Société d'habitation Sérénité de Montréal inc. c. Court of Quebec |
2011 QCCS 7505 |
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JL 2167
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-064739-116 |
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DATE : |
LE 18 OCTOBRE 2011 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
HÉLÈNE LE BEL, J.C.S. |
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SOCIÉTÉ D'HABITATION SÉRÉNITÉ DE MONTRÉAL INC. |
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-et- |
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FABRIZIO CIPRO & KARINE SEIDMAN |
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Demanderesses |
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c. |
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COURT OF QUEBEC |
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-et- |
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THE HONOURABLE JUDGE HENRI RICHARD |
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Défendeurs |
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-et- |
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LA SOCIÉTÉ D'HABITATION VILLAGE JEANNE-MANCE DE MONTRÉAL INC. |
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Première mise en cause |
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-et- |
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RÉGIE DU LOGEMENT |
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Deuxième mis en cause |
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TRANSCRIPTION RÉVISÉE DES MOTIFS D'UN JUGEMENT |
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RENDU ORALEMENT LE 5 OCTOBRE 2011 [1] |
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[1] Le Tribunal est saisi d'une requête en révision judiciaire d'un jugement de la Cour du Québec rendu le 9 mars 2011 [2] . La Cour du Québec siégeait en appel d'une décision rendue par la Régie du logement, le 14 juin 2010 [3] . La permission d'appeler avait été accordée le 21 juillet 2010 [4] .
[2] Pour situer le cas, précisons que la Régie était saisie d'une demande produite par la Société d'habitation Village Jeanne-Mance de Montréal inc. (SJM), agissant à titre de gestionnaire ou propriétaire pour contester une cession de bail et demander l'éviction des bénéficiaires de la cession, puisqu'ils avaient déjà, selon les allégués, emménagé dans les lieux.
[3] Il est important de souligner qu'il s'agit d'immeubles ou d'appartements situés dans un secteur de la ville connu sous le nom de Milton Parc; grosso modo, il s'agit du quadrilatère situé entre l'avenue des Pins au nord et la rue Milton au sud, entre l'avenue du Parc à l'ouest et le boulevard St-Laurent à l'est.
[4] Ce sont des appartements qui ont été acquis et rénovés il y a une vingtaine d'années, pour éviter leur démolition par un promoteur [5] et préserver des immeubles qui présentaient certaines qualités architecturales en plus de protéger les personnes qui résidaient dans ces logements. Ces immeubles ont par la suite été transférés à des OSBL qui les gèrent et les administrent conformément à une entente de copropriété. Le tout conformément à une loi québécoise : La loi et les ententes de copropriété [6] protègent, comme le veut l'usage, les droits des locataires qui occupaient les lieux à l'origine. Les logements ont été rénovés avec des fonds publics de telle sorte que les locataires en question bénéficient maintenant de conditions très avantageuses. L'entente de copropriété leur donne le droit de continuer à occuper des logements qui sont maintenant situés dans un quartier très recherché et dans de vieux immeubles dont la valeur a augmenté de façon très significative au cours des dernières années. Il s'agit essentiellement, semble-t-il, de vieux triplex ou de duplex.
[5] L'entente de propriété entérinée par la loi prévoit expressément que, sous réserve des droits des locataires d'origine de demeurer dans les lieux, les nouveaux locataires seront sélectionnés en fonction de normes et de conditions d'éligibilité. Ainsi, on protégeait les droits des locataires qui étaient là à l'origine, mais on créait en même temps un parc de logements à prix accessible en plein cœur du centre-ville. Comme on peut l'imaginer, il y a aujourd'hui des listes d'attente importantes pour ces logements qui sont attrayants et forts bien situés.
[6] La demande soumise à la Régie contestait le droit d'un locataire de faire cession de son bail de manière à court-circuiter les critères d'éligibilité et les procédures pour attribuer ces logements. Bien sûr, le droit de faire cession d'un bail est garanti à la fois par le Code civil du Québec et, dans ce cas-ci, par le règlement de copropriété.
