Leblanc et RTC Garage |
2012 QCCLP 2139 |
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[1] Le 23 septembre 2010, monsieur Gilles Leblanc (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 13 septembre 2010, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST déclare irrecevable la demande de révision du travailleur, datée du 13 avril 2010, déposée à l’encontre d’avis de paiement portant sur la réduction de l’indemnité de remplacement du revenu de 25 % et daté du 5 novembre 2009.
[3] Une audience est prévue à Québec, le 19 mars 2012. Dans une lettre datée du 5 janvier 2012, le représentant du travailleur informe la Commission des lésions professionnelles de son absence à l’audience et demande qu’une décision soit rendue à partir des éléments contenus au dossier. Le 16 mars 2012, la CSST informe également la Commission des lésions professionnelles de son absence à l’audience et soumet une argumentation écrite. L’avocat de R.T.C. Garage (l’employeur) a informé la Commission des lésions professionnelles de son absence à l’audience. La cause est prise en délibéré en date du 19 mars 2012.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4]
Par sa contestation, le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer recevable sa demande de révision datée du
13 avril 2010 à l’encontre de l’avis de paiement confirmant la réduction de son
indemnité de remplacement du revenu de l’ordre de 25 % en vertu de
l’article
LES FAITS
[5] Le 22 août 1997, le travailleur subit un accident du travail au dos. Le 11 décembre 1997, il subit une discoïdectomie au niveau L5-S1.
[6] Ayant conservé une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles à la suite de cette lésion professionnelle, le travailleur a droit à la réadaptation.
[7] Le 1 er août 2000, la CSST rend une décision par laquelle elle détermine un emploi convenable de mécanicien d’atelier. Comme l’emploi est disponible et que le travailleur subira une baisse de revenu, la CSST détermine également qu’il a droit à une indemnité réduite de remplacement du revenu.
[8] Le 22 juillet 2002, la CSST révise l’indemnité réduite de remplacement du revenu que reçoit le travailleur compte tenu qu’il tire un revenu brut annuel supérieur à celui évalué pour l’emploi convenable. Le 15 août 2002, le travailleur conteste cette décision. Dans sa lettre de contestation, le travailleur mentionne ne pas comprendre la baisse de son indemnité de remplacement du revenu, car il n’a pas travaillé depuis sa retraite, soit le 10 août 2000. Il ajoute également que son employeur, son avocat et la CSST lui avaient dit qu’il avait droit à cette rente jusqu’à l’âge de 65 ans avec des réductions de 25 %, durant les trois dernières années.
[9] Le 11 septembre 2002, la CSST reconsidère sa décision du 22 juillet 2002 et informe le travailleur que son indemnité réduite de remplacement du revenu n’est pas modifiée.
[10]
Le 29 septembre 2005, la CSST informe le travailleur que son indemnité
réduite de remplacement du revenu n’est pas révisée en vertu de l’article
[11] Le 30 octobre 2009, le travailleur atteint l’âge de 65 ans.
[12] Le travailleur reçoit un avis de paiement daté du 5 novembre 2009 sur lequel il est mentionné que son indemnité de remplacement du revenu est réduite de 25 % en fonction de son âge.
[13] Le 13 avril 2010, le travailleur écrit une lettre par laquelle il demande la révision de l’avis de paiement de la CSST daté du 5 novembre 2009 alléguant son caractère discriminatoire en fonction de son âge.
[14] Le 13 septembre 2010, la CSST rend la décision à la suite d’une révision administrative. Elle déclare irrecevable la demande de révision du travailleur du 13 avril 2010 essentiellement au motif qu’elle a été produite en dehors du délai de 30 jours prévu à la loi et qu’aucun motif raisonnable n’a été démontré pour lui permettre d’être relevé de son défaut de l’avoir respecté.
[15] La CSST retient ce qui suit :
La loi prévoit que le travailleur peut être relevé des conséquences de son défaut de respecter le délai s’il démontre que la demande de révision n’a pu être faite dans le délai prévu, et ce, pour un motif raisonnable.
