Hevey c. Girard |
2012 QCCQ 4253 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT D’ |
ABITIBI |
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LOCALITÉ D’ |
AMOS |
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« Chambre civile » |
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N° : |
605-32-002436-102 |
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DATE : |
14 mai 2012 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
JEAN-PIERRE GERVAIS, J.C.Q. |
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GILLES HEVEY |
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Demandeur |
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c. |
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JACYNTHE GIRARD |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] M. Gilles Hevey poursuit Mme Jacynthe Girard, alléguant que le véhicule tout-terrain (V.T.T.) que cette dernière lui a vendu était, au moment de la vente, affecté d’un vice caché. Il lui réclame en conséquence une somme de 4 539,40 $ représentant principalement le coût des réparations.
[2] En réponse, la défenderesse affirme que le bien a été vendu sans garantie aucune, qu’il n’est de toute façon affecté d’aucun défaut caché et finalement qu’en tout état de cause l’évaluation du montant qu’il en coûterait pour procéder aux réparations est exagérée.
[3] Des témoignages entendus ainsi que de la preuve documentaire se trouvant au dossier, le Tribunal retient essentiellement ce qui suit.
[4] Au printemps 2010, le demandeur désire se porter acquéreur d’un véhicule tout-terrain haute performance d’occasion.
[5] Il consulte donc dans sa démarche les annonces publiées sur internet et s’intéresse particulièrement à deux engins dont celui propriété de la défenderesse. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’un Yahama, modèle Raptor 700, de l’année 2007.
[6] Vu que son apparence est plus intéressante, c’est par conséquent sur celui offert par Mme Girard qu’il décide de jeter son dévolu.
[7] Après l’avoir examiné sommairement et démarré le moteur, mais sans l’avoir autrement essayé, il s’entend avec la venderesse pour un prix de 5 700 $, alors que celui initialement demandé était de 6 000 $.
[8] Quelques jours plus tard, soit le 25 juin 2010, il retourne au domicile de Mme Girard situé dans la municipalité de Lebel-sur-Quévillon pour prendre livraison du véhicule et en payer l’intégralité.
[9] Il est à noter à ce moment, et les parties en conviennent, que le V.T.T. a une belle apparence, que le moteur tourne rondement sans laisser soupçonner quelques défectuosités que ce soit et qu’aucun indice ne suggère qu’il ait déjà fait l’objet d’une réparation quelconque.
[10] Au surplus, l’engin n’est muni ni d’un odomètre ni d’un chronomètre pouvant informer quiconque du kilométrage parcouru ou encore du nombre d’heures d’utilisation du véhicule.
[11] La défenderesse, quant à elle, explique qu’elle n’a connaissance d’aucun problème et n’a procédé à aucune réparation depuis qu’elle a acquis le bien usagé approximativement un an plus tôt.
[12] De retour chez lui avec sa nouvelle acquisition, le demandeur entreprend de faire un entretien du véhicule en changeant les filtres ainsi que les lubrifiants.
[13] Étant un travailleur en forêt, il affirme que le temps qu’il lui reste pour profiter de son V.T.T. est relativement limité de telle sorte qu’il ne l’utilise au mieux que quelques heures par semaine.
[14] Il ne rencontre aucune difficulté particulière avant le 28 août suivant, lorsqu’il se balade dans un champ le samedi en question.
[15] Sans avertissement, le moteur cesse de fonctionner. Bien qu’il réussisse à le redémarrer, celui-ci s’arrête presque immédiatement de nouveau.
[16] Malgré qu’on soit la fin de semaine, il parvient à contacter le propriétaire d’un atelier réparant ce type de véhicules et y transporte le V.T.T.
[17] Les mécaniciens entreprennent alors de démonter le moteur et constatent la présence de particules métalliques qui ont sérieusement abîmé plusieurs composantes internes.
[18] Ils découvrent également une trace de soudure à l’intérieur du carter qui indique que celui-ci a déjà été endommagé et a fait l’objet d’une réparation.
[19] Le demandeur, appuyé par son mécanicien qui a produit une opinion écrite à ce sujet, suggère que c’est celle-ci qui est à l’origine de l’avarie, puisqu’elle aurait été dans un premier temps mal effectuée et en second qu’elle était susceptible d’entraîner une déformation du carter.
[20] L’entreprise A B Gagné, l’atelier mentionné plus avant, estime qu’il en coûterait 4 539,40 $ pour procéder à la réparation; cette somme incluant cependant un montant de 406,35 $ représentant le temps requis pour identifier le problème.
[21] Soulignons que ce document comporte une annotation que le nombre d’heures évaluées est approximatif.