[7] Les dates importantes sont les suivantes :
· le 15 décembre 2009 , un locataire signifie un avis au gestionnaire qui est la mise en cause, SJM, d'une cession qui est datée du 1 er décembre 2009 et qui doit prendre effet le 1 er janvier 2010.
· le 17 décembre 2009, la SJM communique par l'entremise de son avocat, sa décision de s'opposer à la cession pour les motifs qu'elle énonce;
· le 14 janvier 2010 , la SJM soumet une demande à la Régie pour faire déclarer la cession illégale et déclarer le bail résilié et à être autorisée à évincer les occupants qui ont emménagé dans les lieux entre-temps;
·
le 27 avril 2010,
la requérante dans le présent dossier,
Société d'habitation Sérénité de Montréal inc. (Sérénité ) soumet une
Requête en intervention et demande de suspension des procédures à la Régie, en
invoquant l'article
[8] Notons que la requête en intervention devant la Régie est présentée pour le compte de Sérénité, du locateur cédant, et des cessionnaires, par le même bureau d'avocats qui représente Sérénité dans les procédures en Cour supérieure. C'est le même bureau qui avait donné avis de la cession de bail à SJM pour le compte du cédant et du cessionnaire en décembre 2009.
[9]
L'affaire vient devant la Régie le 30 avril 2010 pour une audition sur
la Requête en intervention et demande de suspension. La décision de la Régie du
14 juin 2010
[8]
autorise l'intervention aux fins de présenter la demande en suspension; elle
discute du bien-fondé de la demande de suspension eu égard aux dispositions de
l'article
[58] Lorsque la Cour supérieure et la Régie sont saisies d'actions et de demandes ayant le même fondement juridique ou soulevant les mêmes points de droit et de fait, la Régie doit suspendre l'instruction de la demande portée devant elle jusqu'au jugement de la Cour supérieure passé en force de chose jugée si une partie le demande et qu'aucun préjudice sérieux ne peut en résulter pour la partie adverse.
La Régie conclut qu'il n'y a pas connexité des questions de faits et de droit, elle distingue la jurisprudence invoquée par la requérante, Sérénité. Elle autorise l'intervention aux fins de présenter la demande de suspension et elle rejette la demande de suspension :
[ 26 ] Dans le présent cas, le locataire Jean-Louis Narboni, personnellement, n'aspire à aucun droit de propriété. C'est plutôt la Société dans laquelle il est un de ses administrateurs qui prétend à ceci.
[ 27 ] Par ailleurs, la demande produite à la Régie est fondée sur le bail, alors que celle en Cour supérieure l'est sur une prétendue entente entre la locatrice et l'intervenante.
[ 28 ] Il n'y a pas de connexité entre les questions de faits et de droit soulevées devant les deux instances.
[ 29] En fait, la Régie du logement aura à décider si la cession du bail était légale, compte tenu que les logements sont la copropriété de sociétés et coopératives à but non lucratif, subventionnées par la SCHL.
[30] La Cour supérieure quant à elle aura notamment à déterminer si la Société Sérénité a droit à l'administration des immeubles situés sur Ste-Famille et Jeanne-Mance et la déclarera ou non propriétaire de ces immeubles.
[31] Quelle que soit l'issue de cette action, d'ici là, ces immeubles doivent être administrés et c'est ce que fait la Société Jeanne-Mance depuis d'ailleurs 1998.
[32] Le droit du locataire de céder ou non son bail ne sera pas affecté par le jugement de la Cour supérieure. Il n'y a pas de risque que la Régie du logement définisse les droits des parties avant que la Cour supérieure ne le fasse. [9]
[10] Sérénité a demandé la permission d'appeler, qu'elle a obtenue, le 21 juillet 2010 « aux fins de vérifier l'applicabilité de l'article 58 de la Loi sur la Régie du logement » [10]
[11] L'appel a été entendu par l'honorable Henri Richard de la Cour du Québec, le 25 février 2011. Il a rendu jugement le 9 mars 2011 [11] ; il rejette l'appel et maintient la décision de la Régie du logement.
