TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

 

N o de dépôt : 2012-5691

 

Date : 15 avril 2012

                                                                                                                                            

 

DEVANT L’ARBITRE :     M e MARCEL MORIN

                                                                                                                                            

 

 

SYNDICAT DES COLS BLEUS REGROUPÉS DE MONTRÉAL - LOCAL 301

 

            Ci-après appelé(e) « le Syndicat »

 

 

ET

 

 

VILLE DE BEACONSFIELD

 

            Ci-après appelée « l’Employeur »

 

 

 

Plaignant : Monsieur Jean-Marc Richard

 

Grief :             N o du Syndicat : 09-1420

 

Nature du grief : Refus de réintégrer- objection à la compétence de l’arbitre

 

Convention collective : 2004-2007

 

                                                                                                                                            

 

SENTENCE ARBITRALE

(Art. 100 Code du Travail L.R.Q. c.C-27)

                                                                                                                                            

 

 

[01]        L'arbitre soussigné a été désigné par les parties pour entendre et décider du présent grief. Dès le début de l'audition le procureur de l'Employeur a soumis une objection à ma compétence soumettant que la CSST a rendu des décisions concernant des emplois convenables ailleurs que chez l'Employeur, décisions non contestées. En conséquence, le présent Tribunal n'aurait pas compétence pour modifier ces décisions alors que c'est ce que le grief réclame.

 

 

LE GRIEF

 

 

[02]        Le 20 novembre 2009 le Syndicat soumettait pour et au nom du plaignant Jean-Marc Richard un grief libellé en ces termes (S-2) :

 

« Nous sommes informés en date du 14 octobre 2009 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) que l'employeur, Ville de Beaconsfield, refuse de réintégrer l'employé, M. Richard, dans un emploi correspondant à ses limitations fonctionnelles contrevenant ainsi à son devoir d'accommodement en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne ainsi que des dispositions de la sentence arbitrale Lavoie.

 

Conséquemment, en vertu des dispositions de la sentence arbitrale Lavoie, nous demandons qu'il soit ordonné à l'employeur de cesser cette pratique, qu'il soit ordonné à l'employeur de réintégrer M. Richard dans tout emploi qu'il est en mesure d'accomplir avec tous ses droits et privilèges et qu'il soit également ordonné à l'employeur de rembourser à M. Richard le salaire perdu, au taux du temps régulier et supplémentaire, rétroactivement au 13 octobre 2009 et pour tous les jours subséquents avec paiement des intérêts légaux ainsi que les indemnités prévues à l'article  100.12 du Code du travail, le tout payable dans les 90 jours du Règlement. De plus, nous demandons qu'il soit ordonné à l'employeur de rembourser tous les bénéfices, avantages et ainsi que les dommages et intérêts se rattachant à cette réclamation. »

 

 

 

 

 

LA PREUVE

 

[03]        De la preuve documentaire, le Tribunal retient les faits suivants :

 

[04]        Le plaignant a été embauché le 23 avril 2004 à titre de manœuvre (poste temporaire) au service des travaux publics de l'arrondissement Beaconsfield et Baie d'Urfé.

 

[05]        Le plaignant a été transféré par le Comité de transition de l'agglomération de Montréal le 1er décembre 2005 à la Ville de Beaconsfield à titre d'auxiliaire.

 

[06]        La description de tâches de journalier + permis comporte la description sommaire suivante :

 

Travaux comportant l'accomplissement de diverses tâches manuelles reliées à la fonction de journalier + permis. Sous la supervision des contremaîtres le journalier + permis effectue les travaux saisonniers inhérents à l'entretien des installations telles que : peinture, cueillette des ordures, transport de matériel, ainsi qu'aux services donnés durant la période estivale (mis en place pour la tenue d'événements particuliers, déchiquetage des branches, etc.) et la saison hivernale (préparation et entretien des patinoires extérieures, nettoyage d'abribus, etc.). Le journalier utilise un véhicule pour se déplacer d'une assignation de travail à l'autre.

 

Tâches

 

Aide au déchiquetage des branches

Effectue des travaux de nettoyage des parcs

Fait la cueillette des ordures

Participe à l'entretien des modules de jeux

Participe aux travaux d'asphaltage

Participe aux travaux aux réparations de gazons

Participe à l'entretien de la signalisation routière

Fait l'entretien sanitaire de la flotte d'équipements

Participe aux travaux horticoles

Effectue, à la demande de son supérieur, toute autre tâche connexe

Qualifications requises

Expérience de travail pertinente dans le domaine est un atout. Bilinguisme fonctionnel. Permis de conduire classe 5. Diplôme d'études secondaires.

 

[07]        Le 2 juillet 2008 le plaignant produit à la CSST une réclamation du travailleur pour être tombé sur son épaule droite en roulant un boyau le 20 juin 2008.

 

[08]        Le 17 juillet 2008 la CSST a accepté la réclamation. Ladite réclamation n'a pas été contestée par l'Employeur.

 

[09]        Le 11 février 2009 la CSST rendait une décision liée à un nouveau diagnostic de déchirure coiffe épaule droite, décision non contestée par l'Employeur.

 

[10]        Le rapport final du médecin traitant remis à la CSST fait état d'une atteinte permanente avec limitations fonctionnelles. Le rapport de la Dre Nadia Lachance, chirurgienne orthopédiste établit les limitations fonctionnelles suivantes :

 

« - Le patient ne peut effectuer des mouvements répétitifs au-dessus du niveau des épaules (au-dessus d'une abduction à 90°) :

 

-      Le patient ne peut garder le bras en position statique d'élévation ou d'adduction au-dessus de 90°;

 

-      Le patient ne peut s'accrocher ou s'agripper avec le membre supérieur droit. »

 

[11]        Le déficit anatomo-physiologique est établi à 6,5 %. Ce rapport n'a nullement été contesté par l'Employeur.

 

[12]        Une rencontre organisée par la CSST le 8 septembre 2009 avait pour but d'évaluer les exigences de l'emploi pré-lésionnel de journalier avec les limitations fonctionnelles, évaluer la possibilité de l'adaptation de l'emploi pré-lésionnel vs limitations fonctionnelles et évaluer si la présence d'un emploi convenable est possible vs les limitations fonctionnelles prévisibles.

