Construction Idéal de Granby inc. et Aliments Ultima inc.
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2012 QCCLP 2922 |
COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Saint-Hyacinthe |
Le 27 avril 2012 |
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Région : |
Yamaska |
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Dossier CSST : |
4147210 |
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Commissaire : |
Alain Vaillancourt, juge administratif |
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Membres : |
Normand Bédard, associations d’employeurs |
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Pierre Jutras, associations syndicales |
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Partie requérante |
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et |
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Aliments Ultima inc. C.P.Q.M.C. C.S.D.-Construction C.S.N. -Construction Montréal F.T.Q. - Construction Syndicat québécois de la construction |
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Parties intéressées |
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Et |
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Commission de la santé Et de la sécurité du travail |
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Partie intervenante |
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[1] Le 16 mai 2011, Construction Idéal de Granby inc. (Construction Idéal) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 10 mai 2011 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celles qu’elle a initialement rendues les 10 mars et 7 avril 2011.
[3] Elle déclare que Construction Idéal est le maître d’œuvre du chantier de construction pour maturateurs situé au local CE-105 à l’usine Aliments Ultima de Granby jusqu’à ce qu’il se retire du projet le 15 mars 2011 par un avis de fermeture de chantier.
[4] De plus, la CSST confirme l’ordonnance ayant l’effet de suspendre les travaux de construction sur le chantier.
[5] Construction Idéal est présent et représenté à l’audience du 21 novembre 2011 à Saint-Hyacinthe. Aliments Ultima inc. (Aliments Ultima) est également présent et représenté ainsi que la CSST. L’audience s’est poursuivie le 20 janvier 2012 et le dossier a été pris en délibéré le 4 avril 2012 sur réception de l’argumentation des parties.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[6] Construction Idéal demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision de la CSST, de déclarer qu'elle n’était pas le maître d’œuvre du chantier de construction et que l’inspecteur n’était pas justifié de suspendre les travaux de construction sur le chantier.
L’AVIS DES MEMBRES
[7] Les membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs sont d’avis d’infirmer la décision de la CSST sur la question du maître d’œuvre. Construction Idéal n’avait pas, dès le début du chantier, la responsabilité de l’exécution de l’ensemble des travaux de sorte que c’est Aliments Ultima, le propriétaire, qui est le maître d’œuvre du chantier de construction depuis le début du chantier.
[8] Les membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs sont d’avis de confirmer la décision de la CSST portant sur la suspension des travaux de construction en date du 8 mars 2011. En effet, le danger de chute ne pouvait pas être toléré et il justifiait une suspension des travaux, un avis de correction aurait été insuffisant. Par ailleurs, la décision est motivée et les mesures à prendre indiquées.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[9] La Commission des lésions professionnelles doit donc décider si la décision de la CSST identifiant Construction Idéal comme maître d’œuvre du chantier de construction des maturateurs de l’usine Aliments Ultima pour la période antérieure au 15 mars 2011 est bien fondée.
[10] Le tribunal doit aussi décider si la CSST était justifiée de suspendre les travaux sur ce chantier de construction le 8 mars 2011.
Moyen préliminaire
[11] Aliments Ultima prétend que le 7 avril 2011, la CSST ne pouvait pas statuer à nouveau sur l’identification du maître d’œuvre pour la période antérieure au 15 mars 2011 vu qu’elle s’était déjà prononcée sur cette question dans sa décision du 7 mars 2011 laquelle était devenue finale n’ayant pas été contestée.
[12] Le 25 novembre 2010, Construction Idéal a transmis à la CSST un avis d’ouverture de chantier de construction [1] où la date identifiée du début du chantier est le 1 er décembre 2010.
[13] Selon la preuve, la décision du 7 mars 2011 [2] est la première décision rendue par un inspecteur de la CSST sur ce chantier et elle fait suite à une visite de contrôle du 2 mars 2011 au cours de laquelle l’inspecteur avait noté une dérogation au Code de sécurité pour les travaux de construction [3] (le Code) justifiant l’émission d’un avis de correction. L’avis de correction avait été émis à Construction Idéal et visait l’équipement d’un sous-contractant qui a par ailleurs été rencontré par l’inspecteur lors de la visite et qui a apporté les correctifs nécessaires avant le départ de l’inspecteur.
[14] Suite à un accident du travail survenu le 8 mars 2011, la CSST intervient les 8, 9 et 14 mars 2011 sur le chantier de construction et des rapports d’intervention sont émis par des inspecteurs de la CSST les 10, 11 mars et 7 avril 2011.
[15] Le 15 mars 2011, Construction Idéal manifeste par lettre son désaccord à être identifié comme étant le maître d’œuvre du chantier de construction et demande à l’inspecteur de statuer sur cette question [4] . Le jour même, Construction Idéal transmet un avis de fermeture du chantier [5] .
[16] Le 18 mars 2011, Aliments Ultima demande à l’inspecteur d’éclaircir la notion de maître d’œuvre du chantier [6] .
[17] La période litigieuse est celle antérieure au 16 mars 2011, car le 18 mars 2011, monsieur Ali Senhaji, chef des projets majeurs et procédés chez Aliments Ultima, transmettait une lettre à l’inspecteur de la CSST ayant « pour but de confirmer le transfert de la responsabilité de maître d’œuvre à Aliments Ultima » à compter du 16 mars 2011 [7] . Il répétait ainsi l’information apparaissant à l’avis d’ouverture de chantier qu’Aliments Ultima avait transmis le 16 mars 2011 [8] .
