B.C. c. Québec (Ville de)

2012 QCCAI 201

 

Commission d’accès à l’information du Québec

Dossiers :        09 20 03, 09 20 04, 09 20 82 et 10 06 07

Date :                 Le 26 avril 2012

Membre :         M e Alain Morissette

 

 

                        09 20 03

B… C…

                        09 20 04

C… CA…

                        09 20 82

F… P…

                        10 06 07

M… F…

 

Demandeurs

 

c.

 

VILLE DE QUÉBEC

 

Organisme

 

 

DÉCISION

OBJETS EN LITIGE  :

DEMANDES DE RÉVISION en matière de rectification en vertu de l’article 135 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels [1] .

            Dossier 09 20 03

[1]          Le 23 octobre 2009, M. B… C… (le demandeur) produit une demande de révision à la Commission d’accès à l’information (la Commission) à l’encontre de la décision rendue par la Ville de Québec (l’organisme) le 5 octobre 2009.

[2]          Par cette décision, l’organisme refuse de faire droit à la demande de rectification présentée le 24 septembre précédent.

Dossier 09 20 04

[3]          Le 23 octobre 2009, M me C… Ca… (la demanderesse) produit une demande de révision à la Commission à l’encontre de la décision rendue par l’organisme le 5 octobre 2009.

[4]          Par cette décision, l’organisme refuse de faire droit à la demande de rectification présentée le 24 septembre précédent.

Dossier 09 20 82

[5]          Le 3 novembre 2009, M. F… P… (le demandeur) produit une demande de révision à la Commission à l’encontre de la décision rendue par l’organisme le 28 octobre 2009.

[6]          Par cette décision, l’organisme refuse de faire droit à la demande de rectification présentée le 9 octobre précédent.

Dossier 10 06 07

[7]          Le 7 avril 2010, M. M… F… (le demandeur) produit une demande de révision à la Commission à l’encontre de la décision rendue par l’organisme le 30 mars 2010.

[8]          Par cette décision, l’organisme refuse de faire droit à la demande de rectification présentée le 10 mars précédent.

Dossiers 09 20 03, 09 20 04, 09 20 82 et 10 06 07

[9]          Toutes ces demandes de rectification sont rédigées de la même façon et requièrent le retrait, dans le dossier d’employé de chaque demandeur, de «tout rapport en relation avec toute mesure disciplinaire, comprenant la nature de la dérogation et la sanction encourue de même que la copie de tout rapport de blâme, eu égard au fait que plus de cinq ans se sont écoulés depuis l’imposition de la mesure». Ces requêtes sont présentées en vertu de l’article 89 de la Loi sur l’accès et de l’article 4 du Règlement sur les archives de la Sûreté du Québec et des corps de police municipaux concernant le personnel policier [2] .

[10]       Quant aux décisions contestées, elles sont formulées selon un cadre analogue. Dans chaque cas, l’organisme invoque l’application des articles 64 , 72 et 73 de la Loi sur l’accès au soutien de ses prétentions de ne pas y acquiescer.

AUDIENCE  :

[11]       Une audience se tient à Québec les 13 et 14 mars 2012 en présence des parties, lesquelles sont représentées par procureur.

[12]       D’entrée de jeu, le procureur de M. M… F… informe la Commission que ce dernier produit un désistement de son recours. Ainsi, le tribunal en prend acte et n’est plus saisi du dossier portant le n o 10 06 07. La Commission disposera donc des trois autres litiges.

[13]       Également, les parties conviennent de présenter une preuve commune qui sera versée intégralement dans les dossiers portant les n os 09 20 03, 09 20 04 et 09 20 82 considérant qu’il y a identité de cause et d’objet.

[14]       Invité à préciser les conclusions recherchées, le procureur des demandeurs requiert de la Commission une ordonnance sommant l’organisme de retirer du dossier personnel de ses clients les mesures disciplinaires encourues depuis plus de cinq ans ainsi que tout autre document connexe s’y rapportant.

FAITS  :

[15]       Les faits sont relativement simples et ne sont pas contestés.

[16]       Les demandeurs ont respectivement fait l’objet d’une mesure disciplinaire imposée par leur employeur à la suite de comportements adoptés dans l’exercice de leur fonction de constable. Après l’écoulement d’une période de cinq ans depuis l’imposition de la sanction, une démarche a été initiée afin d’en retirer le contenu de leur dossier personnel d’employé.

[17]       Le 15 juillet 2011, sous la plume du juge administratif Jean Chartier, la Commission rend une décision interlocutoire par laquelle elle rejette les moyens préliminaires soulevés par l’organisme et déclare qu’elle a compétence pour disposer du présent litige. De plus, la Commission conclut que le Règlement sur les archives est toujours en vigueur.

A)        PREUVE DE L’ORGANISME :

[18]       Le procureur de l’organisme produit les pièces suivantes :

-      O-2b) : convention collective de travail entre la Ville de Québec et la Fraternité des policiers et policières de la Ville de Québec pour la période 2007-2014;

-      O-5 : extrait de la Gazette officielle du 5 avril 1978 concernant l’adoption du Règlement sur les archives;

-      O-6 : formulaire du Service des ressources humaines de l’organisme intitulé «Résumé de dossier»;

-      O-7 : appel de candidatures pour assurer la sécurité lors des Jeux olympiques de 2010 à Vancouver;

-      O-8 : Recueil de gestion des archives à l’intention des services de police émanant de Bibliothèque et Archives nationales.

[19]       La Commission précise que les pièces O-1 à O-4 avaient été déposées lors de l’audience s’étant tenue devant le juge administratif Jean Chartier le 13 décembre 2010.

[20]       Le procureur de l’organisme fait entendre deux témoins : M me Sandra Leboeuf-Gosselin et M. Sylvain Gagné.

            Témoignage de Sandra Leboeuf-Gosselin  :

[21]       Madame Leboeuf-Gosselin occupe la fonction de conseillère en ressources humaines au sein de l’organisme, étant affectée plus précisément au Service de la dotation. Ses tâches consistent notamment à procéder à la sélection du personnel, que ce soit aux stades de l’embauche, d’un concours de promotion ou pour favoriser la mobilité du personnel. Elle voit au respect des effectifs et s’assure que les restrictions de postes sont respectées. Avant d’afficher un concours, elle obtient au préalable les autorisations nécessaires et, le cas échéant, elle certifie que le processus est conforme aux prescriptions de la convention collective en vigueur. Lorsqu’un candidat applique sur un concours, elle valide si ce dernier est admissible en fonction des exigences minimales requises.

