TRIBUNAL D’ARBITRAGE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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N o de dépôt : |
2012-4980 |
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Date : |
Le 21 mars 2012 |
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DEVANT L’ARBITRE : |
DENIS PROVENÇAL , avocat |
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SYNDICAT CANADIEN DE L’ÉNERGIE, DES COMMUNICATIONS ET DU PAPIER, SECTION LOCALE 1207 (FTQ) |
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-vs- |
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CASCADES GROUPE PAPIERS FINS INC., CENTRE DE TRANSFORMATION |
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GRIEF |
Suspension - M. Jocelyn Deslauriers |
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Procureur du Syndicat |
M e Richard Bertrand (Trudel Nadeau) |
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Procureur de l'Employeur |
M e Paul A. Venne (Dufresne Hébert Comeau) |
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SENTENCE ARBITRALE |
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(Code du travail du Québec L.R.Q., c. C-27) |
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LE LITIGE[1] L’usine Cascades de St-Jérôme produit du papier fin, en format 8 ½ X 11 ou 8 ½ X 14, et compte une centaine d’employés syndiqués ou non. Les parties m’ont désigné afin d’agir à titre d’arbitre en regard du grief déposé par le syndicat afin de contester une suspension sans solde de deux jours imposée à M. Jocelyn Deslauriers, le 28 décembre 2009, pour les raisons mentionnées à la lettre suivante : « Objet : Avis disciplinaire - Suspension de deux jours Jocelyn, Le 2 décembre dernier, vers 15h00, alors que tu avais remarqué un problème avec les paquets de papier à la Pemco du WIII, tu as omis d’utiliser un moyen adéquat de fermer les sources d’énergie de l’endroit où tu effectuais ta vérification. Cet événement constitue un geste inacceptable car en plus de ne pas avoir contrôlé les sources d’énergie de l’endroit où tu travaillais, tu as mis ta sécurité en danger. De plus, le comportement que tu as eu lors des événements du 2 décembre dernier ne correspond pas aux valeurs de santé et sécurité véhiculées par l’entreprise et, constitue une faute importante, c’est pour cette raison que nous te suspendons sans solde pour une période de deux jours. Les dates de ta suspension te seront communiquées sous peu. Nous souhaitons sincèrement que tu comprennes le sérieux de cette situation, faute de quoi, nous devrons prendre des mesures disciplinaires plus sévères. Nous sommes confiants que tu prendras tous les moyens nécessaires afin que ce genre de situation ne se reproduise plus. /s/ Simon Roy Superviseur » [2] Les parties ont admis que je suis régulièrement saisi du grief et que j’ai juridiction pour l’entendre et en disposer. Toutefois, le procureur du syndicat soulève une objection à la validité de la mesure disciplinaire. L’employeur n’aurait pas respecté l’article 20.01 de la convention collective qui prévoit que les parties doivent avoir un échange avant d’imposer une mesure disciplinaire à un salarié. LA PREUVELa preuve de l’employeur[3] M. Jocelyn Deslauriers travaille à l’usine depuis 1994. Au moment des événements, il était opérateur sur la machine Pemco Will 2. La fonction de cette machine est d’envelopper la rame (les paquets) de papier, de les plier et de coller les extrémités. [4] C’est le 2 décembre 2009, vers 14h30, qu’est survenu l’accident de travail dont a été victime M. Deslauriers. À ce moment, la machine effectuait des opérations d’emballage sur le papier grain court. Ce type de produit nécessite que, à toutes les 10 ou 15 minutes, les paquets de papier soient manuellement tournés à 90°, ce qui implique qu’il faut désynchroniser la machine. C’est de 400 à 900 rames de papier qui devaient être ainsi manipulées. Lorsque M. Deslauriers tourne les paquets, il s’assure également de la qualité de la production. À l’aide d’un miroir installé sur la machine, M. Deslauriers s’est aperçu que le devant de la rame de papier était déchiré. Il a arrêté le convoyeur et emprunté les marches pour atteindre le dessus de la machine. Il s’est tenu sur le rebord et