RÉGIE DES ALCOOLS, DES COURSES ET DES JEUX

 

NUMÉRO DU DOSSIER

:

40-1528603-001

 

DATE DE L’AUDIENCE

:

2012-03-26 (conférence préparatoire)

2012-05-07 à Montréal

 

RÉGISSEURS

:

M me Aïda Karibian

M e Pierre H. Cadieux

 

TITULAIRE/DEMANDERESSE

:

9195-7159 Québec inc.

 

RESPONSABLE

:

M. Maxime Langlois

 

NOM DE L’ÉTABLISSEMENT

:

Restaurant au Chaud Lapin

 

ADRESSE

:

1279, avenue du Mont-Royal Est

Montréal (Québec) H2J 1Y4

 

PERMIS EN VIGUEUR

:

Restaurant pour vendre

1 er étage  (59 personnes)

N o 9732736

 

Restaurant pour vendre

Terrasse avant (4 personnes)

N o 9745712

 

DEMANDE

:

Augmentation de capacité du permis de restaurant pour vendre sur terrasse de 4 à 25 personnes.

 

NATURE DE LA DÉCISION

:

Contrôle de l’exploitation et demande

 

DATE DE LA DÉCISION

:

2012-05-16

 

NUMÉRO DE LA DÉCISION

:

40-0004828

 

 

 

DÉCISION

 

[1]                Par avis du 4 juillet 2011 amendé le 11 janvier 2012, la Régie des alcools, des courses et des jeux (la Régie) a convoqué en audience la titulaire-demanderesse en vue de procéder à une enquête et déterminer si elle avait commis quelque manquement à ses obligations légales en rapport avec les événements mentionnés à l’avis et, le cas échéant, aux fins de sanctionner tel manquement.

[2]                Par le même avis, la Régie informait la titulaire-demanderesse qu’elle désirait obtenir davantage de renseignements sur la façon dont elle entendait exploiter son établissement afin de déterminer s’il y a lieu de faire droit ou non à sa demande d’augmentation de capacité de son permis sur terrasse.

 

LES FAITS

[3]                Les faits qui ont donné ouverture à la convocation se résument comme suit à l’avis de convocation amendé du 11 janvier 2012 :

[Transcription conforme]

 

Demande au bénéfice d’un tiers

Capacité et intégrité

 

·        Selon nos dossiers, Maxime Langlois est                    actionnaire et administrateur de la compagnie titulaire, depuis le dépôt de la demande de permis d’alcool en février 2009 (document 1).

 

·        Or, une enquête policière de la Sûreté du Québec révèle que l’établissement utilise un prête-nom pour le compte des motards criminalisés (document 2).

 

·        En effet, l’enquête appelée Projet Diligence et portant sur l’infiltration de l’économie légale et le recyclage des produits de la criminalité, a révélé que l’établissement est la propriété de Charles Bourassa, bras droit de Normand « Casper » Ouimet, membre en règle des Hells Angels du chapitre de Trois-Rivières (document 3).

 

·        Charles Bourassa était un sujet visé par le Projet Diligence . De nombreuses filatures, observations de même que de l’écoute électronique effectuées entre mai 2008 et janvier 2009, ont révélé que (voir document 3) :

 

-         Charles Bourassa était fréquemment à l’établissement, avec ou sans Maxime Langlois, et parfois en compagnie d’individus criminalisés ou en lien étroit avec Normand Marvin Ouimet ou les Hells Angels;

 

-         Charles Bourassa a été observé en train de barrer et de débarrer la porte du commerce lors de ses allées et venues à cet endroit, et a aussi été vu en train d’effectuer des achats de matériaux de construction pour les rénovations en cours à l’établissement;

 

-         Charles Bourassa a investi une somme d’argent estimée à        $ dans l’établissement;

 

-         Parmi les personnes accompagnant Charles Bourassa à l’établissement, se trouvait Roberto Amato. Celui-ci a également eu de nombreux échanges téléphoniques avec Charles Bourassa au sujet de la gestion et du financement de l’établissement, de même que des démarches pour l’obtention du permis d’alcool.

·        Par ailleurs, selon la même enquête, une conversation tenue le 16 mai 2008 entre Normard Marvin Ouimet, Richard Lock et Guy Rodrigue, tous trois membres en règle des Hells Angels, indique que Normand Ouimet a investi $ dans un bar avec l’ancien propriétaire de l’établissement, que ce dernier aurait vendu le bar sans le lui dire, et que Ouimet a pris possession de l’établissement Restaurant Au Chaud Lapin en guise de paiement (documents 3 et 4).