[12] Aujourd'hui, le Tribunal est saisi d'une requête en révision judiciaire de cette décision. Notons qu'une demande de sursis a été entendue par mon collègue l'honorable Juge Larouche et décidée par lui. Il a rejeté la demande de sursis, mais en fait, la Régie a suspendu ses procédures et, pour l'instant, le dossier ne bouge pas.
[13] Entre temps, dans le recours en Cour supérieure sur lequel on fonde la demande en vertu de l'article 58, L.r.l., ma collègue l'honorable Sylviane Borenstein a accueilli une requête en irrecevabilité de l'action qu’elle a jugée prescrite [12] . Toutefois, Sérénité a interjeté appel et l'affaire est pendante devant la Cour d'appel du Québec; il y a une requête pour rejet d'appel qui n'a pas été accueillie.
[14]
La requête en révision judiciaire invoque le fait que la question dont
était saisie la
Régie
était une question de droit; selon Sérénité,
l'article
[15] Elle soutient que le juge de la Cour du Québec a erré en ne cassant pas la décision; il n'aurait pas appliqué ou il aurait appliqué incorrectement la norme de la décision correcte. Elle se plaint également d'un manquement à l'obligation de motiver la décision, puisque le juge confirme la décision de la Régie sans analyser ni la décision contestée, ni les termes de l'article 58, L.r.l. La requérante se plaint également que le juge se fonde dans son jugement [13] sur un motif qui n'a même pas été soulevé devant lui et sur lequel les parties n'ont pas fait valoir leurs prétentions et qui serait de surcroît incorrect. Selon lui, la Cour supérieure n'était pas « saisie » d'un recours puisque l'action n'était pas inscrite.
[16] Le Tribunal note qu'à l'origine il s'agit ici de la contestation d'une décision interlocutoire de la Régie sur une question de procédure. La Cour du Québec a autorisé et entendu l’appel de la décision, mais elle a jugé bon de ne pas intervenir.
[17] Nous sommes ici en révision judiciaire. Si la décision de la Régie avait été contestée devant la Cour supérieure par voie de révision judiciaire, on aurait certainement fait référence au principe bien établi selon lequel on doit être très prudent avant d'intervenir pour réviser une décision interlocutoire afin de ne pas retarder indûment les procédures en première instance [14] .
[18] De plus, il s'agit ici d'une question de bail d'habitation et de l'application de la Loi sur la Régie du logement . Même si l'article 58 L.r.l. est analogue à une disposition du Code de procédure civile , le Tribunal croit que, dans l'ensemble, des questions sur la validité d'une cession de bail ou la résiliation d'un bail concernent la relation locateur-locataire et relèvent de l'expertise de la Régie du logement. En principe, on a créé un tribunal administratif parce que le législateur voulait que de tels recours soient entendus assez rapidement et décidés avec un minimum de complexité procédurale.
[19] Il s'agit ici de révision judiciaire. Le Tribunal ne peut ignorer l'arrêt Dunsmuir [15] dans lequel la Cour suprême du Canada a reformulé les principes qui doivent nous guider en matière de révision judiciaire. Cet arrêt rappelle qu'il faut d'abord analyser la norme de contrôle qui doit s'appliquer et réduit les normes de contrôle à deux : la décision correcte et la décision raisonnable. Et la Cour suprême a rappelé dans des jugements plus récents, que la norme qui s'applique le plus souvent est la norme de la raisonnabilité, parce qu'on doit tenir compte de la volonté du législateur de créer des tribunaux administratifs et de l'expertise de ces tribunaux dont la décision est souvent protégée par une clause privative de telle sorte que la norme de la décision correcte doit être réservée à des questions de droit d'intérêt général ou d'une importance fondamentale [16] .
[20] Dans ce cas particulier, la Loi sur la Régie du logement prévoit expressément la possibilité d'un appel à la Cour du Québec. Par ailleurs, depuis Dunsmuir la jurisprudence nous enseigne que même si la Cour du Québec siège en appel, elle doit tenir compte des principes formulés dans Dunsmuir. Elle doit d'abord s'interroger sur la norme de contrôle et appliquer les principes formulés dans Dunsmuir.