a penché la tête à l’intérieur de la machine pour tenter de localiser le problème. M. Deslauriers portait ses lunettes de sécurité, lesquelles sont adaptées à sa vision. C’était la première journée qu’il portait ses lunettes et il affirme que sa vision sur les côtés était floue. Au même moment où il se penchait et qu’il se tenait sur la pointe des pieds pour tenter de voir ce qui n’allait pas dans la machine, une pièce de la machine, un doigt de métal, l’a frappé sur la tête. Ces doigts de métal vont de bas en haut et tournent dans le sens contraire des aiguilles d’une horloge, selon le plaignant. Il n’y avait aucun témoin lorsque l’accident est arrivé. L’employeur a installé un panneau en plexiglas sur le dessus de la machine immédiatement après son accident pour éviter qu’il en survienne un autre. Le plaignant affirme qu’il a déjà effectué cette manœuvre six ou sept fois dans un quart de travail et tous les opérateurs de la Pemco Will 2 effectuent la même opération de vérification qu’il a faite lorsque l’accident est survenu sans arrêter le fonctionnement de la machine. M. Deslauriers affirme qu’il n’a jamais eu de directives à l’effet qu’il ne pouvait faire des vérifications comme il l’a fait le 2 décembre. [5] M. Deslauriers n’a pas cadenassé la machine avant d’y monter sur le dessus parce qu’il n’aurait pu voir à quel endroit de la Pemco le papier se déchirait. Selon lui, le problème se situait à la sortie du Will, à l’intérieur de la Pemco, et il fallait que la machine fonctionne pour voir ce qui n’allait pas. Le plaignant affirme que s’il ouvre les portes vitrées de la machine, elle s’arrêtera automatiquement. Toutefois, d’affirmer M. Deslauriers, lorsque la machine est arrêtée, c’est problématique de la repartir. Le plaignant affirme que l’employeur insistait sur la productivité à l’usine. M. Deslauriers admet avoir reçu la formation pertinente sur la procédure de cadenassage au mois de janvier 2009 et avoir assisté à une rencontre de santé et sécurité au travail le 25 février 2009. Il a aussi approuvé, par sa signature le 16 juin 2009, un formulaire d’information et formation sur le cadenassage d’opération. Toutefois, M. Deslauriers insiste qu’il ne pouvait déterminer la source du problème s’il cadenassait la machine. Depuis son accident, l’employeur a installé un couvercle en plexiglas et il ne peut effectuer la même manœuvre qu’il a faite le 2 décembre et qui a causé son accident. [6] M. Marc Charbonneau est le directeur de l’usine depuis sept ans. Selon les procédures de sécurité en vigueur dans l’usine, lorsqu’il faut pratiquer un ajustement à une machinerie, il faut la cadenasser et, s’il y a lieu, l’équipe d’entretien peut intervenir. D’ailleurs, de préciser M. Charbonneau, il y a une fiche de cadenassage installée en permanence sur la machinerie. À la fin de l’année 2008, l’entreprise a consacré énormément d’importance à la santé et sécurité au travail et M. Charbonneau a eu des directives, de la direction de l’entreprise, de faire preuve d’intolérance à propos du respect des règles de sécurité. Tous les employés ont alors été sensibilisés au respect des règles de sécurité à l’usine. Il est clair, selon M. Charbonneau, que le plaignant devait cadenasser la machine et ne pas y mettre sa tête à l’intérieur. [7] Contre-interrogé par le procureur du syndicat, M. Charbonneau ignore si le plaignant pratiquait un ajustement lorsque le doigt de métal a percuté sa tête. M. Charbonneau mentionne qu’il y avait un couvercle de plexiglas à l’origine installé sur la Pemco Will 2 lorsque l’usine a acquis la machine, mais il ne peut préciser le moment où il a été enlevé. Ce couvercle servait à observer le fonctionnement de la machine. Depuis l’accident survenu à M. Deslauriers, le couvercle de plexiglas a été remis en place et n’a jamais été enlevé par la suite. La preuve du syndicat[8] M. Roger Soucy est préposé à l’entrepôt et à l’expédition. M. Soucy est le vice-président et le secrétaire trésorier du syndicat. Il a été également délégué à la santé et sécurité à l’usine pendant quatre années et a suivi une formation de trois journées, aux frais de l’employeur, en analyse de risques sur la machinerie. M. Soucy était présent lorsque l’employeur a remis la lettre