Rouleau c. Bergeron

2012 QCCQ 4211

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

ARTHABASKA

LOCALITÉ DE

VICTORIAVILLE

« Chambre civile »

N° :

415-32-005547-115

 

DATE :

23 mai 2012

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

 PIERRE LABBÉ, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

NELSON ROULEAU

et

LISE BLANCHETTE,

Demandeurs

c.

HENRI BERGERON

Défendeur

et

VILLE DE PLESSISVILLE,

MINISTÈRE DES RESSOURCES NATURELLES ET DE LA FAUNE (représenté par le PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC),

Me ANDRÉ BARIL,

Appelés en garantie

et

CONSORTIUM AD HOC FORMÉ DU CONSORTIUM PARADIS, LEFEBVRE ET ASSOCIÉS, DE AUCLAIR, DROLET, ARPENTEURS-GÉOMÈTRES, DE AUDET, DAIGLE, DAOUST ET ASSOCIÉS/MORIN ET COLLIN,

Appelé en arrière garantie

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]            Alléguant l'application de la garantie du droit de propriété prévue au Code civil du Québec , les demandeurs réclament au défendeur 4 178,61 $, soit la valeur de la superficie en cause et les frais d'arpenteurs.

[2]            Le défendeur conteste principalement la somme réclamée, la jugeant exagérée. Il a appelé en garantie la Ville de Plessisville, le ministère des Ressources naturelles et de la Faune, représenté par le Procureur général du Québec et le notaire André Baril. Le Procureur général du Québec a appelé en arrière-garantie le Consortium ad hoc d'arpenteurs-géomètres à qui il avait confié la rénovation du cadastre concerné.

[3]            La preuve révèle les faits pertinents suivants.

[4]            En vertu d'un acte de vente passé devant M e André Baril, notaire à Princeville, le 1 er février 2009, le défendeur a vendu aux demandeurs les terrains suivants (P-1) :

1)     le lot numéro trois millions sept cent soixante-treize mille quatre cent douze (lot 3 773 412, Cadastre du Québec);

2)     le lot numéro trois millions sept cent soixante-treize mille quatre cent onze (lot 3 773 411, Cadastre du Québec);

3)     le lot numéro trois millions sept cent soixante-treize mille quatre cent dix (lot 3 773 410, Cadastre du Québec).

[5]            Le prix de vente était de 20 000 $. La vente comportait la garantie légale.

[6]            La preuve non contredite, ressortant particulièrement du témoignage de M e Marc Michaud, avocat, qui a fait une recherche de titres, révèle que lors de la rénovation cadastrale, le lot 3 773 412, créé à partir des lots 171B-1-1 partie et 171B-1-1-9 de l'ancien cadastre, a été attribué par erreur au défendeur alors qu'il appartenait à Donat Bilodeau. Selon la matrice graphique et les plans produits, les lots vendus avaient les superficies suivantes :

§   le lot 3 773 412 : 219.8 m 2

§   le lot 3 773 411 : 451 m 2

§   le lot 3 773 410 : 468.4 m 2

TOTAL 1 139,2 m 2 .

[7]            Selon la pièce DG-11 qui est la correction cadastrale faite par Yves Drolet, arpenteur-géomètre du consortium, le 4 avril 2011, dont il sera question plus loin, le défendeur n'était propriétaire que d'une fraction du lot 3 773 412, partie située dans la paroisse de Plessisville et non dans la Ville de Plessisville. Selon le plan de l'arpenteur, la superficie du lot 3 773 412 n'appartenant pas au défendeur était de 198,1 m 2 , ce qui représente 17.39 % de la superficie totale des trois lots. Selon une règle de trois calculée sur la base du prix de vente, cette superficie avait une valeur de 3 478 $.

[8]            En préparant un certificat de localisation pour la vente, l'arpenteur-géomètre Michel Benjamin de Plessisville a constaté l'erreur. Le 18 août 2010, il écrivait à M e André Baril avec copie à monsieur Rouleau, pour les informer de cette erreur et leur suggérer, pour corriger la situation, que monsieur Rouleau vende à Donat Bilodeau le lot qui lui appartenait déjà.

[9]            Par lettre du 19 janvier 2011, le demandeur en a informé le défendeur et lui a donné un délai de 10 jours pour corriger la situation ou pour prendre une entente.

[10]         Monsieur Rouleau et monsieur Bergeron ont eu des conversations téléphoniques à ce sujet. Monsieur Bergeron soutient qu'une entente est intervenue avec monsieur Rouleau qu'il lui verserait 3 660,52 $. Cette entente était conditionnelle au fait que monsieur Bergeron devait garder la lisière située dans la paroisse de Plessisville et qu'un acte de correction soit fait chez le notaire Baril afin que les taxes puissent être récupérées. Ces conditions n'ayant pas été remplies, l'entente n'a pas été définitive.