 

·        Charles Bourassa possède des antécédents criminels, notamment en matière de complot pour importation et de trafic de haschisch au Canada pour le compte des Hells Angels et pour lequel il a été condamné à 7 ans d’emprisonnement en 2001 avec d’autres individus, dont Roberto Amato ( Projet Chevalin , document 5 en liasse).

 

·        Charles Bourassa a également été arrêté le 5 mai 2010 pour son implication dans des transactions de kilos de cocaïne pour le compte des Hells Angels entre 2006 et 2009. Lors de la perquisition menée à son domicile, du haschisch, du cannabis, une arme avec munitions, une somme de 167 000 $, une balance et trois cellulaires ont été saisis ( Projet Cabotin , document 6).

 

·        Charles Bourassa est présentement accusé de gangstérisme, trafic de drogues, complot pour trafic et possession de biens criminellement obtenus avec 12 autres individus. Il est toujours détenu à ce jour et la cause criminelle se poursuivra le 28 février 2012 ( Projet Cabotin , document 6.1).

 

·        Outre ses antécédents en matière de complot pour importation de haschisch avec Charles Bourassa, Roberto Amato est présentement accusé de complot et recyclage des produits de la criminalité au terme du Projet Diligence . Lors de la perquisition menée à son domicile en 2009, divers documents financiers démontrant un lien entre Roberto Amato, Charles Bourassa et l’établissement Restaurant Au Chaud Lapin ont été saisis (document 5 en liasse, 7 et document 16 en liasse - nouveau ).

 

·        Normand Marvin Ouimet fait, quant à lui, face à 23 chefs d’accusation dont gangstérisme, extorsion, intimidation, menaces de mort, complot et recyclage des produits de la criminalité au terme du Projet Diligence (document 8 en liasse).

 

·        Le 8 juillet 2010, Maxime Langlois a été convoqué par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) dans le cadre d’une enquête sur une demande de permis d’alcool pour un autre établissement licencié de Montréal, dans lequel celui-ci était impliqué à titre d’actionnaire majoritaire. Il a alors admis que Normand Marvin Ouimet était déjà venu manger à l’établissement avec Charles Bourassa, et que ce dernier venait régulièrement à l’établissement et avait cosigné le bail de location des lieux (document 9).

 

·        L’analyse du dossier de la Régie révèle qu’en effet, la compagnie titulaire a acquis l’établissement de la compagnie 9184-3391 Québec inc., ex-titulaire, dont la totalité des actions avaient été cédées à Charles Bourassa en avril 2008, que cette compagnie a sous-loué les locaux abritant l’établissement à la titulaire janvier 2009, et que Charles Bourassa a agi comme caution pour ce bail de sous-location (documents 10 et 11 en liasse).

 

·        En octobre et novembre 2011, une opération d’infiltration menée dans le cadre du Projet Carcan démontre un lien entre Maxime Langlois, Charles Bourassa et Christian Émond, tous deux reliés aux Hells Angels, de même que leur implication financière dans l’établissement (document 17 en liasse - nouveau ).

 

·        Christian Émond est présentement inculpé de 59 chefs d’accusation en matière de gangstérisme, drogues, armes et complot avec 18 autres co-accusés au terme du Projet Carcan , lequel visait la relève des Hells Angels depuis le projet SharQc de 2009 (document 18 en liasse - nouveau ).

 

 

 

Changement d’actionnaire ou d’administrateur non déclaré

 

·        Le 6 avril 2011, la Régie a transmis une lettre à la titulaire l’enjoignant de déclarer toutes les personnes qui lui sont liées (document 12).

 

·        Le 28 avril 2011, la Régie a reçu un contrat de vente d’actions daté du 29 décembre 2008  entre  Maxime  Langlois  (                                                                                          %),  Marie-Éloïse  Sauvé  (          %), Jean-Cédric Morency (     %) et Jean-Benoit Hinse (     %) (document 13).

 

·        Bien que ce partage ait eu lieu avant le dépôt de la demande de permis d’alcool en février 2009, la Régie n’a jamais été informée de ces trois autres actionnaires au sein de la titulaire.

 

·        Depuis février 2009, Maxime Langlois a toujours déclaré à la Régie être actionnaire de la titulaire à 100 % (documents 1 et 14).

 

 

 

AUTRES INFORMATIONS PERTINENTES

 

9195-7159 Québec inc. est autorisée à exploiter l’établissement depuis le 27 avril 2009.

 

Le 28 octobre 2010, la Régie a transmis un « Avis au titulaire » concernant les infractions suivantes, constatées le 2 juillet 2010 à l’établissement : liste de prix non affichée et 2 contenants de boissons alcooliques contenant des insectes (document 15).