[22]       Pour se qualifier, un candidat doit être déclaré apte à occuper les fonctions convoitées, et ce, à la suite d’un processus de sélection qui comporte plusieurs volets, notamment un examen écrit, une entrevue et parfois des tests psychométriques. Ensuite, un rang est attribué parmi les candidats ayant obtenu la note de passage. La liste confectionnée est utilisée pour combler des postes vacants en matière de promotion ou de mutation.

[23]        En ce qui concerne le corps d’emploi de policier, le témoin énumère les différents grades accessibles sur le plan hiérarchique, notamment ceux de sergent, lieutenant, capitaine et directeur. Un minimum de cinq ans d’ancienneté est requis pour accéder à un grade supérieur.

[24]       Lorsque le candidat a franchi avec succès les premières étapes du processus, dont l’examen écrit, il est ensuite convoqué à l’entrevue. Avant la tenue de celle-ci, M me Leboeuf-Gosselin prend connaissance du dossier personnel du candidat et élabore un résumé de son profil occupationnel, lequel est reproduit sur un formulaire (O-6).

[25]       Elle précise que le cheminement de carrière complet du policier constitue de l’information pertinente pour les fins d’apprécier ses aptitudes à occuper le poste auquel il aspire. Elle consulte notamment les diplômes obtenus, la formation continue dont il a bénéficié, le profil d’assiduité, les évaluations de rendement, les lettres de blâme ou de déontologie, les mesures disciplinaires encourues ainsi que tout autre document comportant des félicitations ou signes positifs de distinction. Tous ces renseignements sont utiles et nécessaires afin de guider le comité de sélection, formé habituellement de trois membres dont elle et deux officiers, à faire un choix éclairé.

[26]       Le comité se réunit avant la séance d’entrevue et partage à huis clos l’information récoltée en utilisant l’outil de gestion qu’elle a préalablement confectionné. Ce moment privilégié leur permet d’adapter les questions qui seront posées au candidat lors de l’entrevue de type «non structurée», c’est-à-dire permettant une certaine latitude au niveau des interventions en fonction de la situation particulière du postulant.

[27]       Le témoin précise qu’elle participe à environ une douzaine de concours annuellement et chacun d’eux peut impliquer de 25 à 40 mises en candidature. Elle souligne également que la tendance est à la hausse.

[28]       Pour assurer une saine gestion des effectifs, le comité de sélection, et ultimement la direction, a besoin de connaître, le cas échéant, l’existence de mesures disciplinaires encourues antérieurement. Ces données sont reproduites sur le résumé de dossier du candidat, à l’item «divers». La personne est ainsi confrontée à cette réalité lors de l’entrevue afin de vérifier son cheminement ultérieur à la commission du geste répréhensible. M me Leboeuf-Gosselin observe que l’exercice est souvent formateur et positif pour le policier car cela lui permet de démontrer concrètement les correctifs qu’il a apportés sur le plan comportemental ou au niveau de son attitude.

[29]       En référant à l’article 31.04 de la convention collective de travail s’appliquant aux policiers (O-2b), elle souligne que 60 % des points de la notation est accordé à l’entrevue ainsi qu’au dossier du candidat lors d’un concours de promotion, ce qui démontre l’importance de ces volets.

[30]       Dans l’éventualité où la direction n’aurait plus accès aux documents relatant des mesures disciplinaires subies depuis plus de cinq ans, elle est convaincue que cela fausserait l’outil de gestion utilisé ainsi que la véritable perception du candidat. Il importe de savoir notamment si l’acte reproché constituait un cas isolé ou si les gestes ont été posés de façon récurrente ou répétitive. Le délai écoulé entre les gestes sanctionnés constitue également une donnée utile qui permet de faire des liens entre différentes situations. Cette connaissance globale assure une évaluation plus complète et fiable du postulant.

[31]       En référant à nouveau à la convention collective, elle attire l’attention du tribunal sur l’article 31.16 qui prévoit que les promotions sont accordées en tenant compte des qualifications et de la conduite des candidats eu égard aux rangs établis d’après les résultats finals sur la liste d’aptitude. Ainsi, ceci accrédite la thèse voulant que le dossier du candidat soit pris en considération.

[32]       Elle ajoute que le jugement du candidat constitue l’un des critères servant à son évaluation dans le cadre d’un concours de promotion ou pour envisager un replacement. À ce titre, ses qualités interpersonnelles ainsi que ses intérêts et motivations contribuent à parfaire l’exercice d’appréciation. Le profil de la personne est pris en compte afin d’éviter d’exposer le policier à des situations au cours desquelles il éprouverait manifestement des difficultés.

[33]       En contre-interrogatoire, le témoin atteste que lors de l’entrevue, elle s’attarde à la date à laquelle une mesure disciplinaire a été encourue. Elle note de façon exhaustive sur le formulaire (O-6) chaque mesure infligée. Ceci peut être négatif pour le candidat s’il ne s’est pas amendé mais, dans le cas contraire, cela constituerait un aspect positif susceptible de démontrer qu’il a progressé. Cet élément permet d’évaluer notamment son jugement. La candidature n’est pas refusée du simple fait que le dossier personnel contient des antécédents en matière de conduite mais cet élément contribue à la conclusion finale. Selon M me Leboeuf-Gosselin, cette façon de faire au niveau de la dotation n’est pas contraire à l’article 27.12 de la convention collective qui prévoit que l’employeur ne considère que les mesures disciplinaires datant d’au plus deux ans, dans les cas de suspension ou de rétrogradation, et d’au plus un an pour les autres mesures, pour l’imposition d’une nouvelle sanction.

[34]       Finalement, le témoin affirme qu’à sa connaissance, aucune demande de rectification du même ordre que celles à l’origine du présent débat n’ont été accordées antérieurement par les gestionnaires de l’organisme.

Témoignage de Sylvain Gagné  :

[35]       Monsieur Gagné occupe depuis trois ans la fonction de commandant de poste, soit celui de la Maréchaussée à Québec (centre-ville), et il possède le grade d’inspecteur. Auparavant, il a notamment été patrouilleur, fait partie de certaines escouades spécialisées et assumé les tâches de capitaine des enquêtes. Son statut actuel l’amène à superviser environ 200 policiers affectés à la patrouille, aux enquêtes ainsi qu’à la section jeunesse.

