Multiportions et Charette

2012 QCCLP 1842

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saint-Jean-sur-Richelieu

13 mars 2012

 

Région :

Richelieu-Salaberry

 

Dossier s :

427748-62A-1101   429343-62A-1101

 

Dossier CSST :

135742724

 

Commissaire :

Esther Malo, juge administratif

 

Membres :

Mario Lévesque, associations d’employeurs

 

Osane Bernard, associations syndicales

 

 

Assesseur :

Paul Asselin, médecin

______________________________________________________________________

 

427748

429343

 

 

Multiportions

Manon Charette

Partie requérante

Partie requérante

 

 

et

et

 

 

Manon Charette

Multiportions

Partie intéressée

Partie intéressée

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

Dossier 427748-62A-1101

[1]            Le 5 janvier 2011, Multiportions (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 22 décembre 2010 à la suite d’une révision administrative.

[2]            Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 8 décembre 2010. Elle déclare que la lésion professionnelle subie par madame Manon Charrette (la travailleuse) est consolidée le 26 août 2010, sans nécessité de soins ou de traitements après cette date. Elle déclare que la lésion professionnelle n’entraîne pas d’atteinte permanente à l’intégrité physique ni de limitations fonctionnelles. Elle déclare également que la travailleuse n’a pas droit à une indemnité pour préjudice corporel. Enfin, elle déclare que la travailleuse est capable d’exercer son emploi à compter du 26 août 2010 et qu’elle n’a plus droit à l’indemnité de remplacement du revenu à compter de cette date.

Dossier 429343-62A-1101

[3]            Le 25 janvier 2011, la travailleuse dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste cette même décision du 22 décembre 2010.

[4]            L’audience s’est tenue à Saint-Jean-sur-Richelieu le 8 février 2012 en présence de la travailleuse, de sa représentante, madame Nicole Bernèche, et de la représentante de l’employeur.

L’OBJET DES CONTESTATIONS

Dossier 427748-62A-1101

[5]            La représentante de l’employeur s’en remet à la décision de la Commission des lésions professionnelles. À titre subsidiaire, si le tribunal conclut que l’avis du membre du Bureau d'évaluation médicale doit être infirmé, la représentante de l’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la travailleuse est capable d’exercer son emploi le 27 juin 2011.

Dossier 429343-62A-1101

[6]            La représentante de la travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la lésion professionnelle du 28 janvier 2010 est consolidée le 31 octobre 2011, sans nécessité de soins ou de traitements après cette date. Elle demande également au tribunal de déclarer que la travailleuse est capable d’exercer son emploi le 31 octobre 2011.

LES FAITS

[7]            La travailleuse occupe un emploi de trancheuse chez l’employeur.

[8]            Le 28 janvier 2010, la travailleuse tombe sur les fesses après avoir reculé avec une table dans les mains. En tentant de se retenir avec la table, la travailleuse ressent un coup dans le dos à la hauteur de l’omoplate droite.

[9]            Le 1 er février 2010, la docteure Michèle Huot diagnostique une entorse dorsale et prescrit un arrêt de travail.

[10]         Le 3 mars 2010, les notes évolutives du dossier indiquent que la CSST accepte la réclamation de la travailleuse et déclare que celle-ci a subi une lésion professionnelle le 28 janvier 2010, soit une entorse dorsale.

[11]         Le 8 mars 2010, la docteure Marie-Chantal Giguère diagnostique une entorse dorsale droite et prescrit des traitements de physiothérapie.

[12]         Le 9 mars 2010, une radiographie de la colonne dorsale montre de l’arthrose dégénérative légère sans autre anomalie.

[13]         Le 24 mars 2010, la docteure Giguère mentionne que la travailleuse n’a plus de douleurs au repos, mais une douleur persiste à l’effort et en fin de journée.

[14]         Le 9 avril 2010, la docteure Giguère note que la travailleuse n’a pas assez de tolérance et d’endurance au niveau des activités impliquant les membres supérieurs.

[15]         Le 21 avril 2010, le rapport de physiothérapie rapporte une douleur épineuse de C7 à C1 et à D1-D2. Il y a également une douleur résiduelle à l’effort au niveau dorsal.

[16]         Le 26 avril 2010, la docteure Giguère mentionne que la travailleuse n’a pas de douleur au repos, mais celle-ci apparaît dès qu’un effort est fait. Elle maintient les traitements de physiothérapie ayant une approche ostéopathique.

