Électrique Perfection inc. |
2012 QCCLP 2284 |
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[1] Le 17 octobre 2011, la société Électrique Perfection inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles (le tribunal) une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 4 octobre 2011, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 27 juin 2011. Elle déclare que le coût des prestations dues en raison de la maladie professionnelle dont est atteint monsieur Ronald Berthelette (le travailleur) doit être imputé au dossier de l’employeur en vertu des dispositions prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [1] (la Loi).
[3] L’employeur a renoncé à la tenue de l’audience prévue le 15 mars 2012, a transmis ses représentations écrites et a demandé qu’une décision soit rendue sur dossier.
[4] Le tribunal a mis le dossier en délibéré à la date de l’audience le 15 mars 2012.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5]
L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de
reconnaître que l’imputation à son dossier, uniquement, des coûts reliés à la
maladie professionnelle subie par le travailleur contrevient aux dispositions
de l’article
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] En avril 2011, le travailleur est âgé de 41 ans. Il est au service de l’employeur à titre d’électricien depuis mai 2010.
[7] Le 12 avril 2011, le travailleur consulte le docteur Graham en lien avec un évènement survenu le 22 novembre 2010. Le docteur pose le diagnostic de mononévrite médiane bilatérale (tunnel carpien) et remplit une attestation médicale CSST.
[8] Le 18 avril 2011, le travailleur présente une réclamation à la CSST pour une maladie professionnelle qu’il attribue à des mouvements répétitifs.
[9] Dans le cadre de son travail, explique le travailleur à l’agent de la CSST, il effectue des mouvements répétitifs de préhension et de force avec les deux mains, notamment pour percer, visser, plier du métal et des fils électriques. Il a débuté chez l’employeur le 29 mai 2010 et il est en mise à pied par manque de travail depuis le 15 avril 2011. Il ne s’est rien passé de particulier à son travail et, à son avis, son mal est en lien avec les mouvements répétitifs. Il a consulté pour la première fois en novembre 2010.
[10] Le 7 juin 2011, le docteur Duclos rapporte que le syndrome de tunnel carpien bilatéral est exacerbé par le travail.
[11] Dans le cadre de l’admissibilité de la lésion professionnelle, la CSST note que le travail d’électricien implique des mouvements répétitifs de préhension et de force avec les deux mains, des positions contraignantes ou inconfortables, des efforts et l’utilisation d’outils à percussion ou vibration, de plus, le médecin-conseil de la CSST estime que le syndrome de tunnel carpien bilatéral est en relation avec le travail d’électricien effectué.
[12] Le 22 juin 2011, la CSST rend une décision par laquelle elle accepte la réclamation du travailleur à titre de maladie professionnelle, dont le diagnostic est un tunnel carpien bilatéral. Cette décision, non contestée, est devenue finale et irrévocable.
[13]
Aux notes évolutives, la CSST mentionne que le travailleur est à
l’embauche de l’employeur depuis mai 2010, que ce dernier rapporte l’apparition
de la douleur depuis juillet 2010, qu’il n’a pas effectué d’emploi chez
d’autres employeurs avant et lors de l’apparition de la douleur, en conséquence
l’employeur doit être imputé des sommes au dossier et l’article
[14] Le 27 juin 2011, la CSST rend une décision et informe l’employeur qu’elle lui impute le coût des prestations dues en raison de la maladie professionnelle du travailleur. Toutefois, ces prestations ne comprennent pas les frais d’assistance médicale puisque la lésion n’a pas rendu le travailleur incapable d’exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle elle s’est manifestée. Si le travailleur devenait incapable d’exercer son emploi en raison de cette lésion, les frais seront portés à son dossier.
[15] Le 21 juillet 2011, l’employeur demande la révision de cette décision.
[16] À la Révision administrative, l’employeur soumet qu’il est d’avis, compte tenu qu’il s’agit d’une maladie professionnelle, que la CSST doit appliquer les dispositions prévues à la Loi et effectuer un partage de l’imputation du coût des prestations à tous les employeurs chez qui le travailleur a effectué un travail de nature à engendrer la maladie professionnelle.
[17] L’instance de révision administrative se prononce ainsi :
La règle générale en matière d’imputation d’une maladie professionnelle veut que l’employeur qui se voit imputer le coût des prestations dues en raison de cette maladie professionnelle soit celui chez qui le travailleur a effectué un travail de nature à engendrer cette maladie professionnelle.
