TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N o de dépôt :

2012-6920

 

Date :

23 mai 2012

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

M e Richard Marcheterre

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Les Travailleurs et Travailleuses Unis(es) de l’Alimentation et du Commerce, section locale 501 (TUAC)

Ci-après appelé(e) « le syndicat »

Et

Caisse Desjardins de l’Est de l’Abitibi (Caisse Desjardins de la Vallée de l’Or)

Ci-après appelé(e) « l’employeur »

 

 

Plaignant(e) :

Syndicat

 

Grief(s) :

n o du syndicat

3034

 

 

 

 

Convention collective :

Novembre 2009 au 30 juin 2014

 

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SENTENCE ARBITRALE

 

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[1]            L’audition du grief syndical portant le numéro 3034 a eu lieu à Val d’Or le 18 mai 2012. Aucun moyen préliminaire de nature juridictionnelle ou intra juridictionnelle n’a été soulevé.

[2]            Le grief conteste l’abolition du poste Agent-accueil aux membres N-3 au centre de service Lemoyne de l’Employeur, le 27 juin 2011, dont avis a été donné au Syndicat le 26 mai 2011, qui se lit comme suit (S-3) :

Objet :        Agent-accueil aux membres N-3 (Lemoyne)

Mme

Nous vous avisons que le poste cité en rubrique sera aboli à compter du 27 juin 2011. Cette abolition est rendue nécessaire suite à la redistribution des tâches de ce poste à d’autres salariés de l’unité de négociation.

Comme ce poste est vacant, la mise en œuvre du mécanisme de mise à pied ne sera pas nécessaire.

Pour toute information supplémentaire ou questions de votre part, n’hésitez pas à communiquer avec nous.

Recevez, madame, l’expression de nos salutations distinguées.

Frédéric Bergeron

Directeur ressources humaines.

[3]            Le grief, soumis le 1 er juin suivant, se lit comme suit (S-2) :

Date :                                  1 er juin 2011

Numéro du grief :                 3034

Employeur :                                     Monsieur Frédéric Bergeron

                                          Caisse Desjardins de l’Est de l’Abitibi

Nature du grief :                    Non respect de la convention collective, entre autres l’article 11 et tout autre article pertinent s’y rattachant.

Règlemente recherché :        Exiger que l’Employeur respecte la convention collective. Exiger que l’Employeur annule l’avis du 26 mai 2011 concernant l’abolition de poste d’Agent-accueil aux membres N-3 (au service Lemoyne). De plus, nous exigeons que l’Employeur réaffiche le poste d’Agent-accueil aux membres N-3 (au service Lemoyne).

Le Syndicat se réserve le droit d’amender le grief. 

[4]            La convention collective ne contient aucune description de fonctions ou de tâches. Elle prévoit toutefois à son annexe A la nomenclature des niveaux de postes. En l’instance, ceux concernés sont les niveaux 2 et 3.

[5]            Il appartient donc à l’Employeur et à lui seul de déterminer les contenus de chaque poste et d’en déterminer le niveau. Il exerce ainsi  pleinement son droit de gérance tel que déterminé par l’article 2.02 qui se lit comme suit :

DROITS DE LA DIRECTION

Le Syndicat reconnaît qu’il appartient à l’Employeur de gérer, diriger et administrer ses affaires, sujet aux seules restrictions imposées par la loi ou par la présente convention.

[6]            Ce droit n’est pas contesté par le Syndicat en l’instance. Il en conteste toutefois l’exercice car il estime que l’abolition du poste Agent-accueil aux membres N-3 (Lemoyne) contrevient à l’esprit de celle-ci et à certaines dispositions auxquelles nous nous attardons dans les paragraphes qui suivent, et à certains principes applicables aux conventions collectives.

[7]            Pour les motifs qui suivent, le tribunal partage la position syndicale et, conséquemment, accueille le grief 3034.

PRINCIPES D’INTERPRÉTATION D’UNE CONVENTION COLLECTIVE

[8]            Les auteurs et les tribunaux ont depuis longtemps déterminé qu’une convention collective forme un tout qui doit être interprété de manière cohérente. Il n’est pas nécessaire de nous attarder longuement à ce principe maintes fois reconnu et bien connu. Ces principes reçoivent une application importante en l’instance car aucune disposition de la convention ne porte spécifiquement sur l’abolition d’un poste et surtout, sur le contenu des postes.