[18] Le 21 mars 2011, l’inspecteur reçoit une copie des documents contractuels liant Construction Idéal et Aliments Ultima et le 7 avril 2011, il rédige un rapport motivé dans lequel il décide que Construction Idéal était le maître d’œuvre du chantier de construction pour la période antérieure au 15 mars 2011 [9] .
[19] Construction Idéal a demandé la révision de cette décision de l’inspecteur dans le délai de 10 jours prévu à la Loi sur la santé et la sécurité du travail [10] (la loi).
[20] De ce qui précède, le tribunal retient que le 15 mars 2011, Construction Idéal, dans les 10 jours de la première décision rendue par un inspecteur de la CSST, contestait son identification à titre de maître d’œuvre du chantier de construction et que, dans le même délai, Aliments Ultima demandait à l’inspecteur d’éclaircir la question.
[21] L’inspecteur aurait alors pu décider de ne pas se prononcer sur ce sujet et aviser Construction Idéal qu’il avait déjà statué sur la question dans sa décision du 7 mars 2011 et le dossier aurait alors pu être dirigé en révision administrative afin que la demande de révision de Construction Idéal soit traitée.
[22] Toutefois, l’inspecteur s’est saisi de la demande des deux parties et a pris connaissance des documents contractuels et des arguments des parties pour rendre une décision motivée le 7 avril 2011 dont Construction Idéal a demandé la révision.
[23] Même si Construction Idéal n'a pas indiqué spécifiquement qu’il demandait la révision de la décision du 7 mars 2011, force est de constater que dans les dix jours de cette décision, il manifestait son désaccord à être identifié comme maître d’œuvre du chantier de construction.
[24] Dans les circonstances, le tribunal aurait pu retourner le dossier à la CSST pour qu’elle dispose de la demande de révision de Construction Idéal à l’encontre de la décision du 7 mars 2011.
[25] L’exercice aurait été inutile dans la mesure où de façon très contemporaine l’inspecteur s’est saisi de la demande des parties d'éclaircir la question et qu’il a rendu une décision motivée dont Construction Idéal a demandé la révision dans le délai.
[26] Le tribunal considère qu’il a la compétence nécessaire pour se saisir de la requête de Construction Idéal et qu’il est dans l’intérêt des parties que le tribunal se prononce immédiatement sur la question pour éviter des délais et des frais supplémentaires. Le moyen préliminaire est donc rejeté.
Maître d’œuvre
[27] Le tribunal doit maintenant décider qui était le maître d’œuvre lorsque l’accident du travail du 8 mars 2011 s’est produit.
[28] Les notions de maître d’œuvre et de chantier de construction sont ainsi définies à la loi :
«chantier de construction» : un lieu où s'effectuent des travaux de fondation, d'érection, d'entretien, de rénovation, de réparation, de modification ou de démolition de bâtiments ou d'ouvrages de génie civil exécutés sur les lieux mêmes du chantier et à pied d'œuvre, y compris les travaux préalables d'aménagement du sol, les autres travaux déterminés par règlement et les locaux mis par l'employeur à la disposition des travailleurs de la construction à des fins d'hébergement, d'alimentation ou de loisirs;
«maître d'œuvre» : le propriétaire ou la personne qui, sur un chantier de construction, a la responsabilité de l'exécution de l'ensemble des travaux;
[29] Depuis la décision Ville de Québec et Savard & Dion inc. [11] les critères suivants sont pris en considération dans l’identification du maître d’œuvre sur un chantier de construction :
- l'identification du maître d'œuvre doit se faire avant le début des travaux;
- l'identification du maître d'œuvre est faite à partir des documents contractuels, le cas échéant, lesquels sont étudiés dans l'optique de leur mise en application lors des travaux de construction;
- la qualification donnée aux intervenants par les documents contractuels n'est pas déterminante aux fins de l'identification du maître d'œuvre au sens de la LSST;
- le maître d'œuvre est soit le propriétaire soit la personne qui, sur un chantier de construction, a la responsabilité de l'exécution de l'ensemble des travaux;
- on doit d'abord rechercher s'il existe une personne qui a la responsabilité de l'exécution de l'ensemble des travaux sur un chantier de construction. Cette personne peut être le propriétaire s'il assume la responsabilité de l'exécution des travaux;
- la responsabilité de l'exécution de l'ensemble des travaux s'entend de la prise en charge, de façon concrète et réelle, de l'ensemble des travaux sur les lieux mêmes où ils s'effectuent;
- la responsabilité de l'approbation, du contrôle ou de la surveillance des travaux à exécuter est une responsabilité distincte de celle de l'exécution de l'ensemble des travaux;
- à défaut de pouvoir identifier, sur un chantier, une personne qui a la responsabilité de l'exécution de l'ensemble des travaux, ce sera alors le propriétaire qui sera maître d'œuvre.
[30] La preuve révèle qu’il n’y a eu qu’un seul chantier de construction et Aliments Ultima reconnaît qu’elle était le maître d’œuvre du chantier de construction à compter du 16 mars 2011.
[31] Notre tribunal a reconnu qu’un changement de maître d’œuvre en cours de travaux était possible dans la mesure où il y avait une réelle évolution de la situation [12] .
[32] Toutefois, dans le présent cas, la décision du tribunal ne doit pas être basée uniquement sur la situation qui a prévalu entre le début des travaux et le 15 mars 2011, car l'identification du maître d'œuvre se fait avant le début des travaux et qu'elle est faite à partir des documents contractuels lesquels sont étudiés dans l'optique de leur mise en application lors des travaux de construction .