[36]       En référant aux lettres relatives à la mesure disciplinaire imposée à l’un des demandeurs (documents en litige), le témoin mentionne que ces données sont utiles pour la direction du corps de police à différents niveaux : pour la gestion du personnel, la tenue de concours de promotion, le suivi d’assiduité, le recrutement pour une mission internationale, la reconnaissance des policiers pour un acte méritoire ainsi que l’attribution des médailles après 20 et 30 ans de service. Il précise qu’il a recours à l’ensemble du dossier personnel du policier.

[37]       Il précise que le dossier du policier, à partir de son embauche, est susceptible de contenir 18 catégories de documents, lesquels réfèrent notamment à son cheminement de carrière ainsi que ses évaluations de rendement. Il insiste sur le fait que la direction a besoin d’un portrait complet pour fins de gestion efficiente.

[38]       Le témoin a participé à plus d’une quarantaine de processus de dotation depuis 2001. Dans chaque cas, il confectionnait le questionnaire en collaboration avec le Service des ressources humaines, élaborait le «cahier d’entrevue» en fonction du poste convoité et assistait aux rencontres avec les candidats.

[39]       Dans le cas d’un concours de promotion, ce dernier est affiché préalablement. S’en suivent la confection de l’outil d’évaluation ainsi que des horaires d’entrevue pour les postulants ayant réussi l’examen écrit. Quant à l’entrevue, celle-ci est semi-structurée de façon à assurer une certaine souplesse dans le cheminement en fonction des réponses obtenues. Tout ce qui est verbalisé par le candidat est noté.

[40]       Juste avant la tenue de l’entrevue, les trois personnes formant le comité de sélection se réunissent pour fins de préparation. À cette étape, le résumé de dossier du postulant (O-6) est utilisé. Si ce dernier fait état de mesures disciplinaires encourues antérieurement, il recourt à cette information afin d’évaluer la progression du comportement du candidat. Également, ce renseignement lui permet d’apprécier la relation vécue avec le supérieur immédiat, ce qui contribue à l’exercice d’évaluation. Il ajoute que souvent, c’est le candidat lui-même qui aborde le sujet, alimentant ainsi la discussion de façon constructive.

[41]       Le témoin ajoute que le retrait éventuel de la mention d’une mesure disciplinaire au dossier personnel du policier priverait la direction d’une portion significative du profil global de celui-ci et, ultimement, mitigerait l’efficience du processus de sélection. Il porte à l’attention de la Commission que la Ville de Québec dénombre environ 750 policiers et policières et qu’il est illusoire de croire que la direction puisse connaître le profil de chacun d’eux. En ce sens, l’outil de gestion utilisé s’avère indispensable afin d’assurer un suivi adéquat, d’autant plus que le changement de fonction est fréquent au sein des effectifs. La conservation de l’entièreté du dossier personnel constitue en quelque sorte le fil conducteur permettant une saine gestion.

[42]       En référant à une directive administrative relative à la communication des inconduites policières, émise par l’organisme en 2010, il précise que les enseignements de la Cour suprême imposent maintenant aux corps de police la conservation d’antécédents disciplinaires pour fins de divulgation à la partie défenderesse lors de la tenue d’un procès impliquant un policier.

[43]       Monsieur Gagné indique qu’il est également préoccupé par le fait d’assurer une répartition équilibrée de ses effectifs en fonction, notamment, du profil et des antécédents de ces personnes. Il cite l’exemple de l’appel de candidatures pour les Jeux olympiques de Vancouver alors que le protocole de recrutement, contenant les exigences formulées par la Gendarmerie royale du Canada (GRC), nécessitait une connaissance globale du profil des candidats afin de respecter les normes d’admissibilité.

[44]       En contre-interrogatoire, M. Gagné confirme que c’est la GRC qui assumait la responsabilité de la sécurité lors de la tenue des Jeux olympiques à Vancouver et que plusieurs corps de police du pays ont collaboré, y compris celui de la Ville de Québec. Il ajoute qu’un antécédent de nature disciplinaire n’éliminait pas automatiquement le candidat; il fallait également évaluer la pertinence de l’acte reproché.

[45]       Finalement, il confirme que depuis le mois de juin 2010, la direction demande aux policiers de compléter un formulaire déclarant, le cas échéant, avoir déjà été reconnu coupable d’un acte criminel, sauf si une réhabilitation a été accordée, ou d’une inconduite, sauf si une excuse ou une radiation ont été obtenues, auxquels cas le policier n’est pas tenu de déclarer la situation.

B)        PREUVE DES DEMANDEURS :

[46]       Le procureur des demandeurs dépose les pièces suivantes :

-      D-7 (en liasse) : documents liés à la mesure disciplinaire encourue par M me C… Ca… le 16 mars 1998;

-      D-8 (en liasse) : documents liés à la mesure disciplinaire encourue par M. F… P… le 26 mars 1998;

-      D-9 (en liasse) : documents liés à la mesure disciplinaire encourue par M. B… C… le 9 juin 2000;

-      D-10a) : directive administrative n o 33.02 en vigueur le 17 mai 2006 relative au dossier personnel du policier;

-      D-10b) : directive administrative n o 32.05 en vigueur le 17 mai 2006 relative au dossier personnel du policier;

-      D-11 : directive administrative n o 33.03 en vigueur le 20 septembre 2010 relative à la communication des inconduites policières;

-      D-12 : déclaration du policier, renseignements personnels, en vigueur en juin 2010;

-      D-13 : liste des autorités soumises par les demandeurs.

[47]       Soulignons que les pièces D-1 à D-6 avaient déjà été déposées lors de l’audience s’étant tenue devant le juge administratif Jean Chartier le 13 décembre 2010.

[48]       Le procureur des demandeurs fait entendre comme témoin M. Danny Beaudoin.

[49]       Monsieur Beaudoin exerce la profession de policier depuis 1997 et il est un officier de l’exécutif syndical de la Fraternité des policiers et policières de la Ville de Québec. À ce titre, il est responsable, depuis 2003, des aspects de la discipline et de la déontologie au sein du syndicat. Ses tâches consistent notamment à tenter de concilier les dossiers litigieux et, à défaut d’entente, offrir l’accompagnement au policier visé par la plainte lors des différentes étapes de son traitement.