[9]            S’il revient donc exclusivement à l’Employeur de déterminer le contenu des postes et leur création ou abolition, il demeure que ce faisant il doit garder une certaine cohérence qui est par ailleurs, en l’espèce, soutenue par des dispositions de la convention collective. Plus spécifiquement, le Tribunal estime que lorsque l’Employeur détermine le contenu d’un poste et en établi le niveau, il ne peut par la suite modifier les choses sans modifier de façon déterminante le poste en cause, soit en en créant un autre ou en modifiant celui qui est visé de manière substantielle, au point où il perd sa nature d’Origine.

[10]         Il y va ainsi non seulement de la cohérence de la convention collective mais aussi de la sécurité du travail, de la paix industrielle ou, dit autrement à l’article 1.01 de la convention collective :

Le but de la présente convention est de promouvoir des relations ordonnées entre l’Employeur et ses salariés, d’établir les conditions de travail et les salaires de ceux-ci.

[11]         Exerçant donc son droit de gérance sous la loupe de la convention collective et des principes élémentaires de l’interprétation des conventions collectives, l’Employeur doit s’assurer de maintenir des relations ordonnées avec ses salariés, ce qui exclut certes des démarches par lesquelles les salariés ne peuvent savoir ce qui pourra leur arriver demain. L’exercice du droit de gérance n’est donc pas un exercice totalement discrétionnaire.

[12]         Cela dit, la convention collective offre aussi des éléments matériels significatifs en ce sens. Ainsi, si l’Employeur peut seul déterminer le contenu d’un poste et son niveau, il doit ensuite respecter ses propres décisions. Ce qui est en cause ici.

[13]         En effet, lorsque l’Employeur a créé le poste d’ Agent-accueil aux membres N-3 (Lemoyne) , il en a déterminé le contenu et le niveau. C’est donc lui et lui seul qui a décidé que le regroupement de telles et telles tâches constitue un poste de niveau 3. Il ne peut donc pas prétendre ensuite que ces tâches ne sont  plus de ce niveau à moins de démontrer qu’elles ont, dans les faits, été modifiées par leur application ou une nouvelle réalité de l’établissement. C’est d’ailleurs ce qu’il prétend. Ce ne peut donc être qu’une simple reformulation d’un poste sans en modifier le contenu de manière significative, aux fins de réduire la masse salariale. C’est ce que le Syndicat soutient en l’instance.

[14]         L’Employeur a créé le poste d’ Agent-accueil aux membres N-3 (Lemoyne) et l’a défini comme suit (S-4). Nous ne nous attardons qu’à la partie litigieuse, soit la description des responsabilités, étant acquis qu’en l’instance les compétences et exigences ne sont pas en cause.

 

Agent-accueil aux membres N-3 - (8001) Lemoyne

Description du poste

Responsabilités du poste

·          Accueillir les membres et les visiteurs qui se présentent à la caisse; leur fournir de l’information générale sur les produits et services offerts et les diriger vers les personnes en mesure de satisfaire leurs besoins;

·          Prendre les rendez-vous lorsque le membre se présente à la caisse;

·          Gérer l’agenda des rendez-vous et le système téléphonique;

·          Vérifier certains rapports informatiques;

·          Fournir les services relatifs au comptoir;

·          Apporter un support aux équipes de ventes;

·          Collaborer à l’élaboration et à la réalisation des objectifs du plan d’affaire;

·          Classer divers documents; responsable de la papeterie;

·          Traiter correspondances, photocopies et lettres;

·          Effectuer toutes autres activités de soutien.

[15]         La preuve montre de manière prépondérante que la première responsabilité, celle d’accueillir les membres, représente au moins 75% du temps de travail. Elle montre aussi que cette occupation s’effectue à un poste de travail dont l’accès est immédiat aux membres, situé près des postes de travail des caissières. L’Employeur a donc déterminé que la personne qui allait occuper cette fonction allait bénéficier du niveau 3 alors qu’une caissière bénéficie du niveau 2.

[16]         Les parties ont initialement abordé le litige sur la base des niveaux, tentant chacune de convaincre le Tribunal que l’une ou l’autre des tâches était de niveau 2 ou 3 selon la position de chacune. Or, comme le soussigné l’a souligné séance tenante, tel n’est pas le débat car il appartient à l’Employeur seul de déterminer le niveau des postes et le Tribunal est lié par la preuve, soit, en l’instance, par la détermination que l’Employeur en fait au sujet du poste d’ Agent-accueil aux membres N-3 (Lemoyne) .

LITIGE

[17]         La question en litige est plutôt la suivante : Y-a-t-il eu des modifications de ce poste de niveau 3 au point de devenir un poste différent, de niveau 2?

