Bilodeau c. Bériault

2012 QCCQ 3171

                                                                                                                     

JD2786

 
COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE LONGUEUIL

LOCALITÉ DE LONGUEUIL

« Chambre civile »

 

N° :            505-32-027327-106

 

DATE :     15 mars 2012

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE   L’HONORABLE MONIQUE DUPUIS, J.C.Q.

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ROBERT BILODEAU

 

                        Demandeur

 

c.

 

MICHEL BÉRIAULT

 

                        Défendeur

 

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JUGEMENT

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[1]            Robert Bilodeau ("le demandeur") réclame 6 000,00$ à Michel Bériault ("le défendeur"), alléguant que le bateau acheté en 2009 était affecté de vices cachés et que le défendeur lui a fait de fausses représentations quant à l'année de fabrication de ce bateau.

 

Questions en litige

[2]            Il s'agit de déterminer si le bateau vendu était affecté de vices cachés au moment de la vente et le cas échéant, établir le montant des dommages.

[3]            Il s'agit également de déterminer si lors de la vente, le défendeur a fait de fausses représentations à l'acheteur quant à l'année de fabrication.

 

Les faits

[4]            Le 20 novembre 2008, le défendeur vend à Robert Bilodeau junior ("Bilodeau junior") [1] , le fils du demandeur, un bateau de marque Thundercraft Magnum 1986, 25.5 pieds, pour la somme de 9 000,00$ (pièce P-1). Il est convenu que le prix sera payé en plusieurs versements, s'échelonnant de l'automne 2008 jusqu'au printemps suivant. Le défendeur est propriétaire du bateau qu'il utilise pour des fins personnelles depuis deux ans.

[5]            Le demandeur et son fils connaissent le défendeur depuis plusieurs années : le demandeur, qui a déjà travaillé comme mécanicien automobile, travaille parfois comme commissionnaire pour le défendeur, qui opère une entreprise de réparation de moteur de bateaux. Le défendeur ne vend pas de bateaux neufs ou usagés.

[6]            Au moment de l'achat, le bateau est remisé et enveloppé. Bilodeau junior, qui dit avoir une confiance aveugle en le défendeur, soulève la toile, l'examine pendant environ 15 minutes et le trouve en bonne condition.

[7]            Le demandeur a déjà eu des bateaux avec moteur hors-bord de 12 et 14 pieds, mais jamais un " in-board " comme celui du défendeur.

[8]            Pendant l'hiver 2008-2009, la situation de Bilodeau junior change, et le demandeur convient d'acheter le bateau : il rembourse son fils des sommes déjà payées et continue à effectuer les versements qui restent. Le bateau est payé en totalité le 14 mai 2009.

[9]            Le demandeur a déjà réservé le quai pour l'été, avant même d'avoir fait un essai. Il a déjà réservé ses jours de vacances et compte utiliser le bateau le plus vite possible.

[10]         La mise à l'eau s'effectue le 18 mai, alors que le défendeur, à la connaissance du demandeur, n'a pu faire la mise au point.

[11]          Malgré les avertissements du défendeur quant à l'importance de la mise au point, le demandeur insiste et dans l'excitation générale, le bateau est mis à l'eau. Le défendeur affirme avoir tenté de donner toutes les explications nécessaires à Bilodeau junior qui utilise le bateau en premier, notamment quant à l'importance de s'assurer que le pied du bateau est complètement à l'eau.

[12]         Bilodeau junior quitte avec quelques amis à bord mais peu de temps après, le bateau est en panne et ne redémarre plus. Il communique avec le défendeur par téléphone cellulaire, qui lui dit d'attendre un peu et de tenter de redémarrer, ce que Bilodeau junior fait avec succès.

[13]         Un peu plus loin le bateau redevient en panne et doit être remorqué au quai.

[14]         Il s'avère que le moteur a surchauffé et est saisi. Le demandeur en avise le défendeur, ce dernier s'engage à examiner le moteur, mais ne donne pas suite à cette promesse.

