Brasserie Labatt ltée

2012 QCCLP 2011

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saint-Hyacinthe

20 mars 2012

 

Région :

Chaudière-Appalaches

 

Dossier :

431419-03B-1102

 

Dossier CSST :

135398667

 

Commissaire :

Jean-Marc Dubois, juge administratif

 

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Brasserie Labatt ltée (La)

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

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DÉCISION

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[1]            Le 21 février 2011, La Brasserie Labatt du Canada ltée (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 14 février 2011 à la suite d’une révision administrative.

[2]            Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 2 novembre 2010 et déclare que la totalité du coût des prestations versées à monsieur Michel Beaudoin (le travailleur) en raison de la lésion professionnelle du 20 octobre 2009.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[3]            L’employeur réclame le transfert de la totalité des coûts reliés à la lésion professionnelle subie par le travailleur le 20 octobre 2009, pour la période du 23 décembre 2009 au 1 er mars 2010.

[4]            La représentante de l’employeur a renoncé à la tenue de l’audience prévue le 9 février 2012.

[5]            Elle consent à ce qu’une décision soit rendue sur la base du dossier constitué et demande à la Commission des lésions professionnelles de lui accorder un délai jusqu’au 2 mars 2012 pour soumettre ses représentations, ce qui lui a été consenti.

[6]            À la date consentie, la Commission des lésions professionnelles a reçu l’argumentation de la représentante de l’employeur ainsi que des pièces au soutien de ses prétentions.

[7]            La présente affaire a donc été prise en délibéré le 2 mars 2012.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[8]            La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’employeur a droit au transfert des coûts qu’il réclame.

[9]            L’employeur invoque le second alinéa de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [1] (la loi) qui énonce ce qui suit :

326.  La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

 

[10]         Cet article prévoit que la CSST peut imputer le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail aux employeurs d’une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsqu’une imputation au dossier d’expérience de l’employeur du travailleur victime de cet accident a pour effet de l’obérer injustement.

[11]         L’expression «  obérer injustement  » a fait l’objet de plusieurs interprétations depuis son introduction dans la loi.

[12]         Après avoir considéré les différents courants jurisprudentiels, le soussigné adhère à, l’interprétation proposée par le juge Tellier, dans l’affaire E.D.B Constructions [2] .

[13]         En effet, le juge Tellier indique qu’un employeur est «  obéré injustement  » lorsque l’imputation, à son dossier d’expérience, des coûts engendrés par une lésion professionnelle entraîne pour ce dernier un «  fardeau financier indûment ou injustement onéreux, compte tenu des circonstances  ». Une telle interprétation permet d’apprécier chaque cas à son mérite.

[14]         Par la suite, la Commission des lésions professionnelles a ainsi interprété l’expression « obérer injustement »

La Commission des lésions professionnelles ne croit pas que l’on doit interpréter le mot « obérer » contenu à l’article 326 par rapport à la situation financière de l’employeur pour considérer comme « obérant » une lourde charge financière, mais plutôt s’attarder au mot « obérer injustement » et considérer la justesse d’imputer ou non à l’employeur la somme en question. C’est ainsi que toute somme qui ne doit pas pour une question de justice être imputée à l’employeur l’obère injustement.

 

 

 

[15]         Le tribunal est d’avis que dans le présent dossier, l’employeur  a droit au transfert de coûts qu’il réclame pour les motifs ci-après exposés.

[16]         Le travailleur est victime d’un accident du travail le 20 octobre 2009 alors qu’il subit une entorse lombaire en descendant dans un escalier avec deux caisses de bières.

[17]         Le travailleur retourne au travail dès le lendemain en assignation temporaire tout en bénéficiant de traitements de physiothérapie.

[18]         Le 2 novembre 2009, le docteur Luc Lafranchise complète le formulaire « assignation temporaire » [3] couvrant la période du 20 octobre 2009 au 10 décembre 2009.

[19]         Le 9 décembre 2009, le diagnostic d’entorse lombaire est maintenu et sur son rapport médical, le docteur Lafranchise poursuit sa prescription de traitements de physiothérapie et l’affectation en « travaux légers ».

[20]         À compter du 23 décembre 2009, le travailleur est en arrêt de travail en raison d’une hernie ombilicale pour laquelle il sera opéré le 21 janvier 2010. Il ressort de l’ensemble les rapports médicaux qu’il s’agit d’une condition personnelle.

[21]         Le 15 février 2010, le docteur Lafranchise rapporte que le travailleur est en arrêt complet de travail jusqu’au 1 er mars 2010.

[22]         Dans ses notes évolutives, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST)  indique bien la nature personnelle de cette excroissance et il est également précisé que du 23 décembre 2009 au 1 er mars 2010, le travailleur a été en arrêt de travail pour une maladie intercurrente.

[23]         Le 1 er mars 2010, le docteur Lafranchise rapporte une amélioration des symptômes de l’entorse lombaire, précise qu’il y a un délai de 4 à 6 mois pour la réalisation d’une résonance magnétique déjà demandée et indique que le travailleur peut essayer de reprendre un travail léger.

[24]         Le 3 mars 2010, l’employeur  dépose à la CSST une demande  de transfert d’imputation des coûts pour la période pendant laquelle le travailleur a été en arrêt de travail pour sa hernie ombilicale.

[25]         Refusé en première instance, l’employeur a demandé une révision administrative le 30 novembre 2010 d’où la décision visée par la présente requête.