[33] Sans oublier que « le régime de santé et sécurité du travail repose sur la bonne foi et la responsabilisations des acteurs en présence » [13] , le tribunal est d’avis que le fait que Construction Idéal ait convenu d’assumer des obligations prévues au maître d’œuvre aux documents contractuels et qu’il les ait assumées pendant une certaine période ainsi que la raison pour laquelle il ne voudrait plus les accepter ne sont pas des éléments décisifs dans la détermination du maître d’œuvre.
[34] Le tribunal doit d'abord rechercher s'il existait une personne qui avait la responsabilité de l'exécution de l'ensemble des travaux à être exécutés sur le chantier de construction et ce, jusqu’à sa fin.
[35] Si Construction Idéal n’a pas la responsabilité de l’exécution de l’ensemble des travaux c’est Aliments Ultima qui sera le maître d’œuvre du chantier de construction.
[36] La preuve révèle que Construction Idéal avait la responsabilité de l’exécution d'une partie importante des travaux sans toutefois en avoir l’entière responsabilité.
[37] En effet, la preuve est prépondérante pour conclure qu’Aliments Ultima avait conservé la responsabilité d’une partie des travaux.
[38] Il a toujours été prévu que c’était Aliments Ultima qui s’occuperait de l’installation des maturateurs lesquels sont au cœur même de la finalité de l’œuvre. C’est elle qui prenait en charge, de façon concrète et réelle, ces travaux à l’intérieur des limites du chantier.
[39] Il était prévu que Construction Idéal devait suspendre, pendant une journée, ses travaux sur le chantier de construction lors de la mise en place des maturateurs. Il s’agit de deux réservoirs de près de 18 mille litres chacun qui sont transportés à l’aide d’une grue et qui sont déposés à l’endroit où ils seront fixés, en passant par le toit de l’édifice qui doit être retiré et replacé par la suite et ce, dans les limites du chantier.
[40] C’est Aliments Ultima qui devait, et qui s’est occupé de toute la coordination des travaux cette journée-là. Elle a retenu les services du grutier, et de certains travailleurs de Construction Idéal dans le but d’effectuer certaines tâches connexes à l’installation des maturateurs [14] . Elle a aussi retenu les services d’autres personnes.
[41] Les maturateurs ont été installés le 26 avril 2011 et à compter de cette date, des sous-traitants d’Aliments Ultima ont effectué des travaux de procédés sur ces équipements jusqu’à une date non précisée en juillet 2011. Il était prévu avant même le début du chantier que tous les travaux reliés aux maturateurs mêmes seraient sous la responsabilité d’Aliments Ultima.
[42] La preuve révèle également que les travaux prévus au contrat entre Aliments Ultima et Construction Idéal se sont terminés à la fin du mois de juillet 2011.
[43] Lorsque les travaux sur les maturateurs ont débuté, Construction Idéal n’avait pas encore terminé ses travaux à l’intérieur même du bâtiment, il restait encore des travaux d’éclairage, de plomberie, de ventilation et un peu de finition intérieure. Les travaux de Construction Idéal, d’Aliments Ultima et de leurs sous-contractants se sont donc chevauchés dans le temps et dans l’espace, les uns travaillant au-dessus des autres et les exposants par exemple à la chute d’objets.
[44] De plus, la preuve révèle que Construction Idéal avait encore des travaux sous sa responsabilité à l’extérieur du bâtiment mais dans les limites du chantier alors que des sous-contractants ou des travailleurs d’Aliments Ultima effectuaient des travaux sur les maturateurs.
[45] Aliments Ultima allègue que c’est en raison de la suspension des travaux et du retard que cela a occasionné dans leur avancement qu’il a dû assumer la maîtrise d’œuvre. Le tribunal en comprend qu’il allègue que n’eut été de l’accident du travail les choses se seraient passées différemment et que Construction Idéal aurait été responsable de l’exécution de l’ensemble des travaux sur le chantier de construction.
[46] Le tribunal considère que la preuve n'est pas prépondérante à cet égard.
[47] D’une part, il a toujours été prévu que Construction Idéal devrait suspendre ses travaux pour permettre à Aliments Ultima d’installer les maturateurs, il s’agit de travaux qui concernent directement la finalité de l’œuvre et dont Construction Idéal n’avait pas la responsabilité d’exécution. Selon la charte d’avancement des travaux du 15 février 2011, Construction Idéal avait encore un mois de travaux à compléter sur le chantier lorsque les maturateurs devaient être déposés à leur place [15] .
[48] Ce n'est pas parce que Construction Idéal avait été avisée par Aliments Ultima de ne pas effectuer de travaux sur le chantier cette journée-là, qu’il n’y avait plus de chantier de construction et que les travaux effectués par Aliments Ultima devraient être exclus de l’ensemble des travaux.
[49] La responsabilité de l'exécution de l'ensemble des travaux s'entend de la prise en charge, de façon concrète et réelle, de l'ensemble des travaux sur les lieux mêmes où ils s'effectuent. Pour que Construction Idéal ait la responsabilité de l’exécution de l’ensemble des travaux sur le chantier de construction, il aurait fallu qu’il ait aussi la responsabilité, à tout le moins, de la mise en place des maturateurs, soient les travaux qui ont été effectués le 26 avril 2011 mais qui étaient prévus plus tôt.
[50] Dans le présent cas, l’installation des maturateurs fait partie de l’ensemble de travaux qui devaient être et qui ont été effectués sur le chantier de construction.
[51] Dans l’affaire Construction Gagné et Fils inc. et Syndicat Québécois Construction [16] , à laquelle Aliments Ultima réfère le tribunal, il est indiqué qu’un propriétaire peut confier l’exécution de certains travaux, à certaines conditions, sans pour autant être reconnu comme étant le maître d’œuvre :
[89] Il est en effet dorénavant clairement établi par la jurisprudence qu’un propriétaire peut confier l’exécution de certains travaux, à certaines conditions, sans pour autant être reconnu maître d’œuvre.
