ES Retail Consulting c. Vente en détail PZ/Benisti inc. |
2012 QCCQ 3089 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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LOCALITÉ DE |
MONTRÉAL |
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« Chambre civile » |
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N° : |
500-22-173288-104 |
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DATE : |
Le 26 avril 2012 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
ALAIN BREAULT, J.C.Q. |
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ES RETAIL CONSULTING |
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Demanderesse |
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c.
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VENTE EN DÉTAIL PZ/BENISTI INC. VENTE EN DÉTAIL PZ INC. POINT ZERO GIRLS CLUB INC. |
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Défenderesses |
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JUGEMENT |
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[1] La demanderesse ES Retail Consulting réclame 20 475$ aux défenderesses Vente en Détail PZ/Benisti Inc., Vente en Détail PZ Inc. ("PZ") et Point Zero Girls Club Inc. ("Point Zero"), soit la somme à laquelle elle prétend avoir droit à la suite de l'embauche par Point Zero d'un Vice-président, directeur des ventes de détail qu'elle avait recommandé environ onze mois plus tôt.
[2] Les défenderesses contestent la réclamation. Essentiellement, elles plaident que l'embauche de ce nouvel employé ne résulte pas de la recommandation de la demanderesse, mais directement d'une proposition faite par l'ancien Vice-président que ce nouvel employé devait remplacer.
LE CONTEXTE
[3] La demanderesse, dont les principales représentantes sont Elizabeth Stewart et Élizabeth Campbell, se spécialise dans le recrutement professionnel. Les défenderesses, quant à elles, oeuvrent toutes dans l'industrie du vêtement. Point Zero, qui possède 450 employés, est une entreprise connue mondialement. Le principal dirigeant et chef d'entreprise est Maurice Benisti.
[4] Les parties, à quelques reprises dans le passé, ont traité ensemble. Eu égard à la thèse que défend la demanderesse, il convient de décrire succinctement la nature des relations commerciales entre les parties et les contrats de services qui lui furent donnés.
· · ·
[5] En septembre ou octobre 2006, Point Zero entre en communication avec la demanderesse aux fins de discuter de l'embauche d'un directeur des opérations de détail ("Director Retail Operations"). La demanderesse lui transmet un écrit qui, selon elle, confirme les discussions au sujet des conditions portant sur le paiement de ses honoraires ou sa commission [1] . Point Zero, finalement, ne lui confie pas le contrat de services ou n'engage pas le candidat proposé.
[6] En août 2007, Point Zero donne à la demanderesse un contrat de services suivant lequel cette dernière doit recruter un Vice-Président Finance ("Vice-President Finance") [2] . Madame Stewart relate que le représentant de Point Zero ne voulait pas signer une entente écrite. Dans son courriel du 30 août 2007, elle écrit simplement: " I accept the 13% on her salary with payment in 3 months after her start date " [3] .
[7] Une candidate proposée est retenue. La facture de la demanderesse et le paiement qu'elle reçoit confirment que les parties s'étaient entendues pour que la rétribution de la demanderesse soit de 13% du salaire versé la première année à cette nouvelle employée [4] .
[8] En mai 2008, Point Zero requiert une autre fois les services de la demanderesse. Elle recherche alors un directeur général pour les magasins au détail ("General Manager, Retail Stores") [5] .
[9] La demanderesse et monsieur Benisti s'échangent plusieurs courriers électroniques à ce sujet. Le 6 mai 2008, elle transmet à ce dernier un document intitulé "Service Proposal and Letter of Agreement" [6] . Elle exprime qu'elle accepte de travailler sur la base d'un montant forfaitaire (29 000$) et précise ce qui suit:
a. All candidate names provided by ES Retail Consulting to remain the property of ES Retail Consulting for a period of no less than 24 months. Should Point Zero wish to use any of the names provided for any other engagements in the future, permission must first be requested to ES Retail Consulting and a contingency fee arrangement will be agreed upon.
[10] L'écrit ne sera jamais signé par les parties, bien que la demanderesse l'ait renvoyé à Point Zero le 12 mai 2011 [7] . La demanderesse présente ou recommande finalement deux candidats qui ne sont toutefois pas retenus par Point Zero. Elle ne facturera donc pas les services rendus dans ce dossier.
[11] En juin 2008, la demanderesse se fait confier un troisième contrat de prestations de services. Dans un courriel daté du 26 juin 2008, madame Stewart écrit que " nos termes seront toujours le 13% après 90 jours que nous avons pour Maria… " [8] .