[17]         Le 12 mai 2010, le rapport de physiothérapie relate une douleur à l’effort au niveau de D1-D2. Les amplitudes articulaires cervicales sont limitées.

[18]         Le 31 mai 2010, la docteure Giguère cesse les traitements de physiothérapie en raison de l’atteinte d’un plateau thérapeutique, mais elle maintient les traitements avec approche ostéopathique.

[19]         Le 23 juin 2010, le rapport de physiothérapie rapporte la persistance d’une douleur cervicale droite et au trapèze supérieur droit avec l’utilisation du membre supérieur droit. La douleur à la palpation se situe au niveau de C7 à D1.

[20]         Le 30 juin 2010, la docteure Giguère demande une consultation en orthopédie pour une infiltration.

[21]         Le 14 juillet et le 4 août 2010, le rapport de physiothérapie mentionne toujours les mêmes douleurs ressenties par la travailleuse.

[22]         Le 6 août 2010, le physiothérapeute signale une bonne amélioration.

[23]         Le 10 août 2010, le physiothérapeute observe la persistance d’une douleur à D1 lors des mouvements avec l’épaule droite. Il signale une douleur à la palpation de l’épineuse D1-D2.

[24]         Le 9 août 2010, la docteure Giguère note que la travailleuse semble répondre plus aux traitements d’ostéopathie. Mais la travailleuse a encore des douleurs dès l’effort ou lors des mouvements répétés.

[25]         Le 25 août 2010, le physiothérapeute souligne que la travailleuse n’a pas de douleur au repos. Cependant, elle ressent une douleur au niveau cervical et dorsal haut de type picotement jusqu’à l’épaule droite. Les amplitudes articulaires cervicales sont légèrement limitées et douloureuses avec une sensation d’étirement. Il y a encore une douleur au niveau de l’épineuse de D4 à D1. Le physiothérapeute note une amélioration subjective de 60 % depuis le début des traitements.

[26]         Le 26 août 2010, le docteur Michel Blanchet, chirurgien orthopédiste, examine la travailleuse à la demande de l’employeur. Celle-ci se plaint d’une douleur au niveau de l’apophyse épineuse de C7 ou de D1. La douleur est influencée par les mouvements répétitifs du membre supérieur droit qui sont des mouvements qu’elle doit faire au travail. La travailleuse note une régression globale de 40 % des douleurs et l’état est stationnaire depuis trois à quatre mois.

[27]         L’examen du docteur Blanchet révèle une douleur au niveau de l’apophyse épineuse de C7 ou de D1. Il conclut que son examen clinique objectif est normal. Il consolide la lésion le 26 août 2010, sans nécessité de soins ou de traitements après cette date. Il est d’avis que la lésion n’entraîne pas d’atteinte permanente à l’intégrité physique ni de limitations fonctionnelles.

[28]         Le 27 octobre 2010, le docteur Louis-David Raymond, chirurgien orthopédiste, demande une consultation en physiatrie pour des blocs facettaires.

[29]         Le 28 octobre 2010, les notes évolutives du dossier rapportent la teneur d’un message téléphonique de la travailleuse. Celle-ci mentionne qu’elle a rencontré le docteur Raymond la veille et ce dernier l’a référée afin qu’elle reçoive des blocs facettaires. Les traitements de physiothérapie avec approche ostéopathique sont maintenus et la travailleuse recevra des traitements d’ergothérapie plus tard.

[30]         Le 1 er novembre 2010, les notes évolutives du dossier relatent un appel téléphonique de la travailleuse concernant un document reçu de l’Institut de physiatrie du Québec mentionnant que la travailleuse a reçu plusieurs messages sans retourner les appels. La travailleuse indique que « l’Institut de physiatrie ne savait pas où infiltrer ». Elle a donc vu le docteur Raymond le 28 octobre 2010 [ sic ]. Celui-ci doit envoyer un rapport à la docteure Giguère. La travailleuse a rendez-vous avec celle-ci le 15 novembre prochain. Par la suite, la travailleuse prendra rendez-vous avec l’Institut de physiatrie pour recevoir son infiltration.

