COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

Dossier :

221536

Cas :

CQ-2012-0436

 

Référence :

2012 QCCRT 0265

 

Québec, le

5 juin 2012

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DEVANT LA COMMISSAIRE :

Hélène Bédard, juge administratif

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Diane Bernier

 

Requérante

c.

 

Métro-Richelieu inc.

 

Intimée

et

 

Commission de l'équité salariale

 

Mise en cause

 

 

DÉCISION

 

 

[1]            Le 25 janvier 2012, Diane Bernier dépose un recours fondé sur l’article 104 de la Loi sur l’équité salariale (L.R.Q., c. E-12.001) (ou la Loi ), pour contester une décision de la Commission de l’équité salariale (la CÉS) rendue le 21 décembre 2011 (dossiers: 13652 et 13953).

[2]            Dans cette décision, la CÉS déclare non fondées les plaintes déposées par deux plaignantes, dont l’une d’elles est Diane Bernier, la requérante dans la présente affaire.

[3]            L’intimée, Métro Richelieu inc. (Métro) présente deux moyens préliminaires selon lesquels le présent recours serait irrecevable. D’abord, madame Bernier aurait renoncé à tout recours contre l’intimée en vertu d’une transaction. Ensuite, comme elle a perdu le statut de salarié à la suite de cette transaction, madame Bernier n’a pas l’intérêt juridique pour exercer ses recours tant à la CÉS que devant la Commission des relations du travail (la Commission).

[4]            La Commission décide d’entendre les parties sur les moyens préliminaires et de les trancher avant d’entendre le fond du litige, le cas échéant.

Le contexte

[5]            Madame Bernier a travaillé pour Métro jusqu’en février 2009, date de sa fin d’emploi qui a fait l’objet d’une plainte fondée sur les articles 122 et 124 de la Loi sur les normes du travail (L.R.Q., c. N-1.1). La Commission a accueilli ces plaintes et ordonné la réintégration de madame Bernier dans son emploi.

[6]            À la suite de cette décision, les parties conviennent d’une entente signée le 10 septembre 2010. En bref, madame Bernier renonce au droit à la réintégration dans son emploi et Métro accepte de lui verser une compensation monétaire. Le texte de l’entente prévoit ce qui suit :

(…)

5.     En considération du respect par les parties de leurs obligations mentionnées à la présente entente, les parties se donnent mutuellement quittance finale et complète à l’égard de tout recours qu’elles ont, avaient ou pourraient avoir l’une envers l’autre, découlant du lien d’emploi et de la fin de celui-ci. Cette quittance est donnée de part et d’autre sous réserve du Relevé de droit à la cessation d’emploi prévu par le Régime de rentes des cadres et professionnelles de Métro inc.

(…)

9.     Le présent accord constitue une transaction au sens de l’article 2631 du Code civil du Québec.

[7]            Conformément à la demande des parties, la Commission entérine cette entente par décision rendue le 14 septembre 2010.

[8]            Les 14 et 24 mars 2011, deux personnes salariées déposent à la CÉS des plaintes fondées sur l’article 96.1 de la Loi dans lesquelles elles allèguent que Métro n’a pas satisfait à ses obligations en matière d’équité salariale.

[9]            Après enquête et préavis de décision aux parties, la CÉS rend la décision attaquée. Celle-ci conclut comme suit :

[18] CONSIDÉRANT qu’un programme d’équité salariale applicable aux personnes salariées non syndiquées de l’entreprise a été réalisé, tel que requis par la Loi sur l’équité salariale;

Après étude et délibérations, la Commission :

[19] DÉCLARE que les plaintes déposées contre l’employeur Métro Richelieu inc. sont non fondées.

[10]         Soulignons que selon l’article 102.1 de la Loi , la CÉS « ne doit pas dévoiler pendant l’enquête l’identité du salarié concerné par une plainte, sauf si ce dernier y consent.  ». Ce n’est donc qu’au moment où madame Bernier porte le présent recours selon l’article 104 de la Loi devant la Commission que Métro connaît son identité. Métro constate ainsi qu’il s’agit de la même personne qui a signé l’entente mentionnée ci-dessus.