[15]         Le 8 juin 2009, le demandeur lui adresse une mise en demeure (pièce P-3), et le 10 juillet suivant, les parties conviennent de ce qui suit :

" La présente lettre est pour aviser mr Robert Bilodeau, suite après avoir reçu une mise en demeure le 8 juin 2009 disant que le moteur du bateau Thundercraft Magnum 1986, chauffait et non pas fait le changement d'huile que mr Michel Bériault avait avisé et non vérifier l'huile le moteur du bateau a sur-chauffé. Alors  il a brulé le moteur, conséquence obliger de changer le moteur que Mr Michel Bériault propose à mr Robert Bilodeau acceptant, alors trouver un moteur payé au frais de l'acheteur et mr Bériault fait installation (heures de travail a ces frais donc mr Bilodeau déboursait aucune heure de pose pour le moteur.) À partir de cette date mr Robert Bilodeau est entièrement responsable du bateau, donc mr Michel Bériault n'est plus responsable de quoi que ce soit qui arrive sur le bateau. "

Le défendeur change le moteur mais le demandeur ne lui paie pas la somme de 500,00$ convenue.

[16]         Le 3 juillet 2010, le demandeur transmet une nouvelle mise en demeure réclamant 6 951,31$, invoquant notamment le fait que le pied du moteur doit être réparé.

[17]         Il  intente la présente action, réclamant 10 123,00$ qu'il accepte de réduire à 7 000,00$ pour bénéficier du recours devant la division des petites créances, ce montant étant réparti comme suit :

-     Réparation du pied du moteur :                                                         1 688,61$;

-     Réparation tubulure :                                                                              806,35$;

-     Batterie :                                                                                                     120,00$;

-     Profondimètre :                                                                                      1 061,59$;

-     Autres réparations et pièces (moteur et batterie manquante) :        620,00$;

-     Location d'un quai alors que le bateau est inutilisable

      pour la saison :                                                                                         812,70$;

-     Dévaluation du bateau par rapport à l'année 1986 vs 1983 :       2 400,00$;

-     Frais d'intervention du Service de sécurité

      Ville de Châteauguay :                                                                              13,75$;

-     Temps et déplacements divers pour les réparations

      du bateau :                                                                                                600,00$;

-     Dommages compensatoires, désagréments, vacances

      gâchées… :                                                                                            2 000,00$.

[18]         Le défendeur plaide qu'il avait fait une mise en garde au demandeur avant la mise à l'eau du bateau, notamment à l'effet qu'il était nécessaire de vérifier l'huile : la négligence du demandeur ou de son fils a causé le bris du moteur.

[19]         Le défendeur nie avoir fait quelque fausse représentation que ce soit au demandeur.

Droit applicable

[20]         Puisqu'il s'agit d'une vente entre deux particuliers, le Tribunal se réfère aux dispositions pertinentes du Code civil du Québec (" C.c.Q. "), en matière de garantie de qualité.

[21]         L'article 1726 C.c.Q. prévoit l'obligation de garantie de qualité du vendeur à l'égard du bien vendu :

" Art. 1726. Le vendeur est tenu de garantir à l'acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l'usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l'acheteur ne l'aurait pas acheté, ou n'aurait pas donné si haut prix, s'il les avait connus.

Il n'est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l'acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert. "

[22]         Pour conclure à la mise en œuvre de cette garantie, le Tribunal considère quatre critères [2] :

1.       Le vice doit être grave , c'est-à-dire qu'il doit causer des inconvénients sérieux à l'usage du bien; l'acheteur ne l'aurait pas acheté, ou donné si haut prix, s'il avait connu ce vice;

2.   Le vice doit être inconnu de l'acheteur au moment de la vente. La bonne foi se présumant, il appartient au vendeur de faire la preuve de la connaissance du vice par l'acheteur;

3.    Le vice doit être caché ce qui suppose qu'il ne soit pas apparent, c'est-à-dire qu'il n'a pu être constaté par un acheteur prudent et diligent sans devoir recourir à un expert et qu'il n'ait pas été dénoncé ou révélé par le vendeur; l'expertise de l'acheteur sert à évaluer si le vice est caché ou apparent; plus l'acheteur connaît le bien qu'il acquiert, plus le vice est susceptible d'être considéré comme apparent;

4.    Le vice doit être antérieur à la vente .

[23]         Le vendeur est responsable du vice caché qui affecte le bien vendu même s'il en ignorait l'existence.

[24]         Si le bien vendu est affecté de vices cachés, l'acheteur dispose de plusieurs recours, dont le recours en diminution de prix, prévu à l'article 1604 C.c.Q. :

" Art. 1604. Le créancier, s'il ne se prévaut pas du droit de forcer, dans les cas qui le permettent, l'exécution en nature de l'obligation contractuelle de son débiteur, a droit à la résolution du contrat, ou à sa résiliation s'il s'agit d'un contrat à exécution successive.

Cependant, il n'y a pas droit, malgré toute stipulation contraire, lorsque le défaut du débiteur est de peu d'importance, à moins que, s'agissant d'une obligation à exécution successive, ce défaut n'ait un caractère répétitif; mais il a droit, alors, à la réduction proportionnelle de son obligation corrélative.