[90] Les tribunaux ont notamment énoncé que le maître d’œuvre doit être en mesure de contrôler les équipements, l’aménagement des lieux, l’organisation du travail, les méthodes et techniques pour l’accomplir, fournir un matériel sécuritaire, autant d’obligations qui protègent la santé et la sécurité des travailleurs.
[91] Vu les obligations importantes qui s’imposent au maître d’œuvre, les tribunaux ont également convenu que pour qu’il puisse les remplir de manière efficace, le maître d’œuvre doit posséder, sur le chantier de construction, une autorité sur chacune des personnes y travaillant, de manière à contrôler les conditions d’exercice du travail.
[92] Ainsi, les tribunaux furent appelés à analyser systématiquement les documents contractuels pour déterminer si l’attribution d’un contrat à un autre contractant restreint la responsabilité de la personne à qui le propriétaire a confié la responsabilité de l’exécution de l’ensemble des travaux. Il s’agit de déterminer si l’Entrepreneur a perdu la prise en charge effective des travaux.
[93] Tel que l’indique la Cour supérieure dans l’affaire CSST c. Communauté urbaine de Montréal 12 , il faut « examiner dans quelles circonstances l’adéquation n’existe plus entre l’autorité de l’entrepreneur général et le statut de maître d’œuvre sur le chantier ».
[94] En d’autres termes, il s’agit pour les tribunaux de vérifier si l’entrepreneur général a les pouvoirs nécessaires pour faire respecter la planification des travaux ainsi que les obligations qui lui sont dévolues, de même que les consignes de sécurité sur le chantier. Il doit concrètement pouvoir exercer l’autorité qui lui est déléguée par le propriétaire.
[95] Dans l’éventualité où l’entrepreneur général n’a pas l’autorité et le contrôle suffisants sur un cocontractant effectuant des travaux sur le chantier, il faut alors conclure qu’il n’est pas en mesure de remplir ses obligations quant à la sécurité des personnes travaillant pour cet employeur.
[96] Toutefois, si l’autorité de l’entrepreneur général est protégée par des clauses contractuelles et que les employeurs appelés à intervenir sur le chantier sont subordonnés à son autorité, dès lors, il peut prendre en charge de façon effective l’exécution des travaux, les autres intervenants étant tenus de se soumettre à son autorité.
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12 C.S. Montréal, 500-36-000528-84, 23 juillet 1985, p.13.
[52] Dans le présent cas, Aliments Ultima a conservé la responsabilité d’une partie des travaux sans accorder à Construction Idéal une autorité sur chacune des personnes y travaillant de manière à contrôler les conditions d’exercice du travail et faire respecter les consignes de sécurité. Construction Idéal n’avait pas l’autorité et le contrôle suffisant pour remplir ses obligations en santé et sécurité.
[53] C’est ce qui s’est produit et c’est ce que les documents contractuels [17] prévoyaient. En effet, Aliments Ultima avait conservé la possibilité de conclure des contrats distincts avec d’autres entrepreneurs ou d’exécuter des travaux lui-même et dans ces cas, il était prévu qu’il assumerait la responsabilité générale du respect des lois concernant la santé et la sécurité des travaux de construction à l’emplacement de l’ouvrage.
[54] De ce qui précède, le tribunal conclut que le propriétaire est le maître d’œuvre.
[55] De plus, le tribunal est loin d’être convaincu qu’il n’était pas déjà prévu, de toute façon, qu’une partie des travaux de procédés sur les maturateurs dont Aliments Ultima avait conservé la responsabilité d’exécution seraient effectués alors que Construction Idéal était toujours en train d’exécuter les siens.
[56] Dans sa lettre du 18 mars 2011, monsieur Ali Senhaji mentionne qu’un plus grand nombre d’activités devront être réalisées en parallèle et que des travaux prévus après la fermeture du chantier devront être faits pendant que le chantier sera encore ouvert, travaux qui seront exécutés par des sous-traitants d’aliments Ultima.
[57] Toutefois, monsieur Lévesque qui surveillait les travaux au quotidien sur le chantier de construction pour Aliments Ultima n’a pas témoigné qu’il n’y aurait pas eu de chevauchement entre les travaux exécutés par Aliments Ultima et Construction Idéal s’il n'y avait pas eu le retard attribuable à la suspension des travaux.
[58] Il ressort d’ailleurs de son témoignage qu’il est d’opinion que le propriétaire a le droit d’effectuer un certain pourcentage de travaux pendant que le maître d’œuvre réalise les siens et il a mentionné que c’est ce qui était arrivé sur un chantier semblable d’Aliments Ultima, sans indiquer que ce n’était pas ce qui était également prévu en l’espèce.
[59] D’ailleurs, dans sa lettre du 15 mars 2011, Construction Idéal faisait déjà valoir que les travaux de branchements et d’installation des maturateurs sont exécutés en même temps qu’une partie des travaux qu’il doit effectuer.
[60] Aliments Ultima n'a pas déposé son échéancier des travaux qu’il entendait effectuer sur les maturateurs tel qu’il était prévu au moment du début des travaux sur le chantier de construction ni déposé l’échéancier du projet qu’il a préparé à compter du 16 mars 2011 ce qui aurait permis de préciser la nature des travaux qui étaient déjà effectués en parallèle et dont il est question dans la lettre de monsieur Senhaji.
[61] Finalement, les témoins de Construction Idéal ont affirmé que les travaux s’étaient poursuivis tel que prévu après la levée de l’interdiction par l’inspecteur de la CSST.