[31]         Le 16 novembre 2010, les notes évolutives du dossier rapportent à nouveau un appel téléphonique de la travailleuse. Elle a rencontré la docteure Giguère la veille. Celle-ci n’a pas reçu le rapport du docteur Raymond. Elle a fait la demande par téléphone aux fins de l’obtenir. La docteure Giguère produira son rapport médical après la réception du rapport du docteur Raymond. La docteure Giguère a prescrit des traitements d’ergothérapie et a fait une nouvelle prescription pour des blocs facettaires, la dernière n’étant plus valide selon l’Institut de physiatrie. La docteure Giguère autorise les travaux légers cinq demi-journées par semaine, mais l’employeur n’a pas de travail à offrir pour le moment.

[32]         Le 19 novembre 2010, le docteur Pierre-Paul Hébert, chirurgien orthopédiste et membre du Bureau d'évaluation médicale, examine la travailleuse à la suite de la contestation de l’employeur. La palpation des épineuses à D1-D2 est rapportée douloureuse, sans signe inflammatoire localement, sans altération de la sensibilité cutanée au pourtour et sans spasme ni douleur à la palpation des trapèzes, des sus-épineux et des sous-épineux.

[33]         Le docteur Hébert conclut que la lésion professionnelle est consolidée le 26 août 2010, sans nécessité de soins ou de traitements après cette date. L’examen objectif du rachis est normal, malgré les douleurs rapportées par la travailleuse. Il ajoute que la littérature médicale ne soutient pas, par des articles scientifiques reconnus, l’efficacité objective de la poursuite du traitement conservateur sept mois après une entorse dorsale. Les blocs facettaires ne sont pas une modalité thérapeutique reconnue pour le traitement d’une entorse dorsale.

[34]         Le docteur Hébert est d’avis que la lésion professionnelle n’entraîne pas d’atteinte permanente à l’intégrité physique ni de limitations fonctionnelles.

[35]         Le 8 décembre 2010, la CSST rend une décision et reprend les conclusions émises par le membre du Bureau d'évaluation médicale. Elle déclare que la lésion professionnelle du 28 janvier 2010 est consolidée le 26 août 2010, sans nécessité de soins ou de traitements après cette date. Elle déclare également que cette lésion n’entraîne pas d’atteinte permanente à l’intégrité physique ni de limitations fonctionnelles. Par conséquent, la travailleuse n’a pas droit à une indemnité pour préjudice corporel. Enfin, elle déclare que la travailleuse est capable d’exercer son emploi le 26 août 2010. La CSST cessera donc de lui verser l’indemnité de remplacement du revenu le 8 décembre 2010. Cette décision est contestée par l’employeur.

[36]         Le 22 décembre 2010, la CSST rend la décision contestée en l’espèce à la suite d'une révision administrative, d’où les présents litiges.

[37]         Dans un rapport d’ergothérapie rédigé probablement en janvier 2011, l’ergothérapeute signale une douleur à la palpation des vertèbres D1 à D10. Il note une faible tolérance à l’effort, une position antalgique avec rotoscoliose compensatoire D4-D8 et une irritation facettaire dorsale et lombaire gauche. Il recommande de continuer les traitements d’ergothérapie et demande au médecin traitant s’il est indiqué d’investiguer pour des infiltrations sous scopie.

[38]         Le 4 mars et le 31 mars 2011, le docteur Lionel E. Doucet diagnostique une entorse dorsale et demande une infiltration facettaire.

[39]         Le 20 juin 2011, le docteur Claude Bouthillier, physiatre, procède à des blocs facettaires dorsaux D2 à D6 droits. Il mentionne que la travailleuse a des douleurs à départ cervicodorsal jusqu’à la région mid-scapulaire droite. Les douleurs sont exacerbées lors des efforts et lors de la mobilisation du cou. Son examen met en évidence une légère limitation en rotation droite, une sensibilité C6-C7 et C7-T1, mais de façon beaucoup plus marquée de D2 à D6 droit. Il conclut que la travailleuse présente une dysfonction de la charnière cervicodorsale, mais surtout de la région dorsale de D2 à D6 droit.