[12] Le lendemain, sans discuter de la rémunération de la demanderesse, Point Zero lui répond simplement en lui indiquant qu'elle attend les informations au sujet d'un certain candidat et demande qu'elle lui transmette le nom de candidats potentiels pouvant œuvrer dans le secteur de la finance.
[13] Les candidats soumis par la demanderesse, pour différentes raisons, ne sont pas engagés par Point Zero, de telle sorte que, cette fois encore, la demanderesse ne lui transmet aucune facture.
[14] En juillet 2008, une quatrième demande est faite à la demanderesse. Point Zero recherche un spécialiste des fusions et acquisitions [9] . Un seul candidat lui est proposé, candidat que Point Zero ne retient pas. En conséquence, elle ne reçoit aucune facture.
[15] En avril 2009, un cinquième contrat de services est confié à la demanderesse. Elle doit recruter une personne pour diriger et développer les opérations de détails ("Retail Operations Manager") [10] . C'est ce contrat qui fait l'objet du litige entre les parties.
[16] La preuve révèle que la demanderesse a proposé ou soumis deux candidats pour ce poste, soit Jason Roy et Bernard Bruneau. [11] Celui-ci était inconnu des défenderesses.
[17] D'avril jusqu'en mai 2009, la demanderesse fait plusieurs interventions dans le dossier. Pendant le mois de juin, tout comme Bernard Bruneau, elle fait peu de choses en relation avec ce dossier. Pour l'essentiel, elle attend une réponse ou les commentaires de monsieur Benisti.
[18] Le 6 juillet 2009, Point Zero l'informe qu'elle n'a pas retenu la candidature de Bernard Bruneau [12] . De fait, elle a plutôt engagé Brian Edgard qui, jusqu'à ce moment, avait été le patron de Bernard Bruneau pendant six ou sept ans au sein d'une autre entreprise oeuvrant aussi dans l'industrie du vêtement.
[19] Monsieur Benisti mentionne que sa décision s'appuyait sur l'expérience plus grande dont profitait Brian Edgard. Il était déjà Vice-Président au sein de l'autre entreprise, tandis que Bernard Bruneau occupait le poste de gérant dans une boutique.
[20] En août 2009, Point Zero requiert de nouveau les services de la demanderesse. C'est le sixième contrat de services qui est confié à la demanderesse. Dans ce cas, Point Zero recherchait un chef des opérations commerciales ("Chief Operations Officer"). Une candidature fut proposée, mais le candidat décida finalement d'accepter un emploi pour une autre entreprise.
[21] Enfin, toujours au cours du mois d'août 2009, Monsieur Benisti, insatisfait dit-il des services de la demanderesse, rompt de façon irrévocable ses relations commerciales avec elle.
· · ·
[22] Huit mois plus tard, le 6 avril 2010 précisément, madame Campbell appelle Bernard Bruneau en vue de lui offrir un autre emploi. Ce dernier l'informe qu'il vient d'accepter un nouvel emploi pour Point Zero.
[23] La demanderesse, surprise d'apprendre ce fait nouveau, considère que cette embauche par Point Zero résulte des prestations qu'elle a exécutées en avril et mai 2009. Le 8 avril 2010, elle lui fait donc parvenir une facture, maintenant en litige, facture qui établit ses honoraires à la somme de 20 475$. [13]
[24] La preuve révèle que, dès le 12 mai 2009, par un courriel envoyé par la demanderesse auquel est joint le curriculum vitae [14] , une première présentation de Bernard Bruneau est effectuée auprès des défenderesses.
[25] Par la suite, une première rencontre a lieu entre Bernard Bruneau et monsieur Benisti le ou vers le 19 mai 2009 [15] . Monsieur Benisti, entre autres, lui demande de rédiger un document, une sorte de "plan d'affaires", détaillant sa vision ou ses propositions sur la façon de diriger et développer les activités commerciales de détail de l'entreprise [16] . Quelques jours plus tard, le document est préparé et remis à monsieur Benisti. [17]
[26] Mesdames Stewart et Campbell ont rencontré Bernard Bruneau, elles ont revu son curriculum vitae et l'ont préparé pour les rencontres et discussions avec Point Zero. Elles lui ont donné plusieurs conseils, notamment à l'égard du document qu'il devait préparer pour exposer sa vision ou ses propositions sur la façon dont les opérations de détail projetées pouvaient être développées et dirigées [18] .