[62] De toute façon, le tribunal est d’avis que les travaux de procédés qui devaient s’effectuer lorsque les travaux de Construction Idéal seraient terminés faisaient partie intégrante du chantier de construction.
[63] Selon la jurisprudence, la notion de chantier de construction, et de la détermination des travaux qui doivent y être inclus, doit notamment être évaluée en fonction de la finalité de l’œuvre réalisée [18] .
[64] Dans l’affaire C. H. Maisonneuve-Rosemont et C.P.Q.M.C . [19] , la Commission des lésions professionnelles a décidé que l’entrepreneur général mandaté afin de fournir les matériaux, l’outillage et la main-d’œuvre nécessaires à l’exécution des travaux ne possédait aucune forme d’autorité sur la société qui allait procéder à la pose des équipements de radio-oncologie et ne pouvait donc être tenu responsable pour des tâches accomplies par une entreprise sur laquelle il n’avait aucun pouvoir. Comme aucune autre entreprise n’avait la responsabilité de l’exécution de l’ensemble des travaux, le propriétaire, soit le centre hospitalier, a été reconnu maître d’œuvre du chantier de construction visant l'agrandissement et la rénovation du département de radio-oncologie ainsi que l'installation des équipements médicaux.
[65] Le tribunal considère approprié de citer les passages suivants de cette décision :
[27] Le tribunal souligne que lors de son argumentation, le représentant de l’employeur opine que la bâtisse pourra être utilisée même si les équipements de radio-oncologie ne sont pas installés. Sous cet aspect, la Commission des lésions professionnelles souligne que la finalité de l’œuvre dont il est ici question n’est pas de construire un édifice à bureau ou une bâtisse administrative, mais plutôt de réaliser un centre de radio-oncologie. Or, pour arriver à cette fin, les équipements de radio-oncologie sont essentiels, sinon les travaux seraient totalement inutiles.
[28] De plus, il ne s’agit pas ici d’instruments qui sont amovibles et qui peuvent être déplacés selon l’usage qu’on en fait, mais plutôt d’équipements fixes ancrés au plancher. Le tribunal associe la pose des accélérateurs linéaires à l’installation de l’écran lors de la construction d’un cinéma ou à la mise en place de sièges dans un théâtre. Sans ces équipements, les ouvrages ne peuvent être utilisés pour les fins auxquelles ils sont construits. Il en va de même des accélérateurs linéaires du département de radio-oncologie.
[29] Par ailleurs, la jurisprudence consultée par le soussigné 4 précise qu’on ne pourrait imaginer une bibliothèque sans étagères et que celles-ci font partie intégrante d’une bibliothèque. Le tribunal concluait alors que les étagères collaborent à la finalité de l’œuvre et, à ce titre, sont incluses au chantier de construction. Cette situation est assimilable à la mise en place des équipements fixes qui ont pour but de traiter des patients cancéreux dans un centre de traitement de radio-oncologie.
[30] Il appert aussi que l’installation des accélérateurs est faite par une main-d’œuvre spécialisée dans cette technologie et aura lieu à pied d’œuvre alors qu’il y n’aura eu qu’une acceptation partielle des ouvrages exécutés par TEQ. De plus, certains autres travaux de correction pourront être réalisés par l’entreprise de construction TEQ en même temps que les accélérateurs seront mis en place. Bien qu’on qualifie les corrections de mineures, il n’est pas acquis que ces travaux seront sans dangers tant pour les travailleurs procédant au montage des accélérateurs que ceux qui effectueront les corrections.
[31] On constate également qu’il n’y aura pas de temps d’arrêt entre les travaux exécutés par TEQ et la pose des accélérateurs, confirmant ainsi que ces travaux sont la suite des autres et sont indissociables.
[32] Il s’ensuit que les accélérateurs linéaires sont intrinsèquement liés à la vocation du bâtiment, sont localisés sur le site du chantier et font partie intégrante de l’œuvre.
[33] De tout ceci, la Commission des lésions professionnelles estime que les critères déterminés plus haut sont rencontrés et permettent de conclure que les tâches de mise en place des accélérateurs linéaires doivent être incluses au chantier de construction en l’espèce.
4
Construction Valbrice
et
Université Concordia
et
CSST
, CALP
Brassard
[66] Le soussigné partage ce point de vue et a déjà indiqué [20] qu’il fallait faire une distinction entre l’installation de l’équipement de production et sa réparation :
[34] La CSST dépose quelques décisions qui à son avis soutiennent son point de vue. On a établi que le démantèlement et l’installation d’étagères dans une bibliothèque 7 ainsi que la pose d’un panneau indicateur 8 , devaient être inclus dans un chantier de construction car ils étaient essentiels à la finalité de l’œuvre.
[35] Le tribunal note cependant que ces équipements étaient installés ou les travaux exécutés simultanément ou concurremment à d’autres travaux visant la construction, l’agrandissement, la rénovation ou la modification de bâtiments ce qui n'est pas le cas en l’espèce. De l’avis du tribunal cela est déterminant car par définition, pour qu’il y ait un chantier de construction il faut que les travaux visent un bâtiment ou un ouvrage de génie civil.
[36] Dans Mines Wabush et A.I.T.P.F.S.O. (local 711) 9 le soussigné soulignait que ce n’était pas parce que les tâches de mise en place des appareils étaient incluses dans le chantier de construction lors de leur installation que l’on serait nécessairement en présence d’un chantier de construction lorsque viendrait le temps de les réparer:
[47] Ce n'est pas, par exemple, parce que les tâches de mise en place d’un appareil de radio-oncologie doivent être incluses dans le chantier de construction de l’agrandissement et de la rénovation du département de radio-oncologie et que l’appareil est intrinsèquement lié à la vocation du bâtiment que lorsque viendra le temps de réparer l’appareil ou de le rénover qu’il s’agira alors nécessairement de travaux de rénovation d’un bâtiment et que l’on sera en présence d’un chantier de construction.
