Ste-Marthe-sur-le-Lac (Ville de) c. Dufresne

2012 QCCS 1540

JJ 0312

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TERREBONNE

 

N° :

700-17-007610-107

 

 

 

DATE :

15 février 2012

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

PIERRE JOURNET, J.C.S.

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VILLE DE SAINTE-MARTHE-SUR-LE-LAC

requérante

c.

PIERRE N. DUFRESNE

intimé

et

SYNDICAT CANADIEN DE  LA FONCTION PUBLIQUE,

SECTION LOCALE 2804

          

mis en cause

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]            Johanne Parent, Wassila Djaid et Nadia O’Sullivan, employées de ville de Sainte-Marthe-sur-le-Lac (la Ville), sont des membres du Syndicat canadien de la fonction publique, Section locale 2804 (le Syndicat).

[2]            Un grief portant le numéro 2008-02 a été logé par le Syndicat contre la Ville.

[3]            Il convient de reproduire le texte du grief pour mieux saisir la portée de la décision de l’arbitre du grief, Pierre N. Dufresne, dont on demande la révision judiciaire.

[4]            Le grief se lit :

«  OBJET : Grief 2008-02 - Salaires non conformes

 Madame,

Contrairement à la convention collective, l’employeur a octroyé des postes conventionnés sans rémunération conforme.

Nous réclamons que l’employeur paie immédiatement les employés conformément à la convention collective en vigueur et rembourse aux employées  concernées toute la perte de salaire avec avantages et intérêt rétroactivement à leur entrée en fonction dans leur poste respectif, à savoir :

-  Johanne Parent, préposée à la perception depuis le 26 mai 2008

-  Wassila Djaid, adjointe à la comptabilité depuis le 12 mai 2008

Nous sommes disposés en (sic) vous rencontrer afin de discuter du présent dossier. »

                                                                                                  (Nos soulignés)

[5]            Il est admis qu’un exercice d’équité salariale a été complété en 2004 par la Ville et le Syndicat.

[6]            En 2008, suite à l’exercice de maintien de l’équité salariale, deux postes qui font l’objet du grief étaient vacants.  La Ville a procédé à la réévaluation du salaire de ces deux emplois.

[7]            Les salariées, objet du grief, ont été embauchées selon ces nouveaux taux réduits, décrétés selon l’article 13.08 de la convention collective.

[8]            Le Syndicat a également déposé une plainte à la Commission de l’équité salariale relativement aux nouveaux taux.

[9]            Les dispositions d’ordre public de la Loi sur l’équité salariale [1] , ont préséance sur la convention collective en relation avec la détermination des salaires.

[10]         Le 16 novembre 2010, l’arbitre de grief rendait la sentence arbitrale relative au grief déposé.  Cette décision fait l’objet de la présente requête en révision judiciaire.

[11]         La sentence :

L’arbitre reconnaît qu’une plainte est pendante devant la Commission de l’équité salariale et déclare qu’il ne détient pas la compétence pour se prononcer quant au respect de la Loi sur l’équité salariale , « La Commission de l’équité salariale étant l’autorité dans la présente affaire (sentence arbitrale, paragraphe 27) »;

Malgré cette déclaration à l’effet qu’il n’a pas compétence, l’arbitre poursuit sa sentence au paragraphe 28 en indiquant qu’il « fait droit au grief et déclare que les plaignantes, mesdames Johanne Parent, Wassila Djaid et Nadia O’Sullivan doivent être rémunérées selon les taux de salaire tel qu’indiqué à l’article D de la convention collective sujet à tout ajustement en vertu de l’obligation du «maintient» (sic) de l’équité salariale par l’employeur suite à la résolution de la plainte logée auprès de la Commission de l’équité salariale. »;

[12]         La Ville soumet que la sentence arbitrale doit être révisée puisqu’elle constitue un excès de juridiction, l’arbitre ayant reconnu que l’autorité compétente était la Commission de l’équité salariale.

[13]         Elle soumet que la décision doit être révisée et annulée puisqu’elle est déraisonnable et n’appartient pas aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[14]         La norme de révision applicable

La question de savoir qui de l’arbitre de grief ou de la Commission de l’équité salariale (La Commission) a compétence pour entendre une question liée à l’application de la Loi sur l’équité salariale, est une question de juridiction et de compétence pour laquelle la norme de contrôle applicable est la norme de la décision correcte [2] .

[15]         Outre la question de juridiction et de compétence, la décision de l’Arbitre doit être révisée puisqu’elle est déraisonnable et ne peut faire l’objet d’issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[16]         Le dispositif de la décision accueille le grief bien que l’arbitre ait déclaré que la détermination des salaires soit de la juridiction et de la compétence de la Commission.  Le grief réclamait le paiement immédiat aux employés, un salaire dont la détermination est de la compétence de la Commission.