[22] Peu avant l’audience, le demandeur a produit une nouvelle évaluation provenant cette fois-ci d’un concessionnaire distribuant cette marque de véhicules récréatifs qui , pour sa part, estime le coût de remplacement des pièces sans la main-d’œuvre au montant de 2 564,74 $ en plus des taxes applicables; ce qui représente une réduction d’approximativement 500 $ comparée à celle mentionnée auparavant.
[23] La défenderesse, quant à elle, prétend, tel que souligné en introduction du présent jugement, que la vente s’est faite sans garantie légale.
[24] Elle tire cette inférence du libellé d’un bref document que les parties ont signé le 26 juin 2010 dont le texte intégral se lit de la façon suivante :
«Le 26 juin 2010, Jacynthe Girard à (sic) vendu tel que vu son Raptor Yamaha 700 2007 JY4AM07W57C009822 a (sic) Gilles Hevey»
[25] Suivant sa vision, les termes employés impliquent que les parties ont convenu d’exclure toute garantie.
[26] Elle raconte par ailleurs avoir elle-même acquis le V.T.T. d’occasion en juin 2009 et ne jamais avoir connu quelques problèmes que ce soit pendant tout le temps qu’elle l’a utilisé.
[27] Elle n’a, quant à elle, jamais eu à effectuer de réparations et ne fut jamais informée par le propriétaire précédent que des travaux avaient été requis.
[28] Elle met d’un autre côté en doute le diagnostic posé par le demandeur et son mécanicien, avançant plutôt l’hypothèse, tout comme son propre mécanicien à qui elle a demandé un avis, que la cause du bris est étrangère à la présence de la soudure dans le moteur.
[29] Elle-même suggère une possible défectuosité de la pompe à l’huile, mais sans en dire davantage.
[30] En somme, vu son ignorance d’un défaut quelconque affectant l’engin, sa bonne foi et le fait que celui-ci accusait déjà trois ans d’usure, elle ne sent pas responsable du bris survenu.
[31]
L’article
[32] L’article en cause se lit de la façon suivante :
1726. Le vendeur est tenu de garantir à l'acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l'usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l'acheteur ne l'aurait pas acheté, ou n'aurait pas donné si haut prix, s'il les avait connus.
Il n'est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l'acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert.
1991, c. 64, a. 1726. [1]
[33] Pour qu’il y ait application de cette garantie de qualité, certaines conditions doivent être remplies.
[34] Dans un premier temps, le vice doit revêtir une certaine gravité et ne pas être anodin.
[35] Une simple défectuosité mineure n’ayant pas de conséquences sur la qualité et le fonctionnement de l’objet n’entrera donc pas dans cette catégorie.
[36] En second, ce vice doit être antérieur à la vente afin qu’on puisse en imputer la responsabilité au vendeur. Souvent, on déduira que tel est le cas, si celui-ci se manifeste peu de temps après la prise de possession.
[37] D’autre part, de toute évidence le défaut doit être caché.
[38] Ceci signifie dans un premier temps qu’il ne doit pas avoir été divulgué à l’acquéreur d’une façon ou d’une autre.
[39] Également, le défaut ne doit pas être visible ou pouvoir se révéler à l’aide d’un examen sérieux et attentif.
[40] Précisons à ce dernier égard qu’il n’est pas nécessaire d’avoir recours à un examen nécessitant des moyens exceptionnels comme le démontage d’une partie de l’objet pour qu’il puisse satisfaire les standards édictés par le Code civil du Québec . [2]
[41] De la même manière, bien qu’il soit parfois utile de le faire, il n’est pas impératif de faire appel à un expert en la matière pour procéder à cette inspection.
[42] Ceci étant dit, l’application de ces principes à l’affaire à l’étude permet de poser les constats suivants.
[43] Dans un premier temps, il apparaît que la cause exacte du bris du moteur ne peut être établie avec une certitude absolue.
[44] En effet, la prétention du demandeur en ce sens comme quoi celui-ci résulterait d’une réparation antérieure mal effectuée est une hypothèse.
[45] Malgré tout, elle demeure plausible et même probable, puisque selon toute vraisemblance aucun autre élément ne peut expliquer le bris mécanique.
[46] L’opinion de la défenderesse et de son mécanicien à cet égard relève davantage de la spéculation et ne semble pas pouvoir s’asseoir sur aucun fait précis.
[47] Une vérité reste cependant, soit que la défectuosité est survenue après une période d’utilisation relativement brève.
[48] Le Tribunal précise qu’en semblable matière il n’est pas rare qu’on ne soit pas en mesure de prouver avec une certitude totale la cause exacte d’un bris.
[49] Si la preuve permet pour autant d’établir une probabilité quant à la source de l’avarie, elle remplit les exigences de la loi en ce qui a trait au degré requis.
[50] En l’espèce, tel que mentionné plus avant, l’hypothèse avancée par le demandeur semble suffisamment probable pour qu’on la retienne.