[48] Dans le présent cas, le tribunal apprécie que les fours, aussi importants soient-ils dans la vocation du bâtiment et aussi peu mobiles soient-ils, ne constituent pas une partie du bâtiment.
[37] En l’espèce, le tribunal apprécie que l’alternateur, aussi important soit-il dans la vocation du bâtiment et aussi peu mobile 10 soit-il, ne constitue qu’une machine ou un appareil faisant partie de l’équipement de production installé dans le bâtiment et n’en constitue pas une partie.
(références omises)
[67] Dans le présent cas, le chantier visait l’ajout de deux maturateurs et les travaux que s’était conservés Aliments Ultima, n’étaient pas accessoires à l’œuvre mais étaient essentiels à celle-ci. Tel que le souligne le représentant de Construction Idéal, « pas de maturateurs, pas de projet ».
[68] Compte tenu des délais à respecter, si les travaux de procédés n’étaient pas effectués en partie alors que construction Idéal effectuait les siens, il ressort qu’ils devaient fort probablement être effectués concurremment aux travaux d’agrandissement du bâtiment.
[69] Les travaux de procédés sont intrinsèquement liés à la vocation du bâtiment, ils sont localisés sur le site du chantier et font partie intégrante de l’œuvre ce qui constitue un élément supplémentaire pour conclure que le maître d’œuvre du chantier de construction est Aliments Ultima.
La suspension des travaux
[70] Seuls Construction Idéal et la CSST ont fourni une preuve et argumenté sur cette question. Construction Idéal plaide que l’inspecteur n’aurait pas dû suspendre les travaux, tout au plus aurait-il pu émettre une dérogation.
[71]
L’article
186. Un inspecteur peut ordonner la suspension des travaux ou la fermeture, en tout ou en partie, d'un lieu de travail et, s'il y a lieu, apposer les scellés lorsqu'il juge qu'il y a danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique des travailleurs.
Il doit alors motiver sa décision par écrit dans les plus brefs délais et indiquer les mesures à prendre pour éliminer le danger.
L'article 183 s'applique, compte tenu des adaptations nécessaires, à cet ordre de l'inspecteur.
__________
1979, c. 63, a. 186.
[72] Pour ordonner la suspension des travaux ou la fermeture d'un lieu de travail, trois conditions doivent donc être rencontrées: l'inspecteur doit juger qu'il y a danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique des travailleurs, sa décision doit être motivée et il doit indiquer les mesures à prendre pour éliminer le danger. Si l'inspecteur juge qu'il n'y a qu'un risque, il ne peut appliquer l'article 186 puisque cet article exige qu'il y ait un danger [21] .
[73] Les faits sont assez simples, Soudures Alain Truchon inc. (Truchon) est un sous-contractant de Construction Idéal et est responsable de la mise en place de pontages d’acier.
[74] Le 8 mars 2011, monsieur Alain Truchon et l’un de ses employés soudent des tôles ondulées. Ils portent des harnais de sécurité attachés à la structure. Toutefois, monsieur Truchon se détache pour saisir un panneau de tôle qu’il n’arrive pas à atteindre, il glisse et fait une chute de 30 pieds de hauteur.
[75] Le jour même, l’inspecteur Richard de la CSST fait enquête. Il juge qu’il y a un danger pour la santé et la sécurité des travailleurs de sorte qu’il interdit la poursuite des travaux de construction sur le chantier. Il motive sa décision et indique alors les mesures à prendre pour éliminer le danger :
Motifs :
o Chute possible de 10 m d’hauteur;
o Aucune méthode de travail d’installation des éléments de sécurité;
o Aucune ligne de vie pour travaux en hauteur;
o Aucune méthode de travail sécuritaire en hauteur.
Mesures à prendre :
L’employeur doit fournir une méthode sécuritaire de travail et d’installation des éléments de sécurité, le tout attesté par un ingénieur compétent en la matière.
[76] La suite des événements est consignée dans la décision rendue en révision administrative :
Le 14 mars 2011, l’inspecteur [22] intervient chez le propriétaire et rencontre les représentants des parties afin d’analyser la méthode de travail sécuritaire proposée par l’employeur pour reprendre les travaux de mise en place des éléments de la structure d’acier du bâtiment des maturateurs de l’usine. L’inspecteur constate qu’il manque la preuve signée par un ingénieur attestant que les ancrages, déjà soudés par le fabricant, des éléments de la structure d’acier faisant partie des poutres supérieures de la structure, possèdent la résistance à la rupture d’au moins 90 kilos newtons.
Le 15 mars 2011, l’inspecteur reçoit un plan signé et scellé par un ingénieur concernant la description de l’installation des câbles de vie en acier par les monteurs d’acier de Structure ME 2000 inc., sous-traitant de Soudures Spécialisées Alain Truchon inc. L’inspecteur constate que ce plan montre aussi que les ancrages utilisés par Structures ME 2000 inc. ne sont pas les ancrages originaux du fabricant des poutres d’acier dont il n’y a toujours pas de preuve concernant la résistance minimale requise de 90 kilos newtons puisqu’il n’y a pas d’attestation par un ingénieur du fabricant.
Le jour même, suite à la réception d’un plan signé et scellé par un ingénieur, l’inspecteur estime que la méthode et les installations sont sécuritaires.