Certaines règles particulières d’imputation sont prévues à la Loi. D’une part, lorsque le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer la maladie professionnelle chez plusieurs employeurs, l’imputation est faite aux dossiers de tous les employeurs proportionnellement à la durée de son travail pour chacun des employeurs et à l’importance du danger que présentait ce travail chez chacun de ces employeurs. D’autre part, lorsque l’imputation n’est pas possible en raison de la disparition de cet employeur ou lorsque cette imputation aurait pour effet d'obérer injustement cet employeur, la Commission impute le coût des prestations aux employeurs de l'une, de plusieurs ou de toutes les unités ou à la réserve prévue à la Loi.
Or, la documentation retrouvée au dossier démontre qu’il s’agit d’une maladie professionnelle attribuable à des mouvements répétitifs. Ainsi, le partage s’effectue selon la date du début de l’apparition de la symptomatologie de la lésion professionnelle, chez l’employeur ou les employeurs concernés.
Des éléments au dossier, la Révision administrative estime que l’employeur doit être imputé du coût des prestations, puisqu’il est l’employeur où le travailleur a effectué un travail de nature à engendrer la maladie professionnelle. De plus, la Révision administrative constate que l’apparition des premiers symptômes est survenue le ou vers le mois de juillet 2010, alors que le travailleur était à l’emploi de Électrique Perfection inc. depuis le mois de mai 2010.
[18] L’employeur s’inscrit en désaccord avec cette décision.
[19] Au soutien de son appel à la Commission des lésions professionnelles, l’employeur dépose une copie d’une lettre émanant de la Commission de la construction du Québec en date du 14 octobre 2010 attestant que le travailleur a réussi le 7 octobre 2010 l’examen de qualification provinciale d’électricien et qu’il recevra sous peu son certificat de compétence compagnon correspondant à sa qualification.
[20] Pour être admissible à ce concours, ajoute l’employeur, le travailleur doit avoir accumulé 8000 heures de travail comme électricien. L’employeur soumet que le travailleur a effectué 1559,5 heures chez lui entre le 29 mai 2010 et le 15 avril 2011. Le travailleur a exercé son métier d’électricien chez plus d’un employeur car au moment de son embauche chez l’employeur, il était un apprenti quatrième année. Il signale que la CSST n’a pas demandé la liste des employeurs à la Régie des rentes du Québec ni l’historique des heures travaillées dans l’industrie de la construction.
[21]
L’imputation des coûts d’un accident du travail et d’une maladie
professionnelle est régie par les dispositions des articles
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
328. Dans le cas d'une maladie professionnelle, la Commission impute le coût des prestations à l'employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer cette maladie.
Si le travailleur a exercé un tel travail pour plus d'un employeur, la Commission impute le coût des prestations à tous les employeurs pour qui le travailleur a exercé ce travail, proportionnellement à la durée de ce travail pour chacun de ces employeurs et à l'importance du danger que présentait ce travail chez chacun de ces employeurs par rapport à la maladie professionnelle du travailleur.
Lorsque l'imputation à un employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa maladie professionnelle n'est pas possible en raison de la disparition de cet employeur ou lorsque cette imputation aurait pour effet d'obérer injustement cet employeur, la Commission impute le coût des prestations imputable à cet employeur aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités ou à la réserve prévue par le paragraphe 2° de l'article 312 .
__________
1985, c. 6, a. 328.
[22] En examinant le libellé de ces dispositions, il est clair que le législateur a prévu des règles différentes selon que les coûts sont imputés en raison d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.
[23] La CSST impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi. Dans le cas d'une maladie professionnelle, la Commission impute le coût des prestations à l'employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer cette maladie.
[24] Notons que le libellé de l’article 328 prévoit que la CSST impute le coût des prestations à l’employeur pour qui le travailleur a exercé un travail, et non le travail, de nature à engendrer cette maladie et non pas qui l’a causée. Notons de plus, que cette disposition ne prévoit pas que dans le cas d’une maladie professionnelle attribuable à des mouvements répétitifs, le partage s’effectue selon la date du début de l’apparition de la symptomatologie de la lésion professionnelle, chez l’employeur ou les employeurs concernés.
[25] L’employeur soutient que l’imputation effectuée par la CSST se base sur ses politiques internes. Le tribunal constate que la règle d’imputation utilisée ne colle pas au texte de Loi et y contrevient.
[26] Considérant le texte de loi prévu à l’article 328, la Commission des lésions professionnelles s’exprime ainsi [2] :
[12] Cet article implique une double analyse de la part de la CSST. D’une part, elle doit déterminer si le travail exercé chez chacun des employeurs est de nature à engendrer la maladie. D’autre part, si plusieurs employeurs sont impliqués, elle doit analyser la durée du travail de nature à causer la maladie et le niveau de danger retrouvé chez chacun des employeurs 2 . De plus, la CSST n’a aucune discrétion quant à l’application de l’article 328 si le travailleur a exercé un travail pour plus d’un employeur et que ce travail est de nature à engendrer la maladie 3 .