[11]         L’autre salariée concernée par la décision de la CÉS ne la conteste pas devant la Commission.

Prétentions des parties

MÉTRO

[12]         Concernant le moyen d’irrecevabilité, Métro soutient que l’entente signée le 10 septembre 2010, en règlement des plaintes relatives à la contestation du congédiement de la requérante, constitue une transaction au sens de l’article 2631 du Code civil du Québec (C.c.Q) comme les parties l’ont expressément reconnu.

[13]         Cette transaction est opposable à la requérante dans le cadre du présent recours puisque les parties se donnent quittance complète et finale relativement à tout recours découlant du lien d’emploi et de la fin de celui-ci. Elles n’y ont prévu qu’une seule réserve qui concerne le régime de rentes. Si elles avaient voulu y exclure les recours découlant de la Loi , elles auraient dû le préciser, ce qu’elles n’ont pas fait.

[14]         La transaction a l’autorité de la chose jugée entre les parties selon l’article 2633  ce qui met un terme au présent recours. Métro n’a pu opposer ce moyen d’irrecevabilité à la requérante devant la CÉS, car sa plainte était alors anonyme; elle l’a donc opposé à la première occasion lorsque l’identité lui fut dévoilée.

[15]         Enfin, Métro soutient que par la transaction, la requérante perdait son statut de salarié en renonçant à la réintégration dans son emploi. Elle n’avait donc pas la qualité pour porter plainte à la CÉS selon l’article 96 de la Loi , ni pour porter la décision devant la Commission en vertu de l’article 104.

LA REQUÉRANTE

[16]         En réponse au moyen d’irrecevabilité, madame Bernier soutient que, au moment où elle a signé l’entente le 10 septembre 2010, elle ne connaissait pas l’existence de la Loi sur l’équité salariale. Si elle l’avait connue, elle aurait demandé à son avocat de ne pas renoncer aux recours qui en découlent. À ce moment, elle ne pouvait évaluer la portée de l’entente qu’elle a signée eu égard à la Loi .

motifs

[17]         Métro présente un moyen préliminaire qu’elle n’a pas soulevé devant la CÉS. Toutefois, la Commission reconnaît qu’elle ne pouvait invoquer ce moyen devant la CÉS compte tenu de l’article 102.1 de la Loi qui préserve l’anonymat d’un salarié.

[18]         Ce n’est que lors du dépôt du présent recours devant la Commission que l’identité de la requérante fut dévoilée et que Métro a pu présenter le moyen préliminaire. Métro est donc fondée à présenter le moyen d’irrecevabilité au présent stade.

[19]         Ce moyen porte sur l’existence d’une transaction empêchant l’exercice du recours prévu à la Loi . L’article 2631 du Code civil du Québec définit la transaction :

2631. La transaction est le contrat par lequel les parties préviennent une contestation à naître, terminent un procès ou règlent les difficultés qui surviennent lors de l’exécution d’un jugement, au moyen de concessions ou de réserves réciproques.

(…)

[20]         Pour la Commission, il fait nul doute que l’entente signée par les parties le 10 septembre 2010 pour régler le litige qui les opposait alors en vertu de la Loi sur les normes du travail constitue une transaction. D’ailleurs, les parties l’ont expressément reconnu dans le texte même de l’entente.

[21]         C’est ainsi que les parties, qui étaient engagées dans un litige relatif à la fin d’emploi de la requérante, ont décidé d’y mettre un terme au moyen de concessions réciproques : la requérante renonce à son droit à la réintégration et Métro s’engage à lui verser une compensation financière. En outre, elles renoncent à tout recours « (…) qu’elles ont, avaient ou pourraient avoir l’une envers l’autre, découlant du lien d’emploi et de la fin de celui-ci. ».

[22]         Toutefois, quelques mois après la signature de cette transaction, soit en mars 2011, la requérante dépose à la CÉS une plainte fondée sur la Loi . Elle y prétend que Métro n’a pas complété l’exercice d’équité exigé par la Loi . Au terme de cette plainte, elle vise nécessairement à obtenir pour sa période d’emploi, s’étant terminée en février 2009, un ajustement salarial qui résulterait d’une éventuelle discrimination systémique.

