Baldor Electric Company c. Delisle |
2012 QCCA 1004 |
COUR D'APPEL
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
N o : |
500-09-020851-101 |
|
|
(500-17-027495-053) |
|
|
PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE |
|
DATE: |
1 er juin 2012 |
CORAM: LES HONORABLES |
FRANCE THIBAULT, J.C.A. |
LOUIS ROCHETTE, J.C.A. |
|
YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A. |
APPELANTE (INTIMÉE INCIDENTE) |
AVOCAT(S) |
BALDOR ELECTRIC COMPANY |
Me Louis Brousseau Jeansonne Avocats, inc.
|
INTIMÉS (APPELANTS INCIDENTS) |
AVOCAT(S) |
JOSÉE DELISLE
YVES CAMIRAND |
Me Jean-Philippe Lemire Me Claude Lemire Lemire Lemire Avocats s.e.n.c.
|
En appel d'un jugement rendu le 17 juin 2010 par l'honorable Anne-Marie Trahan de la Cour supérieure, district de Montréal. |
NATURE DE L'APPEL : |
Responsabilité |
Greffier: Marc Leblanc |
Salle: Pierre-Basile-Mignault |
|
AUDITION |
|
Dossier continué du 30 mai 2012 pour qu'arrêt soit déposé. |
Arrêt rendu -voir page 3. |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Marc Leblanc |
Greffier |
PAR LA COUR
|
ARRÊT |
|
[1] L’appelante se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure, District de Montréal [1] (l’honorable Anne-Marie Trahan), rendu le 17 juin 2010. Ce jugement l’a condamnée à des dommages-intérêts de 605 446,38 $ en faveur d’Yves Camirand (« l’intimé ») et de 50 473 $ en faveur de son épouse Josée Delisle (« l’intimée »). Par le pourvoi incident, l’intimé réitère sa réclamation initiale de 1 210 892,76 $ et l’intimée réclame le montant qui le premier jour du procès avait fait l’objet d’un amendement en demande et d’un aveu judiciaire en défense.
[2] Dans le cas de l’intimé, le jugement entrepris fait courir les intérêts sur la condamnation à compter du 15 septembre 2003. Or, en appel, les parties conviennent que cette date est erronée puisque la requête introductive d’instance dans sa dernière version re-précisée et amendée contenait une conclusion selon laquelle le point de départ pour le calcul des intérêts était le 16 septembre 2005; la conclusion de la juge sur ce point aura donc été prononcée ultra petita .
* * * * *
[3] Le litige a pour origine un événement survenu le 18 septembre 2002. Ce jour-là, l’intimé a perdu un œil en travaillant sur un touret à meuler fabriqué par l’appelante.
[4] En présence d’expertises contradictoires, la juge a conclu, d’une part, que l’appelante avait engagé sa responsabilité envers l’intimé à cause d’un vice de fabrication du dispositif de maintien dont était équipé le touret et des lacunes du guide d’utilisation de l’appareil. D’autre part, parce que selon la juge l’intimé avait agi imprudemment en meulant une pièce de petites dimensions, la condamnation à des dommages-intérêts de 1 210 892,76 $ (dont le quantum était admis par l’appelante) fut réduite de 50 %, c’est-à-dire en proportion de cette faute contributive.
[5] En appel, l’appelante prétend que l’entière responsabilité de l’accident aurait dû être attribuée à l’intimé; celui-ci soutient entre autres choses qu’il n’a commis aucune faute contributive.