[50]       Il explique qu’une démarche en matière de déontologie policière peut être initiée par toute personne, citoyen ou autre, qui s’estime lésée par la conduite de l’agent. Le processus débute par le dépôt d’une plainte au bureau du Commissaire en déontologie policière, ce qui enclenche la tenue d’une enquête à cette fin. Par la suite, le rapport de l’enquêteur est soumis au Commissaire qui doit trancher s’il y a eu effectivement manquement déontologique ou non. Dans l’affirmative, le dossier est référé au Comité de déontologie policière qui constitue le tribunal administratif qui possède les pouvoirs, à la suite de la tenue d’une audience, d’infliger une sanction. Celle-ci peut correspondre en un simple avertissement, une réprimande, un blâme, une suspension ou, dans la pire des hypothèses, une destitution.

[51]       Monsieur Beaudoin a une connaissance personnelle des mesures disciplinaires qui ont été imposées aux demandeurs car ces derniers l’ont consulté afin de s’enquérir des démarches qu’ils devaient entreprendre visant le retrait de ces mesures de leur dossier d’employé. À la suite des conseils qu’il leur a prodigués, les demandeurs ont tous reçu une réponse négative de la part de la direction. À sa connaissance, aucune demande de rectification de même nature que celles faisant l’objet du présent litige n’a été acceptée par l’organisme depuis qu’il occupe ses fonctions syndicales.

[52]       Il ajoute que la convention collective en vigueur ne prévoit aucune disposition qui permettrait de contester la décision interne du chef de police qui refuse systématiquement de retirer toutes mesures disciplinaires dans le dossier des policiers.

[53]       Le témoin précise que le syndicat n’a pas été consulté avant la mise en place, en 2006, de la politique administrative relative au dossier personnel des policiers (D-10b), celle-ci émanant de l’initiative exclusive de l’organisme. Il rappelle que l’article 3.4.1 de cette politique prévoit précisément qu’un document relié à une mesure disciplinaire peut, à la demande du policier concerné, être retiré de son dossier après une période de cinq ans de l’imposition de la mesure. Il souligne que cette clause a d’ailleurs été reconduite en 2010 (D-10a).

[54]       Monsieur Beaudoin décrit l’impact sur la carrière d’un policier que peut susciter la conservation à long terme d’une mesure disciplinaire dans son dossier. Cette sanction est susceptible de lui nuire éventuellement lors de la tenue d’un concours de promotion, lorsque se présentera l’opportunité d’appliquer sur une offre de services pour une mission internationale ou pour l’obtention d’une médaille d’honneur après 20 ou 30 ans de service.

[55]       Le témoin fait le parallèle avec le processus établi en matière de manquement déontologique lorsque le geste est excusé par le Comité de déontologie : si l’excuse est obtenue, tous documents s’y rapportant sont retirés du dossier du policier. Il estime que le même raisonnement devrait s’appliquer pour une mesure disciplinaire.

[56]       En contre-interrogatoire, M. Beaudoin reconnait que la clause 31.16 de la convention collective en vigueur, laquelle prévoit que les promotions sont accordées en tenant compte des qualifications et de la conduite des policiers, est respectée par l’organisme et que cette mention est affichée lors de l’appel des candidatures. Il convient également que la lettre de mesure disciplinaire imposée au policier (D-7) comporte une motivation.

[57]       Il confirme que les candidats qui appliquent sur les concours de promotion proviennent de différents arrondissements de la ville.

[58]       Il a déjà observé que des références à des manquements disciplinaires aient été utilisées devant un arbitre de grief alors que la période s’étant écoulée depuis la mesure encourue dépassait cinq ans.

ARGUMENTATION DES PARTIES  :

[59]       Le procureur des demandeurs soumet que l’article 4 du Règlement sur les archives accorde à ses clients un droit de retrait de leur dossier personnel de toute mesure disciplinaire imposée lorsque les conditions suivantes sont satisfaites :

-      il s’agit d’un policier;

-      une véritable mesure disciplinaire a été encourue impliquant une conséquence par opposition à une simple mesure administrative;

-      il s’est écoulé plus de cinq ans depuis l’imposition de la mesure;

-      le policier en a formulé la demande.

[60]       Il est d’avis que cette disposition réglementaire reflète un compromis au niveau des droits des parties, employeur et employé, alors que la période écoulée a permis l’atteinte de l’objectif poursuivi par la conservation de l’information. Il fait le parallèle avec le principe établi en droit du travail de la gradation des sanctions.

[61]       Lorsque le policier respecte les conditions énoncées précédemment, l’organisme n’aurait plus de discrétion et devrait retirer la mesure disciplinaire contenue au dossier de l’employé.

[62]       Le procureur réfère à l’article 3 de ce règlement, lequel prévoit ce que doit contenir le dossier d’un policier, et s’attarde spécifiquement au contenu du paragraphe q) qui vise nommément la mesure disciplinaire incluant la nature de la dérogation ainsi que la sanction imposée. Or, l’article 4 du même règlement prévoit que cette mesure peut être retirée à la demande du policier concerné après l’écoulement d’une période de cinq ans. Il est d’avis que l’effet conjugué de ces deux dispositions accorde un droit au policier et non à l’organisme.

[63]       Il ajoute que la preuve a démontré qu’en aucun temps l’organisme n’exercera sa discrétion, le cas échéant, de retirer quelque mesure disciplinaire que ce soit puisqu’il considère le dossier personnel comme un tout indissociable. Ce faisant, il estime que cette conduite a pour effet pernicieux de nier au policier le droit conféré à l’article 4 du Règlement sur les archives.

[64]       Il prétend que le Directeur de police a un devoir d’agir et de faire droit à la demande lorsque les éléments énumérés au paragraphe [59] de la présente décision sont satisfaits. Il invite la Commission à considérer la finalité du Règlement sur les archives ainsi que le contexte de la mise en vigueur de son article 4.

[65]       Il soumet que la discrétion accordée à l’organisme entraîne des effets néfastes pour le policier, en ce qu’elle affecte l’évolution de sa carrière alors qu’aucune clause de la convention collective ne permet de remédier à cette situation.

[66]       Il estime que le but de l’article 4 du Règlement sur les archives est d’éviter la double sanction envers le policier alors qu’une mesure disciplinaire serait utilisée dans un contexte administratif en sus de la sanction imposée.