[23]         Selon l’article 2633 C.c.Q., cette transaction a l’autorité de la chose jugée entre les parties. Pour la Commission, elle constitue une fin de non-recevoir empêchant la requérante d’exercer un recours fondé sur la Loi contre Métro, et ce, même si cette Loi est d’ordre public.

[24]         Dans une affaire semblable à la présente, la CÉS a reconnu qu’une transaction convenue entre un employeur et une salariée pour régler les conséquences d’une fin d’emploi rend irrecevable un recours fondé sur la Loi . (Voir Personne salariée c. […] résolution : CÉS-255-3.8-23268 25 janvier 2012). Notons que les termes utilisés dans cette transaction sont similaires à ceux retenus dans la transaction en cause ici. En référant au jugement de la Cour suprême rendu dans Garcia Transport ltée c. Cie royal Tru st , [1992] 2 R.C.S. 499 , la CÉS écrit :

[14] Les tribunaux, dont la Cour suprême du Canada, reconnaissent par ailleurs la validité de telles transactions en présence d’une loi d’ordre public et de dispositions comme l’article 2 de la Loi sur l’équité salariale  sous réserve du respect de deux conditions : la personne salariée ne doit pas être en situation de vulnérabilité et elle doit avoir acquis les droits auxquels elle renonce. Ces conditions sont respectées en l’espèce.

[15] Les termes de la « transaction et quittance » intervenue entre la plaignante et le mis en cause sont suffisamment larges pour couvrir la renonciation à l’exercice des recours en vertu de la Loi sur l’équité salariale. La plainte déposée par la partie plaignante en vertu de cette loi est donc irrecevable.

[25]         D’ailleurs, dans une affaire portant sur la Charte des droits et libertés (L.R.Q., c. C-12), la Cour d’appel valide l’interprétation du Tribunal des droits de la personne concernant la portée d’une transaction conclue entre un employeur et un salarié pour régler les conséquences d’une fin d’emploi. Le Tribunal conclut que la transaction comportant une renonciation pour tout recours découlant du lien d’emploi rend irrecevable la plainte du salarié alléguant discrimination fondée sur la race et l’origine ethnique qui serait survenue au cours de l’emploi [ C. D.P.D.J. c. Provigo Distributions AZ-50146357 (T.D.P.); AZ-50156157 (C.A.)].

[26]         Ici, les termes de la transaction visent à empêcher tout recours, entre Métro et la requérante, découlant du lien d’emploi ou de la fin de celui-ci. Les faits fondant sa plainte à la CÉS existaient au moment de la conclusion de la transaction; son droit à l’exercice des recours prévus à la Loi était donc acquis à ce moment. De plus, la requérante n’était pas en situation de vulnérabilité au moment de la conclusion de la transaction : elle n’était plus à l’emploi de Métro, un conciliateur est intervenu entre les parties et elle était représentée par avocat.

[27]         Enfin, l’argument voulant que la requérante ne connaisse pas l’existence de la Loi sur l’équité salariale ne peut être retenu. Nul n’est censé ignorer la loi et l’article 2634 C.c.Q. prévoit spécifiquement que l’erreur de droit n’est pas une cause de nullité de la transaction.

[28]         Pour ces raisons, la transaction signée par les parties rend irrecevable la plainte déposée à la CÉS qui est à l’origine du présent recours qui est rejeté.

[29]         Compte tenu de cette conclusion, il n’y a pas lieu d’analyser le second moyen préliminaire de l’intimée.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

ACCUEILLE                  le moyen d’irrecevabilité;

REJETTE                      le recours.

 

 

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Hélène Bédard

 

M. Claude Lévesque

Représentant de la requérante

 

M e Nancy Ménard-Cheng

Norton Rose CANADA S.E.N.C.R.L

Représentante de l’intimée

 

M e Pierre Lachance

Représentant de la mise en cause

 

Date de la dernière audience :

27 avril 2012

 

/nc