Chantiers Chibougamau ltée

2012 QCCLP 2178

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saguenay

23 mars 2012

 

Région :

Saguenay-Lac-Saint-Jean

 

Dossier :

459961-02-1201

 

Dossier CSST :

132670373

 

Commissaire :

Jean Grégoire, juge administratif

 

 

Assesseur :

Yves Landry, médecin

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Chantiers Chibougamau limitée

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

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DÉCISION

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[1]            Le 19 janvier 2012, Chantiers Chibougamau limitée (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 13 janvier 2012 à la suite d’une révision administrative.

[2]            Par cette décision, la CSST confirme une première décision qu’elle a rendue le 24 octobre 2011 et déclare qu’en fonction de l’article 329 de Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [1] (la loi) , 15 % du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par monsieur Réjean Marcoux (le travailleur) le 5 juin 2008 doit être imputé au dossier financier de l’employeur et 85 % du coût doit être imputé à l’ensemble des employeurs.

[3]            Dans le présent dossier, la représentante de l’employeur a renoncé à la tenue d’une audience et elle a fait parvenir au tribunal une argumentation écrite au soutien de ses prétentions.

[4]            La cause fut prise en délibéré le 14 mars 2012, date à laquelle le dossier a été assigné au soussigné.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[5]            L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il ne doit supporter que 10 % des coûts engendrés par la lésion professionnelle subie par le travailleur le 5 juin 2008, et ce, en vertu des dispositions de l’article 329 de la loi. Il est à noter que l’employeur ne remet pas en cause l’existence d’un handicap chez le travailleur ni le fait que ce handicap a prolongé la période de consolidation de la lésion.

LES FAITS

[6]            De la preuve documentaire, le tribunal retient notamment ce qui suit.

[7]            Alors âgé de 53 ans, le travailleur occupait, en 2008, un emploi d’opérateur de pont roulant chez l’employeur.

[8]            Le 5 juin 2008, le travailleur est victime d’un accident du travail lorsqu’en passant sous une remorque, il se relève trop rapidement et se cogne la tête. Bien qu’il portait un casque de sécurité, le travailleur subit un impact au niveau de la colonne cervicale et il tombe au sol sur les fesses. Après quelques secondes de repos, il se relève et poursuit son travail habituel.

[9]            Dans les minutes qui suivent, une cervicalgie est apparue ainsi qu’une céphalée occipitale. Vers 11 h 45, le travailleur cesse son travail et se rend à l’hôpital pour consulter un médecin. Il rencontre alors la docteure Hélène Guillemette qui demande qu’une radiographie de la colonne cervicale soit effectuée. Selon la radiologiste, Marie-Claude Miron, cet examen a révélé ce qui suit :

On note une rectitude du segment cervical supérieure puis une accentuation de la lordose à partir de C4-C5. Pincement modéré C3-C4, marqué C4-C5, C5-C6 et C6-C7 avec ostéophytose. Il semble y avoir de l’uncarthrose également en C6-C7 mais je n’ai pas de cliché oblique pour bien dégager les trous de conjugaison. Discret listhésis de C3 sur C4, rétrolisthésis de C4 sur C5, C5 sur C6 vraisemblablement sur un base dégénérative. [ sic ]

 

 

[10]         Le même jour, une tomodensitométrie cervicale est également effectuée et révèle ce qui suit :

Étude réalisée en hélicoïdal avec reconstructions sagitale et coronale. Aucune évidence de fracture ni de subluxation. Discarthrose modérément sévère C4-C5 surtout avec protrusions ostéophytiques postérieures qui occasionnent un canal spinal limites inférieures de la normale à 10 mm. Par ailleurs, ostéophytes à partir d’arthrose uncovertébrale en C5-C6 bilatéralement qui rétrécissent légèrement des trous de conjugaison. Il y a aussi en C6-C7 protusion ostéophytiques du côté gauche qui rétréci le trou de conjugaison également mais de façon non sévère. Il y a aussi en C5-C6 un débordement discal postérieur avec possiblement une petite composante de hernie centrale sans effet de masse significatif. Les tissus mous pré-cervicaux révèlent la présence de calcifications athéromateuses non sévères carotidiennes.

