Boily c. Tremblay

2012 QCCQ 4481

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

CHARLEVOIX

LOCALITÉ DE

LA MALBAIE

« Chambre civile »

N° :

240-32-000261-110

 

DATE :

5 juin 2012  

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

CHARLES G. GRENIER [JG1934]

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LOUISETTE BOILY

[…], Notre-Dame-des Monts (Québec) […],

 

Demanderesse

c.

 

VÉRONIQUE TREMBLAY,

JOCELYNE BOILY

-et-

RAYMOND LAVOIE

[…], Notre-Dame-des Monts (Québec) […],

 

Défendeurs

-et-

 

JÉRÔME GUAY faisant affaires sous la raison sociale de LE PRO DE L'EAU

61, Rang Ste-Christine, Notre-Dame-des-Monts (Québec) G0T 1L0,

 

Appelé

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JUGEMENT

 

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LA TRAME FACTUELLE

[1]            La demanderesse, madame Louisette Boily, et son conjoint, monsieur Thomas Tremblay, qui l'accompagnait lors de l'audience, sont les voisins depuis une vingtaine d'années des défendeurs dans le Rang St-Thomas à Notre-Dame-des-Monts.

[2]            Les parties partageaient un puits depuis environ 16 ans jusqu'à ce que le 16 octobre 2009, madame Boily soit obligée d'abandonner ce puits qui était contaminé et devenu impropre à tout usage et d'en faire forer un autre par Les Forages Lapointe.

[3]            Madame Boily et monsieur Tremblay allèguent que la contamination du puits qui avait toujours bien fonctionné, est due à l'aménagement, le 27 novembre 2008, par les défendeurs, d'un champ d'épuration sur leur terrain.

[4]            Ce champ aurait été installé de façon parallèle au terrain de madame Boily, à trop grande proximité de la ligne séparatrice des terrains et des maisons érigées dessus et sur un terrain de trop faible dimension pour recevoir un tel champ.

[5]            Les différentes factures déposées au dossier de la Cour par la demanderesse, notamment celle de Les Forages Lapointe d'un montant de 10 987,20 $, s'élèvent à 11 641,13 $. Madame Boily soutient également avoir subi des dommages se chiffrant à 4 022,60 $ pour un grand total de 15 663,73 $, somme qu'elle a réduite à 7 000 $ pour accéder à la Division des petites créances de notre Cour.

[6]            Les défendeurs ont produit une contestation dans laquelle ils allèguent que l'installation de leur champ d'épuration a été faite par des professionnels qualifiés, notamment Le Pro de l'Eau, à partir d'un plan élaboré par un technologue professionnel.

[7]            Ils soutiennent que madame Boily tente de leur faire porter le chapeau du fait que ses installations sanitaires se sont brisées d'elles-mêmes à l'automne 2008. Ils pointent également vers un tas de fumier situé en permanence sur le terrain de madame Boily comme étant une cause possible de la contamination du puits.

[8]            Selon eux, madame Boily et monsieur Tremblay veulent se venger d'eux parce qu'ils ont gagné leur point devant la Cour supérieure dans le cadre d'un litige concernant l'acquisition par eux, par prescription, d'une parcelle de terrain jouxtant leurs deux propriétés.

[9]            Ils se sont portés en demande reconventionnelle contre madame Boily en lui réclamant  à  leur  tour  le paiement de la somme de 7 000 $ parce qu'ils allèguent 1 ° avoir été privés par elle, à partir de juillet 2008, de l'accès au puits qu'ils partageaient en raison de leur litige devant la Cour supérieure (3 380,60 $), 2 ° que madame Boily utilise encore une pompe de l'ancien puits, puits qu'ils avaient payé en partie (1 200 $) et 3 ° qu'ils ont subi des troubles, ennuis et inconvénients importants en raison de l'attitude belliqueuse de madame Boily à leur endroit.

[10]         Enfin, ils ont appelé en garantie monsieur Jérôme Guay, faisant affaires sous le nom de Le Pro de l'Eau.

[11]         Au début de l'audience, les défendeurs et l'appelé étaient absents. Après qu'ils aient été officiellement appelés par la greffière, personne ne s'est présenté. La cause a donc procédé par défaut de plaider.

L'ANALYSE

[12]         Le litige opposant les parties est essentiellement soumis au régime juridique de la responsabilité civile du fait des biens édictée par l'article 1465 du Code civil du Québec :

1465.  Le gardien d'un bien est tenu de réparer le préjudice causé par le fait autonome de celui-ci, à moins qu'il prouve n'avoir commis aucune faute.

 

[13]         Pour réussir dans sa demande à l'endroit des défendeurs, madame Boily se devait de prouver de façon prépondérante [1] , non seulement la nature du préjudice subi - la contamination du puits - mais aussi le lien entre ce préjudice et le champ d'épuration installé par les défendeurs.