[40]         Le 19 juillet 2011, la docteure Giguère produit une déclaration du médecin traitant relative à une demande de prestations d’invalidité de longue durée. Elle rapporte que la travailleuse présente une dysfonction de la charnière cervicodorsale, surtout de D2 à D6 droit. Elle précise que les blocs facettaires pratiqués le 20 juin 2011 ont apporté une bonne réponse. Enfin, la docteure Giguère autorise la travailleuse à effectuer des travaux légers selon un horaire déterminé. Il s’agit de deux jours non consécutifs par semaine pour deux semaines, trois jours non consécutifs par semaine pour deux semaines, quatre jours par semaine pour deux semaines et finalement cinq jours par semaine pour deux autres semaines.

[41]         Le 31 octobre 2011, le docteur Pierre Carrier produit un rapport final consolidant l’entorse dorsale à la même date, sans atteinte permanente à l’intégrité physique ni limitations fonctionnelles.

[42]         À l’audience, la travailleuse précise qu’elle a ressenti un coup dans la région cervicodorsale C7 et T1-T2 lorsqu’elle est tombée le 28 janvier 2010. Elle a reçu des traitements de physiothérapie deux fois par semaine et des traitements de physiothérapie avec approche ostéopathique aussi deux fois par semaine. Environ 150 traitements lui ont été donnés. Ces traitements lui ont procuré de l’amélioration. Mais par la suite, sa condition n’a pas connu d’évolution.

[43]         Au moment où le docteur Blanchet l’examine, la travailleuse ressent des douleurs si elle exécute un travail répétitif comme le lavage de vitres. Elle doit compenser avec son bras gauche. Après le 26 août 2010, les traitements de physiothérapie atteignent un plateau.

[44]         Lorsque le docteur Hébert examine la travailleuse, celle-ci a des douleurs au dos si elle fait des efforts, comme tondre le gazon ou passer la balayeuse.

[45]         Après l’examen du membre du Bureau d'évaluation médicale, une demande a été faite pour que la travailleuse reçoive des traitements d’ergothérapie. Environ quatre traitements ont été donnés à la travailleuse. L’ergothérapeute lui a donné des exercices à faire à la maison qu’elle pratique encore. Cela a amélioré la condition de la travailleuse.

[46]         Concernant les blocs facettaires, la travailleuse mentionne que la docteure Giguère a demandé une consultation auprès du docteur Doucet. Celui-ci a prescrit des blocs facettaires et l’a référée au docteur Bouthillier.

[47]         La travailleuse ajoute que les blocs facettaires pratiqués le 20 juin 2011 ont changé sa condition. Elle mentionne que cela a été miraculeux. Elle a senti une bonne amélioration une semaine après les avoir reçus. Elle peut passer la balayeuse et faire du travail répétitif avec son bras droit. Elle n’a pas reçu d’autres blocs facettaires par la suite.

[48]         À partir du 1 er juillet 2011, la travailleuse ne constate pas de changement dans sa condition. Elle rencontre la docteure Giguère le 19 juillet 2011 qui recommande un retour au travail progressif. La docteure Giguère ne l’examine pas. La travailleuse communique avec madame Josée Rochette afin de retourner au travail. Celle-ci ne veut pas que la travailleuse effectue un retour au travail progressif. Elle demande que la période recommandée par la docteure Giguère pour le retour au travail progressif soit terminée afin que la travailleuse soit apte à retourner au travail à temps complet.

[49]         À la fin de la période recommandée pour le retour au travail progressif, la travailleuse communique avec madame Rochette. Elle veut que la travailleuse soit complètement rétablie et qu’un rapport final soit produit par son médecin traitant.

[50]         La travailleuse tente d’obtenir un rendez-vous avec la docteure Giguère sans succès afin d’obtenir le rapport final. Elle fait des démarches le 1 er juillet, le 1 er août et le 1 er  septembre 2011. Elle rencontre finalement le docteur Carrier affecté à la même clinique au bout d’environ deux mois. Il s’agit du délai habituel pour obtenir un rendez-vous.

[51]         La travailleuse communique ensuite avec madame Rochette pour l’informer qu’elle a obtenu un rapport final. Cette dernière lui demande de contacter son contremaître pour connaître son affectation.

[52]         La travailleuse retourne au travail le 1 er novembre 2011. Aucune autre consultation médicale n’a été faite en raison de son dos par la suite et aucun arrêt de travail n’est intervenu pour ce motif.

