Section des affaires sociales
En matière de services de santé et de services sociaux, d'éducation et de sécurité routière
Référence neutre : 2012 QCTAQ 04878
Dossier : SAS-M-196816-1203
MARTINE LAVOIE
c.
LA SOCIÉTÉ DE L'ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC
[1] Le Tribunal est saisi d’un recours à l'encontre d’une décision rendue en révision par l’intimée, la Société de l’assurance automobile du Québec (la SAAQ), le 27 février 2012.
[2] Par cette décision, l’intimée maintient la suspension du permis de conduire de la requérante pour une période de 90 jours, à compter du 4 mars 2012, au motif qu'elle a refusé d'obtempérer à un ordre d’un agent de la paix, soit de fournir un échantillon d’haleine alors qu'elle avait la garde ou le contrôle d'un véhicule.
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[3] On peut retrouver comme suit les faits pertinents qui ressortent de la preuve.
[4] Selon le rapport des policiers, le 3 février 2012, l’arrestation de la requérante intervient dans un contexte de conduite automobile erratique. Le véhicule de la requérante circule sur la ligne pointillée de la voie centrale, empiétant sur l’autre voie. La vitesse est instable, variant de 110 km/h à 80 km/h. Le véhicule change de voie sans clignotant. Les policiers interceptent alors la requérante.
[5] À son arrivée au véhicule, l’agent constate que la requérante dégage une faible odeur de boisson alcoolisée. Lorsqu’il lui demande si elle a consommé de l’alcool, la requérante aurait répondu : « Oui, un verre de vin avec mon ami. » La requérante explique sa conduite erratique par le fait qu’elle parlait au téléphone cellulaire en conduisant.
[6] Toujours selon le rapport des policiers, après qu’on lui a ordonné de souffler dans l’appareil de détection, la requérante souffle à trois reprises, sans toutefois obtenir de résultats valables, en raison d’un manque de collaboration de sa part.
[7] En effet, l’agent M... explique au rapport que la requérante tente d’abord de toucher l’appareil, malgré les directives. Elle ferme les dents devant l’embout de l’appareil sans coller les lèvres. Elle souffle et arrête immédiatement. On lui montre comment souffler adéquatement. Ce qu’elle fait sans l’appareil, mais pas avec l’appareil. Elle inspire plutôt que d’expirer, souffle sans effort et arrête aussitôt sans avis. Les policiers jugent alors que la requérante souffle mal de façon délibérée.
[8] Ainsi, après lui avoir expliqué les conséquences d’un refus de collaboration, ils concluent au refus d’obtempérer de la requérante, d’où la suspension de son permis de conduire et la saisie de son véhicule.
[9] Pour sa part, la requérante explique ce qui suit, lors de sa demande de révision à l’intimée : « J’ai soufflé à trois reprises dans l’appareil, mais cela n’a pas fonctionné. Je souffre du souffle court, problème d’hyperthyroïdie, j’ai un problème de santé à ce niveau, je ne pouvais souffler dans l’appareil plus fort. » Pour demander la main levée de saisie de 30 jours de son véhicule, elle écrivait : « Je souffre d’une insuffisance respiratoire et attaque de panique grave. La SAAQ peut voir le rapport de la docteure psychologue H. Pineault. »
[10] À sa requête introductive de recours au Tribunal, la requérante réitère les mêmes explications et réclame un montant de 1 673 $ à titre de dédommagement pour avoir été privée injustement de son véhicule pendant 30 jours.
[11] Elle réitère essentiellement les mêmes propos à l’audience. Elle ne conteste pas le fait qu’elle conduisait le véhicule lors des événements.
[12] La requérante explique à nouveau avoir été arrêtée à cause de son cellulaire. Elle nie avoir conduit de façon erratique. Elle mentionne prendre des médicaments incompatibles avec l’alcool et, de ce fait, elle ne consommerait que peu d’alcool. Le soir des événements, elle n’aurait bu qu’un seul verre de vin au repas du soir, plus de quatre heures avant son arrestation. Elle admet qu’il y avait peut-être d’étranges odeurs dans son véhicule ce soir-là. En effet, une dame enceinte aurait vomi dans sa voiture. De plus, la requérante avait mangé de l’agneau cuisiné avec de l’ail.
[13] La requérante déplore le fait que les policiers lui ont fait procéder aux tests d’haleine dans leur véhicule plutôt qu’à l’extérieur.