[26]         En révision administrative, la CSST analyse ainsi le bien-fondé de la demande de l’employeur:

[…]

 

Pour que l’employeur se voit accorder un transfert de l’imputation, il doit démontrer la cause et la date de l’arrêt du travail ainsi que la période correspondant à l’assignation temporaire prévue, soit la date de début et de fin de l’assignation temporaire. Le coût est significatif dans la mesure où l’interruption de l’assignation temporaire a duré plus de sept jours consécutifs à compter de la date d’interruption et que la période d’arrêt équivaut à au moins 20 % de la période totale où il y aurait dû avoir assignation.

 

Or, bien que le travailleur ait subi une maladie ou une blessure personnelle, soit une hernie ombilicale, nécessitant un arrêt de travail du 23 décembre 2009 au 1 er mars 2010, la Révision administrative constate que le travailleur n’était pas dans le cadre d’une assignation temporaire, tel que le prévoit la Loi. En effet, bien que le médecin qui a charge du travailleur autorise une assignation temporaire le 2 novembre 2009. En complétant le formulaire prévu à cet effet, la Révision administrative constate sur ce même document, que celle-ci prend fin le 10 décembre 2009. Par la suite, bien que le médecin recommande des travaux légers, il ne rempli aucun formulaire d’assignation temporaire. Ainsi, le travail assigné temporairement au travailleur, au moment de la survenance de sa lésion personnelle, n’était pas encadré par les dispositions prévues à la Loi. La Révision administrative rappelle également que des travaux légers ne constituent pas une assignation temporaire. Considérant cc qui précède, la Révision administrative estime donc que l’employeur n’a pas démontré que la condition médicale personnelle du travailleur a causé l’interruption d’une assignation temporaire

[ sic ]

 

[…]

 

 

[27]         En l’instance, la présence d’une maladie intercurrente ne fait pas de doute et elle n’est d’ailleurs pas contestée.

[28]         Le refus de la CSST repose essentiellement sur le fait qu’à compter du 10 décembre 2009, le travailleur n’était pas dans le cadre d’une assignation temporaire tel que le prévoit la loi à compter de cette date puisque son médecin n’a pas complété le formulaire prévu à cet effet à l’article 179 de la loi qui est à l’effet suivant :

179.  L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que :

 

1° le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;

 

2° ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et

 

3° ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.

 

Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.

__________

1985, c. 6, a. 179.

 

 

[29]         Depuis longtemps déjà, la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles a clairement établi que l’absence de formulaire officiel d’assignation temporaire n’est pas un obstacle à l’application de l’article 326 de la loi [4] .

[30]         Au soutien de ses prétentions, l’employeur a déposé une abondante jurisprudence à cet effet.

[31]          Le soussigné partage l’interprétation de l’article 179 de la loi proposée par ces décisions. En appliquant les principes établis par la jurisprudence, le tribunal doit s’assurer que le médecin qui autorise des travaux légers respecte les trois conditions d’application de l’article 179, ce qui est le cas en l’instance.

[32]          Pour la Commission des lésions professionnelles, malgré l’absence du formulaire prévu à cet effet, n’eût été de sa maladie intercurrente, le travailleur aurait été dûment affecté en assignation temporairement conformément à l’article 179 de la loi pendant la période du 23 décembre 2009 au 1 er mars 2010.

[33]         Par conséquent, l’employeur est obéré injustement du fait de cette interruption de l’assignation temporaire en raison de la maladie personnelle du travailleur puisqu’elle a eu pour effet de l’empêcher de l’affecter en assignation temporaire.

[34]         Dans les circonstances, l’employeur a droit à un transfert de coûts pour la période qu’il réclame.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de l'employeur la Brasserie Labatt ltée;

INFIRME Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 14 février 2011 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que pour la période du 23 décembre 2009 au 1 er mars 2010, l’employeur a droit à un transfert complet des coûts reliés à la lésion professionnelle subie par monsieur Michel Beaudoin le 20 octobre 2009.

 

 

 

Jean-Marc Dubois

 

 

Me Isabelle Gosselin

Brasserie Labatt (contentieux)

Représentante de la partie requérante

 



[1]           L.R.Q. c.A-3.001 .

[2]           [1995] C.A.L.P. 1911 , appel accueilli à la Cour d’appel (500-09-001634-955).

[3]           Voir page 20 du dossier.

[4]           (Voir notamment) Transylve Inc. et Lavictoire, 2008 QCCCLP 168; Brisebois et Volailles Grenville inc; Bourassa et Hydro-Québec , 111311-04-9903 , 00-09-22, M. Carignan; Ville de Laval et Lalond e, 22936-61-9011 , 91-06-20, J.-M. Duranceau, (J3-13-18); Manning et Premier horticulture ltée , CLP 181536-09-2003-03-10; Ville de Laval et Lalonde , C.A.L.P. 22936-61-9011 , 20 juin 1991, M. Duranceau; Bourassa et Hydro-Québec , C.L.P. 111311-04-9903 , 22 septembre 2000, M. Carignan. ;   CSSS de la Côte de Gaspé , 316188-01B-0704, 30 août 2007, J.-F. Clément; Hôpital Laval et CSST , 76351-03-9601 , 10 octobre 1997, B. Roy; Collège Notre-Dame de l’assomption , 126608-04B-9911, 24 mai 2000.