[53]         À l’audience, la représentante de la travailleuse dépose un extrait du manuel de Pathologie médicale de l’appareil locomoteur [1] qui mentionne ce qui suit concernant le traitement des dorsalgies :

Après un échec thérapeutique de quelques mois, des techniques d’injection diagnostique et thérapeutique peuvent être envisagées. Comme 48 % des dorsalgies sont d’origine facettaire, le bloc facettaire diagnostique et thérapeutique est la première technique à privilégier.

 

 

L’AVIS DES MEMBRES

[54]         Le membre issu des associations d'employeurs est d’avis d’accueillir la requête de l’employeur, de rejeter la requête de la travailleuse et de déclarer que la lésion professionnelle du 28 janvier 2010 est consolidée le 26 août 2010, sans nécessité de soins ou de traitements après cette date. La preuve médicale prépondérante établit que la lésion professionnelle est consolidée le 26 août 2010 conformément à l’avis du membre du Bureau d'évaluation médicale. Les soins et les traitements ont été prodigués à la travailleuse après cette date en raison de sa condition personnelle d’arthrose dégénérative. De plus, les douleurs ressenties par la travailleuse n’ont pas été objectivées. Par ailleurs, la preuve prépondérante démontre que la travailleuse est capable d’exercer son emploi à compter du 27 juin 2011.

[55]         La membre issue des associations syndicales est d’avis de rejeter la requête de l’employeur, d’accueillir la requête de la travailleuse et de déclarer que la lésion professionnelle du 28 janvier 2010 est consolidée le 31 octobre 2011, sans nécessité de soins ou de traitements après cette date. Par conséquent, la travailleuse est capable d’exercer son emploi à compter du 31 octobre 2011. La preuve médicale prépondérante établit que l’amélioration de l’état de santé de la travailleuse est prévisible après le 26 août 2010. Il y a donc lieu de retenir la date de consolidation indiquée dans le rapport final du docteur Carrier.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[56]         La Commission des lésions professionnelles doit se prononcer sur la date de consolidation et la nécessité des soins ou des traitements découlant de la lésion professionnelle du 28 janvier 2010 et sur la capacité de la travailleuse à exercer son emploi.

[57]         La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [2] (la loi) définit ainsi la consolidation d’une lésion professionnelle :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« consolidation » : la guérison ou la stabilisation d'une lésion professionnelle à la suite de laquelle aucune amélioration de l'état de santé du travailleur victime de cette lésion n'est prévisible;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

 

[58]         Le tribunal conclut que la lésion professionnelle du 28 janvier 2010 est consolidée le 31 octobre 2011 et que les soins et les traitements sont nécessaires jusqu’à cette date, conformément au rapport final du docteur Carrier.

[59]         Le diagnostic de la lésion professionnelle est une entorse dorsale droite. À l’audience, la travailleuse mentionne que lors de l’événement du 28 janvier 2010, elle a ressenti un coup dans la région cervicodorsale C7 et T1-T2.

[60]         La preuve médicale prépondérante établit que la travailleuse présente des douleurs constantes au niveau dorsal qui sont rapportées dès le début du suivi médical par le médecin traitant de la travailleuse, la docteure Giguère. Il est relaté à plusieurs reprises que la travailleuse n’a pas de douleurs au repos, mais dès que celle-ci fait un effort, les douleurs réapparaissent.

[61]         Les douleurs ressenties par la travailleuse se situent de C7 à D1 et surtout de D1 à D6. Les rapports de physiothérapie d’avril 2010, mai 2010, juin 2010, juillet 2010 et août 2010 font état de ces douleurs. Une douleur résiduelle est notée à l’effort au niveau dorsal en avril 2010. De plus, une douleur cervicale droite et au trapèze supérieur droit avec l’utilisation du membre supérieur est aussi rapportée en juin 2010. En août 2010, le physiothérapeute signale une douleur au niveau cervical et dorsal haut de type picotement jusqu’à l’épaule droite. Les amplitudes articulaires cervicales sont légèrement limitées et douloureuses avec une sensation d’étirement.

[62]         Ces douleurs sont aussi constatées non seulement par la docteure Giguère, mais aussi par les médecins qui ont examiné la travailleuse. Ainsi, la docteure Giguère mentionne le 9 août 2010 que la travailleuse a encore des douleurs à l’effort ou lors des mouvements répétés. Le docteur Blanchet constate aussi le 26 août 2010 une douleur au niveau de l’apophyse épineuse de C7 ou de D1. Le 19 novembre 2010, le docteur Hébert observe que la palpation des épineuses D1-D2 est douloureuse.