[27] Le 28 mai 2009, madame Stewart envoie un courrier électronique [19] à monsieur Benisti dans lequel elle lui mentionne avoir été informée par Bernard Bruneau qu'il attendait une offre d'emploi de Point Zero. Elle joint alors un document intitulé "Service Proposal and Agreement" et demande à monsieur Benisti de lui retourner "une copie du contrat" pour son dossier.
[28] Le contrat n'est pas signé. Monsieur Benisti, qui admet avoir reçu le courriel, motive son absence de réponse par le fait qu'il n'acceptait pas le contrat. Pour lui, il n'y a eu ni négociations ni entente à cet égard.
[29] Monsieur Bruneau, de son coté, relate qu'il a été engagé en mars 2010, deux semaines environ avant le début de l'emploi, à la suite d'un appel en février 2010 de Olivier Benisti, le fils de monsieur Benisti. En fait, son nouvel emploi chez Point Zero a commencé le 8 avril 2010, soit douze mois environ après que la demanderesse eut entrepris ses prestations professionnelles aux fins d'aider Point Zero à combler le poste.
[30] Cet appel de Olivier Benisti, précise Bernard Bruneau, résulte seulement d'une recommandation de Brian Edgard, recommandation qu'il a faite après l'annonce à Point Zero de sa démission.
[31] Le poste pour lequel Bernard Bruneau a été engagé était celui de Vice-Président, division des ventes au détail ("Vice-President/Sales, Retail Division"). Les conditions salariales, négociées avec Olivier Benisti, prévoyaient un salaire annuel de 150 000$.
[32] En septembre 2010, en raison d'une restructuration touchant l'organigramme de l'entreprise, son salaire annuel fut diminué à 110 000$. Monsieur Benisti, pour l'essentiel, explique que Bernard Bruneau n'avait pas les qualifications nécessaires pour occuper le poste pour lequel il avait été engagé.
[33] Monsieur Benisti affirme aussi qu'il n'a pas été impliqué dans le processus menant à l'embauche de Bernard Bruneau en mars 2010. Il souligne que Point Zero a reçu un préavis de départ de trois mois et que, dès lors, son fils Olivier a effectué toutes les démarches pertinentes aux fins de trouver une personne pouvant remplacer Brian Edgard.
[34] Olivier, dit-il, a obtenu une liste de candidats potentiels, il a fait seul toutes les communications pertinentes. De plus, sans son aide, il a négocié les termes et conditions du contrat d'emploi de Bernard Bruneau. Monsieur Benisti ajoute que son fils ne savait pas qu'il avait eu un "contact" avec Bernard Bruneau et réitère que, d'une façon ou d'une autre, il n'a jamais été impliqué dans le processus conduisant à cette embauche.
· · ·
[35] La demanderesse soutient qu'elle a droit de recevoir ses honoraires ou sa commission par suite de l'embauche de Bernard Bruneau par Point Zero en mars 2010.
[36] En bref, elle considère d'abord que, dans le contexte des divers contrats qui lui furent confiés, les conditions relatives à sa rémunération étaient clairement entendues et définies entre les parties.
[37] Elle devait obtenir une commission de 13% sur le salaire annuel pour la première année de la personne engagée à la suite d'une proposition de sa part, la commission était payable dans un délai de 90 jours et le nom des personnes proposées ou recommandées demeurait "protégé" ou "sa propriété" pendant une période de 24 mois.
[38] Dans cette perspective, elle soutient que le courrier électronique transmis le 28 mai 2009 et le document qui y était joint ("Service Proposal and Agreement") [20] reflètent correctement les discussions (et ententes) intervenues avec monsieur Benisti. Ainsi, en ce qui concerne la période de protection des noms des personnes proposées, elle s'en remet à la clause 4 de ce document qui énonce que "…all candidate names remain the property of ES Retail Consulting for no less than 24 months" [21] .
[39] Par ailleurs, dans la mesure où l'entente qu'elle décrit n'est pas celle qui doit lier les parties, elle plaide que suivant une pratique bien établie dans le domaine du recrutement professionnel, les noms soumis ou proposés par une agence de recrutement sont protégés pour une période minimale de douze mois.
[40] En l'espèce, Bernard Bruneau a été engagé en mars 2010, soit 11 mois après le moment où elle a entrepris ses prestations professionnelles (avril 2009) ou 8 mois après qu'elle eut été informée par Point Zero que sa candidature n'était pas retenue la première fois (6 juillet 2009). Dans les deux cas, l'embauche de Bernard Bruneau en mars 2010 se situe à l'intérieur de la période de 12 mois que la demanderesse allègue être protégée.
