Installation Delorme |
2012 QCCLP 1931 |
|
||
COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
||
|
||
|
||
Montréal |
15 mars 2012 |
|
|
||
Région : |
Montréal |
|
|
||
|
||
Dossier CSST : |
133887661 |
|
|
||
Commissaire : |
Sylvie Lévesque, juge administratif |
|
|
||
______________________________________________________________________ |
||
|
||
|
||
Partie requérante |
|
|
______________________________________________________________________
______________________________________________________________________
[1] Le 15 juin 2011, Installation Delorme, l’employeur, dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 28 avril 2011 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 6 janvier 2011 et déclare que l’employeur doit assumer la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par monsieur Maxime Leblanc, le travailleur.
[3] L’audience était prévue pour le 8 mars 2012, mais il n’y a pas eu d’audience puisque l’avocat de l’employeur a envoyé une argumentation écrite et a avisé qu’il ne serait pas présent à l’audience. L’argumentation écrite a été reçue à la Commission des lésions professionnelles le 26 janvier 2012 et le dossier a été mis en délibéré à ce moment.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande de lui accorder un partage des coûts de la lésion professionnelle au motif que le travailleur était déjà handicapé. Il demande un partage de l’imputation de l’ordre de 10% à son dossier financier et 90% à l’ensemble des employeurs.
LES FAITS
[5] Le travailleur, âgé de 20 ans, occupe un emploi de journalier chez l’employeur lorsque le 9 septembre 2008, il subit un accident du travail. Alors qu’il utilisait une perceuse à percussion, après cinq minutes, son bras gauche se met à enfler et le travailleur a de la difficulté à étendre le coude.
[6] Le 16 septembre 2008, un rapport de consultation rempli par la docteure Brian Laufer indique :
[…]
Donc : TPP MSup chez ♂ 20 ans qui travaille avec outil à percussion → suffisant pr expliquer TPP? [ sic ]
[7] Le 25 septembre 2008, le travailleur subit une radiographie de l’épaule gauche qui s’avère normale.
[8] Le 11 décembre 2008, la CSST accepte la réclamation du travailleur à titre d’accident du travail pour le diagnostic de thrombophlébite profonde du membre supérieur gauche. Cette décision n’a pas fait l’objet d’une révision.
[9] Le 22 mai 2009, le travailleur subi une phlébographie du membre supérieur gauche. Dans son rapport, le médecin indique que le travailleur a une obstruction chronique au niveau de la veine axillaire gauche avec développement d’un réseau collatéral et au tiers proximal de la veine sous-clavière laissant suspecter la présence de caillots.
[10] Le 5 juin 2009, le médecin désigné de l’employeur, soit le docteur Charles Gravel, chirurgien orthopédiste, examine le travailleur. Sous la rubrique « Opinion et conclusion », il écrit ce qui suit :
[…]
Il s’agit d’un homme de 21 ans qui, sur les investigations par phlébographie, démontre un système veineux anormal avec collatéral indiquant qu’il y a une anomalie de flux dans le réseau veineux profond au niveau de la veine humérale et axillaire.
Pour développer un tel plexus de veine collatérale, il est évident que cette anomalie est de nature chronique. [ sic ]
[…]
[11] Le docteur Gravel indique également qu’il est probable que le travailleur avait une anomalie de nature congénitale au niveau du plexus veineux du membre supérieur gauche. À cause du travail physique, cette anomalie a pu se développer lors de son travail de nature manuelle en septembre 2008.
[12] Le docteur Gravel écrit également dans son rapport du 5 juin 2009 que le travailleur, en raison de l’anomalie chronique au niveau de la veine humérale et axillaire du membre supérieur gauche, avait une prédisposition à avoir une thrombophlébite profonde de ce membre supérieur gauche.
[13] Le docteur Gravel conclut donc à un diagnostic d’anomalie congénitale au niveau de la veine axillaire et humérale gauche de nature personnelle, de thrombophlébite profonde et de syndrome post-phlébitique. Le syndrome post-phlébitique est une complication selon lui des deux premiers diagnostics.
