Section des affaires économiques

 

 

Date : 8 mars 2012

Référence neutre : 2012 QCTAQ 0393

Dossier  : SAE-Q-175605-1107

Devant les juges administratifs :

GILLES RENY

FRANÇOIS LANDRY

 

JULIEN BERNIER

Partie requérante

c.

BUREAU DE LA SÉCURITÉ PRIVÉE

Partie intimée

 

 


DÉCISION


 


 


[1]               Dans une décision rendue le 7 juin 2011, l’intimé, le Bureau de la sécurité privée (le Bureau), refuse de délivrer au requérant le permis d’agent de gardiennage que celui-ci demande. Le Bureau soutient que le requérant ne respecte pas les exigences de la Loi sur la sécurité privée [1] (la LSP), ayant été reconnu coupable, en février 2010, d’une infraction au Code criminel [2] , ayant un lien avec l’exercice de l’activité pour laquelle il demande un permis et dont il n’a pas obtenu le pardon.

[2]               L’infraction pour laquelle le requérant a été reconnu coupable concernait un chef d’accusation de voie de fait [3] .

[3]               De plus, le Bureau reprochait au requérant d’avoir omis d’inscrire cette infraction sur son formulaire de demande.

[4]               Le requérant conteste cette décision.

[5]               Il admet avoir été accusé de voie de fait simple, mais précise avoir obtenu une absolution. Ainsi, selon lui, il n’est pas coupable et ne possède donc pas de dossier criminel, ce qui explique par ailleurs qu’il n’a pas inscrit cette information sur le formulaire de demande. Il prétend qu’il ne s’agit donc pas d’une fausse déclaration.

[6]               Selon le Bureau, le fait d’avoir obtenu une absolution n’empêche pas que le requérant a été trouvé coupable d’une infraction au criminel au sens du Code criminel . Or, l’article 19 de la LSP précise que le requérant ne doit pas avoir été reconnu coupable d’un acte criminel, ayant un lien avec l’exercice de l’activité pour laquelle il demande un permis.

[7]               Le Bureau soutient que, selon la Loi sur le casier judiciaire [4] (la LCJ), l’absolution ne devient l’équivalent du pardon qu’après l’expiration d’un délai qui, dans ce cas-ci, est de trois ans suivant la date de terminaison des conditions.

[8]               Dans la présente affaire, le requérant a été déclaré coupable le 2 février 2010 de voie de fait et a été sentencié à 200 $ d’amende, avec délai de trois mois pour payer l’amende. Il a bénéficié d’une absolution conditionnelle comprenant une probation de six mois sans surveillance, tel qu’il apparaît de la pièce I-3, constituée du plumitif criminel et pénal concernant l’infraction reprochée.

[9]               Le Bureau soutient donc que le délai en cause n’est pas expiré, le pardon n’existe pas encore et que le requérant ne remplit donc pas les conditions requises pour obtenir le permis demandé, puisqu’il a été condamné pour une infraction en relation avec la sécurité des personnes, en l’occurrence voie de fait.

Analyse

[10]            Le Tribunal s’est prononcé dans une affaire similaire à celle du requérant dans la cause Maxime Barbeau [5] .

[11]            Il croit utile de reproduire ci-après l’analyse de cette décision :

« [8]      L’article 19 de la LSP prévoit les conditions qu’un requérant doit satisfaire pour obtenir un permis; dans le présent cas, la troisième condition pose problème :

19.    Le requérant doit satisfaire aux conditions suivantes :

[… ]

  3 o    ne jamais avoir été reconnu coupable , en quelque lieu que ce soit, d'une infraction pour un acte ou une omission qui constitue une infraction au Code criminel (Lois révisées du Canada (1985), chapitre C-46) ou une infraction visée à l'article 183 de ce Code créée par l'une des lois qui y sont énumérées, ayant un lien avec l'exercice de l'activité pour laquelle il demande un permis, à moins qu'il en ait obtenu le pardon;

[…]

(s oulignement du Tribunal)

[9]      Le requérant ne nie pas avoir été accusé puis déclaré coupable d’un acte criminel. Il soutient toutefois que l’absolution qu’il a obtenue efface, en quelque sorte, son dossier criminel.

[10]   Il y a lieu de distinguer les différents termes utilisés dans les lois en cause ici. Comme rapporté ci-haut, l’article 19 de la LSP précise que, pour obtenir le permis demandé, le requérant doit " ne jamais avoir été reconnu coupable " d’une infraction au Code criminel à moins d’avoir obtenu un " pardon " .

[11]   Or, comme la preuve le démontre, le requérant " a été reconnu coupable " de l’infraction en cause mais il a obtenu l’absolution.

[12]   Par ailleurs, l’article 730 (3) du Code criminel spécifie la conséquence de l’absolution :

730 (3) Le délinquant qui est absous en conformité avec le paragraphe (1) est réputé ne pas avoir été condamné à l’égard de l’infraction…

(soulignement du Tribunal)

[13]   Donc, l’absolution ne fait pas disparaître le fait d’avoir été reconnu coupable de l’infraction en cause, mais seulement la condamnation.

[14]   Aussi, l’article 748 (3) du Code criminel spécifie la conséquence du pardon :

748. (3) Lorsque le gouverneur en conseil accorde un pardon absolu à une personne, celle-ci est par la suite réputée n’avoir jamais commis l’infraction à l’égard de laquelle le pardon est accordé.