 

Opinion :

 

Aucune fracture ni de sub-luxation. Ostéophyte en postérieur de l’interligne C4-C5 qui rétrécissent le canal spinal qui est à la limite inférieure. Sténose foraminale C5-C6 bilatéralement et C6-C7 gauche, le tout non sévère. Hernie discale C5-C6 sans effet de masse important. [ sic ]

 

[11]         À la suite de ces examens, des diagnostics d’entorse cervicale et de hernie discale C5-C6 sont posés par la docteure Guillemette et un arrêt de travail est recommandé.  Dans ces notes de consultation, la docteure Guillemette écrit notamment que le travailleur présente une condition de dyspepsie et lui recommande des traitements de physiothérapie.

[12]         Dans les mois qui suivent, le travailleur fait l’objet d’un suivi médical régulier. Des diagnostics d’entorse cervicale et de hernie discale sont alors maintenus. 

[13]         Pour des raisons qui n’apparaissent pas au dossier, ce n’est que le 3 novembre 2008 que le travailleur débute ses traitements de physiothérapie.

[14]         Le 7 novembre 2008, le travailleur rencontre le docteur Bernard Séguin (chirurgien orthopédiste).  À la suite de son examen clinique du travailleur, qui s’est avéré normal mais avec présence de malaises lors de certains mouvements cervicaux, le docteur Séguin considère que la lésion cervicale est consolidée en date du 6 novembre 2008, et ce, sans séquelle permanente ni limitation fonctionnelle.

[15]         Relativement au diagnostic à retenir en lien avec l’événement du 5 juin 2008, le docteur Séguin fait les commentaires suivants :

À la suite de l’étude du dossier et pièces médicales justificatives s’y trouvant, après questionnaire et examen de ce patient, il est plausible et acceptable que lors de l’événement du 5 juin 2008, il se soit infligé une contusion crânienne avec entorse cervicale mais à notre avis, il n’y a aucune corrélation clinico-radiologique en regard du diagnostic de hernie discale cervicale ou de diagnostic de tendinite du sus-épineux. Le patient n’a aucun signe objectif de hernie discale ni de tendinite du sus-épineux en date d’aujourd’hui. [ sic ]

 

 

[16]         Le 16 décembre 2008, la docteure Line Faucher complète un rapport complémentaire dans lequel elle écrit que le diagnostic de hernie discale n’a pas de corrélation clinique. Elle maintient cependant le diagnostic d’entorse cervicale et demande qu’une étude électromyographique (EMG) soit réalisée en raison de la présence intermittente de paresthésie aux membres supérieurs. Bien que les résultats de cet examen ne se retrouvent pas au dossier du tribunal, il est rapporté par différents médecins évaluateurs que cet examen a révélé la présence d’un léger tunnel carpien gauche.

[17]         Le 30 janvier 2009, le travailleur rencontre le docteur Hans McLelland du Bureau d’évaluation médicale.  Dans son rapport, le médecin écrit que le travailleur demeure avec une cervicalgie qui nécessite la prise d’anti-inflammatoires. Il ajoute que cette médication prend environ une heure avant de faire effet. À la suite de son examen clinique du travailleur, qui s’est avéré dans les limites de la normale, le docteur McLelland retient uniquement le diagnostic d’entorse cervicale et écrit les commentaires suivants :

Le fait de se percuter la tête en se relevant d’une position semi-accroupie et amenant le travailleur à une brève perte de connaissance apparaît suffisant pour avoir causé une entorse cervicale ou un traumatisme crânio-cérébral. Avant l’événement, il n’a jamais souffert de cervicalgie. L’investigation a démontré la présence d’arthrose cervicale multi-étagée et d’hernie discale sur le scan cervical.. Cependant, les symptômes d’irradiation au membre supérieur gauche du patient ont toujours été intermittents, non augmentés par les manœuvres de Valsalva sans atteinte neurologique associée ne permettant pas de retenir le diagnostic d’hernie discale cervicale sur le plan clinique. A noter la présence d'un électromyogramme dans les limites de la normale outre la présence d'un syndrome du tunnel carpien.