 

[13]        Madame Jannik Brassard, thérapeute en réadaptation physique et ergonome a produit un rapport à la CSST le 16 septembre 2009. Madame Brassard arrivait à la conclusion suivante :

 

« L'emploi pré-lésionnel de journalier + permis au service des travaux publics respecte l'ensemble des limitations fonctionnelles de Monsieur Richard si les points suivants sont mis en place :

 

-      Ne pas fixer de poteaux au sol;

 

-      Ne pas déchiqueter des branches d'arbres;

 

-      Ne pas utiliser le drapeau pour effectuer le travail de signaleur. »

 

[14]        Le 14 octobre 2009 la CSST a considéré que le plaignant ne pouvait refaire son emploi pré-lésionnel et considérant l'absence d'un emploi convenable chez l'Employeur respectant les limitations fonctionnelles, le dossier est transféré au P-5 afin de débuter une approche plus spécialisée dans la recherche d'emploi ailleurs sur le marché du travail.

 

[15]        Monsieur Richard est informé de cette décision et il soumet que la ville a d'autre travail pour lui mais qu'elle ne veut pas le faire puisqu'il y a une grève présentement. Monsieur Richard soumet qu'il n'est pas aussi limité que cela et qu'il serait capable de refaire son travail.

 

[16]        C'est le 20 novembre 2009 que le Syndicat dépose le présent grief.

 

[17]        Le 10 mars 2010 la CSST avisait le plaignant de sa décision concernant l'emploi convenable et les mesures de réadaptation :

 

« Comme vous ne pouvez occuper votre emploi habituel, nous avons évalué avec vous si un autre emploi ailleurs sur le marché du travail pouvait convenir. Ainsi, nous avons retenu comme emploi convenable celui du chauffeur classe 3.

 

Pour que vous soyez capable d'exercer cet emploi, nous avons convenu de mettre en place la mesure de réadaptation suivante : cours de conduite de chauffeur classe 3.

 

Nous vous invitons à communiquer avec nous si vous avez besoin de renseignements supplémentaires au sujet de cette décision ou pour toute autre question. Vous ou votre employeur pouvez demander la révision de cette décision par écrit dans les 30 jours suivant la réception de la présente lettre.

 

[...] »

 

[18]        Cette décision est non contestée.

 

[19]        La détermination de l'emploi convenable de chauffeur de camion classe 3 est l’emploi approprié. Le formulaire indique que l'emploi été choisi par le travailleur et respecte les intérêts du travailleur.

 

[20]        Le 17 février 2011 la CSST rendait une décision concernant la capacité de travail de Monsieur Richard en ces termes :

 

« Monsieur,

 

Comme vous ne pouvez retourner travailler chez votre employeur, nous avons évalué avec vous si un autre emploi ailleurs sur le marché du travail pouvait convenir. Ainsi, nous avons retenu comme emploi convenable celui de nettoyeur d'édifices à bureaux, qui pourrait vous procurer un revenu annuel estimé à 24 960, 00 $.

 

Nous considérons que vous êtes capable d'exercer cet emploi à compter du 16 février 2011. Comme vous cherchez actuellement du travail, nous continuerons de vous verser des indemnités de remplacement du revenu. Toutefois, dès que vous travaillerez comme nettoyeur d'édifices à bureaux ou au plus tard le 15 février 2012, nous devrons réduire votre indemnité. Vous trouverez dans l'annexe ci-jointe des explications sur le mode de calcul de votre revenu.

 

Si vous trouvez un emploi, quel qu'il soit, même à raison de quelques heures par semaine, veuillez nous en aviser, car nous devrons tenir compte de votre revenu d'emploi et ajuster votre indemnité en conséquence.

 

Nous vous invitons à communiquer avec nous si vous avez besoin de renseignements supplémentaires au sujet de cette décision ou pour toute autre question. Vous ou votre employeur pouvez demander la révision de cette décision par écrit dans les 30 jours suivant la réception de la présente lettre.

 

Nous vous prions d'accepter, Monsieur, nos salutations distinguées. »

 

[21]        Cette décision faisait suite à la détermination de l'emploi convenable de nettoyeur d'édifices à bureaux qui est un emploi approprié. Ce changement d'emploi convenable est survenu pour la raison indiquée dans le formulaire de détermination de l'emploi convenable :

 

« Considérant la mesure mise en place pour que le T obtienne son permis classe 3 et qu'il s'est avéré qu'après plus d'un (1) an de formation et d'encadrement, Monsieur Richard n'a pas obtenu son permis, nous croyons que l'emploi de nettoyeur d'édifices à bureaux est un emploi approprié. L'emploi a été choisi par le T suite à la cessation de la mesure par la Commission, il s'agit d'un emploi pour lequel le T possède une certaine expérience de travail. »

 

 

ARGUMENTATION DES PARTIES

 

 

A)      PATRONALE

 

[22]        Le procureur de l'Employeur soumet dans un premier temps qu'aucune décision de la CSST n'a été contestée tant par la Ville que par le Syndicat.

 

[23]        La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles est une loi d'ordre public (art. 4). La réadaptation professionnelle est prévue aux articles 166 et suivants de la Loi et a pour but de faciliter la réintégration du travailleur dans son emploi ou dans un emploi équivalent ou, si ce but ne peut être atteint, l'accès à un emploi convenable. Or, la Charte ne crée pas un régime juridique aux fins d'accommodement.

 

[24]        La loi prévoit aux articles 234 et suivants le droit au retour au travail. L'article 244 de la même loi stipule qu'une convention collective peut prévoir des dispositions relatives à la mise en application du droit au retour. Ces dispositions ne concernent que la mise en application du droit au retour et non le droit au retour lui-même.

[25]        De plus, l'article 349 de la même Loi établit une compétence exclusive à la Commission pour examiner et décider de toute question visée dans la présente loi, et ce, à moins qu'une disposition particulière ne donne compétence à une autre personne ou à un autre organisme. En l'espèce, le dossier de Monsieur Richard ne s'est jamais rendu à la CLP.

 

[26]        La clause 9.34 de la convention collective contient des dispositions relatives à la mise en application du droit de retour au travail d'un employé accidenté ou victime d'une maladie professionnelle, dispositions qui se lisent ainsi :

 

«  Article 9.34 Dispositions relatives à la mise en application du droit de retour au travail d'un employé accidenté ou victime d'une maladie professionnelle.