La réduction proportionnelle de l'obligation corrélative s'apprécie en tenant compte de toutes les circonstances appropriées; si elle ne peut avoir lieu, le créancier n'a droit qu'à des dommages-intérêts. "

[25]         La diminution de prix peut être évaluée en prenant comme base de calcul le coût des réparations nécessaires pour remédier aux vices, et ce coût peut être réduit selon les circonstances en fonction de la plus-value que les travaux apportent au bien compte tenu de son âge, puisque l'acheteur ne doit pas s'enrichir à l'occasion des réparations [3] .

[26]         Si le vendeur connaissait ou était présumé connaître le vice caché, il peut être tenu outre de cette réduction de prix, de tous les dommages subis par l'acheteur comme le prévoit l'article 1728 C.c.Q. :

" Art. 1728. Si le vendeur connaissait le vice caché ou ne pouvait l'ignorer, il est tenu, outre la restitution du prix, de tous les dommages-intérêts soufferts par l'acheteur. "

[27]         L'article 1739 C.c.Q. oblige l'acheteur qui constate que le bien acheté est affecté d'un tel vice, à le dénoncer par écrit à son vendeur, dans un délai raisonnable depuis sa découverte.

[28]         La jurisprudence établit que le caractère de ce qui est caché s'apprécie selon une norme objective, soit en fonction d'un examen qu'aurait fait un acheteur prudent et diligent [4] .

[29]         Dans l'arrêt Placements Jacpar c. Benzakour [5] , la Cour d'appel du Québec énonce ceci quant aux obligations de l'acheteur :

" Le régime juridique des garanties légales du vendeur ne constitue pas un système de protection de l'acheteur imprudent ou incompétent. Il impose un standard de conduite à l'acquéreur d'un bien meuble ou immeuble. C'est à la définition de cette norme que se relie le problème de l'expertise. On ne saurait en effet toujours considérer comme caché ce qui n'a pas été constaté ou ce qui a été mal compris.

[…]

En achetant un bien, l'acquéreur est tenu à une obligation de prudence et de diligence. Cette dernière exige qu'il prête une attention suffisante à l'objet qu'il examine. Il faut évaluer le comportement de l'acquéreur par rapport à la norme objective de l'acheteur raisonnable et prudent. "

[30]         Par ailleurs, le vendeur ne doit pas tenter d'induire l'acheteur en erreur par de fausses représentations au sujet de l'état du bien. L'acheteur peut alors être dispensé de son obligation d'approfondir son inspection.

[31]         Dans l'affaire Lamontagne c. Paris [6] , la Cour d'appel s'exprime comme suit :

" Ainsi que notre Cour a déjà eu l'occasion de le souligner, "(le) dol ou le mensonge du vendeur peut rendre un vice juridiquement caché, surtout lorsque l'acquéreur a demandé une explication au sujet des manifestations d'un défaut et qu'on l'a orienté sur une fausse piste. "

 

 

 

Analyse et décision

A. Vice caché

1. Moteur

[32]         Plusieurs postes de réclamation concernent les dommages subis en raison du bris du moteur, mais non la réparation elle-même, vu l'entente du 10 juillet 2009 (pièce P-4).

[33]         Or, dans ce même document, le demandeur reconnaît que le moteur a surchauffé, parce qu'il n'a pas fait les vérifications signalées par le défendeur et n'a pas fait le changement d'huile comme le défendeur lui avait recommandé, cela ayant eu comme conséquence de l'obliger à changer de moteur.

[34]         Vu l'admission faite par le demandeur lui-même mécanicien, le Tribunal rejette la demande pour tout dommage occasionné par le bris du moteur, soit la location du quai (812,70$), les frais d'intervention du service de sécurité Ville de Châteauguay (13,75$) et dommages compensatoires et vacances gâchées (2 000,00$).

2. Réparation du pied du moteur

[35]         Le demandeur a fait entendre comme témoin expert André Tremblay (" Tremblay "), mécanicien depuis 1989, et possédant plusieurs années d'expérience chez Mercury Marine. Le défendeur a fait entendre Jacques Boivin (" Boivin ") qui possède son entreprise de réparation de bateaux et de mécanique marine à Napierville depuis 40 ans.