qui imposait une suspension de deux journées à M. Deslauriers. La lettre du 2 décembre était déjà préparée et il n’y a eu aucune discussion entre le syndicat et l’employeur à propos de la mesure disciplinaire qui a été imposée à M. Deslauriers. M. Soucy mentionne que, pour la Pemco Will 2, la procédure de cadenassage était appliquée lors de changements de format du papier et pour débloquer la machine. Lorsqu’il s’agissait d’identifier un problème sur la machine, l’opérateur pouvait regarder par la fenêtre sur le côté de la machine ou monter sur le dessus, comme l’a fait M. Deslauriers le 2 décembre. Il n’existe pas de procédure spécifique à suivre lorsqu’il s’agit de diagnostiquer un problème sur la machine. Il a déjà vu d’autres opérateurs de la Pemco Will 2 monter sur la machine pour tenter d’identifier un problème et M. Soucy nomme ainsi M. Jacques Allaire. M. Soucy a aussi complété un bon de travail, le 4 décembre 2007, pour que soit installé le couvercle de plexiglas afin d’éviter que les opérateurs se mettent la tête à l’intérieur de la machine pour localiser un problème de production. Le bon de travail se lit comme suit : « Installer feuille de plastique au dessus de la Pemco avec switch pour empêcher quelqu’un à mettre un membre dans la Pemco par dessus. Couvert plastic voir Roger Soucy pour info. » [9] Ce n’est que le lendemain de l’accident survenu à M. Deslauriers que l’employeur a installé le couvercle de plexiglas. M. Soucy a déjà mentionné à l’employeur que sans la présence d’un couvercle sur le dessus de la Pemco, il y avait danger de mort d’homme. [10] M. Stéphane Gauthier travaille à l’usine depuis 1994 et est opérateur de la Pemco Will 2. Il travaille à l’occasion avec M. Deslauriers. Il est aussi sur le comité de santé et sécurité au travail depuis 2009 et a reçu la formation sur le cadenassage de la machinerie. M. Gauthier affirme qu’il doit monter sur la Pemco, à raison de quatre ou cinq fois par quart de travail, et lorsque ça va pas bien , c’est une quinzaine de fois. C’est sur le dessus de la machine que l’opérateur a une meilleure vision de tout l’ensemble de la machine et qu’il peut identifier la source du problème. M. Soucy laisse la machine fonctionner et commence par vérifier à partir des fenêtres situées sur le côté de la machine pour voir s’il peut identifier le trouble de fonctionnement. S’il ne peut pas à partir des fenêtres, il se rend sur le dessus de la machine et, de ce point de vue, M. Gauthier peut alors, presque toujours, diagnostiquer le problème. Si la machine est arrêtée, il est presque impossible de déterminer la source du problème. Selon M. Gauthier, il n’existe aucune mesure préventive en vigueur lorsqu’un opérateur monte sur la machine et il n’y en a pas davantage depuis l’accident survenu à M. Deslauriers. S’il y a une intervention à faire sur la machine, il l’arrête ou appelle un mécanicien. Pour pratiquer un simple ajustement, il n’arrête pas la machine et, en conséquence, n’utilise pas la procédure de cadenassage. Toutefois, lorsqu’il s’agit de changer une pièce, de nettoyer ou de débloquer la machine, il faut cadenasser, d’affirmer M. Gauthier. Selon le témoin, tous les opérateurs ont la même façon de travailler et c’est aussi de cette manière qu’il a été formé pour résoudre un problème sur la machine. M. Gauthier n’a jamais été avisé par quiconque de ne plus monter sur le dessus de la machine. Lors de l’accident survenu à M. Deslauriers, la machine emballait du papier à grain court et il fallait tourner les paquets à la main. La machine fonctionnait à très basse vitesse et il était impossible de synchroniser la Pemco avec la Will. La Pemco a perdu sa synchronisation et a cessé d’apposer de la colle sur les paquets. Il a alors fallu désynchroniser la Pemco et la Will. Le 16 novembre 2009, M. Gauthier a rédigé un bon de travail correctif (B.T.C.) pour solutionner ce problème : « La Pemco ne se synchronise pas avec le Will. Résultat : jams, pas de colle sur les paquets donc les paquets ne sont pas emballés. Ce problème est urgent car il va en graduant. En plus, je sais pourquoi. » [11] Le lendemain de l’accident de travail survenu à M. Deslauriers, le problème que M. Gauthier avait soulevé a été réparé. [12] En