans son esprit il doit pousser plus loin sa recherche. D'une part, on ne peut exiger d'un acheteur prudent et diligent une connaissance particulière dans le domaine immobilier. D'autre part, on ne peut conclure au vice caché si le résultat d'un examen attentif aurait amené une personne prudente et diligente à s'interroger ou à soupçonner un problème. À partir de ce point l'acheteur prudent et diligent doit prendre des mesures raisonnables, selon les circonstances, pour connaître l'état réel du bâtiment. Il ne saurait se replier sur son manque de connaissance si son examen lui permet de soupçonner une anomalie quelconque.

Il faut donc examiner, suivant chaque cas d'espèce, la conduite d'un acheteur prudent et diligent. Antérieurement à 1994 on exigeait également de l'acheteur qu'il soit prudent et diligent. Sans revenir à l'ancienne règle jurisprudentielle au sujet des experts, il est possible dans certains cas que le fait de ne pas recourir à un expert pourra être perçu en soi, comme un manque de prudence et de diligence. Le tribunal ne veut pas réintroduire dans notre droit une exigence spécifiquement exclue par le législateur en 1994. Par ailleurs, cette exclusion ne saurait être interprétée comme autorisant l'acheteur à agir de façon insouciante ou négligente. Cet acheteur ne fera pas preuve de prudence et de diligence alors qu'il existe des indices perceptibles pour un profane, s'il ne prend pas les moyens (y compris le recours à des experts le cas échéant) de s'assurer que l'immeuble est exempt de vice [2] .

[22]         Cette décision a été citée favorablement par la Cour d'appel dans l'arrêt Blanchard c. Guertin [3] et dans l'arrêt Rouillard et al c. St-Martin [4] .

[23]         Cette règle de droit étant établie, il faut donc répondre aux questions suivantes: les vices reprochés par Mathieu Simard étaient-ils apparents? Plus précisément, un examen raisonnable du bien vendu aurait-il dû permettre à un acheteur de soupçonner une anomalie quelconque?

[24]         Les photos produites au soutien de la procédure montrent que le chalet était d'apparence agréable. Bien que petit, il semblait propre et à l'ordre. Visuellement, ni de l'extérieur ni de l'intérieur il n'était possible de déceler un phénomène de pourriture quelconque. De ce fait, il découle qu'aucun indice détectable ne pouvait inciter Mathieu Simard à recourir à un expert.

[25]         Il aurait probablement été possible de détecter ce phénomène si le demandeur avait procédé à un examen du soubassement du chalet. Cependant, l'accès en était entravé et on ne peut reprocher à M. Simard de ne pas avoir requis de déplacer les objets en rangement pour pouvoir faire son examen.

[26]         Sa demande sera donc accueillie.

[27]         Les réparations faites ont coûté au demandeur 5 756,63 $. Cependant, au lieu d'avoir une structure, qui est la partie la plus importante d'un bâtiment âgé de 20 ans il en a maintenant une qui est neuve: les travaux effectués ont apporté de la plus value à l'immeuble acheté. Une telle plus value ne peut pas faire partie des dommages imputables à l'acheteur. Bien qu'il n'y ait pas de preuve spécifique quant à la valeur de cette plus value, le Tribunal va arbitrer la désuétude de la structure d'un chalet modeste après un usage de 20 ans à 50 %.

[28]         La partie défenderesse sera donc condamnée à payer au demandeur la somme de 2 878,31 $.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

CONDAMNE la partie défenderesse à payer à la partie demanderesse la somme de 2 878,31 $ avec intérêt au taux légal de 5 % l'an et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec à compter du 14 juin 2010;

CONDAMNE la partie défenderesse à payer à la partie demanderesse les frais judiciaires de 159 $.

 

 

 

 

 

 

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       PIERRE SIMARD, j.c.q.

 

 

 

 

 

 

 

 

date d'audience:       20 décembre 2011

 

 

 

 



[1]     Code civil du Québec, art. 1726 et suivants

[2]     Lavoie c. Comtois, R.D.I. 36

[3]     Blanchard c. Guertin, J.E. 2004-1003

[4]     Rouillard c. St-Martin, 2009 QCCA 2321