 

La date d'anniversaire des permis est le 7 novembre.

 

Une demande de réunion de dossiers est présentée par la Direction du contentieux afin que la titulaire des permis à l’établissement Restaurant Bungalow (n o 1692-284), soit convoquée en audition en même temps et qu’une preuve commune soit autorisée relativement à certains points.

 

Le 6 décembre 2011, la Direction du contentieux s’est désistée de sa demande de réunion de dossiers.


LA DEMANDE

Afin de déterminer s’il y a lieu de faire droit ou non à votre demande, la Régie a besoin d’obtenir davantage de renseignements concernant :

 

·        Votre capacité à exercer avec compétence et intégrité les activités liées à l’exploitation de permis d’alcool, compte tenu de votre comportement antérieur.

 

·        Le genre de clientèle que vous entendez desservir.

 

·        Les relations ou liens existants entre l’établissement et les groupes criminalisés.

 

·        L’identité, l’expérience, les tâches et les responsabilités du ou des gérants de l’établissement, le cas échéant.

 

·        Le nombre d’employés, leur identité ainsi que vos critères de sélection.

 

·        Les mesures que vous entendez prendre de manière à éviter le bruit, les attroupements ou les rassemblements, résultant ou pouvant résulter de l’exploitation de l’établissement et qui seraient de nature à troubler la paix du voisinage.

 

·        Les mesures que vous entendez prendre pour respecter toutes les dispositions de la Loi sur les permis d’alcool et de ses règlements ainsi que toutes celles de la Loi sur les infractions en matière de boissons alcooliques .

 

 

L’AUDIENCE

[4]                Après plusieurs remises de dates d’audience, une conférence préparatoire a eu lieu, le 26 mars 2012, à laquelle ont participé M e Isabelle Poitras, procureure de la Direction du contentieux de la Régie, et M e Marc-Antoine Carette, avocat de la titulaire-demanderesse.

[5]                La conférence préparatoire avait pour objet principalement :

·            de définir les questions à débattre lors de l’audience;

·            d’assurer l’échange de toute preuve documentaire;

·            d’examiner la possibilité, pour les personnes concernées, d’admettre certains faits;

·            de déterminer des dates d’audience et autres.

 

[6]                L’audience s’est tenue, au Palais de justice de Montréal, le 7 mai 2012.  Étaient présents M. Maxime Langlois, responsable de la titulaire-demanderesse, assisté de son avocat, M e  Marc-Antoine Carette.  M e Isabelle Poitras représentait la Direction du contentieux de la Régie.

[7]                Séance tenante, M e Carette déclare que, le 26 avril 2012, la titulaire-demanderesse a vendu, à la compagnie 9259-9323 Québec inc., les actifs de son fonds de commerce (pièce T-2); que M. Maxime Langlois se désiste de sa demande d’augmentation de capacité pour le permis sur la terrasse et qu’il consent à ce que les permis de son établissement soient révoqués par la Régie.

[8]                Suite à cette déclaration, une suspension de l’audience a eu lieu afin de permettre aux deux avocats de discuter.  Après la suspension, ils ont déposé une proposition conjointe (pièce T-1) qui prévoit la révocation pour cause des permis de la titulaire-demanderesse et prend acte de l’engagement personnel de M. Maxime Langlois de « ne pas présenter de nouvelle demande de permis d’alcool pour le local sis au 1279 Mont-Royal Est à Montréal, en son nom personnel ou par le biais de toute compagnie pour laquelle il est actionnaire ou administrateur ».

[9]                En contrepartie, la titulaire-demanderesse et la Direction du contentieux conviennent que l’ordonnance prévue à l’article 86.2 de la Loi sur les permis d'alcool [1] (LPA) ne sera pas appliquée en l’espèce.

[10]            M. Maxime Langlois, dûment assermenté, a affirmé verbalement bien comprendre la proposition conjointe qu’il a signée en tant que responsable de la titulaire-demanderesse et a réitéré au Banc son engagement à respecter les termes de cette proposition.

 

LE DROIT

[11]            Les dispositions légales qui s'appliquent dans le présent dossier sont les suivantes :

Loi sur les permis d'alcool

41.  La Régie doit refuser de délivrer un permis si elle juge que:

 

1°  la délivrance du permis est contraire à l'intérêt public ou est susceptible de porter atteinte à la sécurité publique ou de nuire à la tranquillité publique;

 

1.1°  le demandeur est incapable d'établir sa capacité d'exercer avec compétence et intégrité les activités pour lesquelles il sollicite le permis, compte tenu de son comportement antérieur dans l'exercice d'une activité visée par la présente loi;

 

1.2°  la demande de permis est faite au bénéfice d'une autre personne;

 

2°  l'établissement n'est pas conforme aux normes prescrites par une loi sur la sécurité, l'hygiène ou la salubrité dans les édifices publics ou sur la qualité de l'environnement ou par un règlement adopté en vertu d'une telle loi.