contre-interrogatoire, M. Gauthier admet que le respect des règles de sécurité est plus important que la production. Toutefois, M. Gauthier précise que si c’est le dessus de la rame qui est endommagé, regarder par les vitres sur le côté de la machine n’est pas le meilleur endroit pour trouver la source du problème. [13] M. Éric Forget est mécanicien et a été embauché à l’usine en 1994. Il est le président du syndicat et fait aussi partie du comité de santé et sécurité au travail. Il a été impliqué dans le dossier du plaignant. M. Forget n’a pu échanger avec l’employeur avant qu’il n’impose la mesure disciplinaire au plaignant. Il n’a pas eu l’occasion non plus de discuter avec M. Deslauriers avant la rencontre du 28 décembre. M. Forget est demeuré sur l’impression que tout était décidé d’avance par l’employeur et, considérant que c’était un accident de travail, il fallait sévir. La rencontre a duré une vingtaine de minutes tout au plus et l’employeur a immédiatement donné la mesure disciplinaire à M. Deslauriers en lui mentionnant qu’il le suspendait deux journées pour avoir manqué à la politique et aux habitudes que l’entreprise tentait d’inculquer aux salariés. [14] M. Forget est intervenu lors de l’accident survenu à M. Deslauriers, le 2 décembre. Il a mentionné à l’employeur qu’il fallait trouver une solution rapide pour la sécurité des opérateurs de la machine et suggéré de poser un couvercle permanent sur le dessus de la machine. L’employeur lui a demandé de fabriquer un couvercle et de l’installer avant même de repartir la machine. L’équipement sur lequel est survenu l’accident a été acquis en 2000 et M. Forget avait déjà soulevé le manque de sécurité au comité de santé et sécurité au travail à cause de l’absence de couvercle permanent. Il y avait déjà la Will 1 qui avait un couvercle et la Will 2, achetée en 2000, n’en possédait pas. L’employeur ne voyait pas la nécessité de munir la machine d’un couvercle permanent à cette époque. Cette question du couvercle permanent a été soulevée par la suite et il y a eu des demandes écrites pour sécuriser la Will 2. Selon M. Forget, la présence d’un couvercle transparent constitue en quelque sorte une barrière psychologique et permet d’observer ce qui se passe à l’intérieur de la machine. [15] M. Forget a déjà travaillé sur la Will 2 et monté sur le dessus de la machine alors qu’elle était en marche. Il a même déjà mis ses mains à l’intérieur. Il n’a jamais été avisé de ne plus le faire. Il est plus facile de poser un diagnostic sur un disfonctionnement de la machine lorsqu’elle est en marche. M. Forget a déjà vu, à de nombreuses reprises, des opérateurs et des mécaniciens monter sur le dessus de la machine alors qu’elle était en opération. Il n’a connaissance d’aucune directive particulière de l’employeur à ce sujet. Maintenant, l’employeur oblige le cadenassage de la machine pour toute intervention, sauf s’il ne s’agit que d’observer. REPRÉSENTATIONS DES PARTIESArgumentation du procureur de l’employeur[16] Le procureur anticipe les représentations du syndicat en ce qui concerne la clause 20.01 de la convention collective. Cette clause prévoit que les parties doivent avoir un échange dans le contexte de l’imposition d’une mesure disciplinaire. Toutefois, cet article ne précise pas le moment où doivent avoir lieu les échanges et ne comporte aucune sanction dans l’éventualité où il ne s’en tient pas. [17] En ce qui concerne le fond du dossier, le procureur souligne qu’il s’agit du scénario classique en matière d’accident de travail. Le plaignant n’a pas voulu cadenasser la machine parce que, se faisant, il alourdissait sa charge de travail. Il s’est produit ce qui devait se produire, un accident de travail. M. Deslauriers peut s’estimer chanceux de s’en tirer à si bon compte. L’employeur n’a rien à se reprocher en regard de l’accident survenu au plaignant. M. Deslauriers savait qu’il devait arrêter la machine pour faire une intervention. La preuve a démontré qu’il y a trois manières d’arrêter la machine et le plaignant a reçu la formation appropriée par l’employeur. Il est clair que le respect des mesures de sécurité est une obligation paritaire et que l’employé doit prendre les mesures appropriées pour exécuter sa prestation de