[17]         Le dispositif est non seulement déraisonnable, mais contraire aux considérants établis par l’Arbitre.

[18]         La sentence crée de la confusion quant aux obligations et aux droits des parties suite à la contradiction flagrante du texte qui se lit :

« [27] Compte tenu qu’il existe une mésentente entre les parties à savoir quelles échelles de salaires respectent la Loi sur l’équité salariale, l’exercice 2002, 2004 ou 2008 et qu’une plainte est pendante devant la Commission de l’équité salariale, l’arbitre déclare qu’il ne détient pas la compétence pour se prononcer sur ce point de mésentente, la Commission de l’équité salariale étant l’autorité dans la présente affaire .

[28]  POUR CES RAISONS, l’arbitre fait droit au grief et déclare que les plaignantes Mesdames Johanne Parent, Wassila Djaid et Nadia O’Sullivan doivent être rémunérées selon le taux de salaires tel qu’indiqué à l’article « D » de la convention collective sujet à tout ajustement en vertu de l’obligation du « maintient » (sic) de l’équité salariale par l’Employeur suite à la résolution de la plainte logée auprès de la Commission de l’équité salariale. »

[19]         L’arbitre de toute évidence aurait dû suspendre sa décision jusqu’à la décision de la Commission, sinon rejeter le grief pour absence de compétence de sa part.

[20]         Il aurait dû motiver le dispositif de la sentence avant d’accueillir le grief, en conformité avec le Code du travail qui stipule que la sentence doit être écrite et motivée [3] , Madame la juge L' Heureux Dubé soulignait la nécessité d’explication écrite d’une décision en ces termes :

À mon avis, il est maintenant approprié de reconnaître que, dans certaines circonstances, l’obligation d’équité procédurale requerra une explication écrite de la décision.  Les solides arguments démontrant les avantages de motifs écrits indiquent que, dans des cas comme en l’espèce où la décision revêt une grande importance pour l’individu, dans des cas où il existe un droit d’appel prévu par la loi, ou dans d’autres circonstances, une forme quelconque de motifs écrits est requise.  Cette exigence est apparue dans la common law ailleurs.  Les circonstances de l’espèce, à mon avis, constituent l’une de ces situations où des motifs écrits sont nécessaires.  L’importance cruciale d’une décision d’ordre humanitaire pour les personnes visées, comme celles dont il est question dans les arrêts Orlowski , Cunningham et Doody , milite en faveur de l’obligation de donner des motifs.  Il serait injuste à l’égard d’une personne visée par une telle décision, si essentielle pour son avenir, de ne pas lui expliquer pourquoi elle a été prise. [4]

[21]         L’absence de motivation ne permet pas au Tribunal de contrôler la rationalité de la décision de l’arbitre qui déclare n’avoir pas la compétence et qui accueille malgré tout un grief;

[22]          Le juge Taschereau conclut sur le même sujet [5]

Le rôle essentiel des motifs dans une décision administrative n’est pas d’assurer que justice est faite, mais d’essayer de faire réaliser aux parties (particulièrement celle qui perd) que l’affaire a été examinée de manière judiciaire, sans parti pris.  Une fois que le décideur a établi qu’il était habilité à décider, il suffit qu’il fasse état des éléments dont il devait tenir compte, et de ceux dont il a tenu compte en exerçant son pouvoir discrétionnaire, de façon à ce que sa décision soit comprise, dans nécessairement aller dans les moindres détails.  Le contrôle judiciaire de la décision doit également être possible.

[23]         Le Tribunal doit donc, à la face même de la sentence, conclure qu’elle est entachée d’une erreur juridictionnelle et factuelle déterminante sans possibilité d’en contrôler la rationalité.

[24]         En conséquence, il y a lieu de casser la décision;

[25]         POUR TOUS CES MOTIFS , le Tribunal :

[26]         ACCUEILLE la demande en révision judiciaire;

[27]         ANNULE la sentence arbitrale rendue le 16 novembre 2010 par l’arbitre Pierre N. Dufresne et REJETTE le grief numéro 2008-02;

[28]         LE TOUT avec dépens.

 

 

 

 

 

 

__________________________________

PIERRE JOURNET, J.C.S.

 

Me Louis Béland

Dufresne Hébert Comeau inc.

Procureurs de la requérante

 

Me Laure Tastayre

Procureure du mis en cause

 

 

Date d’audience :

8 février 2012

 



[1] .   Art. 2 L.R.Q. c. E-12.001.

[2] .   Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190 , page 45.

[3] .   Extrait du Code du travail, L.R.Q. c. C-27, art. 101.2 ;

[4] .   Baker c. Canada [1999] 2 R.C.S. 817 ;

[5] .   Commission scolaire de la Beauce-Etchemin c. Deschênes , D.T.E. 2001T-1036 , (C.S.).