[14] Elle allègue que les policiers ont été intimidants et agressifs avec elle. Ils ont, selon elle, abusé de leur pouvoir, notamment du fait qu’ils étaient deux et qu’elle était seule. Elle nie ne pas avoir collé les lèvres sur l’embout de l’appareil lors des tests d’haleine. La requérante dit avoir été prise de panique lors des événements; ses jambes tremblaient, ses doigts étaient engourdis, elle n’avait pratiquement plus de voix. Les policiers ne l’auraient pas laissée parler. Ils lui auraient refusé son droit de recourir à un avocat. Après la saisie de son véhicule, la requérante dit avoir marché à talons hauts jusque chez elle; elle n’était pas en état d’ébriété.
[15] La requérante allègue ne pas avoir refusé de collaborer.
[16] Toutefois, elle rappelle au Tribunal ses problèmes de santé : souffle court, hyperthyroïdie et explique ses difficultés involontaires à collaborer adéquatement aux tests d’haleine (trouble panique).
[17] À l’audience, la requérante dépose divers documents médicaux attestant de sa condition médicale [1] .
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[18] Soulignons que le litige ne porte que sur la question de refus d’obtempérer à l’ordre de fournir un échantillon d’haleine. Ainsi, le Tribunal n’a pas juridiction pour se prononcer quant aux dommages-intérêts pour la saisie du véhicule ou encore quant au lieu où sont survenus les tests d’haleine.
[19] Rappelons que la requérante a le fardeau de démontrer, de façon prépondérante, qu’elle avait un motif raisonnable pour avoir refusé d’obtempérer à l’ordre de l’agent de la paix de fournir un échantillon d’haleine.
[20] En l’espèce, elle allègue n’avoir pu souffler correctement dans l’appareil de détection d’alcool en raison d’une condition médicale. Elle ne conteste pas le fait qu’elle conduisait le véhicule et qu’elle en avait la garde ou le contrôle. Seule la question de « l’excuse raisonnable » est à analyser. Les motifs invoqués par la requérante constituent-
ils une excuse raisonnable permettant la levée de la suspension du permis de conduire de la requérante?
[21] Après avoir entendu les témoignages et réviser la preuve incluant le document de la docteure H. Pineau, psychologue-neuropsychologue, qui traite la requérante au plan psychologique depuis le 16 février 2010 et la preuve soumise par la requérante à l’audience, le Tribunal conclut que la requérante n’avait pas d’excuse raisonnable pour ne pas avoir obtempéré à l’ordre des agents.
[22]
Ce sont les articles
202.3
,
202.5
et
202.6.7
du
Code de la sécurité
routière
[2]
ainsi que l’article
[23] Les dispositions se lisent ainsi :
« 202.3. Un agent de la paix qui a des raisons de soupçonner la présence d'alcool dans l'organisme d'une personne soumise à l'interdiction prévue à l'article 202.2 peut lui ordonner de lui fournir immédiatement l'échantillon d'haleine qu'il estime nécessaire pour l'analyser à l'aide d'un appareil de détection approuvé par le ministre de la Sécurité publique et conçu pour déceler la présence d'alcool dans le sang d'une personne. Cet appareil doit être entretenu et utilisé conformément aux normes prévues par règlement et par des personnes ayant reçu la formation prévue par règlement.
Aux fins de prélever les échantillons d'haleine, l'agent de la paix peut ordonner à cette personne de le suivre. »
«
202.5.
Un agent de la paix peut également
imposer la suspension de 90 jours prévue à l'article 202.4 à une
personne qui omet d'obtempérer à un ordre que lui donne un agent de la paix en
vertu de l'article 202.3 ou de l'article
« 202.6.7. Le procès-verbal et tout autre document pertinent dressés par l'agent de la paix peuvent tenir lieu de ses constatations si ce dernier y atteste qu'il a lui-même constaté les faits qui y sont mentionnés. Il en est de même de la copie du procès-verbal certifiée conforme par une personne autorisée.
[…] »
« 254 […]
(5) Commet une infraction quiconque, sans excuse raisonnable, omet ou refuse d’obtempérer à un ordre donné en vertu du présent article.
[…] »
[24]
L’article
202.6.6. La Société lève la suspension du permis ou du droit d'en obtenir un si la personne concernée établit de façon prépondérante :
1° dans le cas d'une interdiction prévue à l'article 202.2, qu'il n'y avait pas présence d'alcool dans son organisme;
2° qu'elle conduisait le véhicule routier ou en avait la garde ou le contrôle sans avoir consommé une quantité d'alcool telle que son alcoolémie dépassait 80 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang;
3° qu'elle avait une excuse raisonnable pour ne pas avoir
obtempéré à un ordre donné par un agent de la paix en vertu des articles 202.3
ou 636.1 du présent code ou de l'article
4° qu'elle ne conduisait pas un véhicule routier ou n'en avait pas la garde ou le contrôle dans les cas prévus au présent article.