travail en toute sécurité. Le tribunal doit prendre en compte que le fardeau de la preuve, en matière de respect des règles de sécurité, n’est pas à sens unique. Le tribunal doit aussi écarter le témoignage du président du syndicat. À cause du rôle que tient M. Forget au sein de l’usine, il est aberrant qu’il rende un témoignage à l’effet qu’il s’est déjà mis les mains à l’intérieur de la machine alors qu’elle fonctionnait. Il revient au tribunal de donner un message clair aux salariés que les règles de sécurité doivent primer sur la production. De plus, l’excuse des problèmes de vision du plaignant à cause de ses nouvelles lunettes ne tient pas la route et, si c’est le cas, il devait redoubler de prudence et de vigilance. Le tribunal doit maintenir la mesure disciplinaire imposée au plaignant. Argumentation du procureur du syndicat[18] D’entrée de jeu, le procureur souligne que l’article 20.01 ne peut figurer à la convention collective comme simple élément décoratif. Il ressort de la preuve que le plaignant a été convoqué, le 28 décembre, pour se voir imposer une mesure disciplinaire décidée d’avance et non pour en discuter. La suspension de deux journées doit donc être annulée sur ce seul motif. [19] Le procureur rappelle à l’arbitre qu’il intervient dans le contexte d’une mesure disciplinaire. L’employeur a le fardeau de démontrer une faute du plaignant qui justifie la mesure disciplinaire qui lui a été imposée. M. Deslauriers a eu un accident de travail alors qu’il effectuait une simple vérification afin de déterminer la raison pour laquelle les paquets étaient déchirés. Il n’y a aucune preuve administrée par l’employeur à l’effet que, lors d’une vérification, la machine devait être cadenassée. Il n’y a aucune preuve que le plaignant a fait montre de négligence grossière ou d’insouciance téméraire ou déréglée. Le but d’une mesure disciplinaire est de corriger un comportement volontaire du salarié et non le punir pour une erreur humaine faite dans l’exécution normale de son travail. Il s’agit d’un simple accident et l’employeur n’est pas blanc comme neige dans cette affaire. Dans cette matière, chaque cas est un cas d’espèce. L’employeur savait qu’il devait mettre un couvercle sur la machine. Comme l’a expliqué M. Forget, le couvercle sert en quelque sorte de barrière psychologique. D’ailleurs, immédiatement après l’accident, l’employeur a installé le couvercle sur la machinerie. [20] Le tribunal n’a pas à décider si la conduite de M. Deslauriers a été exemplaire, mais plutôt si son erreur mérite d’être sanctionnée. L’arbitre doit aussi prendre en compte que les salariés ont pour mission première de produire et il se peut qu’ils commettent des erreurs dans l’exécution de leur travail. De plus, les salariés qui travaillaient sur la Pemco Will 2, lors de l’accident, devaient exécuter des opérations manuelles parce qu’il s’agissait du papier à grain court. Il est normal que, dans ces circonstances, le plaignant ait eu moins le temps de réfléchir à tous ses mouvements lorsqu’il est monté sur le dessus de la machine pour voir ce qui n’allait pas. Avant d’arrêter la machine, et par conséquent la production, il est normal que le plaignant tente de diagnostiquer le problème et voit s’il pouvait être réglé sans faire appel à la procédure de cadenassage. Le procureur souligne également que l’installation du couvercle, immédiatement après l’accident survenu au plaignant, est un fait transparent. C’est donc qu’il est nécessaire d’avoir une vision de ce qui se produit à l’intérieur de la machine. Le plaignant a tout simplement mal évalué la distance où étaient situés les doigts de métal et ses nouvelles lunettes en sont la cause. [21] La preuve a aussi révélé que l’employeur n’a pas pris toutes les mesures nécessaires afin d’éliminer à la source de tels problèmes. C’est depuis l’année 2000 que cette machine n’a pas de couvercle alors qu’elle devait en avoir un. C’est l’obligation de l’employeur de s’assurer que les salariés travaillent sans danger. MOTIFS ET DÉCISIONL’objection du syndicat[22] L’article 20.01 de la convention collective se lit comme suit : « 20.01 Dans le cas de mesures disciplinaires, il est convenu entre les parties d’avoir un échange. La discipline doit