[36]         Selon Tremblay, l'engrenage situé dans le pied du moteur s'est enrayé vraisemblablement en raison du manque d'huile : le joint possiblement usé a fui, et l'huile a coulé. Selon lui, tôt ou tard, ces pièces s'usent, et il n'est pas surpris de constater l'état du pied du moteur, sachant que c'est un bateau âgé de plus de 20 ans au moment de l'achat : il s'agit d'usure normale. Il ajoute qu'un entretien régulier permet de voir l'usure, le cas échéant et de faire les correctifs.

[37]         Le défendeur témoigne avoir fait l'entretien pendant l'été 2008 alors qu'il est toujours propriétaire du bateau : le joint ne posait pas de problème, l'engrenage était en bon état.

[38]         De son côté, Boivin explique que le pied a manqué d'huile dans sa partie plus haute, parce que le joint " a sauté " : sans huile, cette pièce s'use très vite. Cela peut avoir été causé parce que le bateau fonctionne sans que le pied ne soit assez profondément dans l'eau, ce qui peut entraîner le bris du joint. L'expert Tremblay confirme la thèse de Boivin.

[39]         Le demandeur n'a pas réussi à prouver, par preuve prépondérante, que le pied du moteur était affecté d'un vice caché au moment de la vente. Selon son propre expert, le problème peut être relié à l'usure normale pour un bateau de cet âge ou à un usage inadéquat ou abusif.

[40]         La réclamation du demandeur à ce chapitre (1 688,61$) est donc rejetée.

3. Réparation tubulure, batterie, profondimètre

[41]         L'usure de la tubulure et de la batterie résulte vraisemblablement de l'âge du bateau. De plus, ni le demandeur ni son fils n'ont fait d'examen attentif ni d'essai au moment de l'achat même s'ils savaient qu'il s'agissait d'un bateau de plus de 20 ans. Un tel examen sommaire ne constitue pas l'examen d'un acheteur prudent et diligent, dans les circonstances, et le Tribunal ne fait pas droit à la réclamation pour ces deux éléments (806,35$ et 120,00$).

[42]         Quant au profondimètre, le demandeur affirme que cet instrument était compris dans le contrat de vente. Puisque le contrat écrit ne fait aucune mention de cet élément, cette demande (1 061,59$) n'est pas fondée.

4. Autres dommages

[43]         Le demandeur réclame divers montants pour temps et déplacements pour les réparations du bateau et dommages compensatoires : compte tenu des conclusions auxquelles le Tribunal arrive à l'effet qu'il n'y a pas de vice caché, le Tribunal ne fait pas droit à ces réclamations (2 000,00$).

B. Fausses représentations

[44]         Le demandeur reproche au défendeur d'avoir faussement représenté qu'il s'agissait d'un bateau de 1986, alors qu'il s'agissait d'un bateau datant de 1983.

[45]         Le défendeur explique qu'au moment où il rédige le contrat de vente, il n'a pas les documents qui se trouvent à l'intérieur de la cabine du bateau. Il indique de mémoire la date comme étant 1986.

[46]         Or, une étiquette de la Garde côtière canadienne indiquant de façon claire  l'année " 1983 " (photo P-9-11) se trouvait bien en vue sur le pare-brise.  Le Tribunal ne peut écarter le témoignage du défendeur quant à l'erreur de date et ne considère pas qu'il s'agit là de fausses représentations. Il s'agit plutôt d'une erreur inexcusable de la part du demandeur.

[47]         Par conséquent, le Tribunal ne fait pas droit à sa demande de 2 400,00$ relative à la dévaluation estimée du bateau.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[48]         REJETTE l'action du demandeur;

[49]         CONDAMNE le demandeur à payer au défendeur les frais judiciaires de 148,00$.

 

 

 

 

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MONIQUE DUPUIS, J.C.Q.



[1]     L'utilisation des seuls noms ou prénoms dans le présent jugement a pour but d'alléger le texte et il ne faut y voir aucune discourtoisie à l'égard des personnes concernées.

[2]     ABB inc. c. Domtar inc. [2007] 3 R.C.J. 461.

[3]     Pierre Gabriel JOBIN et Michelle CUMYN, La vente , 3 e éd. Cowansville, Éditions Yvon Blais 2007, pp. 239-240.

[4]     ABB Inc. c. Domtar Inc. , 2007 CSC 50 (CanLII) , [2007] 3 R.C.S. 461 .

[5]     Placements Jacpar c. Benzakour , 1989 CanLII 976 (QC CA) , [1989] R.J.Q. 2309 .

[6]     Lamontagne c. Paris , SOQUIJ AZ-50084667 , J.E. 2001-713 , [2001] R.D.I. 189 , R.E.J.B. 2001-23177 .