|
|
||||||
TRIBUNAL D’ARBITRAGE |
|||||||
CANADA PROVINCE DE QUÉBEC |
|||||||
N o de dépôt : |
2012-5814 |
||||||
|
|||||||
Date : |
25 avril 2012 |
||||||
_____________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
DEVANT L’ARBITRE : |
M e FRANÇOIS HAMELIN |
||||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
Gouvernement du Québec (Sûreté du Québec),
ci-après appelée « la Sûreté »,
et
Association des policières et policiers provinciaux du Québec,
ci-après appelée « l’Association »
|
|||||||
Grief numéro 29894 Nature du litige : Contestation d’une coupure d’assurance-salaire - Objection préliminaire |
|
||||||
Convention collective : 1 er juillet 2002 au 31 mars 2010
|
|||||||
Procureur patronal : |
M e Normand Drolet |
|
|||||
Procureur syndical : |
M e Daniel Carrier |
|
|||||
|
|||||||
|
Mandat : 20 avril 2011 Audience : 21 mars 2012 Décision : 25 avril 2012 |
||||||
______________________________________________________________________
SENTENCE ARBITRALE PARTIELLE |
|||||||
(Art.
|
|||||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
|
|||||||
[1] Le 29 avril 2010, M. Daniel Rolland, représentant de l’Association, dépose le grief [pièce S-2] qui fait l’objet de la présente décision et qui se lit comme suit :
Date de l’événement : 2010-02-03
Exposé sommaire du grief :
L’Association conteste pour et à l’acquis de M. Paul Boucher, et pour le bénéfice de l’ensemble de ses membres, la décision de l’employeur du 3 février 2010 d’effectuer une coupure de l’assurance-traitement sans respecter l’application des modalités de l’article 2 de l’Annexe C du contrat de travail.
Cette décision est une illustration d’une pratique nouvelle de l’employeur qui est à l’effet de recourir arbitrairement à la coupure de l’assurance-traitement plutôt que d’appliquer les moyens de contrôle prévus au contrat de travail.
Réclamation :
Que l’employeur verse ou rembourse à M. Paul Boucher les sommes d’argent dont il a été privé suite à la décision de [ sic ] 3 février 2010.
Que l’employeur indemnise M. Paul Boucher pour le ou les préjudices subis quelle qu’en soit la nature.
Le tout avec intérêts.
Que l’employeur cesse la pratique dénoncée par le présent grief.
[2] Au début de l’audience, le procureur patronal a soulevé une objection préliminaire fondée sur le caractère théorique du grief, en faisant valoir qu’à la suite de son dépôt, la Sûreté avait accepté d’y faire droit en versant à M. Boucher les sommes dont il avait été privé.
[3] À la suite de cette objection, les parties ont demandé à l’arbitre de rendre une décision partielle sur le sujet.
[4] Le 21 janvier 2010, M. Boucher présente une réclamation à la CSST, alléguant une « rechute, récidive ou aggravation » d’un accident de travail antérieur.
[5] Cette réclamation est accompagnée du rapport médical de D r Jean Boucher où ce dernier prescrit à son patient un arrêt de travail pour une période indéterminée.
[6]
Conformément aux
dispositions de l’article
[7] Le 3 février 2010, la Sûreté transmet la lettre suivante [pièce S-3] à M. Boucher pour l’informer que dès le lendemain, elle cessera de lui verser lesdites prestations jusqu’à ce que la CSST décide de l’admissibilité de sa réclamation :
Nous avons reçu votre réclamation pour une rechute, récidive ou aggravation survenue le 21 janvier 2010.
Vous avez présenté à l’appui de votre réclamation un rapport médical signé par Dr Jean Boucher en date du 21 janvier 2010, lequel prescrit un arrêt de travail pour une période indéterminée et vous réfère au Dr Gaspard.
Nous sommes tenus de vous verser votre salaire
pendant les 14 premiers jours de votre arrêt de travail, c’est-à-dire du 21
janvier au 3 février 2010 inclusivement et ce, en vertu de l’article
Considérant que le diagnostic émis par Dr Boucher le 21 janvier 2010 est « arthrose post-fracture astragale droite » et qu’il s’agit du même diagnostic évalué par Dr Gaspard le 5 juin 2008;
Considérant que ce diagnostic a été confirmé par Dr Gaspard le 2 novembre 2008 et qu’il a maintenu les mêmes limitations fonctionnelles et ce, malgré la demande de votre représentant syndical du 15 octobre 2008;
Considérant la décision de la Révision administrative du 31 octobre 2008 qui précise qu’elle est liée par les conclusions du rapport d’évaluation médicale du Dr Gaspard produit le 5 juin 2008 et qui indique que la LATMP ne permet pas au travailleur de demander la révision des conclusions de son médecin;
Considérant que la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) a rendu le 22 avril 2009 une décision concernant votre capacité de travail à compter du 30 mars 2009 comme policier avec les tâches restreintes et que cette décision est exécutoire;
Considérant que la Révision administrative a maintenu cette décision le 26 juin 2009.