[14] La docteure Geneviève Mathieu, spécialiste en médecine interne et médecin qui a charge du travailleur, reprend le diagnostic de thrombophlébite profonde et syndrome post-phlébitique dans son rapport complémentaire du 30 juin 2009.
[15] La docteure Mathieu est d’avis que le problème du travailleur n’est pas dû à une anomalie congénitale, indiquant dans ce rapport du 30 juin 2009 :
[…] Je n’adhère pas au fait que ces collatérales originaient d’une malformation congénitale, ie étaient présentes à la naissance. [...]
[…] M. Leblanc utilisait une lourde perceuse à percussion qui lui a donné un coup « de recul » (comme lorsque l’on tire à la carabine). Il y a donc eu un trauma direct au membre supérieur. Selon moi et d’après la triade pathophysiologique de Virchow, un traumatisme direct peut déclancher le processus de thrombose veineuse aiguë. De plus, il existe une entité qui se nomme le Paget-Schroetter, qui décrit les thromboses du membre supérieur à l’exercice. Les deux phénomènes ont pu jouer un rôle dans l’initiation de la thrombose de M. Leblanc… […] [ sic ]
[16] Le 26 octobre 2009, un membre du Bureau d’évaluation médicale, soit docteur David Wiltshire, orthopédiste, retient un diagnostic de syndrome post-phlébitique, dont l’étiologie est indéterminée.
[17] Il note également que le travailleur a travaillé durant une longue période avant de développer un tel problème et qu’il (le travailleur) dit avoir utilisé une perceuse de nombreuses fois avant l’apparition de ce problème. Le docteur Wiltshire note aussi qu’il n’y avait pas de collatéraux [ sic ] notés lors du premier « doppler ».
[18] Ce premier « doppler » ou « Duplex veineux périphérique du membre supérieur gauche » a lieu le 16 septembre 2008 et est effectué à la demande de la docteure Louise Jacques. L’impression diagnostique est la suivante :
Cet examen nous montre une thrombose du tiers supérieur d’une veine humérale ainsi que de la veine axillaire et de la veine sous-clavière.
[19] Le docteur Wiltshire écrit aussi que le travailleur souffre d’un problème de défilé thoracique en plus d’un problème post-phlébitique et qu’il est bien possible que ceci ait contribué à sa thrombose veineuse.
[20] Le 4 novembre 2009, le docteur Bernard Montreuil, chirurgien vasculaire, procède à une évaluation du travailleur, à la demande de la docteure Geneviève Mathieu. Le docteur Montreuil procède à un examen physique et rapporte ce qui suit :
Cliniquement, l’examen physique est compatible avec de l’hypertension veineuse au niveau de son membre supérieur gauche avec développement de collatérales périscapulaires visibles à l’examen physique sans œdème lors de mon évaluation. […]
[21] Le 23 décembre 2009, le docteur Gravel produit un second rapport d’expertise médicale, dans lequel il se prononce sur la consolidation et les séquelles de la lésion. Il réitère ses conclusions quant à la présence d’une anomalie congénitale veineuse.
[22] Dans son rapport complémentaire du 23 décembre 2009, le médecin qui a charge du travailleur, la docteure Mathieu, s’estime en accord avec la date de consolidation retenue par le docteur Gravel ainsi que par ses conclusions sur les séquelles de la lésion, mais réitère sa position quant au fait que le travailleur n’a pas d’anomalie congénitale sous-jacente.
[23] L’avocat de l’employeur, dans son argumentation écrite, fait état d’un document intitulé Paget-Schroetter Syndrome in the Young and Active , indiquant que le syndrome de Paget-Schroetter est une thrombose post effort d’un membre supérieur. Il cite l’extrait suivant, tiré de ce document :
« (…) Young healthy patients with PSS develop spontaneous UEDVT, usually in their dominant arm, after such strenuous activities such as rowing, wrestling, weight lifting, and baseball pitching. The heavy exertion causes microtrauma to the vascular intima and leads to acctivation of the coagulation cascade. Significant thrombosis may occur with repeated insults to the vein wall, especially if mechanical compression is also present. (…) »
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[24]
L’article
329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.