Dans ses observations à la Révision administrative, le représentant du travailleur soumet que l’article
Il soulève par ailleurs que le travailleur n’est que très
légèrement en retard pour soumettre sa demande de révision. Il mentionne
que ce dernier a agi avec diligence en présentant sa demande de révision
dans un délai raisonnable à partir du moment où il a appris qu’il avait
été mal informé de ses droits par la Commission et par la loi. Il tient à souligner que jusqu’à maintenant, la jurisprudence regarde la diligence
avec laquelle une partie a agi pour savoir s’il s’agit d’un motif
raisonnable. Le travailleur ne pouvait pas savoir avant la décision
rendue par la CLP le 16 mars 2010, que la façon de faire de la Commission et que l’article
Les motifs invoqués ne sont pas, de l’avis de la Révision administrative, des motifs raisonnables permettant de relever le travailleur des conséquences de ne pas avoir soumis sa demande de révision dans le délai. Le travailleur avait un délai de 30 jours pour contester la décision qui a réduit ses indemnités de 25 %. Or, plus de 5 mois se sont écoulés sans qu’il ne pose aucun geste depuis la décision rendue le 5 novembre 2009. Le travailleur n’a pas fait preuve de diligence dans la conduite de son dossier.
[16] C’est cette décision qui fait l’objet du présent litige.
L’AVIS DES MEMBRES
[17] La membre issue des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs sont d’avis que la demande de révision du travailleur est irrecevable. Ils retiennent que la demande de révision du 13 avril 2010, à l’encontre de l’avis de paiement du 5 novembre 2009, n’est pas recevable puisqu’elle a été déposée en dehors du délai de 30 jours prévu à la loi et que le travailleur n’a pas fait valoir de motif raisonnable pour être relevé de son défaut.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[18] La Commission des lésions professionnelles doit décider de la recevabilité de la demande de révision du travailleur, datée du 13 avril 2010.
[19]
Les articles
358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.
Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365 .
Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2 ni du refus de la Commission de renoncer à un intérêt, une pénalité ou des frais ou d'annuler un intérêt, une pénalité ou des frais en vertu de l'article 323.1 .
Une personne ne peut demander la révision du taux provisoire fixé par la Commission en vertu de l'article 315.2 .
__________
1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14; 2006, c. 53, a. 26.
358.2. La Commission peut prolonger le délai prévu à l'article 358 ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que la demande de révision n'a pu être faite dans le délai prescrit pour un motif raisonnable.
__________
1997, c. 27, a. 15.
[20]
Dans le présent dossier, par sa demande de révision du 13 avril 2010, le
travailleur indique qu’il conteste l’avis de paiement du 5 novembre 2009. La CSST reconnaît que cet avis de paiement peut constituer une décision rendue en vertu de
l’article
[21]
La Commission des lésions professionnelles constate que la demande de
révision du 13 avril 2010, logée à l’encontre de cet avis de paiement du 5
novembre 2009, est déposée en dehors du délai de 30 jours prévu à l’article
[22] Elle doit donc déterminer si le travailleur a démontré un motif raisonnable pour être relevé de son défaut de l’avoir respecté.
[23] Or, d’une part, n’étant pas présent à l’audience, il ne fait valoir aucun motif à cet égard.
[24]
Dans le cadre de l’analyse de la demande de révision, la CSST rapporte que le travailleur invoque comme motif raisonnable le fait d’avoir pris
connaissance d’une décision rendue par une instance d’appel dans une autre
cause ayant rendu inopérant l’article
[25] Tel que le souligne la CSST dans le cadre de son argumentation, il s’agit manifestement de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Côté et Traverse Rivière-du-Loup St-Siméon et als [2] . En effet, ce motif a été invoqué par différents travailleurs, dans des cas similaires où la Commission des lésions professionnelles était appelée à trancher les mêmes questions que celles soulevées en l’espèce.
[26]
Sur cette question, le tribunal concourt entièrement aux propos retenus
notamment par le juge administratif Napert dans l’affaire
Lavoie
et
Procureur
Général du Québec
et
Leblanc inc
.