En conséquence, nous suspendons à compter du 4 février 2010 le versement de vos prestations d’assurance-traitement jusqu’à la réception de la décision d’admissibilité de la CSST puisque vous ne pouvez obtenir indirectement ce que vous ne pouvez obtenir directement.
[8] À l’audience, les procureurs ont admis qu’avant le 3 février 2010, la Sûreté n’avait pas fait examiner M. Boucher par un médecin de son choix.
[9] Le 19 avril 2010, la CSST accueille la réclamation présentée par le policier, en statuant qu’« il y a un lien entre la lésion […] qui s’est manifestée le 20 janvier 2010 et la lésion professionnelle initiale du 7 février 2007 ». L’organisme accepte donc de la considérer « comme rechute, récidive ou aggravation ».
[10] Le 29 avril 2010, l’Association dépose le grief à l’étude, pour réclamer le versement de prestations d’assurance-traitement à M. Boucher.
III- Dans les jours qui suivent — à une date que la preuve n’a pas révélée —, la Sûreté accepte de verser au policier, rétroactivement au 4 février 2010, des prestations d’assurance-traitement.
[11] Le procureur patronal réitère que le grief à l’étude est sans objet depuis que la Sûreté a rétabli les prestations d’assurance-traitement de M. Boucher.
[12] Selon lui, l’objet même du grief est de réclamer le versement de prestations d’assurance-traitement au policier, réclamation à laquelle la Sûreté a pleinement fait droit, vidant ainsi le grief de tout sens, ajoute le procureur.
[13] Le grief est donc purement théorique, fait-il valoir, et le soumettre à l’arbitrage revient à demander à l’arbitre de rendre un jugement déclaratoire sur une situation purement hypothétique, ce que, précise-t-il, la doctrine et la jurisprudence réprouvent.
[14] Le procureur conteste par ailleurs l’allégation de l’Association contenue au grief, selon laquelle la décision de la Sûreté du 3 février 2010 constitue une nouvelle pratique.
[15] Le procureur de la Sûreté a déposé plusieurs autorités au soutien de ses prétentions.
[16] Le procureur de l’Association affirme pour sa part que le présent grief n’est pas théorique, puisqu’il réclame une ordonnance visant à empêcher la Sûreté de couper les prestations d’assurance-traitement d’un policier en accident de travail sans respecter les modalités prévues à l’annexe « C » de la convention collective.
[17] Selon cette annexe, explique-t-il, la Sûreté doit verser à tout policier malade ou victime d’un accident du travail des prestations d’assurance-traitement, sauf si un arbitre médical en décide autrement, ce qui, souligne-t-il, n’est pas le cas en l’espèce.
[18] Au dire du procureur, la question soulevée par le grief n’est pas théorique mais bien réelle, puisqu’il s’agit de déterminer les conditions qui doivent être satisfaites pour qu’un policier malade ou victime d’un accident du travail reçoive des prestations d’assurance-traitement.
[19] Si cette question n’est pas réglée, ajoute le procureur, la Sûreté pourra continuer de couper les prestations d’assurance-traitement à tout policier malade ou victime d’un accident du travail quand bon lui semble, pour ne les rétablir qu’au moment qu’elle estime opportun, sans que l’Association puisse contester cette pratique.
[20] Le procureur de l’Association a également déposé plusieurs décisions au soutien de ses prétentions.
[21] Les dispositions de la convention collective qui permettent de trancher l’objection soulevée par la Sûreté se lisent comme suit :
article 30 discipline et mesures administratives
30.01 a) Le membre auquel est imposée une mesure corrective ou une sanction disciplinaire peut soumettre un grief selon la procédure de griefs et la Loi sur le régime syndical applicable à la Sûreté du Québec.
[…]
30.02 Le membre absent du travail pour cause de maladie n’est pas soustrait à l’application du présent article ou à une poursuite disciplinaire, et ce, malgré l’annexe « C ».
30.03 Dans les cas des griefs visés au paragraphe 30.01 soumis à l’arbitrage, l’arbitre peut maintenir, modifier ou annuler la décision de la Sûreté, mais ne peut accorder de dommages.
[…]
annexe « c » banque collective de maladie
Article 1 Absence-maladie
1.02 Le membre incapable de travailler pour cause de maladie ou blessures subies au cours d’un accident, de même que celui qui fait un don d’organe, a droit à un congé de maladie sans perte de traitement et autres avantages sociaux conformément aux stipulations du présent article.
Article 2 Modalités de contrôle
2.01 Pour avoir droit à un congé de maladie, le membre doit établir qu’il est physiquement incapable de travailler.
[…]
2.04 a) Pour toute absence de plus de trois (3) jours consécutifs, le membre devra, à la demande du directeur général ou son représentant, produire un certificat médical attestant qu’il est physiquement incapable de travailler et indiquant le diagnostic et la durée probable de l’absence.