L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.
[25] Pour bénéficier de l’application de l’article 329, l’employeur doit démontrer que le travailleur était déjà handicapé lorsque sa lésion professionnelle s’est manifestée le 19 mars 2009.
[26] Cette notion de « handicap » n’est pas définie dans la loi. La jurisprudence majoritaire maintenant suivie par la plupart des juges de la Commission des lésions professionnelles reprend la définition indiquée dans l’affaire Municipalité Petite-Rivière St-François et CSST [2] :
La Commission des lésions professionnelles considère qu’un
travailleur déjà handicapé au sens de l’article
[27]
En vertu de cette définition, l’employeur doit donc établir par une
preuve prépondérante les deux éléments suivants pour pouvoir bénéficier de
l’article
a) le travailleur présentait une déficience physique ou psychique avant la survenance de la lésion professionnelle;
b) cette déficience a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur ses conséquences.
[28] Toujours dans la même décision, soit Municipalité Petite Rivière Saint-François et CSST , il a été décidé qu’une déficience constitue une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique et correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. Cette déficience peut être congénitale ou acquise et peut également exister à l’état latent sans qu’elle se soit manifestée avant la survenance de la lésion professionnelle.
[29] La juge administrative C. Racine, dans la décision Sodexho Canada inc . [3] analyse cette notion de « déviation par rapport à la norme biomédicale » de la manière suivante :
[49] En proposant cette définition, la Commission des lésions professionnelles écarte du chapitre des déficiences les conditions personnelles retrouvées normalement chez les individus pour ne retenir que celles qui constituent des anomalies. Par ailleurs, la jurisprudence évalue le caractère normal ou anormal de la condition identifiée en la comparant à ce que l’on retrouve habituellement chez des personnes de l’âge de la travailleuse au moment de l’événement.
[50] La preuve de cette déviation sera plus ou moins exigeante selon la nature de la condition invoquée. Ainsi, le caractère déviant peut s’inférer du à certaines conditions (par exemple une malformation d’une structure ou un diabète). Cependant, lorsque la condition identifiée est une dégénérescence relevant d’un phénomène de vieillissement, la preuve doit clairement établir en quoi cette condition dévie de la normalité.
[30] Il n’est donc pas suffisant d’affirmer que la condition préexistante dévie par rapport à la norme biomédicale. Le fardeau de la preuve repose sur les épaules de l’employeur. Pour faire sa preuve, l’employeur peut avoir recours notamment à des études épidémiologiques, de la littérature médicale ou encore une expertise médicale.
[31] Le diagnostic retenu dans le présent dossier en est un de thrombophlébite profonde du membre supérieur gauche.
[32] L’employeur prétend que le travailleur était porteur d’une condition préexistante avant la survenance de la lésion professionnelle, soit un système veineux anormal avec collatérales, et qu’il s’agissait d’une déviation par rapport à une norme biomédicale, constituant ainsi une déficience.
[33] La preuve médicale prépondérante au dossier ne supporte pas cette affirmation.
[34] En effet, la lésion professionnelle survient le 9 septembre 2008. Dès le 16 septembre 2008, une échographie (ou doppler, ou duplex veineux périphérique du membre supérieur gauche) est effectuée, qui ne démontre pas de problème de collatérales, tel que le souligne d’ailleurs le docteur Wiltshire dans son examen du 9 septembre 2009.
[35] Aussi, dès le 16 septembre 2008, lors d’une consultation effectuée le même jour, le médecin se demande si la suffisance du trauma peut expliquer la lésion.
[36] Tant la docteure Geneviève Mathieu, médecin spécialiste en médecine interne, que le docteur Montreuil, chirurgien vasculaire, sont d’avis que tel est le cas. Un traumatisme comme ici est suffisant pour causer une thrombophlébite profonde sans qu’il y ait d’anomalie vicieuse préexistante. Le tribunal note que ces deux médecins sont des spécialistes en ce domaine, alors que le docteur Gravel est un chirurgien orthopédiste.