 

A)      Nonobstant les dispositions de l'article 19, dès qu'un employé titulaire est considéré apte au travail, suite à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, la Ville le réinstalle d'abord dans sa fonction s'il est en mesure de l'accomplir ou dans tout autre fonction qu'il est capable d'accomplir, sans diminution de salaire.

 

B)     L'employé visé à l'alinéa précédent ayant des limitations permanentes et réintégré dans une fonction autre que la sienne ne peut être déplacé par un autre employé.

 

[...]

 

C)     Dans le cas de l'employé auxiliaire accident, les dispositions du présent alinéa s'appliquent jusqu'à concurrence du nombre de jours d'emploi pendant lesquels il aurait travaillé s'il était demeuré au travail compte tenu de l'article 19 »

 

[27]        Le procureur de la ville considère que ces dispositions sont la reproduction des articles  236 , 237 et 239 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et donc n'ajoute pas de conditions plus avantageuses que la LATMP. C'est ainsi que la sentence : Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3993 (unité croupiers) et Société des casinos du Québec Inc., grief Danielle Meunier de l'arbitre Denis Nadeau du 29 août 2010 que va sûrement plaider la procureure syndicale n'est pas applicable en l'espèce.

 

[28]        Le tribunal doit se demander s'il peut accueillir le grief sans renverser les décisions de la CSST ? Dans l'arrêt : Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, section locale 427 c. Tembec, usine de Matane, DTE 2012 T-104 , la Cour d'appel a décidé que la compétence exclusive de la CSST et de la CLP en appel ne peut être remise en question même si les dispositions de la convention collective permettent au salarié victime d'une lésion professionnelle d'accumuler du service continu pendant une durée supérieure à celle prévue à l'article  235 LATMP mais ne contient aucune disposition spécifique relative à la mise en application du droit de retour au travail à la suite d'une lésion professionnelle. Pour la Cour d'appel, tel qu'elle le mentionne au paragraphe 33 de l'arrêt :

 

« Ce droit d'accumuler du service continu ne peut pas être confondu avec le droit prioritaire d'un salarié de récupérer son emploi ou un autre convenable chez son employeur à la suite d'une absence pour lésion professionnelle. Ces droits sont distincts. Le premier permet de conserver des avantages liés à l'accumulation du service continu, malgré une absence du travail, par exemple, le choix de vacances, la durée de celle-ci, le rang de la mise à pied lors d'une réduction de personnel (Art. 13.04 d) la convention collective), etc. Le second permet de revendiquer un travail qui peut, selon la condition du salarié, être celui qu'il occupait avant l'accident ou le premier emploi convenable qui devient disponible. »

 

[29]        Comme le salarié prétendait que l'accumulation du service continu pendant une absence pour accident du travail préservait son lien d'emploi, il s'est présenté au travail et soumet qu'en cas de refus de la part de l'Employeur de le réintégrer dans son emploi, il a droit au grief. Au paragraphe 35, la Cour soumet qu'elle a examiné la même question dans l'affaire SÉPAQ du 19 février 2009 DTE 2009 T-179, et elle a conclu que l'arbitre de griefs n'est pas compétent pour entendre le grief relatif à la réintégration avec accommodement du salarié dans son emploi pré-lésionnel lorsque la CSST ou la CLP arrive à la conclusion qu'il est incapable de reprendre son emploi ou tout autre emploi chez son Employeur.

[30]        Le procureur de la Ville réfère aux paragraphes 40 à 46 de l’arrêt dont les extraits pertinents sont reproduits plus loin.

 

[31]        De l'avis du procureur patronal, cet arrêt clôt le débat. Il réfère également à l'arrêt de la Cour d'appel dans : Société des établissements de plein air du Québec c. Syndicat de la fonction publique du Québec DTE 2009 T-179 ; la sentence de Me André Bergeron dans Université McGill et Munaca (Ron Zahorak), DTE 2011 T-582 , sentence portée en révision judiciaire; sentence de Me Jean Guy Clément dans Métallurgistes unis d'Amérique, section locale 8964 et Fonderie Laperle (Denis Daigle), DTE 2010 T-752 ; sentence de Me Jean Guy Ménard dans Fédération interprofessionnel de la santé du Québec et Hôpital Louis H. Lafontaine (Serette Aris — Jaboin), DTE 2010 T-334 ; Metra Aluminium Inc. et Métallurgistes unis d'Amérique, section locale 7046 (Yvon Roy) sentence de Me Pierre Laplante, DTE 2009 T-704 ; Union des employés et employées de service, section locale 298 c. Foisy, jugement du juge John Bishop de la Cour supérieure de Montréal, DTE 94 T-425; L'Union des employées de service, local 298 — FTQ et Manoir de la Pointe Bleue, sentence de Me Claude H. Foisy, AAS 93 A 227.

 

[32]        Ainsi, un grief qui traite du refus de l'Employeur de réintégrer un employé dans son emploi correspondant à ces limitations fonctionnelles contrevenant ainsi à son devoir d'accommodement en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne ne relève clairement pas d'un tribunal d'arbitrage lequel ne peut se saisir de ce débat. Le tribunal d'arbitrage n'a pas cette compétence qui est celle exclusive de la CSST et de la CLP en appel. C’est la raison pour laquelle le tribunal doit rejeter ce grief.

 

 

 

 

 

B) SYNDICALE

 

[33]        Les faits relatés par le procureur de l'Employeur ne sont pas contestés. Le plaignant a passé au travers du processus de réadaptation de la CSST et à son égard ce processus est terminé. Il peut avoir un emploi convenable de chauffeur ou de nettoyeur d’édifices, ce qui n'est nullement remis en question.

 

[34]        Le grief a été déposé suite à la décision de l'Employeur de refuser de réintégrer le plaignant dans un emploi correspondant à ses limitations fonctionnelles contrevenant ainsi à son devoir d'accommodement. L'Employeur soulève une objection préliminaire voulant que l'arbitre n'ait pas compétence pour entendre un tel grief puisqu'il s'agirait selon lui de la compétence exclusive de la CSST. Or, cette objection n'est pas fondée. Le Syndicat prétend que l'arbitre a compétence pour entendre le litige au fond et par conséquent estime que cette objection devrait être rejetée.