avoir pour objectif d’aider l’employé à corriger son attitude, selon une approche de respect, d’équité et de justice. » [23] Selon le syndicat, il n’y a eu aucun échange entre les parties en regard de la mesure disciplinaire imposée à M. Deslauriers le 2 décembre et, par conséquent, elle est frappée de nullité. [24] En premier lieu, il faut remarquer que cet article ne se retrouve pas dans la procédure de grief prévue à l’article 19, mais à l’article 20 de la convention collective qui traite des mesures disciplinaires. L’article 20 prévoit ce que signifie une mesure disciplinaire, sa durée de vie au dossier du salarié, le droit du salarié a être assisté d’un officier du syndicat lors de la remise d’un avis disciplinaire, sauf dans le cas de renvoi d’un salarié qui n’a pas complété sa période de probation. L’article 20.07 précise que les règlements de l’usine font partie intégrante de la convention collective. [25] L’article 20.01 ne précise aucune sanction au cas de son non-respect et n’est pas rédigé de façon à ce que l’interprète y décèle une intention des parties d’y apposer une condition de fond à la validité d’une mesure disciplinaire. Dans l’affaire Syndicat des travailleuses et travailleurs en petite enfance de la Montérégie - CSN c. Centre de la petite enfance Les Gnomes Inc. [1] , j’avais accueilli une objection du syndicat considérant que l’avis de congédiement de l’employeur ne permettait pas à la plaignante de cerner les reproches qui lui étaient adressés au soutien de sa fin d’emploi. D’ailleurs, cet avis ne contenait aucun motif de congédiement. La convention collective obligeait l’employeur d’informer la salariée, par écrit, et dans les cinq jours de la mesure, des raisons à l’origine de la sanction. La convention collective ne comportait pas une clause de déchéance au cas de non-respect de cette exigence, mais les termes et la technique de rédaction utilisés par les parties dans les dispositions pertinentes de la convention collective ne laissaient aucun doute, à mon avis, sur le caractère impératif des obligations faites à l’employeur lorsqu’il veut mettre fin à l’emploi d’un salarié. [26] Il existe toujours un certain flottement dans la jurisprudence arbitrale sur l’effet à donner aux clauses d’une convention collective qui oblige les parties à respecter certaines règles pour faire valoir leurs droits. Toutefois, je remarque que quelque soit la tendance des arbitres qui exigent [2] ou non [3] la présence d’une clause de déchéance pour faire perdre un droit à une partie, la convention collective utilise des termes impératifs comme doit ou devra, ce qui n’est pas le cas à l’article 20.01 de la présente convention collective. Les parties ont convenu d’avoir un échange dans les cas de dossiers disciplinaires, mais elles ne précisent ni la forme ni le temps des échanges. Le but de cet article n’est pas de faire perdre un droit s’il n’est pas respecté, mais plutôt d’aménager l’exercice de ce droit. Il m’apparaît toutefois clair que l’employeur a manqué à son obligation d’échanger avec le syndicat avant d’imposer la mesure disciplinaire et n’a pas fait preuve de transparence avec son partenaire en se présentant à la réunion avec une décision déjà prise. [27] Le texte de l’article 20.01 est loin de n’avoir qu’une fonction décorative à la convention collective, comme le souligne le procureur du syndicat. Les parties ont consacré à cet article le principe voulant que l’imposition d’une mesure disciplinaire ne peut poursuivre qu’un but punitif. Selon la deuxième phrase de l’article 20.01, la mesure disciplinaire doit avoir pour objectif d’aider l’employé à corriger son attitude, le tout dans une approche empreinte de respect, d’équité et de justice. Le but poursuivi par l’échange entre les parties est de veiller à ce que les objectifs que se sont donnés les parties en matière disciplinaire soient atteints. C’est aussi en vertu de ces principes d’équité, de respect et de justice que je devrai étudier la décision de l’employeur de suspendre pour deux journées M. Deslauriers et si cette mesure disciplinaire lui a été imposée dans l’objectif de l’aider à corriger son attitude et non uniquement pour le punir. Je rejette donc le moyen soulevé par le syndicat. Le fond