[…]
2.05 Dans tous les cas, le directeur général ou son représentant peut faire examiner le membre par un médecin désigné par le directeur général ou son représentant. Ce médecin décide si l’absence est motivée et il peut déterminer la date à laquelle le membre peut reprendre son travail. S’il y a divergence d’opinions entre le médecin désigné par le directeur général ou son représentant et le médecin personnel du membre, ces deux (2) médecins désignent d’un commun accord un troisième (3 e ) médecin, dont la décision est finale. Les honoraires de ce troisième (3 e ) médecin sont payés à parts égales par la Sûreté et le membre.
[…]
[22] En l’espèce, la Sûreté s’est opposée à l’arbitrabilité du grief, en faisant valoir qu’il était purement théorique. Pour trancher cette objection, il faut cerner la nature et l’objet du grief à l’étude.
[23] Ce grief — signé par M. Daniel Rolland, représentant de l’Association — a été déposé le 29 avril 2010.
[24] Au premier alinéa de l’exposé sommaire du grief, l’Association précise qu’elle « conteste pour et à l’acquis de M. Paul Boucher, et pour le bénéfice de l’ensemble de ses membres , la décision de l’employeur du 3 février 2010 d’effectuer une coupure de l’assurance-traitement sans respecter l’application des modalités de l’article 2 de l’Annexe C du contrat de travail » [Soulignement ajouté].
[25] À sa face même, il s’agit donc d’un grief syndical de portée générale, puisqu’il précise que l’Association conteste la décision de la Sûreté, non seulement pour et au nom de M. Boucher, mais également « pour le bénéfice de l’ensemble de ses membres ».
[26] À n’en pas douter, le grief vise deux situations, celle de M. Boucher en particulier et, de manière générale, celle de l’ensemble des membres de l’Association. Dans les deux cas, le grief réclame le versement ou le remboursement des prestations d’assurance-traitement prévues à l’Annexe « C » et le respect des modalités prévues à l’article 2 de ladite annexe.
[27] Le deuxième alinéa du grief ajoute que l’Association conteste également, sous-entendu « pour le bénéfice de l’ensemble de ses membres », « la pratique nouvelle de l’employeur qui est à l’effet de recourir arbitrairement à la coupure de l’assurance-traitement plutôt que d’appliquer les moyens de contrôle prévus au contrat de travail ».
[28] La réclamation du grief reflète par ailleurs sa double visée, puisque l’Association y réclame d’une part, que la Sûreté rembourse avec intérêt à M. Boucher les sommes dont l’a privé la décision du 3 février 2010 et l’indemnise pour les préjudices subis, et d’autre part « que l’employeur cesse la pratique dénoncée par le présent grief », à savoir celle de recourir arbitrairement, au dire de l’Association, « à la coupure de l’assurance-traitement plutôt que d’appliquer les moyens de contrôle prévus au contrat du travail ».
[29] La preuve révèle que dans les jours qui ont suivi le dépôt de ce grief, la Sûreté a versé à M. Boucher, rétroactivement au 4 février 2010, les prestations d’assurance-traitement auxquelles ce dernier avait droit. Ce faisant, la Sûreté a fait droit à la première partie de la réclamation, mais non à la seconde.
[30] Il faut donc en conclure que le grief est bien réel et n’est pas sans objet ni intérêt — comme le prétend la Sûreté —, puisqu’il met en lumière un litige bien réel qui oppose les parties, à savoir si la pratique dénoncée pour le bénéfice de l’ensemble des policiers contrevient ou non à la convention collective. Il y a donc intérêt à appliquer — ou interpréter selon le cas — les clauses pertinentes de l’annexe « C » invoquées par l’Association.
[31] J’ai par ailleurs examiné attentivement la jurisprudence sur laquelle les procureurs appuient leurs prétentions, et j’en viens à la conclusion qu’il s’agit de cas d’espèce qui ne s’appliquent pas au présent litige.
* * * * *
VI- DISPOSITIF
[32] Pour toutes les raisons qui précèdent, après avoir examiné la preuve et les plaidoiries, vérifié le droit et la jurisprudence applicables et sur le tout délibéré :
— Je rejette l’objection patronale à l’arbitrabilité du présent grief;
— Je déclare que ce grief est bien réel et met en lumière un litige qui oppose effectivement les parties;
— Je me déclare disponible pour entendre le fond de l’affaire, à la demande de l’une ou l’autre des parties.
|
_______ _____________________ M e François Hamelin, arbitre
|
|
Pour l’Association : |
M e Daniel Carrier M e Normand Drolet |
|
Pour la Sûreté : |
||
Réf. : 5922-G
c:\hamelin\surete du quebec-avril12