(soulignement du Tribunal)

[15]   En soi, l’absolution n’équivaut donc pas au pardon.

[16]   Par ailleurs, la LCJ prévoit la "réhabilitation" des personnes ayant commis des infractions à une loi fédérale ou à ses règlements. Or, la Cour suprême du Canada 5 a établi que, dans le cas de personnes ayant obtenu une absolution, cette réhabilitation équivaut à un pardon, mais uniquement après un certain délai. Voici comment elle s’exprime :

[14]    … Or, l’état actuel du droit fait de la réhabilitation administrative une forme de pardon. Le terme vise tant le pardon accordé par prérogative royale (art. 748 C. cr.) que la réhabilitation prévue par la LCJ.

[15]    Les modifications apportées à la LCJ en 1992 touchent particulièrement les personnes qui bénéficient d’une absolution. Par suite de ces modifications, la réhabilitation intervient du seul fait de l’écoulement du temps . Aucun document attestant leur réhabilitation ne leur est délivré…

[16]    Dans le cas des personnes absoutes, la réforme est dictée par le souci de " [c]orriger cette anomalie que constitu[ait] l’obligation, pour les personnes qui ont été libérées (et qui n’ont donc pas été condamnées), de présenter une demande de réhabilitation " (p. 6). En effet, en vertu du par. 730 (3) C. cr., une personne déclarée coupable qui est absoute est réputée ne pas avoir été condamnée. Le nouveau processus contribue donc à reconnaître la distinction entre les personnes qui sont déclarées coupables et absoutes et celles qui sont condamnées à une peine prévue par le Code criminel. Les modifications font en sorte qu’à l’expiration d’une période de trois ans dans le cas d’une absolution conditionnelle et d’une période d’un an dans le cas d’une absolution inconditionnelle, nul ne peut communiquer un dossier ou relevé attestant une absolution ni en révéler l’existence…

[17]     Et plus loin :

[18]    Par ailleurs, comme la protection contre la divulgation des informations qu’accorde la LCJ aux personnes absoutes conditionnellement ne prend effet qu’à compter de l’expiration d’un délai de trois ans , il n’y a pas lieu de conclure que les personnes absoutes en vertu du par. 730 (1) C. cr. bénéficient des effets de la réhabilitation dès le moment de l’ordonnance d’absolution .

[19]    Il reste à s’interroger sur les effets de cette réhabilitation…

…Bien que la définition de " réhabilitation " à l’art. 2 LCJ ne fasse pas état du mécanisme applicable en cas d’absolution, l’effet est le même. En effet, une interprétation contextuelle en accord avec l’esprit de la LCJ permet de conclure que l’art. 5 6 s’applique aussi bien aux personnes absoutes qu’aux personnes condamnées.

[18]   Et au paragraphe [54] :

[54]    Comme l’a expliqué la juge Deschamps, la mise sous scellés du dossier judiciaire d’une personne absoute en vertu de l’art.  6.1 de la Loi sur le casier judiciaire est l’équivalent fonctionnel d’un pardon. En effet, cette loi ne prévoit aucun mécanisme permettant à une personne absoute de demander une réhabilitation — le dossier judiciaire est automatiquement mis sous scellés du seul fait du passage du temps. Bien que cette mise sous scellés automatique ne soit pas techniquement définie comme un pardon, il est clair, à la lecture de la disposition dans son contexte et compte tenu de l’intention qu’avait le législateur en adoptant cette disposition, qu’elle doit être considérée comme l’équivalent fonctionnel d’un pardon.

(soulignements du Tribunal)

 

5     Montréal (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), [2008] 2 R.C.S. 698 , 2008 CSC 48 .

6     Concernant les effets de la réhabilitation. »

[transcription conforme]

[12]            Dans la présente affaire tout comme dans le dossier Maxime Barbeau , le délai de trois ans nécessaire pour que le pardon devienne effectif n’est pas encore expiré.

[13]            Le requérant ne satisfait donc pas à la troisième condition de l’article 19 de la LSP essentielle pour obtenir le permis demandé; l’intimé est donc fondé à le lui refuser.

[14]            En terminant, le Tribunal ne retient pas que le requérant ait fait une fausse déclaration en déposant une demande de permis d’agent de gardiennage où il a indiqué ne pas avoir été reconnu coupable d’une infraction criminelle. En effet, le Tribunal retient que le requérant, de bonne foi, avait été conseillé par un procureur qui lui avait indiqué que l’absolution équivalait à ce qu’une personne absoute était réputée n’avoir jamais été condamnée de l’infraction reprochée.

[15]            PAR CES MOTIFS , le Tribunal

MAINTIENT la décision du 7 juin 2011 du Bureau de la sécurité privée; et

REJETTE le recours.

 


 

GILLES RENY, j.a.t.a.q.

 

 

FRANÇOIS LANDRY, j.a.t.a.q.


 

Baron, Lafrenière, avocats

Me François-David Bernier

Procureur de la partie requérante

 

Me Teodora Manova

Procureure de la partie intimée


 



[1]     L.R.Q., c. S-3.5.

[2]     Lois révisées du Canada (1985), ch. C-46.

[3]     Article 266b ) du Code criminel.

[4]     L.R.C., 1985, ch. C-47.

[5]     Maxime Barbeau c. Bureau de la sécurité privée , 2012 QCTAQ 01357 .