[41]
Enfin, s'appuyant sur certaines décisions rendues en cette matière
[22]
,
la demanderesse estime que les défenderesses doivent lui payer les honoraires
réclamés sur la base de la théorie de l'enrichissement injustifié. Elle précise
que les exigences de la bonne foi (article
[42] Les défenderesses, quant à elles, plaident que les circonstances dans lesquelles elle a engagé Bernard Bruneau ne donnent pas ouverture à la réclamation de la demanderesse.
[43] En premier lieu, aucune entente, dit-elle, n'est intervenue entre les parties, rendant applicables la ou les conditions en litige que la demanderesse veut maintenant imposer. Elle affirme, au contraire, que, en tant que telle, l'entente proposée dans le document "Service Proposal and Agreement" a été rejetée par monsieur Benisti.
[44] Par ailleurs, elles soutiennent que l'embauche de Bernard Bruneau en mars 2010 ne résulte pas directement des services rendus par la demanderesse, mais seulement d'une recommandation faite par un tiers (Brian Edgard), après que le contrat de services de la demanderesse se fut terminé en juillet 2009. Elle réitère que les parties n'étaient aucunement liées en l'instance par une clause d'exclusivité ou de protection pendant une période donnée des noms que la demanderesse proposait ou soumettait.
ANALYSE ET MOTIFS
[45]
L'entente suivant laquelle une agence de recrutement s'engage à offrir
des prestations professionnelles est un contrat de services au sens des
articles
[46]
L'article
2106. Le prix de l'ouvrage ou du service est déterminé par le contrat, les usages ou la loi, ou encore d'après la valeur des travaux effectués ou des services rendus.
[47]
Le fardeau de prouver les éléments constitutifs du contrat entre les
parties appartenait à la demanderesse (article
[48] Il n'est pas contesté ou contestable que les parties s'entendaient pour que la demanderesse reçoive des honoraires ou une commission de 13% sur le salaire annuel de la première année si un candidat qu'elle proposait était engagé par Point Zero (ou l'une ou l'autre des autres défenderesses),. De même, le délai à l'intérieur duquel la rétribution devait être payée (90 jours) n'a fait l'objet d'aucune contestation véritable par les défenderesses.
[49] La preuve est cependant insuffisante ici pour soutenir la thèse de la demanderesse au sujet du caractère exclusif de ses services ou de la protection du nom des personnes recommandées pendant une période donnée. En fait, la preuve est plutôt silencieuse sur l'exclusivité des services de la demanderesse et niée à l'égard de la période de protection.
[50] L'échange des courriers électroniques entre les parties ne révèle pas une acceptation expresse ou tacite par les défenderesses de la condition relative à la période de protection de 24 mois que la demanderesse veut faire valoir. Au contraire, de façon positive, les défenderesses déclarent qu'elles n'ont pas accepté cette condition pouvant donner ouverture au paiement d'une commission.
[51] Le Tribunal conclut qu'il n'existait pas sur ce sujet une entente ou une clause contractuelle qui liait les parties. Partant, en principe, le contrat de prestations de services prenait fin entre les parties lors de l'engagement ou du rejet du ou des candidats proposés par la demanderesse.
[52] La demanderesse plaide aussi que, dans son domaine d'activités commerciales, il existe un usage ou "une pratique" qui établit que le nom des candidats proposés est toujours protégé pour une période de 12 à 24 mois et que, dans cette perspective, si un candidat est embauché pour quelque raison que ce soit au cours de la période visée, cette protection donne automatiquement droit au prestataire de services d'obtenir ses honoraires ou sa commission.
[53]
L'article
1434. Le contrat valablement formé oblige ceux qui l'ont conclu non seulement pour ce qu'ils y ont exprimé, mais aussi pour tout ce qui en découle d'après sa nature et suivant les usages, l'équité ou la loi .
[54] Pour être recevable et, le cas échéant, bénéficier d'une force probante la rendant convaincante, la preuve de l'usage doit répondre à certains critères biens définis en doctrine et en jurisprudence. L'usage que l'on veut établir doit être allégué et la preuve doit démontrer qu'il est ancien, fréquent, général, public et uniforme [23] .