[63]         Encore en janvier 2011, l’ergothérapeute signale une douleur à la palpation des vertèbres D1 à D10. Il note une faible tolérance à l’effort et une position antalgique avec rotoscoliose compensatoire D4-D8.

[64]         Il n’est donc pas exact de dire qu’il s’agit de douleurs subjectives et que la travailleuse n’a pas objectivé ses douleurs.

[65]         Ces douleurs persistent tant que la travailleuse ne reçoit pas les blocs facettaires dorsaux D2 à D6 droits pratiqués le 20 juin 2011. Au moment d’administrer ce traitement, le docteur Bouthillier note que la travailleuse a des douleurs à départ cervicodorsal jusqu’à la région mid-scapulaire droite. Les douleurs sont exacerbées lors des efforts et lors de la mobilisation du cou. Son examen met en évidence une légère limitation en rotation droite, une sensibilité C6-C7 et C7-T1, mais de façon beaucoup plus marquée de D2 à D6 droit. Il conclut que la travailleuse présente une dysfonction de la charnière cervicodorsale, mais surtout de D2 à D6 droit.

[66]         De plus, la travailleuse reçoit des traitements d’ergothérapie après l’examen du membre du Bureau d'évaluation médicale. Ces traitements améliorent la condition de la travailleuse.

[67]         Le tribunal considère que la lésion professionnelle n’était donc pas consolidée le 26 août 2010 et il ne retient pas à cet égard l’opinion du docteur Blanchet. Le suivi médical après cette date démontre clairement que la travailleuse est toujours sous investigation et reçoit des traitements. D’ailleurs, elle rencontre le docteur Raymond le 27 octobre 2010, soit après l’examen du membre du Bureau d'évaluation médicale. Le docteur Raymond demande alors une consultation en physiatrie pour des blocs facettaires.

[68]         La preuve médicale prépondérante établit que les blocs facettaires dorsaux D2 à D6 droits ont permis à la travailleuse de récupérer complètement. Une semaine après ces traitements, soit le 27 juin 2011, une bonne amélioration est déjà ressentie par la travailleuse. Elle peut passer la balayeuse et faire du travail répétitif avec son bras droit. Il s’agit d’un résultat rapide et concluant. Depuis ce temps, la travailleuse n’a pas consulté un médecin au sujet de son dos et aucun arrêt de travail n’est intervenu pour ce motif.

[69]         Le tribunal ne retient donc pas l’opinion du docteur Hébert soutenant que les blocs facettaires ne sont pas une modalité thérapeutique reconnue pour le traitement d’une entorse dorsale.

[70]         D’une part, le manuel de Pathologie médicale de l’appareil locomoteur [3] indique que des techniques d’injection diagnostique et thérapeutique peuvent être envisagées après un échec thérapeutique de quelques mois. Étant donné que 48 % des dorsalgies sont d’origine facettaire, le bloc facettaire diagnostique et thérapeutique est la première technique à privilégier.

[71]         D’autre part, la preuve démontre que les blocs facettaires D2 à D6 droits, siège de la symptomatologie de la travailleuse, ont été une réussite complète dans le cas de la travailleuse et ont résolu ses problèmes. Or, cela est survenu après le 26 août 2010, date de consolidation retenue par le membre du Bureau d'évaluation médicale.

[72]         Finalement, la lésion professionnelle de la travailleuse a été consolidée le 31 octobre 2011, sans atteinte permanente à l’intégrité physique ni limitations fonctionnelles. La travailleuse a pu reprendre son travail régulier le 1 er novembre 2011.

[73]         Par ailleurs, la preuve prépondérante établit que la travailleuse effectue un suivi constant de son dossier auprès de la CSST et elle fait preuve de célérité. Entre le 28 octobre 2010, c’est-à-dire le lendemain de la consultation auprès du docteur Raymond, et le 16 novembre 2010, soit le lendemain de son rendez-vous auprès de la docteure Giguère, la travailleuse communique avec la CSST. Elle ne fait preuve d’aucune négligence.

[74]         Les délais à cet égard ne lui sont pas imputables malgré le fait que la docteure Giguère évoque la possibilité d’une infiltration dès le 30 juin 2010. Les blocs facettaires ne pouvaient être administrés avant que la travailleuse ait rencontré un chirurgien orthopédiste. En effet, la travailleuse obtient un rendez-vous auprès du docteur Raymond seulement le 27 octobre 2010. Ce dernier fait une demande afin qu’elle reçoive des blocs facettaires.