Lorsqu'une suspension est levée, la Société rembourse les frais de révision qui lui ont été payés.
Notre emphase
[25] Il ressort de l’article 202.6.7 que les documents émanant des agents de la paix peuvent tenir lieu de leurs constats que le Tribunal n’est pas en mesure d’écarter. Ainsi, malgré les prétentions de la requérante à l’effet qu’elle était incapable de souffler adéquatement en raison de problèmes médicaux, les policiers ont constaté le contraire. En effet, au 2 e essai, après démonstration du policier, à deux reprises, la requérante s’exécute sur l’embout non relié à l’appareil de façon tout à fait correcte. Pourtant, avec l’appareil,
tantôt, la requérante « inspire au lieu d’expirer » [4] et tantôt « elle éloigne ses lèvres de l’extrémité de l’embout et elle fait de petits souffles, sans effort, avec beaucoup de retenue. », peut-on lire au rapport cosigné par les deux policiers présents lors des événements.
[26] Témoignant à l’audience, la requérante confirme avoir eu droit à des démonstrations de la part du policier et avoir effectué des essais. Or, le Tribunal ne peut que constater que la requérante était en mesure de souffler lors de ces essais.
[27] Au rapport des policiers, on peut lire :
[Transcription conforme]
« […]
Commentaire du Policier
Il était évident dès le départ que la suspecte ne voulait pas faire des souffles constants et continus même si elle était apte à le faire avec facilité lorsqu’il n’y avait pas l’appareil. Avant chaque essai j’ai fait une démonstration d’un souffle convenable et je me suis assuré de sa compréhension après chaque exemple. »
[28] Étonnamment, il ne ressort pas de la preuve que la requérante ait mis les policiers au fait des problèmes médicaux ayant une incidence sur le fait de souffler dans l’appareil.
[29] De plus, alors que la requérante allègue avoir été en état de panique, les jambes tremblantes, il ressort du rapport des policiers que, lors de sa libération, la requérante demande si elle peut contester et « s’acharne à vouloir contester sa suspension de permis et la saisie. » À l’audience, elle explique être retournée chez elle à pied, sans demander d’assistance particulière à quiconque.
[30] Pour déterminer s’il y a eu refus de collaboration de la requérante, le Tribunal doit attacher une importance particulière au déroulement des événements au moment de l’infraction. Ainsi, même s’il ressort de la preuve médicale que la requérante présente des problèmes de thyroïde, des problèmes cardiaques et un trouble panique, pour lequel elle
est d’ailleurs indemnisée par la SAAQ, dans le cadre d’un accident d’automobile, cela ne suffit pas à démontrer qu’elle était incapable de souffler dans l’appareil lors des événements.
[31] À cet égard, mentionnons d’ailleurs que les documents R-1 à R-4, transmis par la requérante, bien qu’ils fassent état de certains symptômes et problèmes médicaux n’expliquent pas en quoi ces derniers ont une incidence sur la capacité de souffler pour la requérante. Quant au document émis par la neurospsychologue, rappelons que la docteure Pineau se base, notamment, sur « certaines réactions rapportées par la cliente » dans le contexte de l’arrestation du 3 février 2012 pour émettre ses commentaires.
[32] Selon le rapport des policiers, contemporain aux événements et non intéressé, rien ne donne à penser que la requérante était en état de trouble panique lors des événements.
[33] La condition médicale alléguée par la requérante ne démontre pas, de façon objective, dans les circonstances qui nous occupent, qu’elle était incapable de souffler lors du test d’haleine. Ainsi, ces explications ne sauraient constituer une « excuse raisonnable ».
[34] Rappelons que la Cour suprême dans l’affaire Taraschu c. La Reine [5] que l’excuse raisonnable ne peut être invoquée avec succès que dans des circonstances d’extrêmes difficultés ou dans une situation qui engendrerait un risque substantiel pour la santé du requérant. La jurisprudence du Tribunal est au même effet.
[35] En l’espèce, la requérante n’a pas démontré, de manière probante, avoir été incapable de fournir correctement un échantillon d’haleine en raison d’une excuse raisonnable.
[36] La preuve prépondérante est à l’effet que la requérante a conduit un véhicule et qu’elle n’avait aucune « excuse raisonnable » pour refuser d’obtempérer aux ordres des policiers.
[37] La suspension du permis de conduire de la requérante est donc justifiée.
POUR CE MOTIFS , le Tribunal :
- REJETTE le recours.
Me François Desroches-Lapointe
Procureur de la partie intimée