[55] Les auteurs Jean-Claude Royer et Sophie Lavallée [24] , traitant de l'usage, écrivent:
Il n'est pas facile de cerner avec précision l'usage en droit québécois. L'une des difficultés que présente le problème de la coutume en droit moderne vient de l'imprécision de la terminologie. L'usage, coutume au sens strict, peut être défini de façon descriptive comme une règle qui s'est formée par une pratique constante, répétée, publique, uniforme et générale à laquelle les parties intéressées ont donné une force obligatoire. Il comprend un élément matériel consistant principalement dans l'existence de la pratique constante et générale, et un élément intentionnel résultant de la conviction des personnes qu'elles sont obligées d'agir conformément à une règle de conduite non écrite. Son caractère obligatoire découle principalement de la croyance qu'il s'agit d'une règle juridique nécessaire. [25]
[56] Le Tribunal ne peut retenir cet argument en l'instance.
[57] D'une part, sans même tenir compte du fait que la procédure introductive d'instance ne comporte aucune allégation à cet égard, la preuve de la demanderesse sur cet usage ne repose que sur le témoignage de madame Stewart. Or, son témoignage est imprécis sur la portée exacte de la protection que cet usage accorde. La généralité ou l'uniformité de la coutume n'est pas démontrée. De plus, s'agissant d'un fait précis générateur de droit ou directement en litige, le Tribunal ne peut en prendre connaissance d'office [26] .
[58] D'autre part, la conduite de la demanderesse révèle qu'elle ne respectait pas elle-même cet usage ou ne l'appliquait pas d'une manière uniforme.
[59] En 2006, elle n'avait incorporé aucune clause en ce sens dans le courriel détaillant les conditions relatives à l'exécution de son contrat de services [27] . En août 2007, elle accepta le contrat qu'on lui confiait simplement sur la base d'un paiement de "13% on her salary with payment in 3 months after her start date" [28] .
[60] Enfin, les seules fois où la demanderesse a fait parvenir à Point Zero le document "Service Proposal and Agreement" [29] , document non signé ou accepté par les défenderesses, la clause traitant de la protection pendant 24 mois des candidats proposés ne prévoyait aucunement que la demanderesse aurait automatiquement droit au paiement de ses honoraires suivant un pourcentage de 13% du salaire gagné la première année.
[61] En fait, cette clause se limitait à dire que si, dans le futur, Point Zero désirait engager un candidat proposé, elle devait d'abord obtenir la permission de la demanderesse et un "contingency fee arrangement will be agreed upon".
[62] En dernier lieu, la demanderesse soutient que, Point Zero (et les autres défenderesses) n'ayant pas exercé leurs droits d'une manière respectant les exigences de la bonne foi, elle peut obtenir le paiement de ses honoraires strictement sur cette base ou en fonction des règles relatives à l'enrichissement injustifié.
[63]
Les articles
1493. Celui qui s'enrichit aux dépens d'autrui doit, jusqu'à concurrence de son enrichissement, indemniser ce dernier de son appauvrissement corrélatif s'il n'existe aucune justification à l'enrichissement ou à l'appauvrissement.
1494. Il y a justification à l'enrichissement ou à l'appauvrissement lorsqu'il résulte de l'exécution d'une obligation, du défaut, par l'appauvri, d'exercer un droit qu'il peut ou aurait pu faire valoir contre l'enrichi ou d'un acte accompli par l'appauvri dans son intérêt personnel et exclusif ou à ses risques et périls ou, encore, dans une intention libérale constante.
[64] Les extraits suivants, tirés de l'ouvrage des auteurs Baudouin et Jobin [30] , énoncent certains des éléments définissant l'enrichissement injustifié et les limites à son application:
[ … ]
L'action de
in
rem
verso n'a été créée que pour permettre de pallier les situations où
l'enrichissement n'est pas régulier, c'est-à-dire non prévu, sanctionné ou
imposé par la loi. L'enrichissement doit donc être sans raison juridique,
c'est-à-dire sans justification légale ou conventionnelle. Ainsi, l'action
sera refusée dans les situations indiquées à l'article
[ … ]
L'acte accompli par l'appauvri à ses risques et périls est également une justification valable à son appauvrissement. La règle d'interprétation de l'effet utile de chaque partie d'une disposition légale nous oblige à donner à l'expression << à ses risques et périls >> un sens différent de celui de l'expression << dans son intérêt personnel et exclusif >> ; à l'instar d'une règle jurisprudentielle française, il pourrait s'agir de la faute ou négligence de la personne appauvrie ; le moins qu'on puisse dire, c'est que l'expression << à ses risques et périls >> , dans le contexte de l'article 1494, est intrigante. [31]
[ … ]
[65]
La demanderesse insiste sur le fait que monsieur Benisti ne répondait pas
aux courriers électroniques qui exposaient les conditions donnant ouverture au
paiement de la commission. Certes, cette habitude, sans doute fâcheuse, peut
soulever des doutes au sujet de l'intention réelle qui se cachait derrière le
silence, mais cela ne signifie pas nécessairement que monsieur Benisti était de
mauvaise foi au sens de l'article
[66] En effet, dans ses relations avec les défenderesses, la demanderesse a eu aussi une conduite qui, si elle n'était pas tout autant fâcheuse, était bien hasardeuse. Avant d'entreprendre ses prestations professionnelles, elle n'a jamais véritablement exigé que les obligations des parties soient énoncées dans un écrit signé et, quant au contrat de services en litige, elle a fait parvenir à monsieur Benisti le document "Service Proposal and Agreement" seulement après avoir été informée que Point Zero s'apprêtait à faire une offre à Bernard Bruneau.