[75]         La docteure Giguère n’ayant pas reçu le rapport du docteur Raymond, elle en fait la demande auprès de ce dernier. Elle produit son rapport médical après la réception de celui du docteur Raymond. La docteure Giguère doit aussi faire une nouvelle prescription pour des blocs facettaires, la dernière n’étant plus valide selon l’Institut de physiatrie. La travailleuse ne peut être tenue responsable de tous ces faits qui ne sont pas de son ressort. Les délais de consultation médicale et les délais administratifs ne peuvent pénaliser la travailleuse.

[76]         De plus, la preuve démontre que la travailleuse a tenté de faire un retour au travail. En effet, elle communique avec l’employeur après la recommandation faite par la docteure Giguère le 19 juillet 2011 autorisant un retour au travail progressif. Mais, l’employeur refuse et demande que la travailleuse soit apte à retourner au travail à temps complet. À la fin de la période recommandée pour le retour au travail progressif, la travailleuse communique à nouveau avec l’employeur. Mais, celui-ci demande que la travailleuse soit complètement rétablie et qu’un rapport final soit produit par son médecin traitant.

[77]         La travailleuse fait alors des démarches trois fois pour obtenir sans succès un rendez-vous auprès de la docteure Giguère. Elle réussit au bout d’environ deux mois à avoir un rendez-vous avec le docteur Carrier. Ces délais de consultation médicale ne peuvent non plus pénaliser la travailleuse qui n’a aucun contrôle sur cette situation. Au contraire, elle a fait preuve de diligence en s’occupant activement de son dossier.

[78]         Après avoir informé l’employeur du contenu du rapport final, la travailleuse retourne au travail le 1 er novembre 2011.

[79]         Tous ces éléments expliquent les délais requis pour l’obtention d’un rapport final le 31 octobre 2011 et le retour au travail le lendemain. L’employeur a exigé lui-même un rapport final attestant que la travailleuse était apte à reprendre son emploi à temps complet. Or, la travailleuse était prête à faire un retour progressif au travail à compter du 19 juillet 2011, mais l’employeur ne l’a pas accepté.

[80]         L’employeur ne peut donc prétendre maintenant que la travailleuse était capable d’exercer son emploi le 27 juin 2011, soit avant même que le rapport final soit produit, alors que celui-ci constituait une exigence de la part de l’employeur pour que la travailleuse retourne au travail.

[81]         La Commission des lésions professionnelles conclut donc que la lésion professionnelle du 28 janvier 2010 est consolidée le 31 octobre 2011, que les soins ou les traitements sont nécessaires jusqu’à cette date et que la travailleuse est capable d’exercer son emploi à compter du 31 octobre 2011. Elle a donc droit à l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à cette date.


PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de Multiportions, l’employeur;

ACCUEILLE la requête de madame Manon Charrette, la travailleuse;

INFIRME en partie la décision de la Commission de la santé et de la sécurité au travail rendue le 22 décembre 2010 à la suite d'une révision administrative;

DÉCLARE que la lésion professionnelle du 28 janvier 2010 est consolidée le 31 octobre 2011, sans nécessité de soins ou de traitements après cette date;

DÉCLARE que cette lésion professionnelle n’entraîne pas d’atteinte permanente à l’intégrité physique ni de limitations fonctionnelles;

DÉCLARE que madame Manon Charette n’a pas droit à une indemnité pour préjudice corporel;

DÉCLARE que madame Manon Charette est capable d’exercer son emploi à compter du 31 octobre 2011 et qu’elle a droit à l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à cette date.

 

 

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Esther Malo

 

 

 

M e Linda Lauzon

Monette, Barakett & Ass.

Représentante de la partie requérante

 

 

M me Nicole Bernèche

T.U.A.C. (local 500)

Représentante de la partie intéressée

 



[1]           Bergeron, Yves, Fortin, Luc et Leclaire, Richard, Pathologie médicale de l'appareil locomoteur , 2e éd., St-Hyacinthe, Edisem, 2008, pp. 340.

[2]           L.R.Q., c. A-3.001.

[3]           Précitée, note 1.