 

Les vertiges ressentis par la suite peuvent être en lien avec une légère contusion labyrinthique résultant d’un impact significatif. C’est pour ces raisons, le médecin qui a charge et le médecin désigné partagent le même point de vue en retenant le diagnostic d’entorse cervicale. Je partage leur point de vue.

 

En ce qui a trait aux engourdissements aux membres supérieurs il est possible que l’entorse cervicale ait révélé une arthrose cervicale et/ou syndrome facettaire cervical avec irradiation intermittente aux membres supérieurs. A la limite, une partie des engourdissements pourrait s’expliquer par ce léger syndrome du tunnel carpien à gauche. [ sic ]

 

 

[18]         C’est ainsi que le docteur McLelland conclut son rapport en établissant la date de consolidation de l’entorse cervicale au 30 janvier 2009, avec suffisance des soins et des traitements à cette date. De plus, aucune séquelle permanente ni limitation fonctionnelle ne sont reconnues par ce médecin.

[19]         Le 28 septembre 2011, le docteur Alain Neveu produit un rapport d’expertise médicale relativement à la présence d’un handicap préexistant chez le travailleur et de son impact sur les conséquences de la lésion professionnelle qu’il a subie. À la suite de l’étude du dossier médico-administratif, le docteur Neveu émet l’opinion suivante :

Monsieur Marcoux a subi un coup sur le dessus de la tête qui est susceptible de produire une entorse cervicale.

 

Cependant, dès le premier jour, le tableau clinique était plus marqué que celui d’une entorse cervicale banale, amenant le médecin traitant à prescrire d’emblée des examens de tomographie axiale de la colonne cervicale, ce qui a démontré la présence d'une discopathie dégénérative modérée, mais plus marquée que ce à quoi on s’attend chez un homme en début cinquantaine, en particulier à cause des ostéophytes multiétagés, entraînant des sténoses foraminales.

 

Cette entorse cervicale a donc produit une réaction inflammatoire qui a rendu symptomatiques les sténoses foraminales, avec des symptômes d’irradiation, en particulier au membre supérieur gauche.

 

Ces images de sténose foraminale pour un homme de 53 ans dépassent donc ce à quoi l’on s’attend habituellement pour cet âge, les ostéophytes ne devant être considérés comme faisant partie d’une dégénérescence plus usuelle que chez les gens de 60 ans et plus.

 

Ce vieillissement prématuré des tissus est sans aucun doute en relation avec les problèmes circulatoires de monsieur, associé à son diabète de type II évoluant depuis quelques années, associé aussi à un infarctus du myocarde survenu 10 ans avant cet accident, et également démontré par la présence de calcifications aux artères carotides décrites sur le rapport de la tomographie axiale de la colonne. Ces maladies circulatoires et métaboliques sont évidemment des conditions anormales, quel que soit l’âge.

 

Au total, la période de consolidation s’est échelonnée sur près de 8 mois. Une entorse cervicale associée à une contusion sur le dessus de la tête, donc sans un mouvement marqué de flexion et extension rapidement, donc sans qu’il y ait de « cou de lapin », aurait dû se consolider au maximum dans une période de 2 à 3 semaines, temps normal pour une réaction inflammatoire minime à modérée associée à cet impact.

 

Or, dans le présent dossier, cet impact a avant tout provoqué une réaction inflammatoire au niveau des facettes articulaires de la colonne cervicale, réaction qui a rendu symptomatiques les sténoses foraminales bien décrites à l’examen d’imagerie. Ce sont ces réactions foraminales, avec les symptômes au niveau des épaules et du membre supérieur gauche, qui ont occasionné une longue durée de consolidation.

 

Je souligne aussi que la dyspepsie que présentait déjà monsieur, qui a rendu contre-indiqué l’usage d’anti-inflammatoires, a aussi contribué à prolonger indûment la période de consolidation, puisque la réaction inflammatoire a persisté plus longtemps, sans l’aide de médication pour la contrôler.

 

Le dernier élément à souligner est le retard de 4 mois avant que les traitements de physiothérapie ne soient entrepris, chez un homme qui demeurait souffrant et qui ne pouvait avoir une médication appropriée pour le soulager, de sorte que le fonctionnement inadéquat du système de santé pour lui procurer des traitements de physiothérapie rapidement, a aussi contribué à allonger la période de consolidation.