[18]         L’Employeur a soutenu que ce changement est survenu en raison d’une réorganisation du travail à la suite de la fusion de huit points de services, dont trois sont soumis à la convention collective sous étude, notamment celui de Lemoyne. Cela dit, il nous faut par contre voir si, dans les faits, cela s’est traduit par une réelle et significative modification de la fonction d’ Agent-accueil aux membres N-3 (Lemoyne).

[19]         L’Employeur a fait passer ce poste du niveau 3 au niveau 2. La preuve montre que la description du poste de niveau 2 ne contient pas la tâche «  Accueillir les membres et les visiteurs qui se présentent à la caisse; leur fournir de l’information générale sur les produits et services offerts et les diriger vers les personnes en mesure de satisfaire leurs besoins;  »

[20]         Les descriptions de fonction soumise sous les cotes E-1 et E-2 le montrent bien. En effet, la première concerne un poste de caissier de niveau 2 : «  Caissier (N-2)  », la seconde concerne un poste d’ Agent-accueil aux membres N-3 (Lemoyne)  : «  Agent-accueil aux membres (N-3)  » Ce sont les deux descriptions au cœur du litige. Seule la seconde description de niveau 3 stipule la responsabilité d’accueillir les membres et les visiteurs pour les tâches énumérées.

[21]         Bien qu’il ne soit pas impossible que l’Employeur puisse vouloir créer un poste de niveau 2 qui contienne une telle responsabilité, ce n’est pas ce qu’il a fait en l’instance. Il a plutôt prétendu distribuer les tâches du poste d’ Agent-accueil aux membres N-3 (Lemoyne) aux employés déjà en place, sans créer un nouveau poste. Or, il a, presque point par point, distribuer l’ensemble des responsabilités de ce poste (S-4 et E-2) dont la partie majeure et la plus déterminante, l’a été au poste de niveau 2 occupé par la caissière dont le poste de travail est à l’accueil.

[22]         Les parties ont à ce sujet, soumis des admissions écrites qu’il est opportun de reproduire :

Les parties admettent :

1)      Toutes les tâches d’ Agent-accueil aux membres N-3 (Lemoyne)   ont été redistribuées à différents salariés et ce depuis l’abolition du poste le 27 juin 2011.

2)      Toutes les tâches d’ Agent-accueil aux membres N-3 (Lemoyne) ont été distribuées aux N-3 SAUF  :

a)      L’accueil aux membres;

b)      Prise de rendez-vous des conseillers et planificateurs (transférée à Lyn Lemaire N-2);

c)      Affichage publicitaire (transférée à Lyn Lemaire N-2);

d)      Sollicitation téléphonique (transférée à Lyn Lemaire N-2);

e)      Fermeture des comptes (distribuée à toutes les caissières);

f)       Achat des devises étrangères (distribué à toutes les N-2);

g)      Classement des dossiers (distribué à toutes les N-2).

3)      Depuis l’abolition du 27 juin 2011, Lyn Lemaire s’est vu augmenter son horaire de travail à 33 h/semaine fixe.

(Caractère gras ajouté)

[23]         Madame Lyn Lemaire a occupé la fonction d’ Agent-accueil aux membres N-3 (Lemoyne) pendant plusieurs mois. Elle connaît donc les tâches de celle-ci et elle a fait état de celles qu’elle effectue depuis à titre de « caissière N-2 » depuis le 6 juin 2011 (pièce E-5). Les admissions qui précèdent en font foi.

[24]         La preuve montre donc les éléments communs effectués auparavant (N-3) et maintenant (N-2):

·         la personne qui occupe la fonction en litige travaille au même poste que la personne qui occupait la fonction d’ Agent-accueil aux membres N-3 (Lemoyne) ;

·         sa fonction principale est d’accueillir les membres et les visiteurs, comme auparavant, et dans une mesure semblable; c’est la première responsabilité et celle qui occupe le plus d’espace-temps;

·         elle continu de s’occuper de rendez-vous pour les membres qui se présentent à la caisse. Si autrefois il arrivait à la salariée d’aider à la caisse, elle le fait encore mais cette fois depuis son propre poste de travail puisque l’Employeur y a installé un tiroir-caisse. Par contre, elle fait ce travail lorsqu’elle en a le temps ou pour dépanner les caissières, comme autrefois;

·         elle continue à préparer des documents à l’attention des agents au placement et aux prêts, pour ne nommer que ceux-ci, comme auparavant;

·         elle est aussi à l’écoute des attentes des membres et est proactive dans la gestion de celles-ci, apportant ainsi un support au service des ventes;

·         elle vérifie ou ajoute à des rapports informatiques;

·         elle fait encore de l’affichage d’avis et d’articles promotionnels;

[25]         On ne peut donc que constater que cette personne effectue la majorité des responsabilités que l’ Agent-accueil aux membres N-3 (Lemoyne) , bien qu’il faille admettre que la centralisation des appels téléphoniques au Centre des appels de la Caisse, pour son ensemble des points de service, ait réduit l’obligation de cette personne à répondre aux appels. Mais elle continu de recevoir des appels et à les diriger à l’intérieur du point de service Lemoyne, et parfois à l’extérieur, par exemple au siège social. Il ressort par contre que cette personne ne connaît pas de temps morts malgré cette diminution d’une tâche qui n’était pas sa principale.