[3]
qui, sur un litige
impliquant des faits similaires, a conclu qu’un tel motif ne pouvait
correspondre à un motif raisonnable au sens de l’article
[57] Dans plusieurs affaires, le tribunal a circonscrit la notion de motif raisonnable. Dans le cadre de son appréciation de cette notion, le tribunal doit considérer un ensemble de facteurs susceptibles d’indiquer, à partir des faits, des démarches, des comportements, de la conjoncture et des circonstances, si une personne a un motif non farfelu, crédible, faisant preuve de bon sens, de mesure et de réflexion 8 .
[58] En l’espèce, le travailleur soumet que les arguments relatifs à la discrimination fondée sur l’âge reconnu par la Commission des lésions professionnelles dans la l’affaire Côté et Traverse Rivière-du-Loup St-Siméon précitée ne lui étaient pas connus avant la publication d’un article du journal le Soleil.
[59] Il estime avoir fait diligence dès la prise de
connaissance des éléments qui y sont contenus. Il est d’avis qu’il ne saurait
être empêché de bénéficier de l’application de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles en mars 2010. Il prétend qu’il serait injuste pour
lui de ne pas pouvoir conserver ses pleines indemnités de remplacement du
revenu, alors que l’article
[60] Le travailleur allègue au surplus qu’il s‘est fié aux représentants de la CSST dans l’interprétation et l’application de la disposition en cause. Ainsi, vu les conclusions de la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Côté précitée, il estime qu’il a été induit en erreur par les préposés de la CSST.
[61] Le tribunal estime que les éléments soumis par le
travailleur pour être relevé de son défaut ne constituent pas un motif
raisonnable au sens de l’article
[62] En effet, conformément aux principes mis de l’avant en matière constitutionnelle par la Cour Suprême du Canada 9 , la personne qui a fait l’objet d’une décision ou d’une ordonnance prononcée en vertu d’une disposition législative subséquemment déclarée inopérante, ne peut remettre en cause la décision ou l’ordonnance fondée sur cette disposition que si elle l’a elle-même contesté en temps utile, par les moyens procéduraux appropriés, et que la cause est toujours en cours.
[63] En l’espèce, le tribunal estime que le travailleur ne rencontre pas les conditions imposées par la Cour suprême pour la réouverture de son dossier déjà traité, et ce, même si la disposition législative, sur laquelle se fonde la CSST pour rendre sa décision, devait subséquemment être déclarée inopérante par les tribunaux supérieurs, parce que contraire aux chartes.
[64] En outre, au moment où le dossier du travailleur a fait l’objet d’une décision finale, le travailleur était en mesure de faire valoir les droits qu’il tente de faire valoir aujourd’hui, les manifestations de la discrimination alléguée étant toutes aussi présentes à l’époque qu’aujourd’hui et les dispositions des Chartes sur lesquelles il entend baser ses moyens étant également en vigueur 10 .
[65] Conséquemment, la volonté de soumettre une nouvelle argumentation juridique ne saurait constituer un motif raisonnable pour relever le travailleur de son défaut d’avoir contesté dans le délai légal une décision administrative qui a acquis un caractère final et irrévocable.
[66] D’ailleurs, comme en a décidé ma collègue Jobidon dans les affaires Girard et Cyr précitées 11 , la jurisprudence nous enseigne qu’une nouvelle interprétation jurisprudentielle ne constitue pas un motif justifiant la révision d’une décision finale et sans appel de la Commission des lésions professionnelles ou de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles.
[67] Comme le souligne ma collègue, toute interprétation contraire aurait pour effet de porter atteinte au principe de la stabilité des décisions. Le soussigné estime qu’il en va de même à l’égard d’une décision finale et irrévocable de la CSST. Ma collègue écrit ce qui suit :
[54] Il est facile d’imaginer de nombreuses situations où le principe de la stabilité des décisions vient directement protéger la sécurité des justiciables.