[51] Ceci étant dit, il ne fait aucun doute qu’un vice entraînant la panne totale du véhicule revêt le niveau de gravité prévu par l’article 1726 du Code civil du Québec . [3]
[52] Quant à la question de savoir s’il est antérieur à la vente, vu la conclusion suivant laquelle il résulte d’une réparation ayant été faite avant même que la défenderesse soit elle-même propriétaire du bien, cette condition est de toute évidence remplie.
[53] En ce qui a trait au caractère caché du vice, le Tribunal croit qu’encore ici la norme exigée a été respectée.
[54] Même si le demandeur, avant l’achat, avait été plus attentif, plus prudent et même s’il avait eu recours à un expert, selon toute vraisemblance le défaut n’aurait pu être détecté.
[55] Par surcroît, il aurait été nécessaire de démonter une partie du moteur pour exposer la soudure et ainsi découvrir cet élément, ce qui dépasse largement l’examen requis par la loi.
[56] Le fait que la défenderesse elle-même n’en ait jamais eu connaissance, alors qu’elle a possédé le véhicule pendant près d’une année, en est également une démonstration.
[57] La conclusion qui s’impose est donc que le V.T.T. acheté était affecté d’un vice caché de telle sorte que la garantie de qualité doit être mise en application.
[58] Le fait que la défenderesse elle-même ignorait son existence ne l’exonère pas de sa responsabilité à cet égard.
[59] Ceci étant dit, peut-on considérer maintenant que le libellé employé par la défenderesse lorsqu’elle a confectionné le document de vente signé le 26 juin 2010 exclue d’emblée toute garantie de quelque nature qu’elle soit?
[60] Les tribunaux ont eu l’occasion de se pencher sur le sens qu’il fallait donner à cette expression couramment utilisée comme quoi un bien est vendu « tel que vu ».
[61] Ce type de stipulations habituellement appelé « clause d’acceptation du bien » suggère que l’acheteur connaît l’état général du bien sans plus.
[62] Elle aurait son utilité par exemple dans un cas où l’objet vendu est accidenté ou manifestement endommagé.
[63] Cependant, la jurisprudence a toujours considéré qu’une mention excluant complètement la garantie de qualité se devait d’être claire et non équivoque. Elle ne peut donc se déduire d’un énoncé vague ou encore imprécis.
[64] En conséquence, une stipulation comme celle que l’on retrouve au document signé par les parties ne signifie aucunement que l’acheteur a renoncé à invoquer la garantie contre les vices cachés.
[65] La conclusion est donc que cet argument ne permet pas encore ici à la défenderesse de s’exonérer de sa responsabilité.
[66] Maintenant, en ce qui concerne les dommages réclamés, ceux-ci sont considérables et même ajustés à la baisse à la suite de l’obtention d’une seconde évaluation. Ils demeurent tout de même aux environs de 4 000 $ incluant les taxes applicables.
[67] Non seulement cette somme représente un montant substantiel lorsqu’on la met en conjonction avec le prix d’achat payé, mais l’accordée risquerait d’avantager indûment le demandeur.
[68] En effet, à la suite de la réparation, M. Hevey se retrouvera avec un moteur pratiquement refait à neuf, puisqu’une proportion très importante de ses composantes auront été changées.
[69] On ne parle donc pas d’une simple réparation qui ramènerait le bien dans l’état où il aurait dû être au moment de la vente, mais plutôt d’un travail qui aura un impact certain sur la longévité éventuelle du moteur.
[70] Cet élément ajoute une plus-value au véhicule dont il y a lieu de tenir compte dans l’attribution des dommages.
[71] En effet, il ne fait aucun doute que le V.T.T. ainsi réparé aura une valeur accrue, si on le compare à un engin semblable qui n’aurait pas subi de telles réparations.
[72] Il serait inéquitable et contraire à l’esprit de la loi que le présent jugement ait un tel résultat.
[73] Évidemment, le Tribunal ne dispose pas d’une évaluation précise lui permettant d’estimer quelle portion de ces coûts doit être considérée comme procurant une plus-value de telle sorte que nous devrons avoir recours jusqu’à un certain point à l’arbitraire pour y parvenir.
[74] Le Tribunal croit qu’accorder 50% de cette somme est réaliste dans les circonstances.
[75] Conséquemment, c’est donc un montant de 2 000 $ qui sera alloué à M. Hevey.
[76] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[77] ACCUEILLE la demande;
[78] CONDAMNE la défenderesse à verser au demandeur la somme de 2 000 $ en plus des intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec [4] imputée depuis le 15 novembre 2010;
[79] CONDAMNE la défenderesse à rembourser au demandeur les frais judiciaires s’élevant à 129 $.
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__________________________________ JEAN-PIERRE GERVAIS, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
11 avril 2012 à Senneterre |
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