 

[35]        Il faut se rapporter à la convention collective et notamment à la clause 9.34 qui vise également l'employé auxiliaire. La notion de fonction est beaucoup plus large que celle de poste. Quant à la clause 9.35 elle vise la réintégration inter unité syndicale. Il est faux de prétendre que les dispositions de la loi ont été reproduites à la clause 9.34 car on y parle de fonction. La convention collective n'a pas de critère ou d’exigence à l'emploi, de sorte que l'on vise n'importe quel emploi. Ce pourrait même être chez les cols blancs.

 

[36]        Vers qui le plaignant peut-il se tourner si ce n'est vers l'arbitre.

 

[37]        La CALP ,dans la décision Vachon et Québec (ministère du Revenu) DTE 97 T-769 sous la plume de la commissaire Louise Thibault précise que la convention collective peut contenir des dispositions plus avantageuses que la loi relative à la mise en application du droit du retour au travail et que c'est à l'arbitre de voir à leur application.

[38]        La procureure syndicale réfère également à une décision récente de notre collègue Me François Hamelin dans Ville de Montréal-Est et Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal, section locale 301 DTE 2011 T-141 principalement à l'extrait suivant :

 

[30] Comme l’article  4 de la LATMP stipule « qu’une convention […] peut prévoir pour un travailleur des dispositions plus avantageuses que celles que prévoit la présente loi » et que son article 244 édicte « qu’une convention collective peut prévoir des dispositions relatives à la mise en application du droit au retour au travail prévu par la présente section » la décision de mettre fin à l’emploi de la réclamante ne peut être prise qu’après avoir déterminé si la convention collective à l’étude contient des dispositions plus avantageuses que celles prévues par la Loi ou des dispositions relatives au droit au retour au travail.

 

[31] Or, de telles questions ne relèvent pas de la compétence de la CSST, mais bien de la compétence exclusive du tribunal d’arbitrage.

 

[32] En l’espèce, le syndicat soutient que les clauses 9.01 f) et 9.11 de la convention collective prévoient des dispositions plus avantageuses que celles de la LATMP et il s’agit là d’une prétention qu’il appartient à l’arbitre de trancher.

 

[33] À ce stade, je n’ai pas à décider si les clauses 9.01 f) et 9.11 constituent des dispositions plus avantageuses que celles prévues par la loi; je n’ai qu’à prendre acte qu’il est de ma compétence de répondre à cette question, une fois que j’aurai entendu les parties.

 

[34] En l’espèce, les parties m’ont demandé, dans un premier temps, de me prononcer sur l’objection préliminaire soulevée par la ville. Je n’ai donc qu’à déclarer avoir compétence pour entendre le fond de l’affaire.

 

[39]        La sentence de Me Hamelin sur l'objection préliminaire à sa compétence a fait l'objet d'une requête en révision judiciaire et par jugement du 27 mars 2012 le juge Marc Schrager de la Cour supérieure a rejeté la requête en révision judiciaire.

 

[40]        La procureure syndicale soumet qu'il s'agit du même processus décisionnel qu'avec l'article  124 de la Loi sur les normes du travail en ce que c'est à l'arbitre qu'il faut référer le grief pour déterminer si c'est plus avantageux que ce qu'offre la loi. La clause 9.34 de la convention collective a été négociée non pas pour reproduire les dispositions de la loi mais pour offrir un bénéfice plus avantageux.

 

[41]        La sentence de l'arbitre Denis Nadeau dans Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3993 (unité croupiers) et Société des casinos du Québec Inc., précitée, rejette l'objection préliminaire soumise par l'Employeur à sa compétence pour disposer des griefs. Au paragraphe 98 de sa sentence l'arbitre énonce :

 

« 98. L'assise contractuelle que constitue l'article 32.2 de la convention collective et le volet lié à l'adoption, par les parties, de conditions plus avantageuses que celles prévues à la LATMP (art 4 (2) sont deux aspects cruciaux qui, selon moi, ne peuvent être ignorés en droit et qui n'étaient pas présents, ou discutés par la Cour d'appel dans SÉPAQ. »

 

[42]        La sentence de l'arbitre Nadeau a fait l'objet d'une requête pour révision judiciaire qui a été rejetée le 14 décembre 2011 par le juge Pierre Dallaire de la Cour supérieure. Étant donné qu'il s'agit d'une décision intérimaire le juge a conclu qu'il était prématuré de décider de la question de la compétence vu les arguments présentés par les parties.

 

[43]        En somme, le tribunal d'arbitrage a compétence pour entendre la preuve au fond car le plaignant ne demande pas le retour dans son emploi ni un accommodement raisonnable.

 

[44]        Dans la sentence Ville de Montréal (arrondissement Villeray — Saint-Michel — Parc-Extension) et Syndicat des fonctionnaires municipaux de Montréal (SCFP), (Lise Dionne), DTE 2011 T-819 , l'arbitre Jean-Pierre Lussier, dans le cadre d'une objection préliminaire présentée par l'Employeur a rejeté ladite objection pour les mêmes motifs que Me Nadeau l'avait fait dans la sentence Société des casinos du Québec Inc. La procureure réfère également à la sentence de l'arbitre Gilles Desnoyers dans Centre de santé et de services sociaux Québec — Nord et Syndicat des employés du CH St- Augustin, DTE 2007 T-268 .

 

[45]        La procureure syndicale ne partage pas l'opinion voulant que la Charte des droits ne s'applique pas car, les notions d'emploi convenable et d'emploi équivalent ont des critères bien différents. Depuis l'arrêt de la Cour suprême dans Parry Sound la Charte est intégrée dans la convention collective. Si un grief découle de la Charte des droits et libertés de la personne, c’est l’arbitre qui a compétence pour en disposer. Dans la convention collective sous étude, la clause 9.34 impose un seul critère à l'arbitre soit que : « La ville le réintègre d'abord dans sa fonction s'il est en mesure de l'accomplir, ou dans toute autre fonction qu'il est capable d'accomplir, sans diminution de salaire. » Or, comme mentionné précédemment le plaignant ne demande pas la réintégration dans son emploi pré-lésionnel.