[21] Par la suite, la Cour supérieure siège en révision judiciaire non pas de la Régie du logement, mais de la Cour du Québec, dont la décision mérite grande déférence. Assez curieusement, dans ce cas particulier, la jurisprudence nous enseigne que la Cour supérieure devrait analyser la décision de la Cour du Québec pour vérifier si elle a bien déterminé la norme de contrôle et si l'application qu'elle en a faite est raisonnable. Finalement, la Cour doit décider si la Cour du Québec a rendu une décision raisonnable.
[22] Or dans le présent cas, le jugement de la Cour du Québec du 9 mars 2011 est très court. Le juge écrit :
[8] Tel que le reconnaît la majorité de la jurisprudence dans cette matière, l'analyse relative à la norme du contrôle ne trouve aucune application lorsque la Cour du Québec agit en appel d'une décision de la Régie du logement vu le libellé de l'article 98 L.R.L..
[23] Dès lors, il ne s'interroge pas sur la norme de contrôle. Il traite l'affaire comme un appel pur et simple. Sa décision est très courte. En fait, elle tient dans un paragraphe :
[11] D'entrée de jeu, le Tribunal conclut que la décision de la Régie du logement rendue le 14 juin 2010 et qui fait l'objet du présent appel est bien fondée en fait et en droit et partage son analyse et ses conclusions.
[24]
Au paragraphe 12, le juge ajoute des considérations. Ce sont des
considérations inspirées de son analyse de l'article
[25] Finalement, on constate que le jugement ne contient ni analyse, ni discussion de la norme de contrôle, puisque le juge considère qu'il n'a pas à se poser la question. Il dit simplement que la décision est correcte. Il semble clair qu'il applique la norme de la décision correcte et qu'il conclut que la décision de la Régie du logement est correcte. Donc, il rejette l'appel.
[26] Quant aux considérations additionnelles qui apparaissent aux paragraphes 13 et suivants du jugement, les deux parties admettent que ce point n'a pas été soulevé lors de l'audition. La requérante y voit un déni de justice parce que le tribunal aurait prononcé sur une question qu'elle n'a pas eu le loisir de débattre alors que l'intimé dit simplement qu'il s'agit d'un obiter dont le Tribunal ne devrait pas tenir compte.
[27] Le Tribunal conclut qu'effectivement, il s'agit d'un obiter, puisque la Cour du Québec avait déjà décidé, tel qu'il appert du paragraphe 11. Il n'y a donc pas lieu de s'attarder sur ce passage qui, de toute façon, ne change pas la décision. C'est au plus une façon de renchérir. Était-ce nécessaire ou même utile ? Le Tribunal ne croit pas qu'il y ait lieu de s'attarder sur ce point.
[28] Le jugement de la Cour du Québec semble appliquer la norme de la décision correcte et selon la requérante, c'est à bon droit puisqu'il s'agit, selon elle, d'une question de compétence. L'article dit que « la Régie doit suspendre » lorsque les conditions sont remplies. Selon elle, les conditions étant remplies, la Régie n'était pas compétente pour continuer à entendre l'affaire. Selon la requérante, l'erreur était manifeste et la Cour du Québec aurait dû intervenir. Elle a donc erré en ne le faisant pas; elle aurait incorrectement appliqué la norme de la décision correcte.
[29]
Selon Sérénité la décision de la Cour du Québec ne tient pas compte de
la « connexité évidente » des faits sous-tendant le recours devant la Régie et
celui devant la Cour supérieure ni du fait que, et c'est la deuxième condition
qu'on trouve à la fois à l'article
58
L.r.l. et
à l'article
[30] Les motifs invoqués par SJM pour contester la cession seraient irrecevables. Elle invoque les objectifs sociaux et économiques qui sous-tendent l'entente de copropriété et le fait qu'il existe une liste d'attente importante de gens remplissant les critères d'éligibilité, qui sont privés de la possibilité d'obtenir ce logement si on donne effet à la cession de bail. Elle plaiderait pour autrui.
[31] Évidemment, dans la plupart des cas, un propriétaire qui invoquerait ce type de considération sociale ou de principe serait assez mal reçu.