Le 18 mars 2011, l’inspecteur retourne sur le chantier afin de vérifier et si la mise en place des éléments de protection contre les chutes est conforme au plan transmis. L’inspecteur autorise la reprise des travaux de mise en place des éléments de structure d’acier puisque Construction Idéal de Granby inc a fait le nécessaire pour corriger la situation en transmettant un plan signé et scellé par un ingénieur de l’installation des ancrages, des câbles d’acier et des éléments de protection contre les chutes,. Également, l’entrepreneur, Structure ME 2000 inc. s’assure que des dispositifs d’enrouleurs-dérouleurs en câble d’acier seront utilisés afin d’éliminer les risques de rupture de la ligne de vie en cas de contact avec les côtés tranchants des feuilles de pontage d’acier à installer sur l’étage inférieur et le toit de la nouvelle structure d’acier.
[77] Tout d’abord, le tribunal rappelle qu’il tient une audience de novo, c'est-à-dire qu'il se livre à son propre exercice d'appréciation des faits qui lui sont soumis en administrant toute la preuve nécessaire à cette fin dans le cadre de l'audience.
[78]
L’article 377 de la
Loi
sur les accidents du travail et les
maladies professionnelles
[23]
(applicable vu l’article
[79] La preuve soumise est probante pour conclure que la suspension des travaux était indiquée.
[80] Un travailleur a fait une chute de 30 pieds de hauteur et s’il est tombé, c’est qu’il utilisait une méthode de travail déficiente, car il a dû se détacher pour aller chercher une tôle qu’il n’arrivait pas à rejoindre tout en étant attaché.
[81] Lorsque l’inspecteur intervient sur le chantier, les travaux effectués par Truchon ne sont pas terminés. Si l’inspecteur ne suspend pas les travaux jusqu’à ce que la méthode de travail soit modifiée pourquoi un autre travailleur ne subirait-il pas un accident de travail semblable s’il continue à utiliser la même méthode de travail ?
[82]
L’article
[83] Encore faut-il que le harnais soit attaché à quelque chose, si le travailleur doit se détacher il est exposé à une chute de 30 pieds de hauteur et aux conséquences graves d’une telle chute.
[84] La preuve a démontré que les travailleurs n’étaient pas protégés de façon adéquate contre les chutes vu qu’ils pouvaient être dans l’obligation de se détacher pour atteindre leur matériel et qu’ils étaient alors exposés à une chute de 30 pieds de hauteur.
[85] Nul doute qu’il y avait danger pour la santé et la sécurité des travailleurs et que la méthode de travail devait être modifiée avant que les travaux reprennent. L’avis de correction n’était pas une alternative adéquate en l’espèce.
[86] La Commission des lésions professionnelles en est déjà arrivée aussi à la conclusion qu’un avis de correction n’était pas approprié dans des situations ou des travailleurs étaient susceptibles d’être exposés à des chutes de plus de 3 mètres.
[87] Dans l’affaire Structure Lavalong inc. et CSST [24] , le tribunal a jugé que l’émission d'une ordonnance de suspension était nécessaire pour protéger la santé, la sécurité et l'intégrité physique des travailleurs. Un simple avis de correction aurait été insuffisant considérant la gravité du danger constaté. Dans ce dossier, les travailleurs qui circulaient sur les poutres n'étaient aucunement attachés et risquaient une chute d'environ 9 mètres sur un plancher de béton, soit un accident pouvant entraîner la mort .
[88] De même, dans Consortium Mr Canada ltée et CPQMC [25] , le tribunal mentionne ceci :
[21] De la preuve entendue en cours d’audience, le
tribunal constate que les travailleurs œuvrant sur le toit de l’édifice sont
appelés à se positionner à quelques mètres de la bordure afin d’exécuter les
tâches qu’on leur confie. De plus, l’élaboration de ce travail requiert
l’utilisation d’une brouette. Le toit est à une hauteur supérieure à 7 mètres. Il n’y a aucun garde-corps ou système limitant les déplacements des travailleurs.
Enfin, lors de la visite de l’inspecteur, ils ne portaient aucun harnais de
sécurité. Il n’en faut pas plus à la Commission des lésions professionnelles pour conclure que les travailleurs sont exposés à des chutes et que cette
situation déroge à l’article
[22] Devait-il enjoindre l’employeur à respecter les dispositions du code et fixer un délai pour y parvenir ou devait-il ordonner la suspension des travaux? Sur ce point, le tribunal estime que l’exécution du travail à quelques mètres du vide, additionnée à l’utilisation d’une brouette, commandait un arrêt instantané des travaux, tenant compte de la gravité des blessures que les travailleurs pouvaient s’infliger en cas de chute. C’est en ce sens que le tribunal conclut que l’inspecteur était justifié d’ordonner la suspension de ces travaux.
[89] Au surplus, l’inspecteur Filion qui a témoigné à l'audience, a convaincu le tribunal que la façon de travailler de Truchon le 8 mars 2011 était déficiente sur plusieurs aspects. Par exemple, même attachés, les travailleurs étaient exposés à une chute libre supérieure à 1,2 mètre contrevenant ainsi à l’article 2.10.12 (1) (a) du Code, chute susceptible de leur occasionner des blessures importantes.
[90] En fait, le tribunal conclut que Truchon, malgré ses plusieurs années d’expérience dans le domaine de la construction, a accepté un travail dont il n’avait pas les compétences nécessaires pour l’effectuer de façon sécuritaire, qu’il avait une grave incompréhension des mesures de sécurité à adopter ou qu’il a travaillé de façon téméraire.
[91] La suspension des travaux était pleinement justifiée.