 

[46]        En résumé, la procureure syndicale demande à l'arbitre de rejeter l'objection préliminaire car il a compétence pour décider si des conditions plus avantageuses sont prévues à la convention collective ce qui, prétend-elle, est le cas.

 

C) RÉPLIQUE

 

[47]        Pourtant la décision de la CSST du 17 février 2011 concernant la capacité de travail du plaignant est claire :

 

« Comme vous ne pouvez retourner travailler chez votre employeur, nous avons évalué avec vous si un autre emploi ailleurs sur le marché du travail pouvait convenir. Ainsi, nous avons retenu comme emploi convenable celui de nettoyeur d'édifices à bureaux, qui pourrait vous procurer un revenu annuel estimé à 24 960 $. »

 

 

[48]        Décider que le plaignant pourrait être réinstallé dans toute autre fonction qu'il est capable d'accomplir chez son Employeur excéderait la compétence de l'arbitre. De plus, quelle différence peut-on trouver entre fonction et emploi puisqu'il s'agit de synonymes ?

 

[49]        Toutes les décisions déposées par la partie syndicale ont été rendues avant l'arrêt Tembec du 30 janvier 2012. De plus, dans la sentence de l'arbitre Hamelin dans Ville de Montréal-Est, l'Employeur avait mis fin à l'emploi de l'employé alors qu'il y avait une clause bien différente de celle que l'on retrouve dans la convention collective qui concerne le cas sous étude. Les clauses 9.01f) et 9.11 de cette convention collective se lisent ainsi :

 

9.01f) « Dans le cas où un employé, victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, devient incapable, de façon permanente, de reprendre son poste de travail, les parties s'engagent à collaborer, si possible, afin de permettre à cet employé d'être affecté à un poste dont il pourra remplir les exigences normales et ce, à des conditions au préalable acceptées par les parties. »

 

9.11 Lors du retour au travail d'un employé accidenté ou victime d'une maladie professionnelle, lorsqu'il est consolidé, les parties conviennent de ce qui suit :

 

a)     Nonobstant les dispositions de l'article 18, dès qu'un employé titulaire est considéré apte au travail, suite à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, la Ville le réinstalle d'abord dans sa fonction s'il est en mesure de l'accomplir ou dans toute autre fonction qu'il est capable d'accomplir, sans diminution de salaire;

 

b)     L'employé bénéficiant, du présent alinéa, ne peut être déplacé par un autre employé.

 

Par la suite, l'employé est couvert par les dispositions du régime d'assurance salaire, s'il y a lieu. »

 

[50]        La sentence de l'arbitre Hamelin s'articule essentiellement autour de cette clause 9.01 f). C'est également en soulignant la présence de cette clause que la Cour supérieure a jugé que la décision de l'arbitre n'était pas déraisonnable. Or, non seulement la convention collective de la ville de Beaconsfield ne contient pas une telle clause, mais au surplus, elle prévoit expressément, à l'article 9.34 d), l'application des dispositions de la Loi sur les accidents et les maladies professionnelles à défaut d'emploi disponible conforme à la condition du salarié.

 

[51]        Par ailleurs, l'Employeur ne peut souscrire à la position retenue par la Cour supérieure concernant l'inclusion dans une convention collective de dispositions plus avantageuses que celles édictées à la LATMP. En effet, cette décision omet de tenir compte du fait que l'article  349 de la LATMP est d'ordre public. Il n'est donc pas possible pour les parties de contourner conventionnellement la compétence exclusive confiée à la CSST par le législateur : Université McGill et Munaca, précitée.

 

[52]        Il est également important de remettre en contexte l'article  244 LATMP, fondamental à la compétence de l'arbitre et qui pourtant, ne fait l'objet que de commentaires indirects de la part de la Cour supérieure. Les deux premiers alinéas de l'article 244 de cette loi permettent aux parties de négocier les modalités d'application du droit de retour au travail. Cette disposition n'octroie cependant pas aux parties le pouvoir de confier à un arbitre de grief une compétence portant sur la détermination du droit de retour au travail à proprement parler. L'expression « mise en application du droit de retour au travail » suppose en effet qu'il y ait eu, au préalable, détermination du droit de retour au travail par la CSST.

 

[53]        Le pouvoir de statuer sur le droit du salarié de retourner à l'emploi de l'Employeur appartient exclusivement à la CSST et doit forcément être exercé avant de pouvoir être mis en application. Le procureur de l'Employeur réfère à la sentence précitée Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec et Hôpital Louis H. Lafontaine de l'arbitre Jean Guy Ménard.

 

[54]        Il en est de même de la sentence de Me Jean-Pierre Lussier dans la ville de Montréal (arrondissement Villeray — Saint-Michel — Parc-Extension), précitée, dont la convention prévoyait les clauses 25.05 et 25.06 se lisant ainsi :

« 25.05

 

Nonobstant les dispositions contraires ou incompatibles de la convention collective, dès qu’un fonctionnaire permanent est considéré apte au travail, à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, l’Employeur le réintègre à son poste ou à tout autre poste vacant de son emploi ou de tout emploi convenable de groupe de traitement équivalent ou inférieur, qu’il est apte à occuper, et ce, sans perte de traitement.

 

25.06

 

Les parties s’entendant sur le principe de réintégration inter-unités syndicales à la suite d’un accident du travail, conviennent de négocier des modalités qui permettront ces réintégrations après la date de la signature de la convention collective. Les parties s’entendent sur les principes suivants :

 

-                  Un salarié d’une autre unité d’accréditation syndicale qui ne peut être réintégré dans un emploi convenable de son unité d’accréditation à la suite des blessures subies ou de la maladie résultant de l’exercice de ses fonctions peut être réassigné à un emploi de la présente unité d’accréditation qu’il est apte à occuper;

 

-                  Un fonctionnaire couvert par la présente accréditation syndicale qui ne peut être réintégré dans un emploi convenable de cette unité, à la suite des blessures subies ou de maladie résultant de l’exercice de ses fonctions, peut être réintégré dans un emploi ou une fonction dans une autre unité d’accréditation syndicale qu’il est apte à occuper.