du litige[28] Il s’agit de déterminer si le plaignant a fait preuve d’insouciance ou de négligence grave à l’occasion de l’accident de travail qu’il a subi le 2 décembre 2009. J’interviens en matière disciplinaire et il revient alors à l’employeur de démontrer la faute de M. Deslauriers. Le principal reproche formulé par l’employeur à M. Deslauriers est de ne pas avoir cadenassé la machine avant de monter sur celle-ci afin de vérifier ce qui n’allait pas. Le plaignant s’est penché sur le dessus de la machine et un doigt de métal l’a frappé à la tête l’obligeant ainsi à s’absenter du travail pour quelque temps. [29] Il faut prendre en compte toutes les circonstances de l’affaire afin de déterminer si une faute peut être retenue à l’égard de M. Deslauriers, et de sa gravité. J’ai compris du témoignage du plaignant que la production du papier à grain court, comme les opérateurs de la Pemco Will 2 le faisaient le 2 décembre, exige qu’ils effectuent du travail manuel. M. Deslauriers s’est aperçu d’un défaut de production et, comme il a l’habitude de le faire ainsi que les autres opérateurs, il monte sur la machine pour tenter de diagnostiquer le problème avant d’arrêter la production. Je souligne que des marches sont installées pour monter sur la machine et la preuve ne démontre pas que le simple fait de s’y rendre constitue en soi une manœuvre dangereuse. M. Deslauriers n’allait pas sur la machine pour pratiquer des réparations ou faire une intervention quelconque, mais tout simplement pour observer son fonctionnement. Il n’y a aucune preuve au dossier qui me permet de conclure que ce type d’intervention requiert de cadenasser la machine. [30] C’est lorsqu’il s’est penché à l’intérieur de la machine que le doigt de métal a percuté sa tête. M. Deslauriers affirme qu’il fait ce genre de manœuvre à tous les jours et la preuve non contredite apportée par les témoins Soucy, Gauthier et Forget démontre que ce type d’intervention sur cette machine n’est pas exceptionnel, mais constitue plutôt la règle. M. Deslauriers fait supporter son erreur à ses nouveaux verres de sécurité adaptés à sa vision, car il voyait embrouillé sur les côtés. Je retiens également que, contrairement à la Pemco Will 1, il n’y a pas de couvercle transparent qui y est fixé. La preuve a aussi démontré que, depuis l’acquisition de cette machine, le syndicat a fait des représentations afin qu’un couvercle transparent soit installé. Un bon de travail, en date du 4 décembre 2007, a été produit en preuve et demandait à ce qu’une feuille de plastique soit installée « au dessus de la Pemco avec Switch pour empêcher quelqu’un à mettre un membre dans la Pemco par dessus ». Il était donc à la connaissance de l’employeur que l’absence d’un couvercle sur cette machinerie constituait un risque réel d’accident. Je rappelle qu’en vertu de l’article 2 de la Loi sur la santé et sécurité au travail [4] , les dangers pour la santé et sécurité au travail doivent être éliminés à la source : « 2. La présente loi a pour objet l'élimination à la source même des dangers pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique des travailleurs. Elle établit les mécanismes de participation des travailleurs et de leurs associations, ainsi que des employeurs et de leurs associations à la réalisation de cet objet.» [31] Heureusement, la preuve administrée par les parties ne fait état que d’un seul accident de travail, celui du plaignant, survenu sur cette machine dans des circonstances qui pouvaient s’y ressembler. Ce n’est pas une raison pour ne pas avoir installé un couvercle transparent sur cette machine, mais il est compréhensible que les opérateurs ou ceux qui ont à intervenir sur cette machine aient développé au cours des années des habitudes de travail; des bonnes et, de toute évidence, des moins bonnes. Au nombre de fois au cours d’un quart de travail que les opérateurs se rendent sur le dessus de la machine pour effectuer des vérifications, l’employeur aurait sûrement réagi s’il considérait cette manœuvre en soi dangereuse. [32] C’est dans ce contexte qu’il me faut analyser le reproche formulé à M. Deslauriers. Ce que je comprends, c’est que le plaignant a agi selon les habitudes de travail qu’il avait développées lorsque