 

Au total, on retrouve donc d’abord et avant tout des conditions préexistantes qui se sont superposées pour, d’une part rendre plus grave la lésion de l’impact effectué en vertical sur les facettes articulaires, et d’autre part, prolonger le processus inflammatoire et allonger donc la consolidation de manière très significative. [ sic ]

 

[nos soulignements]

 

[20]         Le 7 octobre 2011, sur la base de cette opinion médicale du docteur Neveu, l’employeur dépose à la CSST une demande de partage de coût en vertu de l’article 329 de la loi.

[21]         Le 24 octobre 2011, la CSST rend une décision par laquelle elle reconnaît que le travailleur présentait un handicap préexistant et que celui-ci a prolongé la période de consolidation de la lésion professionnelle. Un partage de coût de l’ordre de 15 % au dossier financier de l’employeur et de 85 % à l’ensemble des employeurs est donc accordé par la CSST. Selon les notes évolutives au dossier du tribunal, il appert que c’est la présence d’une condition dégénérative multi-étagée cervicale que la CSST a considéré à titre d’handicap au sens de la loi. De plus, on peut constater que la CSST a établi le pourcentage de 15 % en appliquant la  Table des conséquences moyennes des lésions professionnelles les plus fréquentes en termes de durée de consolidation [2] , politique administrative habituellement utilisée par la CSST et qui prévoit, pour une entorse cervicale, une période de consolidation de cinq semaines.

[22]         Le 13 janvier 2012, à la suite d’une révision administrative, la CSST confirme la décision qu’elle a rendue le 24 octobre 2011.

[23]         Le 19 janvier 2012, l’employeur conteste à la Commission des lésions professionnelles, la décision rendue par la CSST le 13 janvier 2012, d’où le présent litige.

LES MOTIFS

[24]         La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’employeur a droit au partage de coût qu’il réclame.

[25]         À ce propos, il est pertinent de reproduire l’article 329 de la loi qui prévoit que :

329.  Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.

 

 

[26]         En l’espèce, dans ces décisions des 24 octobre 2011 et 13 janvier 2012, la CSST a reconnu, à juste titre selon la preuve médicale au dossier, que le travailleur présentait antérieurement à la lésion professionnelle du 5 juin 2008, une déficience prenant la forme d’une discopathie dégénérative cervicale multi-étagée.

[27]         La CSST a également reconnu que cette déficience a eu une incidence sur les conséquences de la lésion professionnelle subie par le travailleur en prolongeant la durée de la période de consolidation de cette lésion.  C’est spécifiquement et uniquement pour ce motif qu’elle a décidé de transférer à l’ensemble des employeurs, 85 % des coûts de la lésion professionnelle subie par le travailleur. Comme mentionné précédemment, ce pourcentage a été établi en fonction de la Table des conséquences moyennes des lésions professionnelles les plus fréquentes en termes de durée de consolidation [3] , politique administrative habituellement utilisée par la CSST lors d’une demande de partage de coût en vertu de l’article 329 de la loi et qui prévoit qu’une entorse cervicale se consolide dans une période de cinq semaines. Or, bien que le tribunal puisse référer à cette politique administrative de la CSST, la jurisprudence a déjà établi que la Commission des lésions professionnelles n’est pas liée par celle-ci et que les circonstances particulières de chaque dossier doivent être prises en considération par le tribunal, afin d’établir le pourcentage de coût qui doit être imputé au dossier financier d’un employeur.

[28]         À ce propos, il est pertinent de reproduire l’extrait suivant de la décision rendue dans l’affaire Plaisirs gastronomiques et Lefebvre [4] où l’on peut lire que :

[34]      Il ressort de la note médicale du médecin régional de la CSST à laquelle fait référence la CSST dans la décision en litige, par ailleurs, que les conditions dégénératives préexistantes présentées par la travailleuse semblent avoir été aggravées par le fait accidentel, d'où l'approbation du partage dans une proportion de 85 % pour l'ensemble des employeurs et 15 % pour l'employeur en cause.  Ce partage a été évalué en tenant compte de la période de consolidation observée en l'instance par rapport à la période normale de consolidation pour ce type de lésion.