 

[55]        Ce sont des dispositions assez particulières et de plus les parties s'étaient entendues pour réintégrer la salariée sur un poste pour lequel il n'y avait pas de limitations fonctionnelles. Par la suite, les parties reçoivent la décision de la CLP rejetant la demande de reconsidération de la travailleuse concernant l'emploi convenable chez son Employeur et celui-ci modifie ensuite sa décision pour conduire à un congédiement administratif.

 

[56]        Dans la décision de Me Denis Nadeau dans la Société des casinos du Québec Inc. l'article 32.2 de la convention collective précitée est bien différente des clauses sur lesquelles la partie syndicale se fonde dans notre litige. Il en est de même dans la sentence Centre de santé et de services sociaux Québec-Nord, précitée, dont les clauses invoquées traitent d'aménagement de tâches.

 

[57]        En somme, il n'y a pas de façon pour le tribunal de rejeter l'objection à sa compétence car la CSST a bien décidé qu'il n'y avait pas d'emploi convenable chez l'Employeur. De plus, le grief ne fait pas état du poste sur lequel le plaignant a travaillé. Le plaignant a reçu une formation pour conduire un camion et le tribunal n'a pas à recommencer le processus qu'a fait la CSST.

 

 

MOTIFS ET DÉCISION

 

 

[58]        Le tribunal a lu attentivement toutes les autorités qui lui ont été déposées au soutien de l'objection préliminaire à sa compétence. De ces autorités, il ressort que la CSST et la CLP en appel disposent d'une compétence exclusive en vertu de l'article  349 de la LATMP. Dans le récent arrêt de la Cour d'appel dans Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, section locale 427 c. Tembec, usine de Matane, précitée, la juge France Thibault, dans un jugement unanime, s'exprime comme suit :

 

« [21] À mon avis, la question du droit d’un salarié victime d’une lésion professionnelle de récupérer son emploi prélésionnel, telle qu’elle se pose dans le présent dossier, échappe à la compétence d’un arbitre de griefs.

 

[22] La LATMP institue un régime de réparation des lésions professionnelles et des conséquences subies par les bénéficiaires 6 . Dans ce cadre, le processus de réparation comprend, en plus du paiement d’indemnités diverses (remplacement de revenu, indemnité pour préjudice corporel, indemnités de décès), la fourniture de soins, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du salarié victime d’une lésion professionnelle (art. 1 LATMP). »

 

[…]

 

[27]      La réadaptation professionnelle a pour but de faciliter la réintégration du travailleur dans son emploi prélésionnel ou un emploi équivalent ou, si ce but ne peut être atteint, l’accès à un emploi convenable (art. 166 LATMP).

 

 

[28]      Le programme de réadaptation professionnelle peut comprendre un programme de recyclage, des services d’évaluation des possibilités professionnelles, un programme de formation professionnelle, des services de support en recherche d’emploi, le paiement de subventions à un employeur pour favoriser l’embauche du travailleur qui a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, l’adaptation d’un poste de travail, le paiement de frais pour explorer un marché d’emplois ou pour déménager près d’un nouveau lieu de travail et le paiement de subventions au travailleur (art. 167 LTMP).

 

[29]      Le chapitre VII de la LATMP décrit les droits du salarié à un retour au travail. Ce dernier a droit de récupérer prioritairement son emploi s’il redevient capable de l’exercer, sinon, il a droit d’occuper le premier emploi convenable qui devient disponible dans un établissement de son employeur, et cela, dans le délai prévu à l’article  240 LATMP (art. 236 et 239 LATMP).

 

[30]      La LATMP confie à la CSST la compétence exclusive pour examiner et décider toute question visée par la loi, sauf si une disposition particulière prévoit le contraire (art. 349 et 359 LATMP). La LATMP aménage un appel à la CLP et lui confie la compétence exclusive sur les recours en appel (art. 359 et 369 LATMP).

 

[31]      Conformément à l’article  244 LATMP, une convention collective peut prévoir des dispositions relatives à la mise en application du droit de retour au travail. Le cas échéant, la même disposition prévoit que le travailleur lésé dans son droit de retour au travail peut soumettre son grief à l’arbitrage.

 

[32]      Voici le texte des deux dispositions de la convention collective sur lesquelles l’appelant se fonde pour conclure à la compétence de l’arbitre de griefs en matière de droit de retour au travail à la suite d’une absence au travail causée par une lésion professionnelle :

 

12.04      Accumulation du service continu

 

Le service continu est constitué par la présence de l’employé à son travail tous les jours, pendant les heures régulières de travail définies à la convention collective.

 

Les absences suivantes n’ont pas pour effet d’interrompre l’accumulation du service continu :

 

[…]

 

b) l’absence pour cause de lésions professionnelles, alors que l’employé est à l’emploi de la Compagnie;

 

ARTICLE 13             POSTE VACANT - PROMOTION - MISE À PIED - RAPPEL - RÉTROGRADATION

 

13.04      Réduction de personnel

 

d) Département de l’entretien

 

Dans le département d’entretien, les mises à pied commencent par les employés ayant le moins d’ancienneté dans leur département. Cependant, il est entendu et compris que l’application des mesures prises dans cette section, peut être modifiée, par accord mutuel, afin de retenir les catégories et niveaux de compétence et d’habileté demandés afin d’assurer le bon rendement des opérations de l’usine. 7

 

[33]      La convention collective en cause ne contient aucune disposition spécifique relative à la mise en application du droit de retour au travail à la suite d’une lésion professionnelle. Son article 12.04 permet au salarié victime d’une lésion professionnelle d’accumuler du service continu pendant une durée supérieure à celle prévue à l’article  235 LATMP. Ce droit d’accumuler du service continu ne peut pas être confondu avec le droit prioritaire d’un salarié de récupérer son emploi ou un autre convenable chez son employeur à la suite d’une absence pour lésion professionnelle. Ces droits sont distincts. Le premier permet de conserver des avantages liés à l’accumulation du service continu, malgré une absence du travail, par exemple, le choix des vacances, la durée de celles-ci, le rang de la mise à pied lors d’une réduction de personnel (art. 13.04 d) de la convention collective), etc. Le second permet de revendiquer un travail qui peut, selon la condition du salarié, être celui qu’il occupait avant l’accident ou le premier emploi convenable qui devient disponible.