survient un problème sur la machine, tout comme ses collègues opérateurs. Toutefois, le 2 décembre, il n’a pas prêté attention, a mal évalué la distance à cause de ses nouveaux verres correcteurs et un doigt de métal l’a frappé à la tête. Si un couvercle transparent avait été installé, comme l’avait demandé le syndicat depuis plusieurs années, cet accident ne serait pas survenu. [33] Le plaignant travaille à l’usine depuis 1994 et n’a aucun dossier disciplinaire. L’employeur ne lui formule pas le reproche de prendre à la légère les mesures de sécurité en vigueur à l’usine. Je partage l’avis émis par mes collègues, les arbitres Robert Choquette [5] et Diane Fortier [6] , à l’effet qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une formation pour savoir qu’il ne faut pas se mettre les doigts dans une presse qui roule à 400 pieds/minute, mais les circonstances des affaires soumises par le procureur de l’employeur sont loin de présenter des similitudes avec le grief dont je suis saisi. Il s’agissait de gestes intentionnels de la part des salariés. Ceux-ci s’étaient mis les mains dans la presse en mouvement, soit pour enlever un morceau d’encre ou pour replacer un bout de papier. Dans le cas de M. Deslauriers, il ne pratiquait pas une intervention de ce genre, il tentait de localiser le problème à l’origine du défaut de production, comme le faisaient tous ses collègues de travail. Dans ces circonstances, je ne peux qualifier le comportement du plaignant, le 2 décembre, de négligence grave ou d’insouciance. [34] L’article 20.01 de la convention collective prévoit que la mesure disciplinaire imposée au salarié doit avoir pour objet de réaliser qu’il doit corriger son attitude. Je ne vois pas en quoi il servirait d’imposer deux journées de suspension à M. Deslauriers pour un accident de travail qui aurait pu être évité si l’employeur avait installé, dès le départ, le couvercle transparent sur la machine. Je souligne que le couvercle transparent a été installé immédiatement après l’accident survenu le 2 décembre et avant même de remettre la machine en fonction. L’employeur a réalisé qu’il fallait éliminer à sa source le danger pour la santé et sécurité des travailleurs. L’employeur n’a donné aucune explication pour laquelle il avait tardé à installer ce couvercle, ni pourquoi il n’avait pas donné suite au bon de travail qui lui a été remis par M. Soucy au début de mois de décembre 2007. En conséquence, et par souci d’équité et de justice envers le plaignant et selon les objectifs poursuivis en matière disciplinaire tels que décrits à l’article 20.01 de la convention, je suis d’avis d’annuler la suspension qui lui a été imposée le 28 décembre 2009. DISPOSITIFPour les raisons qui précèdent, après avoir étudié la preuve, la jurisprudence et les autorités soumises par les parties, soupesé les arguments des procureurs et sur le tout délibéré, le tribunal : REJETTE l’objection formulée par le syndicat en vertu de l’article 20.01 de la convention collective; ACCUEILLE le grief et annule la suspension de deux journées imposée à M. Deslauriers le 28 décembre 2009; ORDONNE à l’employeur de verser à M. Deslauriers une indemnité équivalente aux pertes monétaires qu’il a encourues et autres avantages qu’il a perdus en raison de la suspension qu’il lui a imposée, le tout avec les intérêts prévus au Code du travail; RÉSERVE sa juridiction afin d’établir les sommes dues à M. Deslauriers à défaut d’entente entre les parties et sur la présentation d’une requête détaillée. |
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Auditions tenues à St-Jérôme les 19 décembre 2011 et 9 février 2012.
SA/193-12 |
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________________________________ __ Me Denis Provençal, arbitre
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[1]
[2]
Voir la sentence de Me André Sylvestre,
[3]
Médicar (9078-9975 Québec inc.) c. Syndicat des travailleuses et travailleurs
du transport adapté du Montréal métropolitain (Médicar) - CSN
[4] L.R.Q., chapitre S-2.1.
[5]
Emballages St-Jean ltée c. Métallurgistes unis d’Amérique, section locale 9414
(FTQ-CTC),
[6]
Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale
145, (FTQ), c. Emballages Winpack Heat Seal inc.,