[13] Il est inadmissible que la CSST refuse le partage demandé en se basant strictement sur ses orientations internes en
cette matière. Cette politique interne mentionne que le calcul s’effectue à
partir de la date d’apparition de la symptomatologie, ce qui ne colle nullement
au texte de l’article
[…]
[15] D’ailleurs, une lecture de l’article 328 permet de conclure que le législateur a décidé d’imputer à un employeur une partie des coûts lorsqu’un travailleur avait exercé chez lui un travail « de nature à engendrer cette maladie ». Il ne s’agit donc pas de prouver que le travail effectué chez un employeur a dans les faits engendré la maladie en cause en tout ou en partie mais bien qu’il était de nature à l’engendrer. Ceci évite donc les débats d’ordre médical tentant de déterminer si le travail fait chez un employeur a réellement eu un impact sur la pathologie en cause : il suffit qu’il ait été de nature à engendrer une telle maladie. Le législateur a donc choisi d’imputer un employeur si un travailleur a exercé chez lui un travail de nature à engendrer cette maladie qu’il l’ait ou non engendrée dans les faits. Ainsi, tout employeur chez qui un travailleur a effectué un travail ayant potentiellement causé une pathologie sera imputé en vertu de l’article 328, selon les critères énoncés à cet article.
[16] De toute façon, comme l’a rappelé la jurisprudence 6 , un syndrome du canal carpien est une maladie qui est de nature à se développer sur une longue période de temps avant de devenir incapacitante. On peut donc penser que la pathologie du travailleur a été contractée en réalité aussi bien chez le premier employeur que chez le deuxième.
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2 Société des transports de la communauté urbaine de Montréal , C.L.P. 114775-71-9904, le 16 juin 2002, C. Racine.
3
Isolation Grenier inc
. et
Faucher
, C.L.P.
4
Provigo
Division
Montréal Détail
, C.L.P.
[...]
6 Philippe Mercier (1994) inc . et Forano et als , C.L.P. 189520-03B-0208-R, 12 mars 2003, P. Brazeau.
[27] Dans la décision Provigo (Division Montréal Détail) [3] la Commission des lésions professionnelles se prononce ainsi quant à l’orientation retenue par la CSST :
[33] Pourtant, la CSST refuse d’appliquer l’article
[28] Le tribunal partage ce point de vue exprimé par la jurisprudence.
[29] Avec égard, le tribunal note que la CSST ne dispose pas de l’information nécessaire pour conclure que le travailleur a dû exercer le métier d’électricien chez plus d’un employeur : la CSST a donc pu penser que le seul employeur concerné est Électrique Perfection inc.
[30] Le tribunal a été saisi d’une nouvelle preuve qui lui permet de douter de la justesse de la décision d’imputation rendue. Effectivement, si le travailleur a accumulé au moins 8000 heures à titre d’électricien dans le secteur de la construction, chiffre qu’il faudra valider, il faut donc en déduire qu’il a travaillé 6440 heures, plus ou moins chez d’autres employeurs. La portion travaillée chez l’employeur représente environ 23 %. Le risque reste à déterminer.
[31] Dans ce contexte, le tribunal comprend que l’employeur souhaite que la CSST fasse enquête et impute le coût des prestations à tous les employeurs pour qui le travailleur a exercé comme électricien, proportionnellement à la durée de ce travail pour chacun de ces employeurs et à l'importance du danger que présentait ce travail chez chacun de ces employeurs par rapport à la maladie professionnelle du travailleur.
[32]
Le tribunal croit qu’une enquête dans l’historique d’emploi du travailleur
s’impose pour déterminer une nouvelle imputation conforme aux dispositions de
l’article
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de l’employeur, Électrique Perfection inc;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 4 octobre 2011, à la suite d’une révision administrative;
RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail pour enquête;
DÉCLARE
que le coût des prestations dues en
raison de la maladie professionnelle dont est atteint le travailleur, monsieur
Ronald Berthelette, doit être imputé à tous les employeurs pour qui le
travailleur a exercé le travail d’électricien, proportionnellement à la durée
de ce travail pour chacun de ces employeurs et à l'importance du danger que
présentait ce travail chez chacun de ces employeurs par rapport à la maladie
professionnelle du travailleur
conformément aux dispositions de l’article
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Francine Charbonneau |
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Madame Diane St-Hilaire |
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Mutuelle de prévention de la CMEQ |
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Représentante de la partie requérante |