[11]         Le 24 février 2011, le demandeur a vendu à Donat Bilodeau le lot numéro 3 773 412 appartenant à ce dernier pour corriger la situation. Le prix de vente était de 538 $.

[12]         Hélène Julien, arpenteuse-géomètre au ministère des Ressources naturelles et de la Faune, a témoigné qu'en vertu de la loi, le cadastre est présumé exact. Elle a admis qu'une erreur avait été faite lors de la rénovation cadastrale et que la présomption d'exactitude avait été renversée. Le ministère des Ressources naturelles et de la Faune a demandé au Consortium, avec lequel il avait signé au contrat pour la rénovation cadastrale, de corriger la situation. Monsieur Yves Drolet, arpenteur-géomètre, s'est occupé de faire la correction comme mentionnée plus haut, en déposant un plan corrigé le 4 avril 2011 (DG-11).

[13]         Selon ce plan, la superficie qui n'appartenait pas à monsieur Bergeron était de 198,1 m 2 et celle qui lui appartenait, située dans la paroisse de Plessisville était de 21,7 m 2 pour un total de 219,8 m 2 .

[14]         Yves Drolet a invoqué le manque de collaboration des propriétaires lors de la rénovation cadastrale. Monsieur Bergeron avait reçu les avis prévus par la loi lui demandant de fournir aux arpenteurs-géomètres tout document privé qui pourrait leur être utile et par la suite d'assister à une rencontre et de leur faire part de tout commentaire ou correction. La lettre du ministère est datée du 7 juin 2006 et elle a été suivie d'un avis du ministère à monsieur Bergeron du 24 janvier 2008 faisant état du résultat des travaux sur les trois lots susdits. Relativement au lot 3 773 412, il était mentionné qu'il avait été créé à partir des lots 171B-1-1 partie et 171B-1-1-9 de l'ancien cadastre. Selon monsieur Drolet, monsieur Bergeron ne lui a adressé aucun commentaire à ce sujet.

ANALYSE

Le recours principal

[15]         La garantie du droit de propriété est prévue à l'article 1716 du Code civil du Québec qu'il y a lieu de citer avec l'article 1720 :

1716.  Le vendeur est tenu de délivrer le bien, et d'en garantir le droit de propriété et la qualité.

Ces garanties existent de plein droit, sans qu'il soit nécessaire de les stipuler dans le contrat de vente.

1720.  Le vendeur est tenu de délivrer la contenance ou la quantité indiquée au contrat, que la vente ait été faite à raison de tant la mesure ou pour un prix global, à moins qu'il ne soit évident que le bien individualisé a été vendu sans égard à cette contenance ou à cette quantité.

[16]         Il ne fait pas de doute que la garantie du droit de propriété s'applique. Le défendeur a vendu aux demandeurs un lot qui ne lui appartenait pas et qui représente 17,39 % de la superficie totale vendue. Comme mentionnée plus haut, la valeur de ce lot, en prenant pour base de calcul le prix de vente prévu au contrat, est de 3 478 $ dont il faut retrancher le montant reçu de Donat Bilodeau, soit 538 $ pour un solde de 2 940 $. À cette somme s'ajoutent les frais d'arpenteurs de 344,61 $ encourus par le demandeur pour trouver l'erreur. Ceci totalise 3 284,61 $.

Les recours en garantie

[17]         La Ville de Plessisville n'a aucune responsabilité dans cette affaire. Elle a fait parvenir au défendeur au fil des ans les comptes de taxes selon les informations provenant du cadastre et elle pouvait s'y fier.

[18]         La responsabilité du notaire Baril n'est pas engagée non plus. En effet, celui-ci s'est fié à la rénovation cadastrale et sa recherche de titres ne l'obligeait pas à réviser tout le travail fait par les arpenteurs lors de la rénovation cadastrale. Il était en droit de présumer que le cadastre était exact.

[19]         Le Procureur général a admis qu'une erreur avait été commise lors de la rénovation cadastrale. La responsabilité du Procureur général qui représente le ministère des Ressources naturelles et de la Faune est donc engagée envers le demandeur en garantie.