[67]       En référant aux pièces D-7 à D-9, le procureur des demandeurs précise que le Règlement sur les archives s’applique aux mesures disciplinaires comme telles alors que les autres documents connexes postérieurs aux mesures imposées, constituant les démarches effectuées par les policiers afin de les voir retirer de leur dossier respectif, sont plutôt visés par l’article 89 de la Loi sur l’accès, faisant ainsi appel au droit de rectification.

[68]       Selon sa compréhension des lois comparables adoptées ailleurs qu’au Québec, il appréhende que la discrétion accordée à l’organisme soit de nature à créer une distinction désavantageuse pour ses clients comparativement aux policiers exerçant leur profession dans les autres provinces canadiennes. Il soumet que toute personne doit être traitée également devant la loi.

[69]       Il déplore le fait que ce soit plus facile pour le policier d’être excusé d’un geste constituant une faute déontologique que d’espérer se voir retirer une mesure disciplinaire.

[70]       Selon lui, la portée des directives administratives D-10a) et D-10b) forge une expectative légitime en faveur du policier afin de faire respecter un droit qui lui est conféré par le Règlement sur les archives.

[71]       De façon subsidiaire, le procureur des demandeurs soumet qu’il n’est plus nécessaire pour l’organisme de conserver cette information au-delà d’une période de cinq ans. La lecture qu’il fait des articles 3 et 4 du Règlement sur les archives démontre que la protection accordée à la mention d’une mesure disciplinaire est moindre par rapport aux autres éléments constitutifs du dossier personnel du policier. Quant à l’utilité de l’information en matière de dotation, il préconise l’utilisation d’autres moyens moins contraignants mis à la disposition de l’organisme.

[72]       Finalement, il est d’avis que l’interprétation qu’il privilégie de la portée du Règlement sur les archives est compatible avec les prescriptions édictées dans la Loi sur les archives . [3]

[73]       Il réfère la Commission à différentes décisions au soutien de ses prétentions.

[74]       Quant au procureur de l’organisme, il rappelle que le rôle de la Commission dans le présent débat se limite à apprécier si la conservation, par son client, des renseignements dont on requiert le retrait est contraire à la législation en vigueur. Il met en garde le tribunal de ne pas s’approprier les pouvoirs d’un arbitre de grief.

[75]       Il soumet qu’il n’est pas inhabituel qu’une mesure disciplinaire puisse entraîner indirectement des incidences sur le plan administratif, ce qui ne constitue pas pour autant une «double sanction» en droit du travail. À tout événement, ce n’est pas la question à laquelle la Commission doit répondre.

[76]       Il souligne que le Règlement sur les archives a été adopté en 1978 alors que certains pouvoirs étaient conférés à la Commission de police du Québec en vertu de la Loi de police . [4] Il propose de ne pas confondre l’objet de cette dernière loi, qui visait la protection des policiers, avec celui du Règlement sur les archives, lequel doit notamment s’arrimer avec la Loi sur les archives . [5]

[77]       Il réfère au calendrier de conservation approuvé par Bibliothèque et Archives nationales (O-1) ainsi qu’au Recueil de gestion des archives à l’intention des services de police (O-8) et fait valoir que la position adoptée par l’organisme respecte en tous points les prescriptions légales en cette matière.

[78]       Il ajoute que la Loi sur les archives [6] , loi prohibitive d’ordre public, empêche toute personne d’éliminer des documents dont la conservation est assurée. En cas de non-respect, le législateur a prévu des dispositions pénales.

[79]       Le procureur est d’avis que le Règlement sur les archives ne crée aucune obligation envers l’organisme de retirer des documents du dossier d’un policier alors que le calendrier de conservation prévoit le contraire. Il réfère au pouvoir habilitant qui était confié à la Commission de police, lequel prévoyait que cette dernière déterminait les documents que les corps de police municipaux devaient tenir. Le dossier d’un policier doit contenir un minimum d’informations et aucune disposition ne peut forcer l’organisme à retirer ces documents.

[80]       Il précise que la Loi sur la police [7] prévoit, encore aujourd’hui, que le gouvernement peut définir les documents qui doivent être tenus par les corps de police et qu’aucune contrainte n’est imposée à l’organisme pour le retrait de l’un d’eux.

[81]       Il insiste sur le fait que le Règlement sur les archives, adopté en vertu de la Loi de police , ne peut avoir préséance sur la Loi sur les archives précitée dont l’adoption est postérieure. Il doit plutôt s’y conformer. Il s’inspire des règles d’interprétation proposées par les auteurs de doctrine en cette matière.

[82]       Avant l’adoption du Règlement sur les archives, les corps de police pouvaient tenir un dossier personnel sur les policiers. Depuis l’entrée en vigueur de ce dernier règlement, ils sont maintenant forcés de le faire. Cette obligation étant dorénavant créée envers les corps de police, le procureur soumet que l’article 4 du Règlement sur les archives ne confère certainement pas un droit de retrait au policier.

[83]       Quant à l’analogie faite par les demandeurs avec la matière déontologique, il distingue le mécanisme d’excuse expressément prévu à cette fin avec l’absence de droit de retrait de documents sur le plan disciplinaire.

[84]       Selon sa compréhension, les demandeurs tentent de combler le vide de la convention collective alors que celle-ci prévoit qu’en matière de dotation, l’organisme doit tenir compte de la conduite du policier, sans limite de temps.

[85]       Le procureur soumet que l’organisme a l’obligation de conserver les documents énumérés à l’article 3 du Règlement sur les archives et qu’il conserve un pouvoir discrétionnaire de retirer une mesure disciplinaire après l’écoulement d’une période de 5 ans depuis son imposition, et ce, en vertu de l’article 4 de ce même règlement. L’exception à la règle générale de conservation demeure à l’avantage de l’organisme et non du policier.

[86]       Il attire l’attention de la Commission sur l’importance que revêt la connaissance globale par les gestionnaires des candidats qui se présentent sur un concours en matière de dotation en personnel afin de faire un choix éclairé.

[87]       Le procureur réfère à de nombreuses décisions au soutien de ses prétentions. Il demande de rejeter les recours.

ANALYSE  :

[88]       La démarche initiée par les demandeurs se fonde, d’une part, sur l’article 4 du Règlement sur les archives [8] en ce qui concerne les mesures disciplinaires encourues et, d’autre part, sur l’article 89 de la Loi sur l’accès pour le retrait des documents connexes. Ces dispositions sont libellées comme suit :

4.  Retrait de documents : Les documents mentionnés au paragraphe q de l’article 3 peuvent , à la demande du policier concerné, être retirés du dossier après une période de 5 ans de l’imposition d’une mesure disciplinaire. Les documents mentionnés au paragraphe r de l’article 3 peuvent être retirés du dossier après une période de 2 ans.