[32] Dans les faits, le Tribunal pense que la question dont la Régie était saisie était une question mixte de faits et de droit. La Régie devait comprendre à la fois le fondement du recours dont elle était saisie et le fondement du recours devant la Cour supérieure.
[33] Le fondement du recours devant la Cour supérieure n'est pas simple. On invoque une convention, une entente de prête-nom qui serait en place depuis une quinzaine d'années par laquelle SJM serait officiellement propriétaire et gérerait pour le compte de Sérénité qui maintenant voudrait faire reconnaître ses droits de propriétaire et de gestionnaire comme prévu dans les documents conclus au moment de la prise de contrôle des immeubles pour les reprendre au promoteur et en faire un projet de logements sociaux.
[34] À première vue, la décision de la Régie à l'effet qu'il n'y a pas de connexité et donc pas de risque de jugement contradictoire quelle que soit l'issue du procès en Cour supérieure semble juste. Comme le souligne la Régie, Habitation Jeanne Mance est actuellement l'administrateur et le propriétaire en titre des logements et elle a le droit de gérer. Même si éventuellement, on faisait droit aux prétentions de Sérénité, il est difficile d'imaginer que le jugement qui pourrait être rendu sur son droit d'être déclarée propriétaire et d'administrer aurait un effet rétroactif quant à la gestion de l'immeuble. C'est donc à bon droit que la Régie écrit :
[32] Le droit du locataire de céder ou non son bail ne sera pas affecté par le jugement de la Cour supérieure. Il n'y a pas de risque que la Régie du logement définisse les droits des parties avant que la Cour supérieure ne le fasse.
[35] Or, selon ce qui a été plaidé devant la Cour supérieure, si l'administrateur était Sérénité ou avait été Sérénité au mois de janvier, elle n'aurait peut-être pas contesté la cession de bail. Et, si elle devenait administrateur, elle retirerait peut-être la demande à la Régie du logement. Mais tout ça, dépend d'un jugement final de la Cour supérieure ou d’une instance supérieure qui, pour l'instant, est tout à fait hypothétique. Il est possible que Sérénité si elle était propriétaire et administrateur, administrerait différemment. Toutefois, il est difficile de voir là un motif justifiant la suspension des procédures. Il est vrai que la Régie ne traite pas explicitement de la question du préjudice, mais pour que l'article 58 L.r.l. s'applique, il faut que les deux conditions soient remplies. Ayant conclu qu'il n'y avait pas de connexité, il n'était pas nécessaire de conclure sur le préjudice à la partie adverse.
[36] Dès lors, la décision de la Régie semble raisonnable. C'est une décision qui ne met pas en cause une question fondamentale et qui semble raisonnable et bien motivée. La Régie ne refuse pas de considérer la demande de suspension, elle l'étudie et elle décide que l'article 58 ne s'applique pas. Le jugement de la Cour du Québec ne s'attarde pas à la question de la norme de contrôle, il applique la norme de la décision correcte. Il conclut que la décision de la Régie est bien fondée.
[37] Pour sa part le Tribunal est convaincu que la décision de la Régie est non seulement raisonnable, mais correcte et qu'elle méritait déférence. Le raisonnement de la Cour du Québec laisse un peu à désirer, vu l'état de la jurisprudence. Il ne traite pas de la norme de contrôle. Mais bien sûr, s'il juge la décision correcte il l'aurait aussi jugée raisonnable s’il avait retenu cette norme de contrôle.
[38]
Il serait pour le moins aberrant que la Cour supérieure intervienne pour
retourner le dossier à la Cour du Québec, tout simplement pour exiger qu'elle
discute et applique la norme de contrôle et les principes de l'arrêt
Dunsmuir
et la jurisprudence alors qu'il n'y a aucune raison de croire que l’application
de ces règles pourrait changer l'issue du litige. C'est d'autant plus vrai,
qu'il s'agit ici d'un appel d'une décision interlocutoire, une décision de la
Régie que le Tribunal trouve bien motivée et tout à fait raisonnable. Ne
peut-on faire référence aux articles
[39] Finalement, il semble clair qu'il y a lieu de laisser la Régie disposer sans autre délai de la demande de la SJM. Pour obtenir ce résultat, la façon la plus simple est de rejeter la requête en révision judiciaire malgré les réserves qu'on peut soulever à l'égard de la formulation du jugement de la Cour du Québec.