[55] S’il fallait qu’une modification apportée par le législateur à une règle de droit, ou qu’une nuance apportée par le tribunal à l’application d’une disposition de la loi, active des droits de contestation de décisions qui ont acquis un caractère final et irrévocable, la sécurité et la stabilité des rapports sociaux et le fonctionnement même de l’appareil judiciaire et quasi judiciaire se retrouveraient de toute évidence en péril.
[56] Ce raisonnement est valable même si la décision qui a servi de « bougie d’allumage » met en cause le caractère inconstitutionnel d’un article de loi qui a servi, dans le passé, à disposer des droits du travailleur.
[68] Par ailleurs, le tribunal estime que le travailleur ne peut prétendre que la CSST l’a induit en erreur en appliquant les articles 56 et 57 au moment où la décision a été rendue en 1997.
[69] D’une part, le travailleur n’allègue pas de mauvaise foi, d’intention de tromper ou de conduites empreintes d’intention malicieuse à son égard. De plus, aucune preuve n’existe à cet effet.
[70] D’autre part, la CSST est un organisme public chargé d’administrer une loi d’ordre public. En tant que fiduciaire du Fonds de la santé et de la sécurité du travail constitué par le législateur, elle est tenue d’appliquer les lois en vigueur dont elle a la responsabilité, tant que celles-ci ne sont pas déclarées invalides ou inapplicables.
[71] Ainsi, en l’espèce, le tribunal estime que la CSST a exercé ses pouvoirs de bonne foi et a respecté les règles de droit applicables, eu égard à l’état du droit existant à ce moment.
[72] Vu l’ensemble de ces éléments, le tribunal estime
que le travailleur n’a pas démontré de motif raisonnable pour être relevé de
son défaut d’avoir contesté la réduction de ses indemnités de remplacement du
revenu effectuée conformément à l’article
__________________
8
Voir notamment l’affaire :
Purolator
et
Langlais
, C.A.L.P.
9
R.
c.
Wigman
,
10
Ravndahl
c.
Saskatchewan
,
11 Précitées note 6.
[27] Ainsi, pour les mêmes raisons que celles retenues dans l’affaire Lavoie , la Commission des lésions professionnelles estime que le travailleur n’a démontré aucun motif raisonnable pour être relevé de son défaut d’avoir demandé la révision de l’avis de paiement du 5 novembre 2009 dans les délais requis à la loi.
[28]
Il y a lieu de souligner que, depuis l’affaire précitée
Côté
et
Traverse
Rivière-du-Loup St-Siméon
et
als,
la Commission des lésions professionnelles a été appelée à se prononcer à plusieurs reprises sur
la recevabilité de demandes de révision logées hors délai à l’encontre de
décisions ou d’avis de paiement relatifs à l’application de l’article
[29]
Or, de façon constante, la Commission des lésions professionnelles a
retenu la même position que celle adoptée dans les affaires
Lavoie
et
Procureur
général du Québec
et
Leblanc inc.
[4]
ou
Girard
et
C.S.N.
Employeur et Procureur général du Québec
[5]
. Ainsi,
généralement dans ces décisions
[6]
, la Commission des lésions professionnelles retient essentiellement que la prise de connaissance
d’une nouvelle jurisprudence sur l’article
[30] Pour toutes ces raisons, la Commission des lésions professionnelles conclut que la demande de révision logée à l’encontre de l’avis de paiement daté du 5 novembre 2009, est irrecevable.
[31] Étant donné la conclusion à laquelle en vient le tribunal sur l’objet du litige, il serait académique de statuer sur le moyen préliminaire soulevé par la CSST relativement à la question de l’avis au Procureur général du Québec.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de monsieur Gilles Leblanc, le travailleur;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 13 septembre 2010, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE irrecevable la demande de révision du travailleur datée du 13 avril 2010.
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2]
C.L.P.
[3]
C.L.P.
[4] Précitée note 3.
[5]
Girard
et
CSN Employeur et PGQ
, C.L.P.
[6]
Voir notamment :
Vallée
et
PGQ
,