 

[34]      L’appelant fait valoir que l’accumulation du service continu durant une absence pour accident du travail a aussi comme effet de préserver le lien d’emploi de M. Corneau. Dans un pareil cas, lorsqu’un salarié se présente au travail après la consolidation de sa lésion professionnelle, l’employeur doit réagir. En cas de refus de la part de l’employeur de le réintégrer dans son emploi, le salarié a un droit de grief.

 

[35]    La Cour a examiné la même question que celle posée ici par l’appelant dans l’affaire SÉPAQ précitée. Elle a conclu que l’arbitre de griefs n’est pas compétent pour entendre le grief relatif à la réintégration avec accommodements du salarié dans son emploi prélésionnel lorsque la CSST ou la CLP a conclu qu’il est incapable de reprendre son emploi ou tout autre chez son employeur :

 

[17]         Rien dans cet arrêt ne milite en faveur de la position de l’intimé selon laquelle il revient à l’arbitre de griefs, dans la présente affaire, de trancher la question de l’accommodement raisonnable sur laquelle la CSST, nous l’avons vu, s’est déjà prononcée.

[18]         L’arbitre a eu raison de décliner compétence. La compétence que lui confère l’article  244 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles pour régler les modalités de retour au travail n’inclut pas celle de décider la capacité d’exercer un emploi à la suite d’une lésion professionnelle, question réservée à la CSST et à la CLP en appel.

 

[19]         En effet, la CSST possède une compétence exclusive pour examiner et décider toute question visée dans la Loi, selon l’article 349 de cette dernière. L’arbitre ne pouvait se saisir de la demande du plaignant réclamant son emploi de journalier alors que la CSST avait déjà décidé qu’il n’est plus en mesure de l’occuper. La Cour suprême du Canada a statué que la Charte québécoise des droits et libertés de la personne ne crée pas un régime parallèle d’indemnisation. Elle n’autorise pas non plus la double compensation pour une même situation factuelle.

 

[36]      L’appelant propose que ces enseignements ont été écartés par la Cour suprême dans Syndicat de la fonction publique du Québec c. Québec (Procureur général) (ci-après SFPQ ) 8 . Dans cette affaire, la Cour suprême devait décider qui, de l’arbitre de griefs ou de la Commission des relations du travail (ci-après CRT), pouvait se saisir du recours d’un salarié en cas de renvoi sans cause juste et suffisante. Les clauses pertinentes de la convention collective applicable privaient les salariés du droit à l’arbitrage de griefs pour contester leur congédiement alors que la norme d’ordre public de l’article  124 de la Loi sur les normes du travail 9 (ci-après LNT) leur accorde ce droit.

 

[…]

 

[40]      Je ne vois rien dans l’affaire SFPQ précitée qui permet d’écarter les enseignements de la Cour dans l’arrêt SÉPAQ. La LNT reconnaît le caractère subsidiaire du recours devant le CRT alors que la LATMP affirme « la compétence exclusive [de la CSST] pour examiner et décider de toute question visée par la présente loi, à moins qu’une disposition particulière ne donne compétence à une autre personne ou à un autre organisme » (art. 349 LATMP).

 

[41]      L’appelant reconnaît que la CSST a statué sur sa capacité à reprendre son travail prélésionnel ou un autre emploi convenable et que cette question en est une qui lui est réservée de façon exclusive par la LATMP. Il avance toutefois que la matière visée par son grief concerne ses droits lors d’un retour au travail. Il plaide que l’accumulation de son service continu lui conférait le droit de réintégrer son travail en vertu de la convention collective même après l’expiration du délai prévu par la LATMP. Puisque le retour au travail découle de la convention collective et non de la LATMP, l’appelant en tire l’inférence que l’arbitre était compétent pour se saisir de son grief.

 

[42]      À mon avis, l’appelant a tort. Les questions sur lesquelles la CSST a compétence exclusive ne peuvent être remises en cause par un employeur ou un salarié que dans le cadre des mécanismes d’appel institués par la LATMP. Un employeur ne peut, lors de l’application d’une convention collective, remettre en cause la reconnaissance d’une lésion professionnelle, la durée de l’incapacité, la date de consolidation d’une lésion professionnelle, la détermination des limitations fonctionnelles, la capacité d’exercer l’emploi prélésionnel, la détermination de l’emploi convenable, etc.  L’application d’une convention collective, lorsqu’elle implique une question sur laquelle la CSST a compétence exclusive, doit se faire en tenant la décision de la CSST pour acquise.

 

[43]      Il me semble que cette approche découle du sens commun et qu’elle respecte les dispositions de la LATMP. Elle évite que deux forums - la CSST et la CLP ainsi que l’arbitre de griefs - statuent sur les mêmes questions à l’égard desquelles la LATMP a affirmé la compétence exclusive de la CSST.

 

[44]      La position de l’appelant implique que les décisions de la CSST, à qui la LATMP reconnaît une compétence exclusive en certaines matières, peuvent être modifiées par un arbitre de griefs.

 

[45]      Cette proposition heurte la volonté clairement exprimée par le législateur de confier à la CSST, et à la CLP en appel, la mission exclusive de trancher certaines questions. Ces organismes sont hautement spécialisés pour décider de toutes les questions reliées à la reconnaissance d’un fait accidentel, à l’incapacité qui s’ensuit, au besoin d’assistance médicale, à la date de consolidation de la lésion, au besoin de réadaptation, à la capacité de reprendre son emploi ou un emploi convenable ainsi qu’à l’indemnisation de salariés. La CSST « accompagne » le salarié à compter du fait accidentel jusqu’à sa réinsertion sur le marché du travail. Pour atteindre ces fins, la CSST dispose de tous les moyens et outils que la LATMP donne à cet organisme.

 

[46       À mon avis, il n’y a pas de place pour un régime parallèle où l’employeur, l’Association accréditée et le salarié peuvent discuter de ces questions devant l’arbitre de griefs et écarter les décisions de la CSST. On ne peut que rejeter les effets indésirables rattachés à la position de l’appelant. Selon cette thèse, un employeur pourrait, par exemple, congédier un employé absent du travail à la suite d’une lésion professionnelle. Cet employeur pourrait ensuite plaider devant l’arbitre de griefs l’inexistence d’un fait accidentel, et cela, même si la CSST a conclu le contraire.