[6] Contrairement à ce qu'affirme l’appelante, les conclusions de la juge exprimées aux paragraphes [73], [74] et [75] de ses motifs ne reposent pas sur le simple fait qu'il y a eu accident. À la lumière des témoignages des experts entendus au procès, la juge a plutôt considéré que le dispositif de maintien des pièces à meuler comportait un vice de conception susceptible de mettre en danger la sécurité de l’utilisateur puisqu'il permettait à une pièce de dimensions réduites de pénétrer entre la meule et le carter de protection puis d’être projetée avec grande vélocité à l’extérieur de l’appareil. Les juges jouissent d'un large pouvoir d'appréciation pour déterminer ce qui est dangereux et quelles sont les attentes légitimes en matière de sécurité [2] . La conclusion de la juge selon laquelle le touret était dangereux constitue une conclusion de fait et l’on ne peut certainement pas affirmer en l’occurrence que la juge a commis sur ce point une erreur manifeste et déterminante dans l'analyse de la preuve. La preuve démontrait, en effet, que le touret pouvait être utilisé pour usiner de petites pièces [3] et que le dispositif de maintien n'empêchait pas de telles pièces de se coincer à l’intérieur de l’appareil et de provoquer éventuellement un accident. Il est d’ailleurs probable que l’on peut remédier au risque ainsi créé en utilisant un étau lors du travail sur une petite pièce, ce que ne précisait pas le guide d’utilisation de l’appareil alors en existence. En outre, une mise en garde appropriée du type de celle que décrit la juge de première instance au paragraphe [78] de ses motifs serait aussi indiquée.
[7] Il en va de même des conclusions de la juge sur la faute contributive de l’intimé. La preuve, encore une fois, démontre que les opérations auxquelles se livrait l’intimé sont intrinsèquement dangereuses (étant donné, notamment, la puissance du touret) et qu’il importe en toutes circonstances de procéder avec concentration. Cela est d’autant plus vrai lorsque l’usinage d’une pièce de petites dimensions accroît le risque d’accident. Les inférences que la juge tire de la preuve et dont elle fait état au paragraphe [103] de ses motifs doivent par conséquent être tenues pour fondées.
[8] Il est possible que, contrairement à ce que note la juge au paragraphe [104] de ses motifs, l’existence d’une faute contributive de la part de l’intimé aurait pu affecter le quantum des dommages-intérêts dus par l’appelante à l’intimée. Cela dit, cette question n’a été soulevée ni en première instance ni en appel et la trancher à ce stade serait inapproprié.
[9] Il y a donc lieu d’intervenir à la seule fin de modifier le dispositif du jugement de première instance pour le rendre conforme aux admissions ou concessions des parties et pour faire courir les intérêts sur la condamnation en faveur de l’intimée depuis la date de l’accident [4] .
[10] POUR CES MOTIFS , la Cour :
[11] REJETTE l’appel, avec dépens;
[12] ACCUEILLE en partie, et sans frais, l’appel incident, à la seule fin de substituer aux paragraphes [108] et [109] du jugement de première instance les paragraphes suivants :
[108] ORDONNE à la défenderesse, Baldor Electric Company, de verser au demandeur, Yves Camirand, la somme de 605 446,38 $ avec intérêts, au taux légal à compter du 16 septembre 2005, plus l’indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q. ;
[109] ORDONNE à la défenderesse, Baldor Electric Company, de verser à la demanderesse, Josée Delisle, la somme de 15 000 $ avec intérêts, au taux légal à compter du 18 septembre 2002, plus l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q.
|
FRANCE THIBAULT, J.C.A. |
|
LOUIS ROCHETTE, J.C.A. |
|
YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A. |
[1] 2010 QCCS 2621 .
[2]
Baudouin, Jean-Louis et Patrice Deslauriers,
La responsabilité civile
, 7
e
éd, vol. 2, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, par. 2-365; Pierre Gabriel
Jobin et Michelle Cumyn,
[3] L'expert cité par l’appelante a affirmé qu'il était assez commun d'utiliser ce touret pour de petites pièces De plus, le guide d’utilisation n’indiquait nulle part que l'on devait s’abstenir de meuler des pièces de petite dimension ou que l’on devait prendre des précautions particulières dans l’hypothèse d’un travail effectué sur de telles pièces.
[4] Sur ce dernier point, voir Baudouin, Jean-Louis et P.-G. Jobin, Les obligations , 6 e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005, p. 713, ainsi que Baudouin, Jean-Louis et Patrice Deslauriers, La responsabilité civile , 7 e éd, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, vol. 1, par. 1-590.