 

[35]      Or, la soussignée ne retient pas ce calcul puisqu’il s'avère essentiel de ne pas limiter l'analyse de l'impact du handicap sur la production et sur les conséquences de la lésion professionnelle à un calcul mathématique uniforme ou à l'application rigoureuse des politiques de la CSST en cette matière, par lesquelles, d'ailleurs, la Commission des lésions professionnelles n'est aucunement liée. [ sic ]

 

[29]         Au même effet, le tribunal soulignait dans l’affaire Boisclair et fils [5] que :

[25]      Dans sa décision rendue en révision administrative, la CSST s’appuie sur une règle mathématique à l’effet qu’une période moyenne de consolidation pour une hernie discale est de 126 jours alors que la période de consolidation observée au dossier est de 575 jours, estimant alors bien-fondé d’accorder un partage de coûts reliés à la lésion professionnelle tel que retenu.

 

[26]      Soulignons que la Commission des lésions professionnelles n’est aucunement liée, comme le souligne la jurisprudence 4 , par les règles comptables retenues par la CSST et que l’exercice de sa discrétion doit tenir compte des circonstances particulières de chaque dossier.

_________________________

4            Plaisirs gastronomiques inc et Lefebvre , C.L.P. 144752-64-0008 , 29 mars 2001, M. Montplaisir ;  Transport Idéal Inc. , C.L.P. 154373-32-0101 , 18 juillet 2001, M.-A. Jobidon.  [ sic ]

 

[30]         De plus, comme l’a également reconnu à maintes reprises la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles, la durée de la période de consolidation d’une lésion n’est pas le seul critère dont le tribunal doit tenir compte, lorsqu’il doit déterminer le pourcentage du partage de coût qui doit être accordé à un employeur.  Dans l’affaire Royal, Chevrolet, Pontiac, Buik, GMC inc. [6] , le tribunal rappelait de la façon suivante les paramètres pouvant être considérés dans un tel cas :

[27]      La Commission des lésions professionnelles reconnaît que le partage des coûts octroyé doit tenir compte de toutes les circonstances particulières à une affaire. Il doit viser à répartir équitablement les coûts, le but ultime étant que l’employeur du travailleur n’assume que ceux reliés à la lésion professionnelle et soit exempté de ceux se rattachant à un handicap préexistant.

 

[28]      Dans cette optique, il faut non seulement vérifier si le handicap préexistant affecte la durée de la période de consolidation. Il faut aussi déterminer s’il a un impact sur l’apparition de la lésion professionnelle, sur l’atteinte permanente, sur les limitations fonctionnelles ou s’il influence la mise en place d’un plan individualisé de réadaptation.

 

[29]      La jurisprudence du tribunal est d’ailleurs fort éloquente en cette matière 3 .

 

[30]      Ainsi, lorsque la déficience influence l’apparition de la lésion professionnelle, le partage se doit d’être généreux puisqu’il faut comprendre que cette lésion ne se serait jamais développée n’eut été de cette déficience. Il en est de même de l’atteinte permanente, des limitations fonctionnelles et de la réadaptation. Lorsque la déficience a un impact sur ces matières, l’entière période d’indemnisation doit être considérée et non seulement celle qui concerne la consolidation de la lésion.

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3              Restaurant Brynd , C.L.P. 194611-32-0211 , le 5 mars 2003, M.-A. Jobidon; A.A.F. Mc Quay Canada inc. , C.L.P. 200146-62B-0302 , le 25 juillet 2003, Y. Ostiguy; Challenger Motor Freight inc. , C.L.P. 158105-62C-0103 , le 14 septembre 2001, L. Vallières; Forage A. Diamant Benoit ltée et CSST [1997] C.A.L.P. 132 ; Pinkerton du Québec ltée et CSST , C.L.P. 91973-03B-9710 , le 28 avril 2000, C. Racine; Plaisirs gastronomiques inc. , C.L.P. 144752-64-0008 , le 29 mars 2001, M. Montplaisir; Boisclair & Fils inc. , C.L.P. 188623-64-0208 , le 15 août 2002, R. Daniel; Centre hospitalier régional Trois-Rivières , C.L.P. 179719-04-0203 , le 26 novembre 2002, A. Gauthier; R. Nantel et associés inc. , C.L.P. 200540-71-0302 , le 25 septembre 2003, C. Racine; Meubles Canadel inc. , C.L.P. 234765-04-0405 , le 29 novembre 2004, S. Sénéchal; Provigo inc. (division Loblaws Québec) , C.L.P. 251099-71-0412, le 27 juin 2007, M. Langlois; Manufacturier Techcraft inc. , C.L.P. 338890-71-0801 , le 6 février 2009, S. Arcand; Camion International Élite ltée , C.L.P. 366869-31-0812 , le 3 juillet 2009, M. Racine.  [ sic ]