[26]         Il appert donc que ce poste a peu changé et surtout, qu’il n’a pas changé de manière à justifier le passage du niveau 3 au niveau 2.

[27]         Il faut, par souci de cohérence, rappeler que ce poste était déterminé de niveau 3 et, conséquemment, que la convention collective détermine un salaire différent de celui de niveau 2 (annexe A). Il faut aussi dire que si les parties se sont longuement attardées aux notions de tâches cléricales et non cléricales, l’Employeur prétendant même que celles non cléricales sont de niveau 2, rien dans la convention ne le détermine ainsi et surtout, l’Employeur a lui-même déterminé que ces tâches non cléricales se retournaient dans un poste de niveau 3, cela même si, temporellement, celle d’accueillir les membres étaient la principale en terme de temps de travail on dit jusqu’à 75%, et que tous s’entendent pour dire qu’il s’agit d’une responsabilité non cléricale.

[28]         Or, comme auparavant, cette tâche demeure et a toujours la même importance et, comme auparavant, la salariée continue à effectuer des tâches cléricales et non cléricales. Ce n’est donc pas parce qu’une tâche est cléricale ou non que le poste est de niveau 2 ou 3, mais parce que l’Employeur l’a déterminé pour tous les postes, lesquels pouvant être composés de tâches cléricales et non cléricales.

[29]         Non seulement la preuve le démontre mais de plus, l’annexe A ne détermine aucunement le niveau des tâches ou responsabilités mais, d’évidence, ceux des postes à des fins salariales. Prétendre le contraire signifierait que les postes qui contiendraient des tâches cléricales et non cléricales pourraient être d’un seul niveau ou pourraient être de niveaux mixtes ou combinés, ce que la convention ne prévoit aucunement, ni spécifiquement ni dans la nomenclature salariale à l’annexe A. Il y va du bon sens et d’une application cohérente de la convention collective, surtout qu’à l’article 7.2 b) les parties ont stipulés un processus de sélection pour les « Postes cléricaux de niveaux 1 à 3, ce qui permet de comprendre qu’il est faux de dire que les tâches non cléricales sont de niveau 2 et celles qui sont cléricales sont de niveau 3. Un tâche cléricale peut donc se retrouver tout autant dans un poste de niveau 1, 2 ou 3. De plus, on ne parle pas ici de responsabilités de niveau 1 à 3 mais de postes de niveau 1 à 3, comme c’est le cas pour tous les autres niveaux visés par l’article 7.02 sans compter que ce ne sont pas des responsabilités qu’on affiche mais des postes (article 7.01).

DÉCISION

[30]         Pour tous les motifs qui précèdent, le Tribunal accueille le grief 3034;

[31]         Il conclut que l’abolition du poste d’ Agent-accueil aux membres N-3 (Lemoyne) était fictive et l’annule en conséquence;

[32]         Puisque ledit poste n’était pas occupé lors de son annulation le 27 juin 2011, il est ordonné à l’Employeur de l’afficher tel qu’il était décrit initialement (S-4).

[33]         Je laisse aux parties le soin de déterminer les conditions de cet affichage et de l’octroi dudit poste, sous réserve de la convention collective.

[34]         À défaut des parties d’en convenir, le Tribunal, à la demande des parties, réserve sa juridiction à l’égard de tout dommage et toute mesure de réparation pouvant être pertinents à l’espèce, ce dont les parties ont choisi de ne pas discuter lors de l’audition du 17 mai 2011.

[35]         Il est accordé aux parties un délai de 30 jours pour mettre la présente décision en œuvre et, à défaut d’agir à l’intérieur de ce délai, elles seront convoquées de nouveau par le Tribunal sur demande écrite de l’une.

 

Fait à Sherbrooke, ce 23 mai 2012

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M e Richard Marcheterre, arbitre

 

 

 

 

Pour le syndicat :

M e Kim Bergeron

 

Pour l’employeur :

M e Simon Corriveau

 

 

Date(s) d’audience :

18 mai 2012

 

Date(s) de délibéré :

22 et 23 mai 2012