89.  Toute personne qui reçoit confirmation de l'existence dans un fichier d'un renseignement personnel la concernant peut, s'il est inexact, incomplet ou équivoque, ou si sa collecte, sa communication ou sa conservation ne sont pas autorisées par la loi, exiger que le fichier soit rectifié. (nos soulignements)

[89]       Quant au contenu du dossier personnel d’un policier, c’est plutôt l’article 3 de ce règlement qui énumère ses éléments constitutifs. On y retrouve notamment :

3. Contenu du dossier : Le dossier de chaque policier doit contenir :

[…]

q) mesure disciplinaire : un rapport de toute mesure disciplinaire encourue par le policier comprenant la nature de la dérogation et la sanction disciplinaire encourue après décision finale ainsi qu’une copie certifiée d’un rapport de la Commission prononçant un blâme à l’endroit du policier;

[90]       Les parties ont une compréhension diamétralement opposée de la portée de l’article 4 de ce règlement, les demandeurs alléguant que cette norme leur confère un droit de retrait, dès que les conditions sont satisfaites, alors que l’organisme argue plutôt qu’il conserve l’entière discrétion d’y acquiescer ou non, même si les critères énoncés sont rencontrés.

[91]       Au surplus, l’organisme soutient que son approche respecte ses obligations prévues aux articles 64 , 72 et 73 de la Loi sur l’accès :

64.  Nul ne peut, au nom d'un organisme public, recueillir un renseignement personnel si cela n'est pas nécessaire à l'exercice des attributions de cet organisme ou à la mise en oeuvre d'un programme dont il a la gestion.

Un organisme public peut toutefois recueillir un renseignement personnel si cela est nécessaire à l'exercice des attributions ou à la mise en oeuvre d'un programme de l'organisme public avec lequel il collabore pour la prestation de services ou pour la réalisation d'une mission commune.

[…]

72.  Un organisme public doit veiller à ce que les renseignements personnels qu'il conserve soient à jour, exacts et complets pour servir aux fins pour lesquelles ils sont recueillis ou utilisés.

73.  Lorsque les fins pour lesquelles un renseignement personnel a été recueilli ou utilisé sont accomplies, l'organisme public doit le détruire, sous réserve de la Loi sur les archives (chapitre A-21.1) ou du Code des professions (chapitre C-26).

[92]       Le procureur des demandeurs propose de cerner la finalité du Règlement sur les archives afin de circonscrire la portée de son article 4. En d’autres termes, pour paraphraser l’honorable juge Massol de la Cour du Québec dans l’affaire Procureur général du Québec c. Au Masque d’or enr. [9] , l’exercice consiste à dégager le sens du texte réglementaire en conservant comme toile de fond son juste contexte à la lumière des principes usuels d’interprétation.

[93]       Pour ce faire, la Loi d’interprétation [10] constitue une référence utile. Les articles 41.1 et 51 de cette loi prévoient ce qui suit :

41.1.  Les dispositions d'une loi s'interprètent les unes par les autres en donnant à chacune le sens qui résulte de l'ensemble et qui lui donne effet.

51.  Chaque fois qu'il est prescrit qu'une chose sera faite ou doit être faite, l'obligation de l'accomplir est absolue; mais s'il est dit qu'une chose «pourra» ou «peut» être faite, il est facultatif de l'accomplir ou non.

[94]       Par ailleurs, voici ce que propose Pierre-André Côté, auteur spécialisé en droit administratif, sur le sujet [11] :

«  1153.   Œuvre d’un législateur rationnel et logique, la loi est censée former un système : chaque élément contribue au sens de l’ensemble et l’ensemble, au sens de chacun des éléments 3  : « chaque disposition légale doit être envisagée, relativement aux autres, comme la fraction d’un ensemble complet » (François Gény).

[…]

1163.   Que chaque élément de la loi doive être considéré à la lumière de l’ensemble, cela signifie qu’il faut se référer aux autres dispositions de la loi et éviter les interprétations qui les priveraient d’effet ou les rendraient inutiles 14 . Également, ce principe invite l’interprète à tenir compte des autres éléments de la loi susceptibles d’éclairer le sens de la disposition examinée, c’est-à-dire le titre, le préambule, les sous-titres, les annexes, et ainsi de suite.»

[95]       Sur ces considérations pratiques, qu’en est-il en l’espèce ?

[96]       Un premier indice s’impose : le style de rédaction préconisé lors de l’adoption de l’article 4 du Règlement sur les archives semble accorder une discrétion au corps de police à qui serait adressée une demande de retrait de documents correspondant à la notion de «mesure disciplinaire encourue». En effet, les termes «peuvent être retirés du dossier» sont de nature à supporter cette thèse. La Loi d’interprétation précitée parle d’un accomplissement facultatif lorsqu’il est dit qu’une chose peut être faite.

[97]       Au-delà du sens grammatical des termes utilisés, l’adoption en 1978 de ce règlement répondait à une préoccupation légitime, soit celle de prévoir les documents qu’un corps de police devait minimalement tenir concernant son personnel policier. C’est ce qui ressort du préambule précédant son adoption (O-5). Cette intention manifeste a par ailleurs été codifiée à l’article 2 de ce règlement, lequel prévoit que tout corps de police municipal a le devoir d’établir et de maintenir les archives et formules relatives au personnel policier, telles que mentionnées à son article 3.

[98]       Sur la question du pouvoir discrétionnaire accordé à l’administration publique, le professeur Côté estime qu’en certaines circonstances, celui-ci est assorti d’un devoir [12]  :

« 902.   Quels sont les cas où l’on peut dire que le contexte, la matière ou l’objet ont assorti le pouvoir d’un devoir de l’exercer ? Il faut d’abord souligner que la définition du mot « peut » dans les lois d’interprétation n’a pas empêché les tribunaux de conclure, dans certains cas, que ce mot ne conférait pas de marge de discrétion au titulaire du pouvoir. La définition étant donnée à titre de simple présomption, elle peut être écartée par les circonstances d’une espèce et si, en définissant le mot « peut », le législateur entendait mettre fin à la controverse autour de ce mot, il faut constater que cette tentative fut un échec 616 .