[67] La preuve révèle que Bernard Bruneau fut engagé par Point Zero en mars 2010, à la suite d'une recommandation faite par la personne (Brian Edgard) ayant obtenu le poste en juillet 2009, sans l'intervention de monsieur Benisti et hors la connaissance de Olivier Benisti du fait que son père avait été en contact avec la demanderesse au sujet de Bernard Bruneau.
[68] Ces éléments peuvent aussi faire l'objet de discussions ou spéculations. Cette preuve demeure toutefois non contredite, elle n'est pas logiquement déraisonnable ou irréaliste, notamment en raison de l'importance des activités commerciales des défenderesses, de sorte que, suivant les règles de preuve, le Tribunal n'a aucune raison suffisante de l'écarter.
[69]
En définitive, en l'absence d'une clause contractuelle prévoyant
l'exclusivité des services professionnels de la demanderesse ou établissant un
droit à ses honoraires si un candidat initialement proposé mais rejeté était
par la suite engagé au cours d'une période donnée, le Tribunal, dans les
circonstances décrites lors du procès, conclut que la demanderesse ne peut se
rabattre sur l'article
[70] Elle est en quelque sorte l'artisane de son malheur. Sa réclamation doit dont être rejetée.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
REJETTE la réclamation de la demanderesse;
LE TOUT, avec dépens.
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__________________________________ ALAIN BREAULT, J.C.Q. |
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Me Ryan Allen RYAN ALLEN AVOCATS Procureurs de la demanderesse |
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Me Caroline Essiminy Procureure des défenderesses |
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Date d’audience : Mise en délibéré |
Le 26 octobre 2011 Le 6 décembre 2011 |
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[1] Pièce P-10.
[2] Pièce P-4, pp. 1-3.
[3] Id. , p. 3.
[4] Pièce P-9.
[5] Pièce P-4, pp. 5-8.
[6] Id. , pp. 5-6.
[7] Pièce P-11.
[8] Pièce P-4 en liasse, p. 12.
[9] Id., p. 16 (courriel du 22 juillet 2008).
[10] Id., p. 42.
[11] Id. , p. 16.
[12] Id ., p. 42.
[13] Pièce P-2.
[14] Pièce P-4 en liasse, p. 20.
[15] Id., p. 25.
[16] Id., p. 42.
[17] Pièce P-12.
[18] Pour exemple, voir Pièce P-4 en liasse, pp. 28-31.
[19] Id., p. 32.
[20] Pièce P-4 en liasse, pp. 32-33 et Pièce P-11.
[21] Id.
[22]
Pour exemple, voir:
Arcand & Associés, consultants en ressources
humaines c. Motion Industries
(
Canada) Inc.,
(C.Q., 2010-07-09),
[23]
Gregory c. Château Drummond inc
. (C.A., 2012-04-02),
2012 QCCA 601
,
[24]
Jean-Claude ROYER et Sophie LAVALLÉE,
[25] Id., paragr. 108.
[26] Gregory c. Château Drummond inc , supra , note 23, paragr. 67 et 68.
[27] Pièce P-10.
[28] Pièce P-4 en liasse, p. 3.
[29] Pièce P-4 en liasse, pp. 5 et 6 et Pièce P-11; voir aussi Pièce P-4 en liasse, pp. 32 et 33.
[30] Jean-Louis BAUDOUIN et Pierre-Gabriel JOBIN, Les obligations , 6° éd., Cowansville, Les Éditions Yvon Blais Inc., 2005, 1755 p.
[31] Id. , pp. 570-572.