[92] Par ailleurs, le tribunal note que l’inspecteur Richard a émis un avis d’interdiction des travaux pour tout le chantier de construction, il n'a toutefois pas été démontré ni plaidé qu’il aurait dû émettre une interdiction partielle se limitant aux travaux effectués par Truchon. Le tribunal en comprend que cela n'a pas eu d’incidence en l’espèce sur d’autres travaux.
[93] De ce qui précède, le tribunal ne peut accueillir la demande de Construction Idéal d’annuler l’arrêt de travaux émis le 8 mars 2011.
[94] Compte tenu de la conclusion à laquelle en est arrivé précédemment le tribunal quant à l’identité du maître d’œuvre, l’avis de suspension des travaux aurait dû être émis à Aliments Ultima ou directement à Truchon.
[95]
Construction Idéal a prétendu que l’inspecteur n’avait pas le pouvoir
d’exiger qu’il fournisse « une méthode sécuritaire de travail et
d’installation des éléments de sécurité, le tout attesté par un ingénieur
compétent en la matière ». Il aurait outrepassé ses pouvoirs prévus au 5
e
paragraphe de l’article
180. En outre des pouvoirs généraux qui lui sont dévolus, l'inspecteur peut :
[…]
5° exiger de l'employeur, du maître d'œuvre ou du propriétaire, pour s'assurer de la solidité d'un bâtiment, d'une structure ou d'un ouvrage de génie civil, une attestation de solidité signée par un ingénieur ou un architecte ou une attestation prévue par l'article 54 ;
[…]
__________
1979, c. 63, a. 180.
2.2.6. Pour s'assurer de la solidité d'une construction ou d'une installation, l'inspecteur peut exiger une attestation à cet effet signée et scellée par un ingénieur ou un architecte.
D. 119-2008, a. 2.
[96] Lors de son enquête, l’inspecteur apprend que monsieur Truchon est tombé après avoir dû se détacher pour effectuer son travail et il constate alors, selon son témoignage, l’absence de corde d’assurance horizontale qu’il s’attendrait à retrouver dans un tel cas. Il en fait d’ailleurs un des motifs de la suspension des travaux.
[97] Il demande une méthode sécuritaire de travail et d’installation des éléments de sécurité, le tout attesté par un ingénieur. La demande n'est pas farfelue mais bien pertinente, car il s’agit de l’une des options prévue à l’article 2.10.12 (3) (c) du Code.
3° Le point d'attache du cordon d'assujettissement doit être fixé de l'une ou l'autre des façons suivantes:
[…]
c) attaché à un système de corde d'assurance horizontale et d'ancrages conçu par un ingénieur, ainsi qu'en fait foi un plan ou une attestation disponible sur les lieux mêmes du chantier de construction;
[98] La méthode de travail et les éléments de sécurité étaient intimement liés dans le présent cas et c’est dans ce contexte que la « mesure à prendre » de l’inspecteur doit être considérée.
[99] Peut-être que la rédaction de la mesure à prendre n’était pas des plus heureuses, mais sur le fond, le tribunal comprend que l’inspecteur recherchait l’attestation prévue à l’article 2.10.12 (3) (c) lorsqu’il traitait de « l’installation des éléments de sécurité ». Les travaux ont d’ailleurs repris lorsque l’attestation a été obtenue et le système de corde et d’ancrages a été installé sans qu’un ingénieur ait eu à attester « d’une méthode sécuritaire de travail ».
[100] L’argument de Construction Idéal est donc rejeté et n’est surtout pas de nature à modifier la décision de la Commission des lésions professionnelles.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE en partie la requête de Construction Idéal de Granby inc.;
MODIFIE la décision rendue le 10 mai 2011 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que Aliments Ultima inc. était le maître d’œuvre du chantier de construction visant l’ajout des maturateurs 1900 et 2000 et ce, dès l’ouverture du chantier de construction en décembre 2010;
DÉCLARE que l’inspecteur était justifié, le 8 mars 2011, d’ordonner la suspension des travaux sur ce chantier de construction.
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Alain Vaillancourt |
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M e Kim Sreng Oum |
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LEBLANC LAMONTAGNE ET ASSOCIÉS |
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Représentant de la partie requérante |
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M e Francine Legault |
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HEENAN BLAIKIE |
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Représentant de Aliments Ultima inc.
M e Hugues Magnan VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON Représentant de la partie intervenante |
[1] Page 3 du dossier.
[2] Pièce E-1.
[3] R.R.Q., c. S-2.1, r. 4.
[4] Page 16 du dossier.
[5] Pièce C-1.
[6] Page 72 du dossier.
[7] Page 25 du dossier.
[8] Page 23 du dossier.
[9] Page 70 du dossier.
[10] L.R.Q., c. S-2.1.
[11] [1986] C.A.L.P. 01.
[12]
Ministère du Transport du Québec
et
Simard-Beaudry
Construction inc
.,
[13] Id, par. 48.
[14] Ces travaux n’étaient pas inclus au contrat à forfait qui liait les parties.
[15] Pièce E-3.
[16]
[17] Articles 9.4.1 et 3.2.2.2 aux pages 41 et 55 du dossier.
[18]
Construction Valbrice inc
. et
Université Concordia
,
[19] 336973-71-0712, 28 mai 2008, R. Langlois, (08LP-81).
[20]
Hydro-Québec (gestion accident travail)
et
CPQMC
,
[21]
CSST et Arno électrique ltée,
[22] Un autre inspecteur car l’inspecteur Richard n'a pas assuré le suivi du dossier
[23] L.R.Q., c.A-3.001.
[24] Précitée note 21.
[25]