[40] Avant de terminer, le Tribunal veut souligner qu'il s'agit ici d'un logement à prix raisonnable qui est devenu aujourd'hui un logement à prix modique. Des fonds publics ont été employés pour acquérir et rénover les immeubles en question et maintenir les locataires de l'époque dans les lieux, mais aussi pour éventuellement constituer ou agrandir un parc de logements à prix abordables dans un quartier central de la ville. Le Tribunal peut prendre connaissance judiciaire du fait qu'on a un besoin criant de tels logements.
[41] La position de Sérénité devant la Régie, devant la Cour du Québec et devant la Cour supérieure est qu’Habitation Jeanne-Mance est un propriétaire comme les autres et qu’elle ne peut soulever que des motifs strictement économiques pour contester la cession de bail.
[42] Il semble au contraire que, comme l'a fait mon collègue le juge Frappier dans un autre dossier mettant en cause Claire Sicotte c. La Cour du Québec -et- la Régie du logement -et- Société d'habitation du Village Jeanne-Mance , [17] il peut être approprié de tenir compte du fait qu'il s'agit ici d'un organisme sans but lucratif et d'immeubles acquis et rénovés avec des fonds publics , bien sûr d'abord pour protéger les locataires qui étaient à cet endroit à l'origine, mais aussi pour créer et élargir le parc de logements à prix abordable. Ce serait un cas de plus ou le Tribunal devrait tenir compte non seulement de l’intérêt des parties en cause mais aussi de l’intérêt public. [18]
[43] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[44] REJETTE la requête en révision judiciaire;
[45] AVEC DÉPENS.
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__________________________________ HÉLÈNE LE BEL, J.C.S. |
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Me Leonard E. Seidman |
||
Seal Seidman |
||
Procureur des demandresses |
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Me Michel Cossette |
||
Michel Cossette Avocats |
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Procureur de la Société d'habitation Village Jeanne-Mance de Montréal inc. |
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Date d’audience : |
Le 5 octobre 2011 |
|
[1] . Transcription demandée le 5 octobre 2011.
Remanié pour les besoins de l'écrit.
[2]
.
Société
d'habitation
Sérénité de Montréal inc
. c.
Société d'habitation
Village Jeanne-Mance de Montréal,
[3]
.
Société
d'habitation Village Jeanne-Mance
c.
Jean-Louis Narboni et Fabrizio
Cipro et Karine Seidman,
2010 QCRDL 23126
,
[4]
.
Société
d'habitation Sérénité de Montréal inc.
c.
Société d'habitation Village
Jeanne-Mance de Montréal inc.,
[5] . Qui a néanmoins construit les immeubles connus sous le nom de La Cité.
[6] . Loi concernant la conversion en copropriété par déclaration de l'immeuble appartenant à la Société d'Amélioration Milton Parc Inc ., Projet de loi 224, Sanctionné le 23 juin 1987, 1 ière Session, Trente-troisième législature, 1987.
[7] . L.R.Q., c. R-8.1, art. 58 .
[8] . Supra , note 3.
[9] . Supra , note 3, paragraphes 26 à 32.
[10] . Supra, note 4.
[11] . Supra , note 2.
[12]
.
Société
d'habitation Sérénité de Montréal inc. c. Société d'Habitation Village
Jeanne-Mance de Montréal, inc.,
[13] . Supra , note 2, par. 14-15.
[14]
.
Cégep de
Valleyfield
c.
Gauthier-Cashman
,
[15] . Dunsmuir c. Nouveau Brunswick , [2008] R.C.S. 190.
[16] . Ibid , 14.
[17] . C.S. Montréal, n o 500-17-021776-045, 2 février 2005, j. Frappier.
[18]
.
Metropolitan
Stores
c.
Manitoba,