[…]

904.   Un second groupe de décisions est formé des cas où le tribunal constate que le pouvoir a été attribué en vue d’assurer la mise en œuvre d’un droit. Lorsqu’une personne qui réunit les conditions que la loi prescrit pour la jouissance du droit se présente devant la personne ou l’organisme chargés de le sanctionner, ceux-ci n’auraient pas de discrétion à exercer car la loi a conféré un droit strict dont le titulaire du pouvoir ne peut que constater l’existence ou l’absence 619 . […] ». (nos soulignements)

[99]       Est-ce que, comme le prétend le procureur des demandeurs, la finalité de ce règlement milite en faveur de la mise en œuvre d’un droit au bénéfice du policier concerné et, conséquemment, imposerait à l’organisme un devoir d’agir ? La Commission ne le croit pas. De ce qui précède, la Commission conclut que ce règlement fixe plutôt les balises minimales au corps de police en lui commandant la tenue de documents spécifiques. Il est question ici d’une obligation imposée à l’organisme et non d’un droit octroyé au policier. Conséquemment, le critère qui, selon l’auteur Côté, permettrait de transformer une discrétion en devoir liant n’est pas rencontré en l’espèce.

[100]    Également, les auteurs Issalys et Lemieux nous enseignent ce qui suit sur la distinction devant prévaloir entre un pouvoir et un devoir d’une autorité administrative gouvernementale [13]  :

«  2.3  La distinction entre pouvoir et devoir

         L’autorité administrative qui exerce un pouvoir discrétionnaire ne peut se voir obligée d’exercer celui-ci dans un sens déterminé. Diverses options lui sont toujours offertes. Toutefois, le pouvoir doit être exercé raisonnablement et à l’intérieur de son cadre légal.

[…]

         La notion de pouvoir implique en outre qu’en plus de pouvoir choisir la meilleure solution entre plusieurs possibilités, une autorité administrative pourra aussi décider de l’opportunité d’agir ou de ne pas agir dans un cas déterminé (voir 4.9).

[101]    Le Règlement sur les archives forme un tout indissociable et il est utile d’analyser ses dispositions les unes par rapport aux autres, comme le suggère le professeur Côté, afin d’en saisir le sens. À l’article 2, le sous-titre est libellé de la façon suivante : «Devoir de maintenir un dossier». Cette obligation est imposée au corps de police. L’article 3 contient l’énumération exhaustive de son contenu alors que l’article 4 précise que certains documents peuvent être retirés si certaines conditions sont satisfaites.

[102]    Quant à sa loi habilitante, la Loi de police [14] , celle-ci imposait des devoirs à la Commission de police dont la mission était de favoriser la prévention du crime ainsi que l’efficacité des services de police au Québec. Pour ce faire, la Commission de police devait notamment établir un service central de renseignements ayant pour but de faciliter la détection des crimes. Foncièrement, ce dont il est question, c’est de la protection de la population. Au niveau de ses pouvoirs réglementaires, la Commission de police pouvait déterminer les archives, livres et comptes que devaient tenir les corps de police municipaux.

[103]    Ainsi, le sens et le contexte de la loi habilitante du Règlement sur les archives s’harmonise avec la thèse que ce dernier édicte des contraintes de tenue de dossier au corps de police et non l’octroi d’un droit en faveur des policiers.

[104]    Depuis 2000, c’est la Loi sur la police [15] qui annule et remplace la précédente. Néanmoins, nous retrouvons dans ses notes explicatives la mention selon laquelle les dispositions relatives à l’organisation et au fonctionnement des corps de police, telles qu’elles prévalaient dans la Loi de police , sont reprises substantiellement. L’esprit et l’objet de la loi demeurent.

[105]    Quant au professeur Patrice Garant, celui-ci s’exprime de la façon suivante sur la conformité ainsi que la subordination d’une disposition réglementaire par rapport à sa clause habilitante ou une autre loi [16]  :

«  10 e règle :

Le règlement doit être conforme à la clause habilitante.

         Le règlement, par son objet ou son contenu, ne doit pas aller au-delà de ce qu’autorise la clause habilitante. Cette règle est l’expression logique du lien de subordination entre la loi et le règlement. Le pouvoir réglementaire ne peut et ne doit être exercé qu’en conformité avec la loi habilitante […].

         Une autre règle importante a été énoncée par la Cour fédérale : « En cas de conflit entre la loi et un de ses règlements d’application, on doit considérer que la loi prévaut et que le règlement doit lui être subordonné » 157 . Néanmoins, suivant la Cour suprême dans le célèbre arrêt Bélanger c. La Reine , un tel règlement : « devrait recevoir une interprétation permettant d’éviter le conflit avec la loi » 158 . C’est ce qu’on pourrait appeler l’interprétation conciliatrice. »

[106]    Il aurait été facile pour le législateur d’utiliser à l’article 4 du Règlement sur les archives les termes «seront retirés du dossier» ou «doivent être retirés du dossier» en référant aux documents comportant une mesure disciplinaire si son intention avait été de consacrer un droit en faveur du policier lorsque les autres conditions sont par ailleurs satisfaites. Ce n’est pas le choix qu’il a fait. Selon les règles d’interprétation auxquelles nous référions précédemment, le législateur a vraisemblablement voulu laissé le soin au corps de police d’exercer sa discrétion en cette matière.

[107]    Pour reprendre les termes du professeur Garant, l’approche proposée par l’organisme concilie le règlement et sa loi habilitante et permet d’éviter un conflit.

[108]    Ainsi, la présomption de pouvoir discrétionnaire à laquelle réfère le professeur Côté n’est pas repoussée par le contexte, la matière ou l’objet de ce règlement. Contrairement à l’argument avancé par les demandeurs, l’article 4 du Règlement sur les archives ne reflète pas un compromis entre les droits des parties mais offre plutôt la possibilité au corps de police, s’il l’estime opportun, de retirer des documents du dossier du policier pour lesquels il avait préalablement l’obligation de les maintenir. Un droit ne peut être nié s’il n’existe pas a priori .

[109]    La preuve révèle que l’organisme a refusé l’ensemble des demandes de retrait qui lui ont été adressées sur le sujet. La Commission estime que cette ligne de conduite lui appartient et qu’elle n’a pas à s’immiscer dans l’usage du pouvoir discrétionnaire dont l’organisme dispose. C’est sa prérogative.