[14]         Le Tribunal veut bien accepter comme étant suffisante, quoique sommaire, la preuve administrée par madame Boily quant à la contamination du puits.

[15]         Cette preuve consiste en un rapport de l'entreprise Bodycote (n o 09-334907) rédigé à partir de prélèvements effectués par monsieur Tremblay le 13 mai 2009, qui conclut à « de l'eau devenue noire, la présence de coliformes fécaux et un non-respect des normes de qualité ».

[16]         S'ajoutent à cette preuve documentaire, les témoignages de madame Boily et de monsieur Tremblay quant au fait que toute la tuyauterie de leur maison était devenue noire, qu'ils ne pouvaient pas se servir de l'eau, que leur garçon a été malade et qu'ils ont dû se passer d'un puits pendant sept mois.

[17]         Cependant, la situation est toute autre en ce qui a trait à la preuve de leur prétention voulant que la source de la contamination du puits soit le champ d'épuration installé en novembre 2008 par leurs voisins.

[18]         Le Tribunal ne dispose d'aucun rapport d'expertise au dossier étayant la thèse mise de l'avant par madame Boily et n'a pu bénéficier de l'éclairage à l'audience d'aucun témoin - témoin expert ou témoin ordinaire - concernant cette problématique, puisque madame Boily n'en a fait venir aucun.

[19]         Mis à part trois photographies du terrain et d'une remise à bois, un plan d'arpentage des terrains et les témoignages de madame Boily et de monsieur Tremblay qui voient, eux, une concomitance parfaite entre l'installation du champ d'épuration et la contamination du puits et qui sont convaincus qu'il a été mal installé sur un terrain trop petit, tout en mettant hors de cause le tas de fumier situé depuis toujours sur leur propriété, le Tribunal ne peut se rabattre de façon objective et scientifique que sur deux lettres qu'a écrites, le 3 octobre 2009 et le 5 novembre 2009, monsieur Pierre Laterrière, consultant professionnel en zonage agricole et en environnement, lettres respectivement acheminées à la municipalité de Notre-Dame-des-Monts et à madame Boily elle-même.

[20]         Dans sa lettre du 3 octobre 2009 à la Municipalité de Notre-Dame-des-Monts, monsieur Laterrière affirme avoir été consulté par madame Boily relativement à la contamination de son puits en eau potable. Il formule à la municipalité les commentaires et demandes suivantes (P-7) :

 

Québec, le 3 octobre, 2009.

 

Municipalité de Notre Dame des Monts,

15, rue Principale,

Notre Dame des monts

G0T1L0

 

A l'attention de. S. Boudreault, inspecteur.

 

Objet: Louisette Boily, rang St Thomas

 

Monsieur,

 

Mme Louisette Boily, me consulte relativement à son puits en eau potable , pour sa résidence située au […] en votre municipalité.

 

Selon sa version, son puits (eau) a été contaminé et n'est plus utilisable depuis les débuts de l'année 2009  et elle m'affirme qu'elle vous a signalé cette problématique et que rien n'a été fait à date avec pour conséquence qu'elle ne peut plus utiliser le puits en question depuis le début de l'année.

 

Une analyse de l'eau a été effectuée par la firme Bodycote et le résultat confirme un haut taux de coliformes etc… et que bref le puits n'est plus utilisable.

 

Il faut préciser que ce puits artésien est en place depuis plus de 20 ans et que l'eau a toujours été potable et qu'aucun problème en matière de pollution de l'eau a été soulevé au cours de ces années.

 

Ce qui aurait provoqué la contamination du puits est le fait qu'une fosse septique avec champ d'épuration a été construite  sur le lot 334-P appartenant a Mme  Véronique Tremblay, voisine immédiate de Mme Boily.

 

Forage Lapointe, expert en puits confirme ces prétentions suite à une visite des lieux et personnellement je serais enclin à croire que cette installation septique est la cause de la contamination.

 

Le puits est en effet situé plus ou moins 28 mètres de la dite installation septique ce qui est trop proche selon les normes existantes. Il faut préciser que le puits a une profondeur de 25 pieds, ce qui accrédite la thèse de la contamination par les installations septiques.

 

Je remarque que le terrain de Mme Véronique Tremblay a une superficie de 1152.3 mètres carrés, donc superficie supérieure au QR 8 du Ministère de l'Environnement. qui exige une superficie de 3000 mètres. (32292 pieds carrés)

 

Comme la résidence de Mme Véronique Tremblay bénéficie de droits acquis, il lui appartenait de faire construire des installations septiques conformes pour terrain ayant une superficie inférieure aux normes et ce ne fut pas le cas.

 

Votre municipalité a sans doute émis un permis pour cette installation septique.

 

L'émission du permis par la municipalité doit se faire suite à un rapport d'ingénieur qui doit préciser les règles de l'art tant dans le choix de l'installation que de sa  localisation.