APPEL EN ARRIÈRE GARANTIE

[20]         En vertu des clauses 9.5 et 30 du contrat intervenu entre le ministère et le Consortium, ce dernier est responsable des fautes commises lors de la rénovation cadastrale :

9.5 TRAITEMENT DES DEMANDES POSTOFFICIALISATION

Sous réserve des dispositions de l'article 8.4, le Fournisseur s'engage à reprendre à ses frais tous les travaux pour lesquels des erreurs ou des omissions auront été constatées, ou pour lesquels le Ministre juge que l'opinion du Fournisseur doit être révisée. Cette obligation s'applique en cours de réalisation ou après l'exécution complète du contrat. Le cas échéant, le Fournisseur sera tenu responsable des frais encourus par le Ministre pour régler ces problèmes.

Le Fournisseur s'engage à répondre correctement, dans les 20 jours ouvrables, à toute demande du Ministre transmise au chargé de contrat, en lui transmettant une requête complète et conforme aux exigences du Ministre ou des justifications adéquates avec les pièces justificatives nécessaires.

Dans le cas où le Ministre juge que l'opinion du Fournisseur doit être révisée, ce dernier devra exposer par écrit les raisons qui justifient le maintien ou la révision de l'opinion émise. Il devra également soumettre les pièces justificatives nécessaires. Le Ministre, après avoir pris connaissance des justifications du Fournisseur, pourra les accepter ou exiger que les modifications appropriées soient effectuées.

En cas de défaut du Fournisseur de répondre correctement à l'intérieur du délai fixé, le Ministre se réserve le droit d'appliquer l'un et/ou l'autre des moyens suivants :

§   exiger le paiement de 200 $ à titre de frais administratifs;

§   exécuter ou faire exécuter les travaux au frais du Fournisseur.

Le Fournisseur est mis en demeure par le simple écoulement du temps prévu au contrat pour l'exécution de ses obligations.

30. RESPONSABILITÉ DU CHARGÉ DE CONTRAT

Le chargé de contrat, pour et au nom du Fournisseur, sera responsable et s'engage à indemniser le Ministre pour tout dommage causé par le Fournisseur, ses employés, ses agents, ses représentants ou ses sous-traitants, dans le cours ou à l'occasion de l'exécution du contrat y compris le dommage résultant d'un manquement à un engagement pris en vertu du contrat.

Le chargé de contrat, pour et au nom du Fournisseur, s'engage à indemniser, à protéger et à prendre faits et cause pour le Ministre contre tout recours, demande, poursuite et autre procédure pris par toute personne en raison des dommages ainsi causés.

La responsabilité du chargé de contrat ne dégage d'aucune façon tous les autres associés qui demeurent solidairement responsables.

[21]         En vertu de ces dispositions, le Consortium est responsable et doit indemniser le Procureur général de la condamnation prononcée contre lui sur l'appel en garantie. L'argument invoqué par le Consortium que monsieur Bergeron aurait dû faire des commentaires lors de la rénovation cadastrale ne peut être retenu pour deux motifs :

1)     Il n'y a pas de recours entre Henri Bergeron et le Consortium;

2)     Rien dans la preuve ne démontre que, même si monsieur Bergeron s'était rendu à la rencontre, il avait les connaissances suffisantes pour détecter l'erreur. La situation était relativement complexe et seul un professionnel paraissait être en mesure de détecter l'erreur [1] .

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL  :

[22]         ACCUEILLE en partie la demande principale;

[23]         CONDAMNE le défendeur Henri Bergeron à payer aux demandeurs la somme de 3 284,61 $, plus les intérêts au taux légal, majoré de l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec , à compter du 19 janvier 2011;

[24]         CONDAMNE le défendeur Henri Bergeron à payer aux demandeurs les frais judiciaires de 129 $;

[25]         ACCUEILLE en partie l'appel en garantie;

[26]         CONDAMNE le Procureur général du Québec (Ministère des Ressources naturelles et de la Faune) à indemniser Henri Bergeron de la condamnation prononcée contre lui sur la demande principale, en capital, intérêts et frais;

[27]         REJETTE la demande en garantie contre la Ville de Plessisville, sans frais.

[28]         REJETTE la demande en garantie contre M e André Baril, sans frais.

[29]         ACCUEILLE l'appel en arrière garantie et CONDAMNE le Consortium ad hoc formé du Consortium Paradis, Lefebvre et Associés, de Auclair, Drolet, arpenteurs-géomètres, de Audet, Daigle, Daoust et Associés/Morin et Collin à indemniser le Procureur général du Québec (Ministère des Ressources naturelles et de la Faune) de la condamnation prononcée contre lui en capital intérêts et frais sur la demande en garantie.

 

 

__________________________________

PIERRE LABBÉ, J.C.Q.

 

 

 

Date d’audience :

28 février 2012

 



[1]     Audet c. Lacroix, 2009 QCCQ 10016 ; Desjardins c. Québec (Ministère des Ressources naturelles et de la Faune), 2008 QCCQ 9691 .