 

[59]        Ainsi, la Cour d'appel a analysé les dispositions de la convention collective pour s'assurer si celles-ci étaient plus avantageuses que celles de la LATMP en regard des articles 4, 244 et 349 de ladite loi, articles se lisant ainsi :

 

 

 

« 4. La présente loi est d'ordre public.

 

Cependant, une convention ou une entente ou un décret qui y donne effet peut prévoir pour un travailleur des dispositions plus avantageuses que celles que prévoit la présente loi.

 

244. Une convention collective peut prévoir des dispositions relatives à la mise en application du droit au retour au travail prévu par la présente section.

 

Le droit au retour au travail d'un travailleur est mis en application de la manière prévue par la convention collective qui lui est applicable, si celle-ci contient des dispositions prévues par le premier alinéa ou des dispositions relatives au retour au travail après un accident ou une maladie.

 

Dans ce cas, le travailleur qui se croit lésé dans l'exercice de son droit au retour au travail peut avoir recours à la procédure de griefs prévue par cette convention.

 

349. La Commission a compétence exclusive pour examiner et décider toute question visée par la présente loi, à moins qu'une disposition particulière ne donne compétence à une autre personne ou à un autre organisme. »

 

[60]        Le seul fondement de ce grief est de se demander si effectivement la clause 9.34 est plus avantageuse que ce que prévoit la loi. De fait, les parties ont argumenté sur le caractère plus avantageux de cette disposition, l'Employeur soutenant que la clause ne fait que reproduire les dispositions de la loi alors que la partie syndicale soumet que la notion de fonction de la convention collective est différente de celle d'emploi prévue à la LATMP.

 

[61]        La convention collective définit à l'article 2 les notions de fonction et de poste en ces termes :

 

« l) « fonction » : poste ou groupe de postes de travail dont les tâches les plus importantes et les plus significatives sont équivalentes tel que décrit dans la nomenclature constituant les annexes « A » et « B » de la présente convention.

 

m) « poste » : l'assignation particulière de l'employé dans le cadre général de sa fonction. »

 

 

[62]        La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles définit à son article 2 les termes suivants :

 

« Emploi convenable » : un emploi approprié qui permet au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles, qui présente une possibilité raisonnable d'embauche et dont les conditions d'exercice ne comportent pas de danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion;

 

« Emploi équivalent » : un emploi qui possède des caractéristiques semblables à celles de l'emploi qu'occupait le travailleur au moment de sa lésion professionnelle relativement aux qualifications professionnelles requises, au salaire, aux avantages sociaux, à la durée et aux conditions d'exercice; »

 

[63]        Comme le souligne avec justesse l'arbitre François Hamelin au paragraphe 32 de sa sentence précitée dans Ville de Montréal-Est, il appartient à l'arbitre de trancher si les dispositions de la convention collective sont plus avantageuses que celles de la LATMP. En révision judiciaire de cette sentence, la Cour supérieure énonce aux paragraphes 41 à 45 :

 

« [41]        La question ici n’est pas vraiment, si oui ou non, l’arbitre avait juridiction en vertu des articles 9.01(f) et 9.11 de la convention collective (ou selon la Ville si la juridiction de la CSST en vertu de la LATMP et la rédaction de la convention collective écartaient toute compétence possible de l’arbitre afférant à la réintégration d’un employé victime d’une lésion professionnelle).

 

[42]      La question est plutôt, est-ce que l’arbitre avait juridiction pour entendre la cause et pour décider, si oui ou non, il avait juridiction pour décider - à savoir, pour interpréter les articles 9.01(f) et 9.11 à la lumière de la preuve comme attributive d’une compétence au-delà de celle de la CSST en vertu de la LATMP. Vu de cette façon, la norme applicable est celle de la décision raisonnable 10 .

 

[43]      En arrivant à cette conclusion, le soussigné a bien considéré l’affaire Tembec 11 , dans laquelle la Cour d’appel a décidé que la norme de la décision correcte s’appliquait à une situation qui semblait à sa face identique au présent dossier, même, la question était plaidée comme moyen préliminaire. Pourtant, la différence fondamentale entre Tembec et la présente cause est la présence des clauses 9.01(f) et 9.11 de la convention collective lesquelles, tel que le Syndicat le prétend, créent un régime plus favorable que celui de la LATMP. Dans Tembec , il n’y avait aucune clause de ce genre 12 .

 

[44]      Il n’y a aucune autorité qui a été citée pour convaincre le Tribunal que la seule possibilité pour un retour au travail était le processus prévu par la LATMP devant la CSST. Selon la preuve à être faite devant l’arbitre, les clauses 9.01(f) et 9.11 pourraient être, ou ne pas être une autre source de droit et un autre régime supplémentaire « plus avantageux » que les régimes prévus par la LATMP.

 

[45]      La preuve sera certainement pertinente, par exemple, pour interpréter les clauses en question selon l’interprétation donnée par les parties dans le passé 13 . En conséquence, la décision de l’arbitre à l’effet qu’il avait juridiction pour entendre une telle audition était raisonnable. La nécessité pour un arbitre d’entendre la preuve afin de déterminer, si oui ou non il a juridiction sur un grief devant lui n’est pas un terrain inconnu 14 .

 

[64]        Comme les parties n'ont pas eu l'occasion d'épiloguer longuement sur la question du caractère plus avantageux des dispositions conventionnelles par rapport à la loi, il m'apparaîtrait, à tout le moins, déplacé de supputer leurs argumentations sur cette question à la lumière des propos du juge Dallaire de la Cour supérieure.

 

POUR TOUS CES MOTIFS, L'ARBITRE :

 

REJETTE l'objection préliminaire de la Ville;

 

DÉCLARE avoir compétence pour décider si les paragraphes 9.34 et 9.35 de la convention collective prévoient des dispositions plus avantageuses que celles offertes par la loi ;

 

ORDONNE la poursuite de l'audition à une date à être convenue entre les parties et le soussigné.

 

 

 

 

Me Marcel Morin

Arbitre de griefs C.A.Q.

Pour le Syndicat :        Me Josée Aubé

 

 

Pour l’Employeur :      Me Stéphane Fillion

 

 

[65]        Date d’audience : 1er mars 2012