 

[31]         En l’espèce, la preuve démontre l’impact très important de la condition personnelle dégénérative du travailleur tout au long du suivi médical.  À ce propos, le tribunal remarque que dès la première consultation médicale , le 5 juin 2008, le médecin réfère à la présence d’une hernie discale cervicale et demande qu’une tomodensitométrie cervicale soit réalisée. De plus, la présence d’engourdissements intermittents aux membres supérieurs ainsi que la demande d’examen électromyographique en cours d’évolution démontrent encore davantage l’impact qu’a eu la déficience tout au long du suivi médical.

[32]         D’autre part, le tribunal retient l’opinion du docteur Neveu à l’effet qu’en l’absence d’un mouvement de flexion ou d’extension marqué du rachis cervical lors de l’événement du 5 juin 2008, la période de consolidation de l’entorse subie par le travailleur aurait dû être moindre que la période de consolidation habituelle de cinq semaines. Selon ce médecin, la nature du fait accidentel subi par le travailleur aurait plutôt dû entraîner une période de consolidation de deux à trois semaines.

[33]         Par ailleurs, la preuve révèle également que le travailleur présentait une condition préexistante de dyspepsie qui doit également être considéré, de l’avis du tribunal, comme représentant une déficience. Or, à l’instar du docteur Neveu, le tribunal estime que cette condition a vraisemblablement pu prolonger le traitement de la lésion cervicale en rendant plus difficile la mise en place d’un traitement médicamenteux optimal.

[34]         Par contre, le tribunal se doit également de prendre en considération que la lésion professionnelle subie par le travailleur n’a entraîné aucune atteinte permanente à l'intégrité physique ni de limitation fonctionnelle.

[35]         Quant à l’argument de l’employeur à l’effet que le retard de quatre mois afin d’obtenir des traitements de physiothérapie a également prolongé la période de consolidation de la lésion, le tribunal rappelle que la preuve ne démontre aucunement que ce retard soit attribuable à la présence d’une déficience chez le travailleur.  Il semble plutôt que ce délai soit attribuable au fonctionnement du système de santé. Or, dans le contexte d’une demande de partage de coût en vertu de l’article 329 de la loi, un tel argument ne peut être pris en considération par le tribunal.

[36]         Par conséquent, en tenant compte de l’ensemble de ces éléments, le tribunal estime équitable et justifié d’accorder à l’employeur un partage de coût de l’ordre de 10 % à son dossier financier et de 90 % à l’ensemble des employeurs. 

[37]         La requête de l’employeur est donc accueillie.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de Chantiers Chibougamau limitée, l’employeur;

MODIFIE la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 13 janvier 2012 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que 10 % des coûts reliés à la lésion professionnelle subie par monsieur Réjean Marcoux, le travailleur, le 5 juin 2008, doit être imputé au dossier financier de l’employeur et que 90 % des coûts de cette lésion doit être imputé à l’ensemble des employeurs.

 

 

 

Jean Grégoire

 



[1]           L.R.Q., c.A-3.001.

[2]           COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE   LA SÉCURITÉ DU   TRAVAIL, Annexe 1. Partage d’imputation en vertu de l’article 329 de la LATMP :   Table   1. Conséquences moyennes des lésions professionnelles les plus fréquentes en terme de durée de   consolidation , [S.l.] CSST, [s.d.] 3 p.

[3]           Précitée, note 2.

[4]           C.L.P. 144752-64-0008 , 29 mars 2001, M. Montplaisir.

[5]           C.L.P. 188623-64-0208 , 15 août 2002, R. Daniel.

[6]           C.L.P. 416165-71-1007 , 22 février 2011, C.Racine.