[37] La docteure Mathieu, dans son rapport du 30 juin 2009, est claire et se dit en désaccord avec l’opinion du docteur Gravel. Selon elle, il y a eu trauma direct au membre supérieur puisque la lourde perceuse à percussion utilisée par le travailleur a donné un coup « de recul » (comme le tir à la carabine). Elle est d’avis qu’un traumatisme direct peut déclencher le processus de thrombose veineuse aiguë.
[38] Elle réitère son opinion dans son rapport complémentaire du 23 décembre 2009, quant à l’inexistence d’une anomalie congénitale.
[39] Le docteur Montreuil, chirurgien vasculaire, est du même avis que la docteure Mathieu. En effet, il fait mention d’hypertension veineuse au niveau du membre supérieur gauche du travailleur avec développement de collatérales. C’est donc dire qu’il y a eu développement de collatérales, elles n’étaient donc pas là avant. Les collatérales sont la conséquence de la phlébite et non la cause.
[40] De plus, la phlébographie du membre supérieur gauche, effectuée le 22 mai 2009 indique bien, sous la rubrique « opinion » qu’il s’agit d’une obstruction chronique au niveau de la veine axillaire gauche avec développement d’un réseau de collatéral . Encore une fois, il y a le mot « développement ».
[41] Aussi, l’extrait de l’article soumis par l’avocat de l’employeur, soit l’extrait tiré du Paget-Schroetter Syndrome in the Young and Active [4] confirme l’opinion de la docteure Mathieu et ne l’infirme pas.
[42] Il n’y a donc que le docteur Gravel qui est d’opinion que les collatérales sont une condition préexistante et hors norme. La preuve médicale prépondérante au dossier ne milite pas en ce sens, puisque les collatérales sont une conséquence de la phlébite et non pas la cause.
[43] Par ailleurs l’avocat de l’employeur semble indiquer également dans son argumentation écrite que le syndrome du défilé thoracique dont serait porteur le travailleur est une condition préexistante et hors norme.
[44] Le tribunal désire préciser à ce sujet que ni la docteure Mathieu, ni le docteur Montreuil, ni le propre médecin désigné par l’employeur, soit le docteur Gravel, ne font référence à ce syndrome.
[45] Le seul qui en fait mention est le docteur Wiltshire, du Bureau d’évaluation médicale. La preuve prépondérante ne milite donc pas en faveur de l’existence de ce syndrome. De plus, le docteur Wiltshire ne fait qu’indiquer « il est bien possible que ceci ait contribué à sa thrombose veineuse », sans plus de discussion ni d’élaboration à ce sujet.
[46] Même si la preuve prépondérante militait en faveur de ce syndrome, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, le docteur Wiltshire ne précise pas non plus et ne fait aucune discussion à savoir si le syndrome du défilé thoracique est hors norme ou non. Il n’y a pas non plus d’élaboration quant ou discussions relatives aux causes de ce syndrome non plus.
[47] Le tribunal ne peut donc conclure, tel que le fait l’avocat de l’employeur, que le travailleur était aussi porteur d’un syndrome du défilé thoracique et que ce syndrome a joué un rôle prépondérant dans l’apparition de la lésion professionnelle.
[48] Comme la première partie de l’article 329 n’est pas rencontrée, le tribunal n’a pas à se pencher sur la deuxième partie de l’article 329, à savoir si la déficience a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur ses conséquences.
[49] L’employeur n’a donc pas démontré que le travailleur était déjà handicapé lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle.
[50] Par conséquent, il doit supporter la totalité des coûts reliés à la lésion professionnelle subie par le travailleur le 9 septembre 2008.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de l’employeur, Installation Delorme;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 28 avril 2011 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la totalité du coût des prestations versées en raison de la lésion professionnelle subie par monsieur Maxime Leblanc, le travailleur, le 9 septembre 2008 doit être imputée à l’employeur.
|
|
|
Sylvie Lévesque |
|
|
|
|
|
|
|
|
Me Sylvain Pelletier |
|
ADP SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL |
|
Représentant de la partie requérante |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|