 

Dans les circonstances,j'aimerais obtenir  les documents suivants afin de déterminer les futures actions de ma cliente à savoir:

 

Le rapport de l'ingénieur qui a procédé à l'analyse des sols et des lieux. de même que des normes de localisation et la nature des équipements septiques a installer

 

Copie du permis  émis par la municipalité suite au rapport de l'ingénieur

 

Rapports de vérification des travaux

 

Le nom de l'entrepreneur qui a procédé à la construction de ces installations. ett sa confirmation des équipements installés

 

Par ailleurs, j'aimerais être informé sur les démarches que la municipalité a effectuées dans le but d'apporter des correctifs à la situation

 

Je vous remercie de l'attention que vous apporterez à la présente tout en vous signalant l'urgence d'y donner suite étant donné que ce domicile est sans eau potable.

 

 

Pierre Laterrière, consultant

 

CC Louisette Boily

(Reproduction intégrale)

 

[21]         Dans sa lettre du 5 novembre 2009, monsieur Laterrière fait part à madame Boily de son opinion à la suite de sa consultation auprès de lui (P-7) :

 

Québec, le  5 novembre, 2009.

 

 

Mme Louisette Boily Tremblay

[…] Notre Dame des Monts,

[…]

 

 

Madame,

 

J'ai discuté de votre dossier avec M. Stéphane Boudreault de la Municipalité de Notre Dame des Monts concernant la pollution de votre puits.

 

Il est clair qu'il y a une possibilité, que les installations septiques de votre voisin polluent votre puits, mais il faut en faire la preuve.

 

Seules des expertises peuvent démontrer que la pollution a pour origine les installations de votre voisin et bien que la preuve de pollution a été faire, la preuve de l'origine de la pollution n'a pas été démontrée.

 

Pour ce faire, il en résulterait des déboursés très coûteux et par après il serait nécessaire d'avoir recours a un avocat pour réclamer vos dommages. et vous devrez engager des frais pour cette poursuite

 

Quant à la municipalité, faute de preuves, elle ne peut pas intervenir..

 

Je vous suggère donc de consulter un avocat parce que en ce qui me concerne je ne peux pas faire d'avantage dans votre dossier.

 

Je vous retourne les documents que vous m'avez prêtés lors de ma visite.

 

Quant à mes frais et honoraires pour mon intervention, ils sont de $100.00, mais je déduits l'avance de $50.00 ce qui fait qu'il y a une balance de $50.00 qui est encore due.

 

 

Merci

 

Pierre Laterrière, consultant

 

(Reproduction intégrale)

 

[22]         Les lettres de monsieur Laterrière indiquent d'elles-mêmes, plus particulièrement celle du 5 novembre, le niveau de preuve technique requis pour faire la démonstration de façon convaincante du lien allégué entre la contamination du puits et la présence du nouveau champ d'épuration.

[23]         On peut bien s'autoconvaincre du bien-fondé d'une perception des choses, comme le font madame Boily et monsieur Tremblay, ou même, à la limite, se déclarer « enclin » à opter pour la thèse de la contamination par le champ d'épuration comme le fait monsieur Laterrière dans sa lettre à la municipalité datée du 3 octobre 2009, mais c'est loin d'être suffisant, tel que le souligne lui-même monsieur Laterrière dans sa lettre.

[24]         C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il a demandé à la municipalité toute une série de documents qu'il jugeait essentiels pour examiner plus à fond la chose tout en indiquant à sa cliente, madame Boily, ce qu'elle devait faire si elle voulait prendre action contre ses voisins.

[25]         En ne présentant aucune preuve de nature technique ou scientifique, madame Boily a choisi une voie autre que celle suggérée par monsieur Laterrière. Force est cependant de constater qu'elle n'a rien prouvé de façon tangible permettant d'établir de façon prépondérante un lien entre la contamination du puits qu'elle partageait avec les défendeurs et leur champ d'épuration.

[26]         Faute de preuve, la demande sera donc rejetée.

[27]         En l'absence des demandeurs reconventionnels et donc également faute de preuve, les demandes reconventionnelles seront, elles aussi, rejetées.

 

 

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL  :

            REJETTE la demande;

CONDAMNE la demanderesse, madame Louisette Boily, à payer à la défenderesse, madame Véronique Tremblay, la somme de 148 $ représentant le montant des frais judiciaires qu'elle a dû défrayer pour produire sa contestation, et à madame Jocelyne Boily et monsieur Raymond Lavoie la somme de 148 $ représentant le montant des frais judiciaires qu'ils ont également dû défrayer pour produire leur contestation commune;

            REJETTE les demandes reconventionnelles.

 

 

 

 

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CHARLES G. GRENIER, J.C.Q.

 

 

 

Date d'audience: 5 mars 2012

 

 

 

 

 

 



[1] Code civil du Québec , art. 2803 et 2804.