[110]    Quant aux effets perturbateurs que la conservation de ces renseignements pourrait avoir sur la carrière des policiers, c’est malheureusement la réalité à laquelle tout employé est susceptible d’être confronté lorsqu’un reproche lui est adressé.

[111]    Au surplus, les témoignages de M me Leboeuf-Gosselin et M. Gagné démontrent de façon prépondérante la nécessité de conserver ces données pour fins de saine gestion, particulièrement en matière de dotation. En fait, ces informations contribuent à parfaire un outil de gestion essentiel compte tenu qu’il serait utopique de croire que la direction puisse garder en mémoire les événements survenus au fil des ans qui impliquent chacun de ses 750 policiers sous sa responsabilité, lesquels sont affectés dans différents arrondissements.

[112]    L’objectif de conservation de ces renseignements est bienveillant et s’appuie aisément sur l’utilité d’une connaissance globale et complète des effectifs afin d’offrir un service de sécurité publique de qualité à la population. En ce sens, l’esprit et la lettre des articles 72 et 73 de la Loi sur l’accès sont respectés. Selon la preuve faite, les fins pour lesquelles les renseignements ont été recueillis ne sont pas encore accomplies.

[113]    Ainsi, l’argument du procureur des demandeurs selon lequel l’interprétation que fait l’organisme de son pouvoir discrétionnaire aurait pour effet d’anéantir l’utilité de la disposition réglementaire litigieuse n’est pas retenu par le tribunal.

[114]    En ce qui concerne l’harmonisation qui devrait prévaloir entre le Règlement sur les archives et d’autres lois, la Commission constate que la Loi sur les archives précitée prévoit que le calendrier de conservation lie l’organisme public et que nul ne peut éliminer un de ses documents actif, semi-actif ou permanent sous peine de s’exposer à une sanction de nature pénale.

[115]    Or, le calendrier de conservation de l’organisme (O-1 et O-8), approuvé par Bibliothèque et Archives nationales, prévoit expressément que les sanctions disciplinaires contenues au dossier d’un policier sont conservées même après que les documents aient acquis le statut «inactif». Aucune destruction n’est envisagée pour ce type de document contrairement à d’autres.

[116]    Ainsi, force est de conclure que l’interprétation que propose l’organisme de la portée de l’article 4 du Règlement sur les archives s’arrime parfaitement avec ses obligations en matière de conservation de documents de cette nature. Souscrire aux prétentions du procureur des demandeurs aurait pour effet de créer un conflit entre la norme réglementaire et l’application d’une règle édictée en vertu de la Loi sur les archives . Rappelons que les auteurs nous enseignent que le règlement est subordonné aux lois et non l’inverse.

[117]    Le procureur des demandeurs fait le parallèle avec les normes existantes en matière de déontologie policière, lesquelles prévoient qu’une faute peut être excusée et, auquel cas, toute trace de l’événement est alors anéantie. Il requiert le même traitement pour les mesures disciplinaires. La Commission estime que les règles qui prévalent en matière de déontologie policière n’ont pas d’incidence dans le présent débat et ne s’appliquent que dans leur champ de pratique qui se distingue d’un processus administratif de saine gestion du personnel par les autorités compétentes. La Commission a le devoir de trancher le présent litige en fonction des dispositions législatives et réglementaires en vigueur et non de faire des analogies avec d’autres règles qui n’encadrent pas le sujet dont elle est saisie.

[118]    Dans le même ordre d’idées, la Commission estime qu’il n’est pas pertinent d’apprécier, pour fins de comparaison et tel que suggéré par les demandeurs, la portée de lois comparables qui s’appliquent dans les autres provinces du Canada. C’est l’état du droit qui prévaut sur le territoire du Québec qui prescrit les balises du présent tribunal.

[119]    Quant au volet de la demande de révision qui vise la rectification des documents connexes aux mesures disciplinaires imposées en vertu de l’article 89 de la Loi sur l’accès, la Commission ne peut y faire droit car aucune preuve ne soutient la thèse voulant que les renseignements qu’ils contiennent soient inexacts, incomplets ou équivoques. La preuve ne permet pas non plus de conclure que leur conservation n’est pas autorisée par la loi. Au contraire, les témoins de l’organisme ont plutôt démontré la nécessité de garder ces renseignements car ceux-ci sont systématiquement utilisés lors des processus de dotation et servent également à d’autres fins au niveau de la gestion des effectifs.

[120]    La Commission conclut que la position de l’organisme de conserver dans le dossier des policiers concernés l’intégralité des documents relatifs aux mesures disciplinaires encourues est bien fondée.

POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION :

[121]    PREND ACTE du désistement produit dans le dossier n o 10 06 07;

[122]    REJETTE les demandes de révision présentées les 23 octobre et 3 novembre 2009 respectivement dans les dossiers portant les n os 09 20 03, 09 20 04 et 09 20 82.

 

 

 

ALAIN MORISSETTE

Juge administratif

M e Simon R. Vallières

Procureur des demandeurs

M e Sylvain Lepage

Procureur de l’organisme



[1]     L.R.Q., c. A-2.1, ci-après appelée « Loi sur l’accès ».

[2]     R. Q., c. P-13, r.1, ci-après appelé le «Règlement sur les archives».

[3]     L.R.Q., c. A-21.1.

[4]     L.R.Q., c. P-13 (remplacée le 16 juin 2000).

[5]     L.R.Q., c. A-21.1.

[6]     Précitée, note 5.

[7]     L.R.Q., c. P-13.1 (remplace la Loi de police depuis 2000).

[8]    Précité, note 2.

[9]     2012 QCCQ 1380 .

[10]   L.R.Q., c. I-16.

[11]   Pierre-André CÔTÉ, Interprétation des lois , Montréal, 4 e éd., Éditions Thémis, pp. 352, 354 et 355.

[12]   Précitée, note 11, pp. 268, 270 et 271.

[13]   Pierre ISSALYS et Denis LEMIEUX, L’action gouvernementale, Précis de droit des institutions administratives , Cowansville, 2 e éd., Éditions Yvon Blais, pp. 58 et 59.

[14]    Précitée, note 4.

[15]    Précitée, note 7.

[16]  Patrice GARANT, Droit administratif , Cowansville, 6 e éd., Éditions Yvon Blais, pp. 280, 281 et 290.