Elle doit également refuser de délivrer un permis si le demandeur a été déclaré coupable d'un acte criminel lié aux activités visées par la présente loi au cours des cinq années qui précèdent la demande ou n'a pas purgé la peine qui lui a été imposée pour un tel acte criminel, sauf s'il a obtenu la réhabilitation à l'égard de cet acte.

 

71.  Un titulaire d'un permis autorisant la vente ou le service de boissons alcooliques pour consommation sur place doit faire connaître par écrit à la Régie les nom, adresse et numéro d'assurance sociale de la personne chargée d'administrer son établissement, dans les dix jours de son entrée en fonction.

 

72.  Une société ou une personne morale visée dans l'article 38, qui est titulaire d'un permis, doit faire connaître à la Régie, au moyen d'un formulaire prescrit par celle-ci, tout renseignement pertinent relatif à un changement parmi les personnes mentionnées dans cet article, dans les dix jours du changement.

 

78.  Un permis ne peut être exploité par une personne autre que son titulaire.

 

86.  La Régie peut révoquer ou suspendre un permis si:

[…]

2°  le titulaire du permis ou, si celui-ci est une société ou une personne morale visée par l'article 38, une personne mentionnée à cet article ne satisfait plus aux conditions exigées par l'article 36, les paragraphes 1° à 3 ° du premier alinéa de l'article 39 ou les paragraphes 1.1° à 2° du premier alinéa de l'article 41;

[…]

8°  le titulaire du permis contrevient à une disposition des articles 70 à 72, 73, 74.1, 75, du deuxième alinéa de l'article 76, des articles 78, 82 ou 84.1 ou refuse ou néglige de se conformer à une demande de la Régie visée à l'article 110;

[…]

86.2.  La Régie peut, lorsqu'elle suspend ou révoque un permis, décider qu'aucun permis ne pourra être délivré dans l'établissement où ce permis était exploité, tant que durera la suspension ou avant l'expiration d'un délai de six mois de la date de la révocation.

 

91.  Lorsqu'un permis est révoqué, la Régie saisit et confisque le permis ainsi que, le cas échéant, les boissons alcooliques et leurs contenants qui sont en possession de celui qui était titulaire du permis et les remet à la Société des alcools du Québec.

 

Un membre d'un corps de police autorisé en vertu de l'article 111 ou un membre de la Sûreté du Québec peut, à la demande de la Régie, procéder à la saisie et remettre à la Société les boissons alcooliques et leurs contenants.

 

ANALYSE

[12]            CONSIDÉRANT la proposition conjointe convenant de la révocation pour cause des permis de la titulaire-demanderesse;

[13]            CONSIDÉRANT les clauses spécifiques mentionnées à la proposition conjointe;

PAR CES MOTIFS,

la Régie des alcools, des courses et des jeux :

 

PREND ACTE                                   du désistement de la demande d’augmentation de capacité du permis de restaurant pour vendre sur terrasse par la titulaire-demanderesse;

 

ENTÉRINE                                       la proposition conjointe soumise par les procureurs et annexe ce document à la présente décision pour en faire partie intégrante;

 

RÉVOQUE                                        pour cause les permis restaurant pour vendre n os  9732736 et 9745712 dont 9195-7159 Québec inc. est titulaire;

 

ORDONNE                                        la saisie et la confiscation des permis ainsi que des boissons alcooliques et leurs contenants qui sont en possession de la titulaire par un inspecteur de la Régie ou par le corps policier dûment mandaté à cette fin pour en disposer conformément à l’article 91 de la Loi sur les permis d’alcool ;

 

PREND ACTE                                   de l’engagement personnel de M. Maxime Langlois de ne pas présenter de nouvelle demande de permis d’alcool pour le local situé au 1279 Mont-Royal Est à Montréal, en son nom personnel ou par le biais de toute compagnie pour laquelle il est actionnaire ou administrateur;

 

 

 

 

                                                           AÏDA KARIBIAN                                                  

                                                           Régisseure

 

 

 

 

                                                            PIERRE H. CADIEUX, avocat                             

                                                           Régisseur

 



[1] L.R.Q., c. P-9.1.